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À partir d’avant-hierActualités scientifiques

Jack Dorsey n'a plus de rôle actif dans Bluesky

J'aimerais corriger une fausse information que je vois régulièrement circuler à propos de Bluesky, l'un des concurrents de Twitter.

Bluesky est souvent présenté, y compris par une partie de la presse tech, comme "l'alternative à Twitter de Jack Dorsey". Sous-entendu : Dorsey joue un rôle actif dans le développement Bluesky. Il est exact que Jack Dorsey a joué un rôle déterminant dans la création de Bluesky. Et même si le narratif du "Twitter de Musk contre Bluesky de Dorsey contre Threads de Zuckerberg" est fort croustillant, il est tout simplement faux que Dorsey joue encore un rôle actif dans Bluesky.

Dorsey est membre du conseil d'administration de l'entreprise qui développe Bluesky. Et c'est tout. La PDG est Jay Graber, une femme qu'il serait peut-être bien de ne pas invisibiliser davantage. Et Dorsey n'a aucune implication dans le développement quotidien de Bluesky.

Il suffit de se rendre sur le site de Bluesky pour vérifier l'information :

What is the corporate structure of Bluesky?

Bluesky, the company, is a Public Benefit Corporation. It is owned by Jay Graber and the Bluesky team. Jack Dorsey and Jeremie Miller serve on the board, along with Jay. Find past public statements we have made about Bluesky PBC's governance and structure in our original announcement, other posts on our blog, and on social media.

On apprend également que Bluesky est la propriété de "Jay Graber et de l'équipe de Bluesky". Donc pas de Jack Dorsey. On y apprend également que Bluesky est une Public Benefit Corporation, une forme juridique américaine qui ajoute à la recherche du profit la poursuite d'un objectif d'utilité publique.

Bluesky n'est pas parfait. On peut avoir des critiques légitimes à faire. J'en ai.

On peut également avoir des critiques légitimes à faire à l'égard de Dorsey. J'en ai. Beaucoup. La mauvaise gestion de Twitter ne date pas de Musk, loin s'en faut. Dorsey a été un PDG particulièrement incompétent. Le fait qu'il ait joué un rôle déterminant dans le rachat de Twitter par Musk parachève par un gigantesque feu d'artifice d'incompétence sa propre gestion calamiteuse.

Mais ces critiques, ou d'autres, ne sont pas des raisons pour inventer des faits qui n'en sont pas. Et encore moins pour les propager, surtout lorsque l'on dit lutter contre la désinformation. Dorsey a joué un rôle actif dans Bluesky, mais ça n'est plus le cas aujourd'hui.

Daniel Cohen est mort

J'apprends par Le Monde que Daniel Cohen est mort. Daniel Cohen a été un brillant chercheur en science économique. Il aura permis à une génération d'économistes français également brillants d'émerger, et d'apporter des contributions scientifiques décisives à la littérature en économie.

Le décès de Daniel Cohen est une bien triste nouvelle. J'adresse mes condoléances à sa famille, ses proches, ainsi qu'à toutes les personnes qui ont eu la chance de croiser son chemin.

L’économiste Daniel Cohen est mort
Spécialiste de la dette souveraine, professeur à l’Ecole normale supérieure et membre fondateur de l’Ecole d’économie de Paris, Daniel Cohen est mort, dimanche. Il avait 70 ans.
Philippe EscandeLe Monde

Et si le militantisme écologiste… fonctionnait ?

Sur les réseaux sociaux, je vois régulièrement passer des discussions de mauvaise qualité sur le militantisme écologique. Il serait inefficace, voire contre-productif, pour convaincre les citoyennes et les citoyens de soutenir des politiques publiques favorables à l'environnement.

Or, la question de l'efficacité du militantisme est une question empirique. Comprenez : les sciences humaines et sociales sont tout à fait capables de mesurer les effets du militantisme. Ces discussions sont de mauvaise qualité car elles ne s'appuient quasiment jamais sur cette littérature scientifique. On se contente d'avis personnels, pas toujours très subtils, et d'anecdotes. Des niveaux de preuve bien faibles.

António Valentim, post-doc en sciences politiques à l'Université de Yale, a récemment montré dans un working paper (partagé par John B. Holbein) que des manifestations pro-environnement ont fait augmenter le score des Verts en Allemagne. L'effet est géographiquement concentré dans les zones où les manifestations ont lieu. Et plus la manifestation est répétée, plus l'effet positif sur le score des Verts est grand.

Part des voix reçues par les Verts dans les municipalités où des manifestations ont eu lieu (en bleu) et les municipalités où les manifestations n'ont pas eu lieu (en rouge). Après les manifestations (ligne verticale pointillée), l'écart augmente : le score des Verts augmente davantage dans les municipalités où des manifestations ont eu lieu.

Je ne partage pas ce working paper pour argumenter que le militantisme écologiste fonctionne. Aussi bon soit-il, un article seul ne suffit pas à établir une telle conclusion.

Je partage ce working paper parce qu'il est intéressant. Et, surtout, parce que c'est typiquement le genre de sources qui manquent cruellement dans les discussions sur l'efficacité du militantisme écologiste. Cette littérature scientifique existe, alors pourquoi ne pas s'y intéresser ?

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation

1 septembre 2023 à 15:56
J'avais prévu de publier cet article vendredi dernier. En le finalisant, je me suis rendu compte qu'il contenait une importante erreur. J'ai préféré décaler sa publication afin de corriger l'erreur.
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation

Chère lectrice, cher lecteur,

Dans l'article 134 sur l'épisode d'inflation aux États-Unis, j'ai écrit que le système économique américain ne s'est pas tout à fait comporté selon les prédictions des modèles macroéconomiques. Ce décalage entre les prédictions et les observations est une bonne occasion d'illustrer comment les énigmes scientifiques émergent dans la science économique, et comment les aborder avec rigueur.

#134 - Quelle théorie a le mieux expliqué l’épisode d’inflation aux États-Unis ?
Les théories spectaculaires ne sont pas forcément les plus efficaces pour expliquer le réel
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflationOlivier Simard-CasanovaL'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-Casanova
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation

Commençons par les prédictions. Grâce à la courbe de Phillips, la théorie macroéconomique standard prédit qu'à court terme, il n'est pas possible de lutter en même temps et contre l'inflation, et contre le chômage. Si la banque centrale mène une politique monétaire anti-inflation, le chômage augmentera. Si l'État mène une politique de lutte contre le chômage, l'inflation augmentera. On dit qu'il existe un arbitrage entre chômage et inflation.

#106 · Comment lutter contre l’inflation ?
La politique monétaire, pilotée par la banque centrale, est la principale politique publique pour lutter contre l’inflation. Mais elle n’est pas la seule.
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflationOlivier Simard-CasanovaL'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-Casanova
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation

Or, aux États-Unis, le récent épisode d'inflation, auquel la Federal Reserve (Fed) a répondu avec une politique monétaire anti-inflation relativement classique, n'a pas été associé à une augmentation du chômage. Le chômage aurait dû augmenter, même un peu. Or, comme le montre la Figure 1, il n'a pas du tout augmenté.

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation
Figure 1

Par contraste, la Figure 2 montre l'évolution du taux de chômage et du taux d'inflation entre 1972 et 1985. On voit que lorsque l'inflation diminue, le chômage a tendance à augmenter. C'est par exemple le cas entre 1980 et 1983.

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation
Figure 2

Peut-être que sans la politique monétaire anti-inflation de la Fed, le taux de chômage aurait baissé encore davantage. Ce contrefactuel n'est en réalité pas envisageable : il est difficile pour le taux de chômage de baisser en dessous de 3.5 %. En d'autres termes, le chômage est déjà à son niveau minimum et n'aurait pas pu baisser davantage. La prédiction de la courbe de Phillips de court terme semble bel et bien ne pas s'être matérialisée.

Je vous propose de représenter ces données comme on le fait avec une courbe de Phillips : en abscisse, le taux de chômage, en ordonnées, le taux d'inflation. J'ai séparé les données en plusieurs sous-périodes, en me basant sur la littérature sur la courbe de Phillips (pour les trois premières périodes, et pour les trois dernières).

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation
Figure 3

Il y a beaucoup d'information sur le graphique. Prenons le temps de les détailler.

L'information qui m'intéresse, c'est la pente des différentes droites d'ajustement. Chaque droite "résume" la relation statistique entre le chômage et l'inflation pour chaque période. La première droite (points turquoises) correspond par exemple à la période 1955-1971. À part pour la période 2022(Q2)-2023 (étoiles dorées), les pentes sont systématiquement négatives (les droites "vont vers le bas").

Sous réserve qu'un ajustement linéaire soit une bonne approximation des différents nuages de points, la pente négative signifie que pour chaque période, il existe une relation négative entre le taux de chômage et le taux d'inflation : si l'un augmente, l'autre diminue — et inversement. C'est tout le message de la courbe de Phillips de court terme.

Pour autant, on voit que la pente de la droite pour 2022(Q2)-2023 est inversée : elle est croissante ! Si on isole cette seule période, cette pente différente des autres droites d'ajustement apparaît clairement.

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation
Figure 4

Comme l'illustre la Figure 3, la pente de la droite d'ajustement peut varier d'une période à l'autre. Cette variation de la pente signifie que l'intensité de l'arbitrage entre inflation et chômage est plus ou moins forte selon les périodes. Mais depuis juillet 2022, la relation entre inflation et chômage n'a pas seulement changé d'intensité. Elle a même changé de sens !

Sur les Figures 3 et 4, j'ai ajusté la période depuis juillet 2022 avec une droite. Il me semble que l'on peut plutôt argumenter que la droite d'ajustement pour la période 2022(Q2)-2023 est verticale. C'est en tout cas ce que suggère la Figure 5.

#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation
Figure 5

Une droite verticale signifie qu'il n'y a pas (ou plus) d'arbitrage entre inflation et chômage.

Dans le détail, il y a deux courbes de Phillips : la courbe de court terme, et la courbe de long terme. Le consensus scientifique est que la courbe de long terme est une droite verticale : à long terme, il n'y a pas d'arbitrage entre inflation et chômage. À court terme, par contre, il y a un arbitrage. En toute vraisemblance, les données américaines montrent que la courbe de Phillips de court terme est devenue elle aussi verticale, au moins sur la période 2022(Q2)-2023.

Comment expliquer cette énigme scientifique ? Je n'ai bien évidemment pas la réponse. Pour autant, il me semble que l'on peut d'ores et déjà faire quelques commentaires.

Le premier commentaire est que des travaux récents montrent que la courbe de Phillips a commencé à devenir davantage verticale dès 2021 (donc avant l'épisode d'inflation).

The Recent Steepening of Phillips Curves - Federal Reserve Bank of Chicago
The Phillips curve captures the empirical inverse relationship between the level of inflation and unemployment. The reciprocal of its slope, sometimes referred to as the “sacrifice ratio,” represents the increase in the unemployment rate associated with a 1 percentage point reduction in the inflatio…
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflationBart HobijnFederal Reserve Bank of Chicago
#137 - Cette énigme scientifique autour du récent épisode d'inflation

Le second commentaire, lié au premier, est qu'il y a peut-être eu une transformation du système économique américain du fait de la COVID. De nombreuses chaînes logistiques se sont transformées. Le marché du travail s'est transformé. Est-ce que ces transformations du système économique expliquent pourquoi les prédictions de la courbe de Phillips de court terme ne se sont pas matérialisées ? Je ne sais pas. Mais il me semble que l'hypothèse n'est pas invraisemblable.

Le troisième commentaire concerne les autres pays. Ont-ils connu, eux aussi, une "verticalisation" de leur courbe de Phillips de court terme ? Je n'ai pas vérifié. Mais selon que le phénomène est spécifique aux États-Unis, ou plus général, il me semble que l'explication de cette transformation substantielle de la courbe de Phillips de court terme pourra être différente.

Le quatrième commentaire est que cet "échec" des prédictions de la courbe de Phillips de court terme est une bonne nouvelle. La lutte contre l'épisode d'inflation ne s'est pas faite au prix d'une augmentation du chômage. On a pu faire diminuer l'intensité d'un phénomène économique néfaste (l'inflation) sans faire augmenter l'intensité d'un autre phénomène économique néfaste (le chômage).

Même si, à l'avenir, la courbe de Phillips de court terme reprend une pente négative aux États-Unis, le simple fait qu'elle soit devenue verticale pendant au moins cet épisode d'inflation est une authentique énigme scientifique. Je n'ai guère de doute que de nombreux macroéconomistes travaillent d'ores et déjà à essayer de l'expliquer. Car c'est ainsi que l'on résout les énigmes scientifiques dans la science économique : dans la littérature scientifique. Pas dans une newsletter comme L'Économiste Sceptique. Pas sur les plateaux télé. Pas en superposant des graphiques comme le font certains magazines économiques que je préfère ne pas citer, qui semblent complètement ignorer que corrélation n'est pas causalité. Et encore moins en utilisant ses seules observations personnelles.

Si vous avez aimé cet article de décryptage, vous pouvez soutenir mon travail et accéder à tout mon contenu en adhérant à l'une des formules payantes.

Même s'il m'a donné du fil à retordre, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire. La macroéconomie peut parfois s'avérer fascinante. Comme quoi !

À bientôt,
Olivier

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

8 septembre 2023 à 14:25
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Chère lectrice, cher lecteur,

Si vous êtes comme moi, la gestion catastrophique de X, anciennement Twitter, par Elon Musk commence sans doute à vous fatiguer. Néanmoins, cette (pénible) agitation présente pour le vulgarisateur de la science économique que je suis au moins un intérêt : elle me donne une occasion d'illustrer le concept d'externalités de réseau — et de documenter ce qu'il se passe lorsque les externalités de réseau se délitent.

Grâce à des données habituellement privées auxquelles j'ai récemment eu accès, je peux (modestement) contribuer au débat sur le possible délitement des externalités de réseau sur lesquelles X est bâti.

Pour rappel, les externalités de réseau émergent lorsque la valeur d'usage d'un réseau (par exemple, un réseau social) augmente avec le nombre d'utilisateurs : plus il y a de personnes qui utilisent le réseau, plus il est intéressant pour les autres personnes de l'utiliser également. Pour une définition complète, je vous renvoie à cet article du Wiki.

#117 · Qu’est-ce que les externalités de réseau ?
Ou pourquoi Facebook et YouTube continuent à dominer malgré les scandales et les polémiques
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Lorsque les externalités de réseau se délitent, concrètement, cela signifie que le réseau perd des utilisateurs. Pire, le délitement des externalités de réseau peut dégénérer en un cercle vicieux, qu'il est généralement impossible d'enrayer : puisqu'il y a moins d'utilisateurs, la valeur d'usage pour les utilisateurs restant diminue, augmentant la probabilité qu'ils partent eux aussi. Myspace est un exemple de réseau social dont les externalités de réseau se sont délitées.

L'article d'aujourd'hui est la première partie d'un diptyque. Dans le diptyque, je vais explorer si, oui et non, les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter. Les données à ma disposition suggèrent que c'est effectivement le cas. Et je suspecte qu'il est sans doute déjà trop tard pour que X parvienne à arrêter le processus. Au-delà des conclusions, je suis surtout intéressé par le raisonnement, et par les concepts, qui me permettent de parvenir à cette conclusion.

Dans la première partie du diptyque, je vais m'intéresser à X. Dans la deuxième partie, je vais élargir au marché du micro-blogging.

Le contexte

X, anciennement Twitter, est un réseau social de micro-blogging. Le micro-blogging consiste à publier de courtes publications, principalement textuelles, généralement en public.

Le marché du micro-blogging a pendant longtemps été dominé par Twitter — et continue à être dominé par X, au moins pour le moment. Des concurrents comme Mastodon, Bluesky ou encore Threads existent, mais aucun n'a un nombre d'utilisateurs équivalent, ou même proche, de celui de X.

En octobre 2022, le milliardaire Elon Musk a racheté Twitter. Depuis, il a pris une série de décisions catastrophiques, série qui ne semble pas s'arrêter. Pour un historique d'octobre 2022 à avril 2023, vous pouvez lire l'article 126.

#126 - Elon Musk est en train de détruire Twitter
Voici un résumé de ce qui est arrivé à Twitter depuis son rachat par Musk en octobre 2022. Accrochez-vous, c’est édifiant.
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Depuis la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, de nombreuses données suggèrent que les externalités de réseau de Twitter, puis X, sont en train de se déliter. Par exemple, Cloudflare a mesuré que le trafic vers le domaine twitter.com était en baisse continue depuis le début de 2023.

Twitter traffic sinks in wake of changes and launch of rival platform Threads
Data shows the micro-blogging website has been shedding users since early 2023, not long after Elon Musk’s takeover
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?The GuardianJosh Taylor
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Dans le même temps, Twitter, puis X, a cessé d'utiliser les indicateurs standards pour communiquer les données d'usage de sa plateforme. Elon Musk parle de "secondes passées sur l'application", un indicateur qui, à ma connaissance, n'est utilisé que par X. Le recours à un indicateur non-standard suggère que les données internes de X ne sont pas bonnes, obligeant l'entreprise à des contorsions rhétoriques pour masquer une possible diminution du nombre d'utilisateurs.

Les données

Comme je l'écris dans l'introduction, le diptyque se base sur des données habituellement privées auxquelles j'ai eu accès. L'entreprise Appfigures a eu la gentillesse de partager gratuitement et sans conditions des données avec moi — merci à Frank.

Appfigures suit (notamment) l'évolution du rang auquel se classent les applications les plus téléchargées dans l'App Store (sur iOS et iPadOS) et le Play Store (sur Android) au cours du temps. Appfigures m'a transmis le classement de Twitter, et de quelques autres applications de réseaux sociaux, en France et aux États-Unis dans l'App Store entre le 1er janvier 2022 et le 18 août 2023.

X en perte de vitesse

Sans grande surprise pour qui fréquente X, les données sont mauvaises pour le réseau d'Elon Musk.

Comme le montrent les courbes d'ajustement de la Figure 1, le classement de Twitter, puis X, toutes catégories d'application confondues ne cesse de s'éroder depuis le 1er janvier 2022. Le classement s'érode aux États-Unis comme en France.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 1

Alors que Twitter était généralement classé dans le top 25 des applications les plus téléchargées, X se classe désormais dans le top 60. Cette baisse suggère que X est moins téléchargé aujourd'hui qu'au début de 2022.

Si l'on se limite à la période postérieure à la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk (Figure 2), la tendance est là aussi à la baisse. Et ce, depuis quasiment le début. Aux États-Unis, la dégradation du classement de X s'est particulièrement accélérée depuis juillet 2023 — lorsque Twitter a limité le nombre de publications que les utilisateurs peuvent lire et publier (fin juin), puis lorsque Elon Musk a annoncé le changement de nom de Twitter en X (fin juillet).

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 2

Un classement n'est pas équivalent à des données sur le nombre de téléchargements. Il est possible que le nombre de téléchargements de l'application X ait augmenté, et qu'en même temps, le nombre de téléchargements de toutes les autres applications du top 60 aient augmenté encore plus. Dans ce cas, X pourrait avoir gagné des utilisateurs, et pour autant avoir perdu des places dans le classement. L'hypothèse me semble cependant peu probable.

Une autre limite des données de classement est qu'elles ne disent rien sur l'écart du nombre de téléchargements entre les applications classées. Est-ce que l'application classée numéro 1 est téléchargée dix fois plus que l'application classée numéro 2, ou est-elle seulement téléchargée 1 % de plus ? Si l'écart est faible, une petite baisse du nombre de téléchargements peut faire rapidement chuter une application dans le classement. Si l'écart est important, une baisse dans le classement implique une importante baisse du nombre de téléchargements. N'ayant pas de données sur les écarts, il est difficile de conclure.

Pour autant, la chute de Twitter, puis X, est substantielle, aux États-Unis comme en France. Ce qui suggère que le nombre de téléchargements de l'application ait, lui aussi, baissé de manière substantielle. L'hypothèse est d'autant plus probable qu'elle est cohérente avec les données de Cloudflare, et plus généralement, avec l'important rejet que les décisions d'Elon Musk génèrent de la part des utilisateurs de Twitter, puis X.

Si X est moins téléchargé, cela signifie que X perd des utilisateurs. Et non seulement, la baisse ne s'arrête pas (les courbes d'ajustement sont décroissantes), mais semble même s'accélérer (les courbes d'ajustement sont de plus en plus décroissantes). D'après moi, ces données sont cohérentes avec celles que l'on observerait si X était pris dans un cercle vicieux de délitement de ses externalités de réseau.

Des concurrents qui en profitent ?

Jusqu'à la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, le marché du micro-blogging était dominé par Twitter. Mastodon existe depuis 2017, mais n'avait qu'environ 600.000 utilisateurs mensuels actifs avant la prise de contrôle. En comparaison, Twitter en avait plusieurs centaines de millions.

Pour autant, en quelques mois, Mastodon a multiplié quasiment par quatre son nombre d'utilisateurs mensuels actifs. Deux autres réseaux sont entrés sur le marché, Bluesky (qui, contrairement à ce qu'on entend parfois, n'est pas vraiment le réseau de Jack Dorsey) et Threads, de Meta. Threads a pulvérisé le record d'adoption d'un nouveau produit tech, record jusqu'ici détenu par ChatGPT. En moins d'un an, le marché du micro-blogging est devenu beaucoup plus concurrentiel.

Lorsqu'il existe une alternative au réseau dont les externalités de réseau sont en train de se déliter, le risque que le délitement entre dans un cercle vicieux augmente. Ces nouveaux (et moins nouveaux) entrants sont-ils en train de remplacer X ? Pour le moment, non. Mais si j'étais à la tête de X, je pense que je serais terrifié par la Figure 3.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 3

Dans la deuxième partie du diptyque, j'expliquerai pourquoi je pense que la Figure 3 devrait terrifier la direction de X. Et plus généralement, pourquoi je pense qu'il est sans doute déjà trop tard pour arrêter le délitement des externalités de réseau de X.

Pour ne pas manquer cette deuxième partie, n'hésitez pas à vous abonner à la newsletter de L'Économiste Sceptique.

À bientôt sur L'Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

L'Agenda de septembre 2023

14 septembre 2023 à 16:38
L'Agenda de septembre 2023

Chère lectrice, cher lecteur,

Voici les évènements qui se dérouleront sur L’Économiste Sceptique au mois de septembre 2023.

Café de L'Économiste #3 - Les accusations de fraude scientifique à l'encontre de Dan Ariely et Francesca Gino - Avec Nathanael Larigaldie

🗓️
- Date : Jeudi 21 septembre 2023
- Heure : 20h à 21h (heure de Paris)
- Lieu : Microsoft Teams (le lien de connexion est disponible plus bas)

Venez échanger avec Nathanael Larigaldie, post-doc en psychologie à l'Université d'Aarhus au Danemark.

Nous discuterons des accusations de fraude scientifique à l'encontre de Dan Ariely et Francesca Gino, deux chercheurs qui ont publié d'influents travaux en sciences comportementales, une discipline à l'interface de la science économique et de la psychologie. Or, certaines des données sur lesquelles se basent leurs travaux semblent avoir été fabriquées.

En quoi consistent les accusations ? Sont-elles crédibles ? Comment les psychologues et les économistes ont-ils réagi aux accusations ? Est-ce que la réponse de Dan Ariely et de Francesca Gino est satisfaisante ? Comment éviter de telles fraudes à l'avenir ?

Nous discuterons de ces questions, et d'autres, lors de l'émission.

Les Cafés de L'Économiste Sceptique vous donnent une occasion unique d'échanger avec une personne experte de l'un des thèmes que j'aborde sur L'Économiste Sceptique : la science économique, le scepticisme scientifique et l'économie de l'environnement. Chaque Café de L'Économiste Sceptique est accessible en rediffusion sur le site Internet.

Happy Hour #22

🗓️
- Date : Jeudi 28 septembre 2023
- Heure : 20h à 21h (heure de Paris)
- Lieu : Microsoft Teams (le lien de connexion est disponible plus bas)

Venez discuter avec moi de mes derniers articles et de ce qui se prépare sur L’Économiste Sceptique dans un cadre détendu lors du 22ème Happy Hour. Les Happy Hour ne sont ni retransmis, ni enregistrés.

Au plaisir de vous retrouver à l’un de ces évènements,
Olivier


Liens de connexion Microsoft Teams

Les Cafés de L'Économiste Sceptique et les Happy Hours sont réservés aux personnes ayant une adhésion payante.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

15 septembre 2023 à 16:55
🗓️
Rendez-vous jeudi 21 septembre 2023 de 20h à 21h pour le prochain Café de L'Économiste Sceptique

Mon invité est le chercheur en psychologie Nathanael Larigaldie. Nous aborderons les accusations de fraude scientifique à l'encontre de Dan Ariely et Francesca Gino.

Toutes les informations →
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Chère lectrice, cher lecteur,

Dans le premier article du diptyque, en lien ci-dessous, j'ai montré que X, anciennement Twitter, perd régulièrement des places dans le classement des applications les plus téléchargées sur l'App Store, en France comme aux États-Unis. Ces données, que m'a gentiment et gracieusement fourni Appfigures, suggèrent que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
De nouvelles données confortent l’hypothèse que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Si les externalités de réseau de X sont bel et bien en train de se déliter, sans changement rapide et substantiel de la stratégie d'Elon Musk, à moyen terme X est condamné. Pour autant, il existe un scénario dans lequel le délitement des externalités de réseau de X peut prendre une forme catastrophique : s'il existe une alternative crédible vers laquelle les utilisateurs de X peuvent migrer sans avoir préalablement besoin de se coordonner.

Comme je l'écrivais à la fin du premier article, des données suggèrent que Threads, le concurrent de X récemment lancé par Meta, pourrait être cette alternative crédible. De la même manière que Facebook a remplacé Myspace, ou que Reddit a remplacé Digg, Threads pourrait remplacer X. Dans l'article d'aujourd'hui, j'explique sur quoi je fonde cette suspicion.

Un scénario de délitement catastrophique

De mon point de vue, les conditions pour que X connaisse un scénario de délitement catastrophique de ses externalités de réseau semblent se mettre en place.

Par "délitement catastrophique", je fais référence à l'expression anglo-saxonne "catastrophic failure" : un délitement relativement rapide, qui ferait considérablement diminuer le nombre d'utilisateurs actifs et dont X ne se remettrait pas. Le (probable) délitement actuel ressemble à une fuite qui vide petit à petit le lac de retenue d'un barrage. La fuite est réelle, elle a des effets négatifs, mais elle est réparable. Un délitement catastrophique ressemble à la rupture du barrage : la rupture vide le lac beaucoup plus rapidement, et le barrage est définitivement inutilisable ensuite.

Lorsque les externalités de réseau se délitent de manière non catastrophique, les utilisateurs cessent petit à petit d'utiliser le réseau. C'est un problème que connaissait déjà Twitter avant son rachat. Dans ce scénario, le réseau se meurt à petit feu. Lorsqu'un délitement catastrophique survient, le volume des départs est beaucoup plus important, et se concentre sur une période beaucoup plus brève.

Il est plus probable qu'un délitement catastrophique survienne s'il existe une alternative crédible à la plateforme en train de se déliter. Je vous renvoie à l'article 117 pour le mécanisme par lequel les externalités de réseau se délitent, et en particulier le mécanisme du cercle vicieux.

#117 · Qu’est-ce que les externalités de réseau ?
Ou pourquoi Facebook et YouTube continuent à dominer malgré les scandales et les polémiques
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Lorsqu'il existe une alternative crédible à une plateforme qui se délite, cette alternative peut devenir un point focal. En théorie des jeux, un point focal désigne une décision identique prise par de nombreux utilisateurs sans qu'ils aient besoin ni de se coordonner, ni de communiquer, entre eux. Dans le cas présent, la décision des utilisateurs de X serait "je migre de X vers le réseau social alternatif Y". Myspace, ou Digg, n'ont pas vu leurs externalités de réseau se déliter à la suite de l'organisation d'une sorte de vaste campagne de migration des utilisateurs. Les utilisateurs ont tout simplement migré par eux-mêmes vers le réseau social concurrent. Une telle migration est extrêmement dangereuse pour la plateforme qui la subit : une fois la migration enclenchée, elle est difficile, pour ne pas dire impossible, à arrêter.

Est-ce que l'un des concurrents de X est en capacité à incarner une alternative crédible, et donc à le remplacer ? D'après moi, les données d'Appfigures suggèrent que oui.

Des concurrents qui profitent des décisions impopulaires de Elon Musk

Dans le premier article du diptyque, j'ai étudié le classement de X parmi les applications les plus téléchargées de l'App Store, en France et aux États-Unis. Appfigures m'a également transmis les données du classement de trois concurrents de X : Mastodon, Bluesky et Threads. Que disent ces données ?

Commençons par Mastodon. Il est difficile de suivre le classement de Mastodon dans l'App Store. En plus de l'application officielle, il est possible d'utiliser Mastodon avec de nombreuses applications tierces — comme Ivory, Ice Cubes ou encore Mona. Sauf erreur de ma part, les données d'Appfigures ne permettent pas d'agréger les classements des différentes applications qui permettent d'utiliser Mastodon en un classement unique. Je me suis donc contenté du classement de l'application officielle, considérant que c'est le moins mauvais proxy à ma disposition. On peut voir les données de classement de l'application officielle comme la borne inférieure de la véritable popularité de Mastodon dans l'App Store.

Comme le montre la Figure 1, le classement de Mastodon a massivement augmenté depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, passant du top 400 au top 25. La baisse dans le classement entre janvier et juillet est d'après moi difficile à interpréter : est-ce une baisse de la popularité de Mastodon ? Ou est-ce que les applications alternatives à l'application officielle ont attiré des utilisateurs qui utilisaient auparavant l'application officielle ?

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 1

La Figure 1 montre également que le classement de l'application officielle Mastodon augmente à chaque fois qu'une décision impopulaire est prise, ou annoncée, par Elon Musk sur X.

Le deuxième concurrent pour lequel Appfigures m'a transmis des données est Bluesky. Contrairement à Mastodon, qui existe depuis 2017, Bluesky n'est arrivé que mi-avril (et non, Bluesky n'est pas vraiment "l'alternative à Twitter de Jack Dorsey"). La Figure 2 montre un phénomène similaire à celui que connaît Mastodon : Bluesky remonte dans le classement à chaque décision impopulaire de Elon Musk.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 2

Le troisième et dernier concurrent pour lequel j'ai des données est Threads. Threads a été lancé par Meta le 5 juillet 2023, avec l'objectif explicite de concurrencer Twitter. Threads n'étant pas encore disponible dans l'Union Européenne, je n'ai que le classement aux États-Unis. Après un lancement ayant pulvérisé le record d'adoption d'un produit tech, la Figure 3 montre que Threads a vu son classement chuter. Il est cependant reparti à la hausse fin juillet, lorsque Elon Musk a annoncé que Twitter allait être renommé X. Et contrairement à Mastodon et Bluesky, le classement de Threads n'a pas baissé ensuite.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 3

Que ce soit pour Mastodon, Bluesky ou Threads, les données montrent qu'à chaque décision impopulaire annoncée, ou prise, par Elon Musk sur X, le classement des concurrents de X s'améliore soudainement. Ces pics suggèrent qu'un nombre substantiel d'utilisateurs de X cherchent activement une alternative à X. Si cette interprétation est correcte, chaque nouvelle décision impopulaire agit possiblement comme une "force" supplémentaire appliquée sur les externalités de réseau de X. Ce qui les fragilise chaque fois un peu plus.

Pour autant, l'amélioration du classement des concurrents de X ne dure pas. Sauf pour Threads. Ce qui devrait terrifier les gestionnaires de X.

Est-ce que Threads remplacera X ?

Il me semble que Threads est le candidat le plus probable pour remplacer X. Je suspecte même que Threads ait d'ores et déjà commencé à s'installer comme alternative crédible.

Notez bien que mon analyse n'exprime pas mes préférences personnelles. En réalité, c'est même tout l'inverse : même si j'ai des critiques vis-à-vis de Mastodon, je préfèrerais que ce soit Mastodon, ou pourquoi pas Bluesky, qui remplace X. Mais le scénario que je préfère, et le scénario qui est d'après moi le plus probable, ce ne sont pas des synonymes. J'ai lu trop d'analyses, notamment de partisans de Mastodon, fondées sur des biais de confirmation et autres raisonnements motivés, où l'auteur confond le résultat qu'il aimerait voir, avec le résultat le plus probable. C'est une erreur que j'essaie d'éviter ici.

Commençons par rappeler une évidence : pour le moment, aucun concurrent à X n'a atteint un nombre comparable d'utilisateurs. Mastodon et Bluesky sont en croissance, et tout laisse à croire que Threads connaît une trajectoire normale pour un produit nouvellement lancé. Néanmoins, X a entre 200 et 250 millions d'utilisateurs mensuels actifs. Mastodon, 1.8 million. Bluesky a un million d'utilisateurs en tout. Et pour Threads, il y a sans doute entre 10 et 30 millions d'utilisateurs mensuels actifs.

Cela étant, Threads est dans une position différente que Mastodon et Bluesky. Cette position se voit dans les Figures 1, 2 et 3. Vous aurez peut-être remarqué que le classement de Mastodon et Bluesky est leur classement dans la catégorie "Social networking". Le classement de Threads est son classement toutes catégories d'applications confondues.

La raison est simple : à part pour quelques jours, ni Mastodon, ni Bluesky, n'apparaissent dans le classement toutes catégories d'applications confondues. Leur bon classement dans la catégorie "Social networking" n'est pas suffisant pour les faire émerger dans le classement général. Ni Mastodon, ni Bluesky, n'ont suffisamment d'utilisateurs pour que le téléchargement de leur application respective n'intègre le classement général de l'App Store.

Pour Threads, en revanche, l'histoire est bien différente. Même si l'application a connu une baisse (normale) du nombre d'utilisateurs mensuels actifs après son lancement (aucun produit n'a un taux de rétention de 100 %, ça n'existe juste pas), elle a sans doute plusieurs dizaines de millions d'utilisateurs actifs. Moins de deux mois après son lancement. Sans être disponible dans l'Union Européenne. Et avec des fonctionnalités vraiment limitées par rapport à ses concurrents. Threads a d'ores et déjà une tout autre échelle que Mastodon ou Bluesky.

Surtout, la Figure 4 suggère que Threads est d'ores et déjà en train de s'installer comme une alternative crédible à X.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 4

Contrairement à Mastodon et Bluesky, le classement de Threads n'a pas baissé une fois le choc de la décision impopulaire de Elon Musk passé. Un nombre important de personnes continuent à télécharger Threads, ce qui suggère que le nombre d'utilisateurs mensuels actifs de Threads augmente.

Par ailleurs, le classement de Threads a une dynamique différente du classement de X. X perd régulièrement des places dans le classement, et ce, depuis plus d'un an. Threads est dans le top 3, et s'y maintient malgré la baisse de fin juillet. La dynamique de Threads est cohérente avec celle d'une plateforme qui gagne des utilisateurs. La dynamique de X est cohérente avec celle d'une plateforme qui perd des utilisateurs.

Enfin, lorsque Threads a connu son classement le plus bas, l'application est malgré tout restée mieux classée que X. Même au plus bas, il y avait davantage de téléchargements de Threads que de X.

D'après moi, l'ensemble de ces données sont cohérentes avec un scénario dans lequel Threads est en train de devenir un point focal alternatif à X. Dans ce scénario, Threads accrète à un bon rythme de plus en plus d'utilisateurs, dont un certain nombre viennent de X. Plus Threads accrète des utilisateurs, plus Threads se rapproche du point où il atteint la masse critique d'utilisateurs permettant à ses externalités de réseau de s'emballer. Si Threads atteint cette masse critique, il est d'après moi très probable que survienne une sorte de migration de masse de X vers Threads. Si cette migration survient, et dans la mesure où les externalités de réseau sont stables, il serait virtuellement impossible pour X de rebâtir les siennes. X ne se relèverait sans doute pas d'une telle migration.

Voilà pourquoi je pense que Threads est le réseau social le plus susceptible de remplacer X.

Pour autant, je ne fais pas de prévision, ni de prédiction, sur l'avenir de X. Je n'ai pas de boule de cristal. Mon propos n'est pas de dire que X va nécessairement se déliter, ni que Threads va nécessairement remplacer X. Ce que je dis, c'est que les données d'Appfigures, lorsqu'on les interprète avec un peu de science économique et, je l'espère, suffisamment de prudence, suggèrent que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en grand danger de délitement catastrophique — au profit de Threads.

Rendez-vous dans un ou deux ans voir comment le marché du micro-blogging aura évolué.

En conclusion

J'aimerais finir par deux précisions.

La première précision est que même dans un scénario de délitement catastrophique, le délitement de X ne sera pas instantané. De la même manière qu'un avion dont les moteurs s'arrêtent en plein vol plane avant de s'écraser, un réseau de la taille de X ne se délite pas en un claquement de doigts. L'inertie est telle qu'il faudra du temps pour que le délitement s'opère complètement. Un délitement catastrophique accélèrera la vitesse du délitement, mais probablement pas au point d'en faire un délitement "instantané".

La deuxième précision est que si Threads remplace X, ça ne sera paradoxalement pas une mauvaise nouvelle pour Mastodon. En fait, ce serait même plutôt une bonne nouvelle pour Mastodon. Les deux plateformes sont bâties sur le même protocole — ActivityPub. Concrètement, les utilisateurs de l'une pourront interagir avec les utilisateurs de l'autre. Si Threads attire des centaines de millions d'utilisateurs, les utilisateurs de Mastodon profiteront, eux aussi, de ce nouvel écosystème.

Pour Bluesky, le remplacement de X par Threads serait en revanche une mauvaise nouvelle. À l'origine, Bluesky est un projet (de… Twitter) consistant à développer un protocole alternatif à ActivityPub — AT Proto. Bluesky est bâti sur AT Proto, et pour cette raison, Bluesky n'est compatible ni avec Mastodon, ni avec Threads. Et AT Proto est vraiment trop différent d'ActivityPub pour que Bluesky puisse s'y interfacer facilement.

Voilà pour ce dytique. J'espère que mon exploration des externalités de réseau vous aura intéressé. Si c'est le cas, n'hésitez pas à m'en faire part, ainsi qu'à partager les deux articles autour de vous.

Vous pouvez également soutenir mon travail et m'aider à péreniser L'Économiste Sceptique en adhérant à l'une des formules payantes. L'Économiste Sceptique est intégralement financé par vous, ses lectrices et ses lecteurs.

Pour ma part, j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce diptyique, ainsi qu'à travailler avec les données d'Appfigures.

À bientôt sur L'Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

Venez échanger sur l’Agora

31 octobre 2023 à 15:18
Venez échanger sur l’Agora

Chère lectrice, cher lecteur,

Après de longs mois de travail et un nombre, disons, notable de péripéties techniques (péripéties que j’aborderai sans doute sur IndieNotes, ma newsletter sur la création de contenu indépendante sur Internet), je suis particulièrement enthousiaste de vous accueillir dans l’Agora, l’espace communautaire de L’Économiste Sceptique !

Venez échanger sur l’Agora

Pourquoi l’Agora ?

J’ai bâti l’Agora dans l’objectif de nous offrir un espace d’échange serein et constructif. L’une des conditions pour atteindre cet objectif est de ne plus faire dépendre nos échanges d’une plateforme que je ne contrôle pas.

Pendant longtemps, nos échanges ont majoritairement pris place sur Twitter. Même avant son rachat par Elon Musk, Twitter était déjà un lieu brutal, souvent toxique, et pas toujours propice aux échanges sereins et constructifs. La gestion catastrophique de la plateforme par Elon Musk a fait massivement empirer ces problèmes, au point que pour moi, Twitter est désormais inutilisable.

Pour cette raison, nos échanges se sont réduits à peau de chagrin. Ils me manquent. L’Économiste Sceptique est une co-construction entre vous et moi. Votre voix joue un rôle essentiel pour guider mon travail. À cause de l’état de Twitter, cela fait bientôt un an que j’ai du mal à l’entendre.

Mais parfois, les catastrophes sont porteuses d’opportunités. Le naufrage de Twitter m’a donné une occasion unique. À la fois, de construire un espace communautaire bien modéré et adapté au ton des échanges que je veux promouvoir autour de mon travail de vulgarisation scientifique. Également, de ne plus faire dépendre nos échanges de plateformes tierces qui peuvent tout détruire ou presque, virtuellement du jour au lendemain.

C’est dans ce contexte que j’ai patiemment bâti l’Agora au cours des six derniers mois.

Qu’y a-t-il sur l’Agora ?

L’Agora est à la fois un forum (tout le contenu du forum est public) et un chat inspiré de Discord (les canaux ne sont visibles qu’aux personnes connectées). Je ne suis pas encore sûr de la répartition des usages entre les deux fonctionnalités. Nous verrons à l’usage.

Venez échanger sur l’Agora
Venez échanger sur l’Agora

Chat en mode fenêtre (gauche), chat en plein écran (droite)

L’Agora me sert d’ores et déjà à annoncer ce sur quoi je travaille, à la fois en termes de contenu, mais aussi de fonctionnalités. L’Agora me servira aussi à communiquer les inévitables retards et autres changements de programme. Parce que mon envie d’entendre votre voix est intacte, je vous demanderai régulièrement votre avis sur l’évolution de L’Économiste Sceptique sur l’Agora.

De votre côté, l’Agora vous permet de (re)prendre la parole. Vous pouvez y suggérer de nouveaux contenus, y poser des questions sur la science économique, le scepticisme scientifique et l’économie de l’environnement, et y partager des contenus qui vous paraissent intéressants ou susceptibles d’être débunkés. Grâce au chat, vous pouvez m’y contacter en privé.

Plus généralement, l’Agora est un espace d’échange destiné à faire se rencontrer les personnes intéressées par mon travail de vulgarisation scientifique.

Un point sur la modération : j’ai profité du lancement de l’Agora pour réécrire complètement la charte. La réécriture est terminée à environ 90 %. La nouvelle charte s’applique d’ores et déjà à l’Agora.

Comment participer à l’Agora ?

Pour accéder à l’Agora, il vous suffit de vous rendre à l’adresse suivante : agora.osc.ac.

Pour participer à l’Agora, vous avez besoin de vous créer un compte à cette adresse. Si vous avez déjà un compte sur L’Économiste Sceptique (à l’adresse www.ecosceptique.com), vous avez également besoin de vous créer un compte à l’adresse mentionnée plus haut — j’ai conscience que ça n’est pas idéal, mais je suis contraint par la technique.

Une fois votre compte créé sur l’Agora, prenez soin de lire cette page d’introduction. N’hésitez pas à vous présenter au reste de la communauté dans cette catégorie. Si vous avez besoin d’inspiration, voici mon sujet de présentation.

Bonus : grâce à l’application gratuite Discourse Hub, vous pouvez accéder à l’Agora depuis n’importe quel appareil Android (via Google Play), iOS et iPadOS (via l’App Store). J’utilise moi-même Discourse Hub, j’en suis très satisfait.

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Page d'accueil (gauche), sujet de discussion (centre), canal de chat (droite)

J’espère que l’Agora vous plaira ! Pour ma part, j’ai hâte de l’intégrer à l’écosystème que je construis patiemment depuis le reboot de L’Économiste Sceptique en 2021. J’ai également particulièrement hâte de pouvoir échanger à nouveau avec vous, et d’entendre à nouveau votre voix.

L’évolution catastrophique de Twitter a provoqué de monstrueuses perturbations dans mon activité professionnelle, perturbations qui ont des conséquences financières réelles. Vous avez sans doute vu l’effet de ces perturbations dans le rythme de publication de mes articles sur L’Économiste Sceptique. Compenser ces perturbations me demande un travail considérable, mais ce travail commence à payer. Il paye même tellement que plus le temps passe, plus je suis convaincu que l’équilibre post-Twitter sera bien meilleur que celui dans lequel nous étions auparavant. Un résultat involontairement provoqué par Elon Musk, et dont j’apprécie tout particulièrement l’ironie.

À bientôt sur L’Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

L'esprit critique a-t-il encore sa place sur le Twitter d'Elon Musk ? - Café de L'Économiste Sceptique #2

8 novembre 2023 à 17:11

Votre rediffusion

L'esprit critique a-t-il encore sa place sur le Twitter d'Elon Musk ? - Café de L'Économiste Sceptique #2

Notes

Vous souhaitez suggérer des thèmes et invités pour les prochains Cafés ? Rendez-vous dans l’Agora.

Émission enregistrée le 11 mai 2023 sur Microsoft Teams.

Mon invité est Sylvain Cavalier. Il a créé la chaîne YouTube Le Debunker des Etoiles et anime le compte Twitter associé.

Dans ce numéro du Café, nous discutons de la place de l’esprit critique sur Twitter, maintenant que la plateforme a été rachetée par Elon Musk. Bien que l’émission ait été enregistrée au mois de mai (la mise en ligne a été retardée en partie à cause de difficultés avec mon ancien hébergeur de vidéos), il me semble qu’elle reste largement d’actualité.


Pour assister aux prochains Cafés de L’Économiste Sceptique en direct et échanger avec mes invité·e·s, vous pouvez adhérer à l’une des formules payantes.

Adhérer vous permet également de soutenir mon travail, et d’accéder à l’intégralité du contenu que je publie sur L’Économiste Sceptique.


Notes complémentaires

Il y a trois blancs et floutages autour de 1 h 06, lorsque je discute de Mastodon. Ils ont pour objectif de masquer le nom de l’instance avec laquelle j’ai eu des problèmes. À la suite de mon appel, la modération de l’instance a reconnu s’être trompé et a supprimé le strike. Elle a par ailleurs apporté des explications claires et raisonnables sur le post supprimé. Dans la mesure où l’incident est clos, et dans la mesure où la modération est assurée par des bénévoles sans formation préalable, il me semble inutile et injuste de remettre de l’huile sur le feu. Cela autant, je maintiens l’ensemble de mes critiques à l’égard de Mastodon.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail

10 novembre 2023 à 16:29
#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail

Chère lectrice, cher lecteur,

L’Académie Royale des Sciences de Suède a décerné le lundi 9 octobre 2023 le Prix Nobel 2023 de science économique à Claudia Goldin pour avoir “fait avancer notre connaissance de la situation des femmes sur le marché du travail” (“for having advanced our understanding of women’s labour market outcomes“).

Jusqu’à l’annonce du prix, je ne connaissais pas Claudia Goldin, ni ses travaux. Ce qui est dommage, car ses travaux sont fascinants.

Dans l’article de décryptage d’aujourd’hui, je vous propose une exploration des contributions de Claudia Goldin qui lui ont valu d’obtenir le Prix Nobel.

Mesurer l’histoire

J’ai envie d’entamer notre exploration par un type de travail scientifique qui me fascine en science économique : les données historiques de longue période.

Claudia Goldin se présente comme une détective. Une détective qui récolte méticuleusement des données oubliées ou incomplètes, et qui corrige des données biaisées. Grâce à un minutieux travail de détective, elle a constitué une base de données historique sur le pourcentage des femmes qui occupent un emploi aux États-Unis — ce que l’on appelle le taux d’emploi. Des données existaient, mais elles ne remontaient pas au-delà de 1890. Claudia Goldin est remontée jusqu’au début du 19ᵉ siècle.

Les données existantes étaient par ailleurs souvent biaisées, aboutissant à sous-estimer le véritable taux d’emploi des femmes. Par exemple, les femmes occupant un emploi étaient souvent décrites sous l’occupation de “femme” (sous-entendu, femme au foyer) dans les documents officiels, plutôt que sous leur véritable métier.

La base de données de Claudia Goldin a permis de réfuter le résultat à l’époque consensuel que le développement économique d’un pays fait nécessairement augmenter la participation des femmes au marché du travail.

Comme le montre la Figure 1, extraite du résumé pour le grand public publié par le Comité Nobel, lorsque la révolution industrielle a débuté, et donc avec elle le développement économique, le taux d’emploi des femmes mariées au marché du travail a chuté. Au début du 19ᵉ siècle, il était d’environ 60 % — ce qui correspond à un ordre grandeur “normal” du taux d’emploi. Puis il a progressivement baissé, jusqu’à atteindre son plus bas lors des années 1910 : moins de 10 % des femmes mariées occupaient un emploi.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 1 – Taux d’emploi des femmes mariées

Le taux d’activité est progressivement remonté au cours du 20ᵉ siècle, jusqu’à retrouver à la fin du siècle un taux similaire à celui du début du 19ᵉ siècle.

La Figure 2, issue du rapport scientifique publié par le Comité Nobel, est la version “brute” de la Figure 1. Elle montre notamment que c’est le taux d’emploi des femmes mariées qui a baissé.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 2 – Taux d’emploi des femmes

Comment expliquer la baisse, puis la remontée, du taux d’emploi ?

Une évolution par cohortes

La baisse, puis la remontée, du taux taux d’emploi se sont déroulées sur deux siècles. Il aura fallu un siècle pour atteindre le niveau plus bas, et un siècle pour remonter au niveau de départ.

Claudia Goldin a montré que l’évolution est lente car elle se fait par tranche d’âge — ce que l’on appelle les cohortes. Sur la Figure 3, chaque cohorte est représentée par une courbe. On voit que d’une cohorte à l’autre, la courbe se déplace vers le haut : les cohortes les plus jeunes ont un taux d’emploi de plus en plus élevé.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 3 – Taux d’emploi des femmes mariées blanches nées entre 1866 et 1965

Il y a plusieurs explications à cette évolution par cohorte. Certaines sont purement économiques.

Au cours du 20ᵉ siècle, l’activité économique s’est tertiarisée. Le secteur des services a pris une importance de plus en plus grande, au détriment du secteur industriel. Or, pour de multiples raisons, les emplois du secteur tertiaire sont plus favorables aux femmes. À mesure que l’économie s’est tertiarisée, les nouvelles cohortes de femmes ont pu accéder à d’avantage d’emplois dans le secteur des services.

Pour autant, en lisant la Figure 2, vous avez peut-être eu l’intuition que la différence (considérable) entre le taux d’emploi des femmes mariées, et le taux d’emploi des femmes seules, pouvait être l’effet des normes sociales relatives à la place des femmes dans la société. Une intuition fondée.

Au-delà des explications économiques, Claudia Goldin et ses co-auteurs ont montré que les normes sociales, les attentes (“expectations“) et d’autres phénomènes non-économiques ont joué un rôle déterminant dans la baisse, puis la remontée, du taux d’emploi des femmes. Avec comme médiateur, les choix d’éducation.

Une question d’éducation

Comme le montre la Figure 4, pendant longtemps, les femmes ont plus souvent arrêté leurs études au niveau lycée que les hommes. À partir des années 1970, la situation s’inverse : la proportion de femmes qui a obtenu un diplôme universitaire a dépassé la proportion d’hommes qui a obtenu un diplôme universitaire.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 4 – Proportion des personnes ayant obtenu un diplôme universitaire avant 35 ans par genre et par année de naissance

Le choix d’éducation va peser sur l’ensemble de la carrière d’une personne. C’est une sorte de sensibilité aux conditions initiales : des choix d’éducation différents vont avoir des effets sur l’intégralité de la carrière, et donc tout au long de la vie.

Pourquoi les femmes ont progressivement fait des choix d’éducation différents ? Claudia Goldin et ses co-auteurs ont montré qu’il y a au moins deux causes à cette transformation.

La première cause est la généralisation de la pilule contraceptive. Grâce à la pilule, les femmes peuvent contrôler leur fertilité. Si elles souhaitent continuer leurs études plutôt que d’élever un enfant, c’est un choix désormais possible.

La seconde cause est la transformation des normes sociales et des attentes sur les carrières. Il est par exemple devenu plus acceptable que les femmes s’inscrivent dans des filières universitaires jusqu’ici considérées comme réservés aux hommes. La Figure 5 montre qu’à partir des années 1970, les femmes représentent une proportion de plus en plus importante des étudiants dans quatre filières universitaires considérées comme prestigieuses.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 5 – Part des femmes dans les filières universitaires médicales, juridiques, dentaires et de management par année d’entrée

Les normes sociales et les attentes modifient les choix individuels. Elles modifient également la loi. Au cours du 19ᵉ siècle, le travail des femmes mariées a progressivement été stigmatisé. Aux États-Unis, cette stigmatisation s’est par exemple traduite par l’interdiction d’embaucher des femmes mariées. Dans certains cas, les employeurs étaient même obligés de licencier les femmes déjà embauchées qui se marient en emploi. Ces interdictions ont persisté jusqu’à la deuxième moitié du 20ᵉ siècle, et ont contribué à réduire le taux d’emploi des femmes mariées.

Les normes sociales ont des effets importants, y compris économiques, qu’il ne faut pas négliger. On le constate avec le travail des femmes. On le constate également avec l’environnement : les normes sociales joueront, et en réalité jouent déjà, un important rôle dans la transition écologique.

Des écarts de salaire qui persistent

Le meilleur accès des femmes à l’emploi n’implique cependant pas la fin de toutes les discriminations. En particulier, les écarts de salaire persistent.

Comme le montre les Figures 7 (États-Unis) et 8 (OCDE), le salaire médian des femmes ne représente que 80 à 85 % du salaire médian des hommes.

#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 7
#139 – Documenter rigoureusement les inégalités de genre sur le marché du travail
Figure 8

La Figure 7 montre d’ailleurs qu’il faudra attendre les années 1980 pour avoir un véritable rattrapage des écarts de salaire. Mais depuis les années 2000, les écarts de salaire ne se réduisent quasiment plus.

Les travaux de Claudia Goldin et de ses co-auteurs ont montré qu’au moins deux facteurs jouent, ou peuvent jouer, dans la persistance des inégalités salariales de genre.

Le premier facteur est la parentalité. La littérature en économie du travail montre que la progression de carrière est meilleure pour les personnes qui ont un volume d’heure travaillées important. Or, les femmes ont un volume d’heures travaillées généralement moindre. Pourquoi ? Claudia Goldin et ses co-auteurs ont montré que c’est causé par le fait que dans les couples de parents femme/homme, la gestion des enfants incombe de manière disproportionnée aux femmes. Ce sont les femmes qui emmènent et vont chercher les enfants à l’école, s’occupent des devoirs, et ainsi de suite. La gestion des enfants prend du temps, au détriment du temps travaillé. Des travaux ultérieurs à ceux de Claudia Goldin et de ses co-auteurs ont confirmé ce résultat.

Le deuxième facteur est la faible flexibilité horaire des employeurs. Parce qu’elles assument une proportion importante des tâches parentales, les femmes ont davantage besoin de flexibilité dans leurs horaires. Or, des horaires flexibles sont généralement associées à un salaire plus faible. Cela étant, la littérature ultérieure n’a pas systématiquement retrouvé ce résultat. L’importance de ce second facteur dans la persistance des inégalités salariales de genre est encore débattue.

De l’importance des données

Grâce à son méticuleux travail de détective, Claudia Goldin a réfuté de nombreux résultats jusqu’ici établis. Avec l’aide de ses coauteurs, elle a documenté, patiemment, méticuleusement, rigoureusement, les inégalités de genre sur le marché du travail. Ils ont également proposé des explications aux observations empiriques.

Quelle que soit notre opinion sur les inégalités de genre, on ne peut pas faire l’économie des faits empiriques. Et il n’y a rien de plus puissant pour mesurer le réel que la méthode scientifique, y compris lorsqu’il s’agit de phénomènes sociaux.

Pour celles et ceux d’entre vous qui souhaitent aller plus loin, j’ai attaché en fin d’article le résumé grand public et le rapport scientifique publiés par le Comité Nobel. Les deux documents sont en anglais.

Dans un second article, j’expliquerai en quoi le Prix Nobel de Claudia Goldin revêt une importante particulière pour les chercheuses en science économique, et plus généralement pour les femmes. Ne le manquez pas en vous abonnant à la newsletter de L’Économiste Sceptique à cette adresse.

À bientôt sur L’Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

Dan Ariely et Francesca Gino : coupables de fraude scientifique ? - Café de L'Économiste Sceptique #3

14 novembre 2023 à 16:54

Votre rediffusion

Notes

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Dan Ariely et Francesca Gino : coupables de fraude scientifique ? -  Café de L'Économiste Sceptique #3

Émission enregistrée le 21 septembre 2023 sur Microsoft Teams.

Mon invité est Nathanael Larigaldie, post-doc en psychologie à l’Université d’Aarhus (Danemark).

Dans ce numéro du Café, nous avons discuté des accusations de fraude scientifique à l’encontre de Dan Ariely et Francesca Gino. Dan Ariely et Francesca Gino sont deux chercheurs qui ont publié d’influents travaux en sciences comportementales, une discipline à l’interface de la science économique et de la psychologie. Or, certaines des données sur lesquelles se basent leurs travaux semblent avoir été fabriquées.

En quoi consistent les accusations ? Sont-elles crédibles ? Comment les psychologues et les économistes ont-ils réagi aux accusations ? Est-ce que la réponse de Dan Ariely et de Francesca Gino est satisfaisante ? Et surtout, comment éviter de telles fraudes à l’avenir ? Ce sont les questions que nous avons abordé au cours de l’émission.


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Ai-je abandonné L’Économiste Sceptique ?

16 novembre 2023 à 15:00
Ai-je abandonné L’Économiste Sceptique ?

Chère lectrice, cher lecteur,

Je vais immédiatement répondre à la question posée par le titre : non, je n'ai pas abandonné L'Économiste Sceptique. C'est même tout le contraire.

Pour autant, depuis environ six mois, il est vrai que le rythme de publication est erratique. Il y a trois explications dont j'aimerais vous parler : Twitter, un site Internet devenu trop étroit, et ma santé. Cet article me donnera également l'occasion de faire un point avec vous sur la suite.

Twitter

Lorsque j'ai rebooté L'Économiste Sceptique en 2021, j'avais délibérément choisi de profondément intégrer Twitter à mon travail. Twitter me servait à partager mon travail, à échanger avec vous qui suivez mon travail, et à m'informer auprès d'experts compétents, mais pas toujours visibles dans les médias.

Or, Elon Musk a détruit cet édifice. Mon travail est de moins en moins visible sur la plateforme. À cause d'une invasion de bots pro-Vladimir Poutine que Twitter ne parvient pas à enrayer, j'ai été contraint de fermer les commentaires sur quasiment toutes mes publications, coupant ainsi les échanges avec vous. Enfin, Twitter a cassé au moins cinq fois mes outils de veille. À l'heure où j'écris ces lignes, mes outils de veille basés sur Twitter sont probablement définitivement détruits.

Depuis un an, j'ai passé un temps considérable à contourner ces problèmes. Ces efforts sont en train de payer. Mais le temps que j'ai consacré à contourner ces problèmes est du temps que je n'ai pas pu consacrer à écrire des articles sur L'Économiste Sceptique.

Un site Internet devenu trop étroit

Depuis le reboot de L'Économiste Sceptique, la newsletter a bien grandi. Ghost, la plateforme que j'utilisais pour publier la newsletter, m'a offert une belle rampe de lancement. Mais Ghost s'est montré de plus en plus étroit pour accommoder les évolutions de L'Économiste Sceptique. L'intégration de l'Agora m'a par exemple demandé des mois de travail, pour quand même échouer.

Au cours de l'été, j'ai mis en ligne un nouveau thème graphique. Il était censé me permettre de contourner une autre de ces étroitesses de Ghost. Or, malgré mon travail, une fois en ligne, il est rapidement devenu évident que le nouveau thème graphique avait, lui aussi, échoué.

Après ces deux échecs, il est devenu clair que pour accompagner la croissance de L'Économiste Sceptique, il était nécessaire que j'envisage un chemin plus radical : rebâtir le site Internet sur une autre plateforme que Ghost. Bien que n'étant pas terminé, le nouveau site est déjà en ligne. Je communiquerai en détail à son sujet dans les prochaines semaines.

Comme pour Twitter, le temps que j'ai consacré à construire des fondations plus solides pour la suite de L'Économiste Sceptique est du temps que je n'ai pas pu consacrer à écrire des articles.

Ma santé

La santé est un sujet éminemment personnel. Je suis particulièrement réticent à discuter de la mienne en public. Je vais me contenter de généralités, et je vous demande de respecter ma volonté de discrétion.

Cela étant dit, ma santé est la principale explication au rythme de publication erratique depuis six mois. Il me semble important de vous en parler. Enfin.

Pour commencer, je veux vous rassurer : je vais bien. En fait, je ne me suis jamais aussi bien porté de toute ma vie. Il y a un an, j'ai identifié un problème de santé particulièrement handicapant. C'est un problème qui m'a pourri la vie pendant trente ans. Il a connu une importante dégradation à l'été 2022, apparemment fréquente à mon âge chez les personnes chez qui ce type de problème n'a pas été identifié. Bien que ne pouvant stricto sensu pas se "guérir", c'est un problème qui se prend très bien en charge s'il est identifié. C'est grâce à cette prise en charge réussie que je me porte aujourd'hui aussi bien.

C'est aussi cette prise en charge qui explique le rythme erratique de publication sur L'Économiste Sceptique. En plus de l'aventure intérieure, dans mon cas, la prise en charge repose principalement sur une adaptation de mon environnement. Notamment, une adaptation de mon environnement de travail. Concrètement, j'ai passé les douze derniers mois à rebâtir complètement mes méthodes de travail, pour les adapter à ce problème de santé.

Ce travail d'adaptation paye. Il paye même au-delà de mes attentes.

Pour autant, ce travail d'adaptation m'a demandé beaucoup de temps. Du temps que je n'ai pas pu consacrer à écrire des articles sur L'Économiste Sceptique. Il a aussi profondément modifié mon organisation pour lire la littérature scientifique, pour écrire, pour publier sur les réseaux sociaux, et ainsi de suite. Il m'a fallu du temps pour retrouver mes marques.

Et maintenant ?

Cette période de turbulences est derrière moi. Je n'ai plus autant besoin de Twitter dans mon travail. Le nouveau site est bien avancé. L'adaptation de mon environnement de travail touche à sa fin. Le rythme de publication de L'Économiste Sceptique devrait progressivement reprendre la normale. Avec les notes et les méga-sujets de l'Agora, il devrait même augmenter.

Si vous m'avez contacté par email et que je n'ai pas (encore) répondu, voici pourquoi. Si je suis en retard sur un certain nombre de collaborations, voici pourquoi. Si vous avez publié un commentaire sur le site et que je n'y ai pas (encore) répondu, voici pourquoi. Il ne s'agit ni d'oublis, ni d'ignorance, ni d'indifférence.

J'aurais probablement dû communiquer plus tôt sur ces difficultés. Vous êtes nombreuses et nombreux à soutenir mon travail, y compris financièrement, y compris dans cette période de turbulences. C'est avec gratitude et humilité que je prends votre soutien. Expliquer plus tôt ce qu'il se passait, même en des termes génériques, aurait certainement été préférable.

Cette période de turbulences a eu des conséquences négatives sur les finances de L'Économiste Sceptique. Je ne pense pas que L'Économiste Sceptique soit en danger. Mais cette dégradation de la santé financière de L'Économiste Sceptique prend place dans un contexte plus large où mes problèmes de santé ont (inévitablement) dégradé mes finances personnelles.

Il n'y a aucune obligation, aucune injonction. Si vous le pouvez, et si vous le souhaitez, sachez que vous pouvez adhérer à l'une des formules payantes ci-dessous ou sur cette page. En plus de soutenir mon travail, adhérer vous donne accès à l'intégralité de mon contenu sur L'Économiste Sceptique.

Je n'ai pas abandonné L'Économiste Sceptique. En réalité, le travail que j'ai mené pour compenser la destruction de Twitter, pour bâtir un nouveau site Internet, et dans une certaine mesure, la transformation de mes méthodes de travail, je l'ai fait pour préparer une sorte d'Économiste Sceptique 3.0.

Mon plaisir à vulgariser la science économique, le scepticisme scientifique et l'économie de l'environnement est plus grand que jamais. Mon plaisir à échanger avec vous, y compris lorsque vous me faites part, avec bienveillance, de critiques constructives et argumentées, est plus grand que jamais. Ma volonté de continuer L'Économiste Sceptique est plus grande que jamais.

Nombre d'entre vous avez peut-être, sans doute, des questions sur cette période de turbulences, et sur ce que je prépare pour la suite de L'Économiste Sceptique. Pour y répondre en toute transparence, je vous donne rendez-vous le mercredi 22 novembre 2023 de 20 h à 21 h sur Microsoft Teams pour un Happy Hour spécial. Cet Happy Hour spécial sera ouvert à toutes et tous. Il vous suffit de vous y inscrire à cette adresse pour obtenir le lien de connexion.

Pour finir, je veux vous remercier. Merci de suivre mon travail. Merci de vous soucier de moi. Merci pour vos retours constructifs, qu'ils soient positifs ou négatifs. Merci pour vos questions. Merci pour vos commentaires. Merci pour vos partages. Merci pour votre soutien financier. Je m'estime chanceux d'être entouré par une communauté aussi positive, aussi engagée et aussi bienveillante.

Cette période de turbulence qui se referme n'a pas été simple. Je suis content qu'elle touche à sa fin. En partie, pour retrouver une forme de tranquillité. En partie, parce que le nouvel équilibre sur lequel je suis installé ouvre une superbe voie pour L'Économiste Sceptique. J'ai du contenu passionnant en préparation. J'ai des invités passionnants prévus pour les Cafés. Et j'ai hâte de vous présenter les autres nouveautés sur lesquelles je travaille.

Merci pour tout. Et en avant !

À bientôt sur L’Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

L'Agenda de décembre 2023

7 décembre 2023 à 15:00
L'Agenda de décembre 2023

Chère lectrice, cher lecteur,

Pour le mois de décembre 2023, je vous propose deux évènements en ligne sur L'Économiste Sceptique.

Le premier est l'expérimentation d'un nouveau format de vidéo en direct : le Club de lecture. Nous lirons ensemble un article de recherche de science économique. Le Club de lecture aura lieu le jeudi 21 décembre de 20 h à 21 h sur Microsoft Teams.

N'hésitez pas à me dire sur l'Agora sur quel thème vous souhaitez que porte l'article de recherche que nous lirons ensemble.

Le second est le 23e Happy Hour. Cet Happy Hour aura lieu le jeudi 28 décembre de 20 h à 21 h sur Microsoft Teams. Il nous donnera l'occasion de discuter des évolutions importantes en cours et à venir sur L'Économiste Sceptique.

Venez nombreuses et nombreux !

Liens de connexion Microsoft Teams

Les évènements en direct sont réservés aux personnes ayant une adhésion à l'une des formules payantes.

[Toulouse – 27 et 28 avril 2024] Rencontres de l'esprit critique

27 avril 2024 à 14:41
Les quatrièmes Rencontres de l'esprit critique (REC) se tiendront les 27 et 28 avril 2024 au centre Diagora de Toulouse – Labège. L'Association française pour l'information scientifique (Afis) est partenaire de l'événement. L'esprit critique, « ce n'est pas tout critiquer, ni douter de tout, c'est savoir analyser calmement, avec méthode, repérer les informations qui pourraient poser question, les vérifier en s'appuyant sur des sources solides, évaluer les interprétations, les (...) Agenda de l'Afis

[Lyon – du 30 mai au 2 juin 2024] XXe congrès des organisations sceptiques européennes

30 mai 2024 à 14:48
XXe congrès des organisations sceptiques européennes 2024 Lyon – du 30 mai au 2 juin 2024 Cette année, pour sa vingtième édition, la conférence européenne des associations sceptiques se tiendra à Lyon. Organisée sous l'égide de l'European Council of Skeptical Organisations (ECSO, Conseil européen des associations sceptiques dont l'Afis est membre), la conférence sera accueillie par l'Afis et le le comité lyonnais de l'Afis. Pendant quatre jours, des représentants de toute l'Europe (...) Agenda de l'Afis

Les élus et la science

20 décembre 2023 à 16:38

On a souvent l’impression que les élus sont complètement indifférents aux résultats scientifiques. Mais qu’en disent les données ?

Dans « How Research Affects Policy: Experimental Evidence from 2,150 Brazilian Municipalities », quatre chercheurs ont mené deux expérimentations de terrain au Brésil pour mesurer l’attitude des élus lorsqu’ils sont exposés à la littérature scientifique. C’est cet article que je vous propose de lire ensemble lors du premier Club de lecture.

Le Club de lecture se déroulera le jeudi 21 décembre 2023 de 20h à 21h sur Microsoft Teams. Le lien de connexion Microsoft Teams est disponible à cette adresse.

À demain !

Bibliographie

Hjort, Jonas, Diana Moreira, Gautam Rao, et Juan Francisco Santini. 2021. « How Research Affects Policy: Experimental Evidence from 2,150 Brazilian Municipalities ». American Economic Review 111 (5): 1442‑80. https://doi.org/10.1257/aer.20190830.

Threads, pseudosciences et scepticisme scientifique – Éditorial

21 décembre 2023 à 15:12
Threads, pseudosciences et scepticisme scientifique – Éditorial

Chère lectrice, cher lecteur,

La grande transformation du marché du microblog provoquée par le rachat de Twitter par Elon Musk a récemment connu son dernier évènement marquant : le 14 décembre 2023 à midi, Meta a rendu disponible en Europe Threads, son nouveau réseau social.

Threads est un concurrent de Twitter, qui s’est donné pour objectif d’offrir un espace plus sain. Avant même son rachat par Elon Musk, Twitter était une fosse à purin. La gestion catastrophique de la plateforme par le milliardaire complotiste d’extrême-droite n’a fait qu’empirer les choses.

Après une semaine de découverte relativement intensive de Threads, dans cet Éditorial, je souhaite vous partager un premier retour d’expérience.

Un espace plus sain

Threads n’est définitivement pas Twitter. Meta a pris soin de mettre en place un certain nombre de fonctionnalités destinées à protéger les utilisateurs de Threads, afin de garantir un niveau minimum de qualité des échanges. Par exemple, les réponses insultantes peuvent être automatiquement masquées par les systèmes de modération.

Il faudra voir à l’usage si Threads parvient à effectivement être une plateforme plus saine que Twitter. La barre n’est cependant pas bien haute.

Si vous êtes sur Twitter et que souhaitez faire vos premiers pas sur Threads : n’hésitez pas. Mais ayez bien en tête que Threads n’est pas Twitter. L’agressivité et les remarques désobligeantes coûtent cher, que ce soit par le biais de l’algorithme ou par le biais de blocages — davantage de détails à ce sujet plus loin.

C’est une question de goût, mais je trouve l’application Threads vraiment agréable à utiliser. Elle a été conçue avec soin. Il y a parfois des choix que je trouve trop minimalistes, qui rendent compliquées certaines manipulations. Mais dans l’ensemble, l’expérience est, au moins pour moi, plaisante.

La toute puissance du saint (et mystérieux) algorithme

Contrairement à Mastodon, Threads offre un flux algorithmique. Les données, qu’elles soient scientifiques ou issues de l’industrie, montrent que la vaste majorité des utilisateurs (moi inclus) préfère les flux algorithmiques aux flux chronologiques.

Contrairement à Bluesky, où vous pouvez choisir, voire bâtir, vos flux algorithmiques, Threads ne vous laisse pas le choix. Il n’y a qu’un seul algorithme, et son fonctionnement est opaque.

Votre compte Threads étant adossé à votre compte Instagram, il est possible de suivre automatiquement les comptes que vous suivez sur Instagram lorsqu’ils arrivent sur Threads. C’est une première source qui vient peupler votre flux algorithmique.

Sur l’algorithme lui-même, il met particulièrement en avant les réponses. Contrairement à Twitter, Threads n’est semble-t-il pas une plateforme conçue pour diffuser un message de manière unidirectionnelle. Les… threads, c’est-à-dire ces suites de posts qui ont été popularisés sur Twitter, y sont étonnamment peu mis en avant. Threads est une plateforme avant tout conçue pour l’échange.

Outre les réponses, l’algorithme va faire des suppositions sur le contenu qui pourrait vous intéresser. Au début, vous aurez des suggestions d’influenceurs ou de célébrités. Ces suggestions disparaissent rapidement, à mesure que vous suivez des comptes en phase avec vos préférences.

Surtout, l’algorithme risque de vous suggérer du contenu, disons, étonnant.

La mine à fadaises qu’est Instagram

Parce que Threads est adossé à Instagram, pour le moment au moins, il est courant de voir dans le flux algorithmique des types de contenu que l’on trouve habituellement sur Instagram. Ce qui donne une idée de la mine à fadaises qu’est Instagram.

Comme beaucoup, je vois dans mon flux algorithmique de nombreux « coachs », qui prétendent aider les entrepreneurs à développer leur activité avec des méthodes plus ou moins miracles, et surtout coûteuses. Pour les sceptiques, c’est un premier type de contenu qu’il serait intéressant d’étudier. Je n’ai guère de doute qu’il y a des quantités industrielles de fadaises dans les « méthodes » de ces coachs.

Et puis il y a les pseudosciences appliquées à la santé et au bien-être. Lithothérapie, naturopathie, énergies, tarot, divination, et ainsi de suite : vous retrouvez le bestiaire habituel.

Si, comme moi, vous venez de Twitter, vous avez sans doute été peu exposé à ce type de contenu. Sur Threads, il est possible, voire probable, que vous en verrez. Beaucoup.

Les sceptiques ont-ils une place sur Threads ?

Parce qu’il y a déjà beaucoup de fadaises sur Threads, il me semble clair que les sceptiques ont leur place sur la plateforme. Que ce soit les pseudo-médecines, ou les coachs aux méthodes douteuses, les sceptiques ont une matière déjà étonnement riche pour travailler.

Et il y a une demande pour du contenu sceptique : plus de 800 personnes me suivent d’ores et déjà (merci à elles !), et j’ai régulièrement des posts de vulgarisation sceptique qui obtiennent des dizaines de likes.

Par contre, Threads n’est pas Twitter. L’extrême-droite ne domine pas les échanges. Les complotistes, conspirationnistes et autres néo-nazis, n’y ont pas pignon sur rue. Ne vous y trompez pas : ils sont sur Threads. Il y a des toxiques partout. Mais sur Threads, ils ne dominent pas la plateforme. Et rien ne dit qu’ils parviendront à la dominer un jour, comme ils dominent aujourd’hui Twitter.

Attention, également, à l’algorithme. Comme l’algorithme met en avant les réponses, répondre à un post problématique lui donnera une visibilité accrue. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas répondre. Mais ayez en tête les effets qu’aura une réponse sur la visibilité du post auquel vous répondez, surtout si vous avez une audience importante.

Enfin, le blocage est beaucoup plus puissant sur Threads que sur Twitter. Si vous utilisez Bluesky, il fonctionne de manière similaire :

  • la personne bloquée ne sait pas qu’elle a été bloquée, contrairement à Twitter
  • lorsque vous bloquez quelqu’un, toutes ses réponses à vos posts sont masquées, pour tout le monde

Meta a fait le choix d’un blocage puissant afin de donner aux utilisateurs de Threads des outils pour se protéger — et pour protéger les personnes qui les suivent. Je n’ai aucun doute que le blocage sera utilisé par certaines personnes pour masquer les critiques. Ce type d’utilisation rendra le travail des sceptiques un peu plus difficile. Mais pour ma part, je préfère sacrifier un peu d’efficacité en échange d’un espace d’échange plus sain que Twitter.

Donnez à Threads sa chance

Si vous êtes sceptique, je vous encourage à donner sa chance à Threads. En six mois d’existence à peine, le réseau a déjà des dizaines de millions d’utilisateurs actifs. C’est des dizaines de fois plus que Mastodon ou Bluesky. Il me paraît d’ores et déjà acquis que Threads sera une plateforme majeure, sur laquelle il y aura beaucoup de monde. Et donc, beaucoup de fadaises.

Pour autant, tout n’est pas pseudoscience sur Threads. J’ai découvert de passionnants comptes de vulgarisation scientifique, d’astronomie ou de photographie que je n’aurais jamais découvert sur Twitter. Les échanges y sont agréables, y compris lorsqu’il s’agit d’échanges contradictoires. Comme quoi, il est possible de débattre sans se hurler les pires insanités. Qui l’aurait crû ?

Par contre, je veux rappeler quelques règles de bonne conduite :

  • Évitez l’agressivité, les moqueries et plus généralement, tous les propos irrespectueux. Non seulement, il s’agit de comportements anti-sociaux inacceptables. Mais même dans une logique de pure efficacité, vos réponses seront plus facilement masquées ou bloquées si elles sont insultantes. Ce qu’elles méritent de toute façon. Le débat contradictoire n’est pas une excuse pour se comporter en malotru.
  • Ne harcelez pas. Ne vous acharnez pas. N’insistez pas. Même si vous tombez sur une fadaise, n’oubliez pas qu’il y a une personne derrière. Comme vous, cette personne a le droit à ce que l’on respecte sa dignité et son intégrité psychologique.

Pour ma part, je compte être actif principalement sur Bluesky et sur Threads. J’apprécie mon expérience sur les deux plateformes, elles ont chacune un potentiel intéressant et complémentaire. Vous pouvez me trouver sur Bluesky sur @olivier.simardcasanova.net et sur Threads sur @olivier_simardcasanova.

À bientôt sur L’Économiste Sceptique,
Olivier

[Paris, le jeudi 8 février 2024, 18h45] (Méga-)Bassines : solution d'adaptation ou aberration écologique ?

8 février 2024 à 17:45
Mairie du 5è arrondissement de Paris, 21 place du Panthéon, 75005 Paris La mairie du 5ème arrondissement de Paris et l'Association Française pour l'Information Scientifique (AFIS) vous invitent jeudi 8 février 2024, 18h45 (Méga-)Bassines : solution d'adaptation ou aberration écologique ? Avec le dérèglement climatique, la question de la gestion de l'eau devient un sujet sensible. Dans plusieurs régions, l'accès à cette ressource vitale est de plus en plus soumis à restriction durant (...) Agenda de l'Afis

[Conférence en ligne - 30 janvier 2024 (20h)] L'ADN ancien dévoile le secret des kungas

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Une mosaïque vieille de 4500 ans conservée au British Museum montre deux faces : l'une illustre le temps de la paix, l'autre la bataille entre les Sumériens et les Sémites. Cette mosaïque découverte à Ur en Mésopotamie représente un guerrier debout dans un char et tiré par quatre équidés. Mais de quels équidés s'agit-il ? Chevaux ? Ânes domestiques ? Ânes sauvages ? Ni les historiens qui disposaient de textes écrits évoquant des équidés très prestigieux (les kungas) utilisés pour la (...) Agenda de l'Afis
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