IA : « Les développeurs sont toujours condamnés, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus »
« Abstraction, panique, adaptation »
Dans quelle mesure l’IA remet-elle en question le métier de développeur ? Risque-t-elle d’entrainer une dépendance ? Un nivellement des compétences ? Nous avons posé ces questions à Horacio Gonzalez, responsable des relations développeurs chez Clever Cloud.
À la BDX I/O qui s’est tenue au Palais des Congrès de Bordeaux le 7 novembre, Horacio Gonzalez donnait une conférence sur l’avenir du métier de développeur. Il y évoquait l’évolution du métier de développeur et voulait répondre surtout à une question revenant sans cesse : avec le renforcement constant des modèles et l’explosion des agents, les LLM (grands modèles de langage) vont-ils remplacer les développeurs ?
Grimper dans l’abstraction
Avec un certain humour, Horacio Gonzalez s’était amusé à donner une série d’exemples des dernières décennies, en prenant le contrepied des peurs actuelles : « Les développeurs sont toujours condamnés, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus ».
Il citait par exemple le cas de Fortran : « Ce n’est pas un vrai langage ! Tout le monde va pouvoir copier ! Le métier est mort ! à quoi ça sert tout ce qu’on a fait ? ça va casser le travail de réflexion, on va tout écrire à la volée. Le métier de développeur est mort ». Plusieurs autres exemples fusaient, comme celui du Java : « Quel langage stupide, on va être remplacés par des gars qui ont fait un boot camp de trois semaines ». Les approches low code et no code ? « On va être remplacés par des gars qui font des boites et des flèches ».
Dans son exposé, Horacio Gonzalez montrait ainsi que chacune de ces cassures signalait une élévation du niveau d’abstraction dans le métier de développeur. Chaque étape signifiait la fin d’au moins une partie des tâches considérées comme rébarbatives, avant que les nouvelles technologies ne dévoilent leurs propres tâches rébarbatives. Le niveau d’automatisation a ainsi grimpé régulièrement, entrainant systématiquement des craintes sur la mort de la profession.
Selon le responsable de Clever Cloud, cette automatisation a déplacé à chaque fois l’expertise vers des zones que les outils précédents ne pouvaient pas atteindre. Une vision qu’il a depuis développée dans une version plus détaillée de son intervention à travers une série de billets sur son blog (en anglais).
LLM, une étape de plus ?
Le point de vue d’Horacio Gonzalez est que les développeurs se sont adaptés à chaque fois. Chaque nouvelle technologie a entrainé des changements profonds dans son apprentissage, faisant apparaître des besoins pour de nouvelles compétences.
Dans cette optique, l’arrivée des LLM n’est qu’une nouvelle cassure dans les habitudes et une remise en cause des acquis. Les savoirs et savoir-faire évolueraient en conséquence vers de nouveaux horizons : lecture critique du code, l’expression claire des idées pour créer des prompts précis, le repérage des erreurs dans les réponses générées, reconnaitre les situations où l’automatisation n’est pas nécessaire (notamment pour des questions éthiques et de confiance), être assez rigoureux pour savoir remettre en question le résultat, etc.
Selon le responsable, la pratique change avec les questions que l’on se pose. Avec les LLM par exemple, l’abstraction remplace progressivement la question « Comment écrire cette fonction ? » vers une autre interrogation : « Que devrait accomplir cette fonction ? ». Dans une relation de négociation avec la machine, il donne plusieurs analogies : de constructeur à conducteur de travaux, de musicien à chef d’orchestre, voire à compositeur.
Il évoque cependant les dangers de cette approche, qui relèvent pour beaucoup de « l’overtrust », quand on fait trop confiance à l’IA : les LLM, à cause de leur conception, produiront toujours des hallucinations, même si des techniques permettent de les limiter. À force de négocier la machine et d’utiliser des machines toujours plus performantes, le risque n’est plus tant que le LLM écrive du mauvais code, mais que le développeur ne sache plus comprendre la réponse.
L’IA remet également en question l’apprentissage, notamment chez les développeurs juniors. Horacio Gonzalez y voit un rôle renforcé pour les séniors et une nouvelle organisation tripartite entre junior, sénior et IA. L’accent devrait être mis selon lui sur la lecture critique du code, la conception des prompts et le débogage des résultats, dans une sorte de co-création guidée. Il estime d’ailleurs que l’apprentissage du développement par l’IA devient une nouvelle discipline en soi, les LLM ne pouvant pas être considérés comme un simple outil de plus dans la besace des développeurs, mais bien comme un nouveau point de bascule.
C’est cette dimension que nous avons voulu creuser avec Horacio Gonzalez, notamment les dangers pour les développeurs juniors et leur intégration dans les entreprises.
>> Dans quelle mesure l’IA influence-t-elle l’intégration des juniors ?
