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À partir d’avant-hierNext INpact

Déluge d’amendements pour lutter contre le dérèglement climatique

Par : Marc Rees,
8 mars 2021 à 15:50

Le projet de loi visant à lutter contre le dérèglement climatique est examiné à partir d’aujourd’hui en commission spéciale puis durant les 15 prochains jours. Près de 5 000 amendements ont été déposés. Morceaux choisis.

Le projet de loi entend traduire les dispositions de nature législative recommandées par la Convention citoyenne pour le climat. Si la pureté de cette traduction est contestée – seules dix propositions seraient reprises sans filtre selon FranceTvInfo  – le texte catalyse de nombreux amendements qui entendent verdir notre société par le biais des TIC.

Information des consommateurs

L’article 1 rend obligatoire l’affichage « destiné à apporter au consommateur une information relative aux caractéristiques environnementales » d’un bien ou d’un service. Cet affichage par voie de marquage, d’étiquetage ou tout autre procédé approprié (y compris par voie électronique) devrait faire notamment ressortir « de façon facilement compréhensible pour les consommateurs, l’impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre des biens et services sur l’ensemble de leur cycle de vie. »

Des députés de la majorité entendent aiguiser cette information. Ils veulent par exemple qu’elle fasse ressortir l’indice de durabilité imposé par la loi de février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire sur certains biens. 

D’autres, comme Éric Bothorel, souhaitent que ces informations soient « mises à disposition du public par voie électronique, dans un format aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé sous une forme agrégée ». Dans l’exposé des motifs, est cité l’exemple de Yuka, application qui évalue l’impact des produits sur la santé.

À l’amendement 2332, Paula Forteza aimerait améliorer cette information des consommateurs, mais cette fois « quant à l’empreinte environnementale des réseaux de téléphonie mobile et d’Internet ».

Concrètement ? Il reviendrait à l’Autorité de régulation des communications électroniques (ARCEP) de recueillir des informations auprès des opérateurs « en vue de lui permettre de développer une approche de régulation par la donnée en matière environnementale ». 

Dans le même sens, les amendements 462 de Pierre Vatin, 584 de Delphine Batho et 1330 de plusieurs députés LREM veulent informer le consommateur de l’impact carbone du visionnage de vidéo en ligne.

Les sites de streaming, à compter du 1er janvier 2022, auraient l’obligation de jauger cet impact « selon le type de connexion utilisé, selon le niveau d’affichage et de résolution proposé ainsi que selon le support de visionnage ». Les menus détails seraient définis par décret d’application. 

Cette attention sur l’impact environnemental du numérique est également à l’honneur d’un amendement 521 du député LR Thibault Bazin. À l’instar du Nutri-Score, il propose « que le consommateur soit alerté, dès sa connexion à un site de vente en ligne de biens ou de services, des impacts écologiques, économiques et sociaux significatifs sur l’environnement de ce mode de distribution ». Parmi les critères cités, l’existence de datas centers, de services de livraison, ou d’emballages et suremballages surabondants, etc.

Volet éducatif

Le projet de loi a un volet éducatif également. À l’article 2, il est prévu que tout au long de la formation scolaire, les élèves disposent d’une éducation à l’environnement et au développement durable.

Depuis le 1er janvier 2021, l’indice de réparabilité est obligatoire sur certains appareils électriques et électroniques (comme les smartphones, les ordinateurs portables). Des députés LREM comptent sensibiliser les jeunes à privilégier les objets « ayant un bon indice de réparabilité, mais aussi à s’assurer qu’ils puissent acquérir des compétences et habiletés manuelles leur permettant de réparer certains objets grâce à des savoir-faire spécifiques, cultivés et développés tout au long du parcours éducatif ». 

Le levier publicitaire

Des amendements proposent de rendre contraignante la recommandation développement durable de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). « Il est interdit de diffuser une publicité qui banalise ou valorise les pratiques ou les idées contraires aux objectifs du développement durable ou qui discrédite les principes et les objectifs communément admis en matière de développement durable » propose par exemple l’amendement 942

Un exemple : avec un tel critère, « la représentation d’un véhicule à moteur sur un espace naturel est interdite. En revanche, sa représentation sur une voie ou zone publique ou privée ouverte à la circulation, reconnaissable comme telle et se distinguant clairement de l’espace naturel est admise ».

En l’état, l’article 4 du projet de loi va interdire dans l’année qui suit l’entrée en vigueur de la future loi, les publicités en faveur des énergies fossiles. C’est un décret en Conseil d’État qui précisera la liste des énergies fossiles concernées (et les modalités s’appliquant aux énergies renouvelables incorporées avec dans des énergies fossiles).

Des députés voudraient aller plus loin encore que le texte initial. Ainsi l’amendement 5060 étend cette interdiction à tous les produits et services à « fort impact négatif sur l’environnement ».

L’interdiction serait progressive, étalée sur 10 ans, sachant que constituerait un impact négatif sur l’environnement « toute atteinte aux espaces, aux ressources et aux milieux naturels terrestres et marins, aux sites, aux paysages diurnes et nocturnes, à la qualité de l’air, au climat ou à la biodiversité ». Et c’est un décret qui viendrait établir la liste des catégories de produits et services « à fort impact négatif ». Elle comprendrait les véhicules particuliers émettant des gaz à effet de serre, les produits électroménagers fortement consommateurs d’énergie, les liaisons aériennes domestiques et internationales, etc.

Au 4709, les députés LREM veulent que l’Arcep publie, en lien avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel, « un rapport annuel mesurant l'impact environnemental des différents modes de réception pour à la fois la télévision et les services de médias audiovisuels à la demande ».

Ce rapport aurait vocation « à renforcer l'information des consommateurs sur la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation de contenus audiovisuels » par chacun des modes de réceptions ou terminaux (hertzien, par câble, satellite, fibre, ADSL, réseaux de téléphonie mobile). « Il permettrait par ailleurs de mieux évaluer les évolutions des usages audiovisuels et aider les citoyens à faire des choix éclairés dans leur consommation ».

Des consignes sur les smartphones

Plusieurs amendements plaident pour l’instauration d’un système de consigne pour les téléphones portables. Son montant forfaitaire serait proportionnel au prix total hors taxes de l’appareil.

« Il convient d'inciter les utilisateurs à retourner leurs appareils en magasin lorsqu’ils ne les utilisent plus, au moyen d’un système de consigne, versée lors de l’achat d’un appareil neuf, et remboursée lors du retour du dit appareil en magasin » réclament plusieurs députés MoDem.

« Ceci incitera les utilisateurs à ne pas conserver d’appareils fonctionnels inusités. En outre, cela dynamisera les filières nationales de réemploi en mettant des stocks dormants sur le marché et en faisant participer les professionnels de manière plus massive qu’actuellement et, partant, cela les fera évoluer vers une prise en compte plus développée du réémploi et du reconditionné dans leurs modèles économiques ».

Un amendement similaire a été déposé par Paula Forteza. Deux députés Libertés et Territoires veulent même généraliser ce système de consigne, par le biais d’expérimentations portant sur les connectiques informatiques et électroniques, les téléphones portables, les ordinateurs et les imprimantes .

« Selon une étude de l’ADEME 30 millions de téléphones dormiraient dans nos tiroirs alors même qu’il existe une collecte dédiée pour les téléphones. Une énorme marge d’amélioration de la collecte est possible et nécessaire. Elle est en outre la condition de la viabilité d’une filière française du reconditionnement » prévient dans le même sens l’amendement 1983.

Au 1329, Paula Forteza fait peser sur les professionnels une nouvelle obligation : offrir aux consommateurs la possibilité « de pouvoir changer aisément et par lui-même, lorsque cela est possible, la batterie en lui permettant l’accès à cette pièce de rechange pour une durée de dix ans à compter de la dernière date de commercialisation du produit ».

Plus de mises à jour ? Alors code libéré

Et au 2370, la même élue compte contraindre le vendeur qui ne fournit plus de mises à jour, à diffuser « gratuitement sous format électronique, dans un standard ouvert librement réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, les codes sources afférents au produit concerné. »

« Imposer l’ouverture des codes sources afférents aux produits numériques ne recevant plus de mises à jour permettrait ainsi aux informaticiens de colmater d’éventuelles failles de sécurité, ce qui contribuerait à allonger la durée de vie des appareils concernés. Ces derniers n’étant plus commercialisés, le passage en open source n’aurait aucun impact économique pour les constructeurs » estime l’élue, qui indique au passage que son amendement est inspiré par une proposition de l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP).

Un chèque réparation de 50 euros

Inspiré de l’opération « Coup de pouce vélo », le n°1399 propose de mettre en œuvre un dispositif analogue pour les appareils électriques et électroniques. Les consommateurs profiteraient d’un chèque de 50 euros pour faire réparer smartphones, ordinateurs et autres tablettes.

Ce montant s’appliquerait « à toutes les prestations participant à la remise en état d’un appareil électrique ou électronique : changement d’écran, de batterie, ajout de RAM, reformatage... »

Au passage, plusieurs députés LREM plaident pour une TVA à taux réduits pour les produits reconditionnés et pour les services de réparation de biens comportant des éléments numériques.

Le texte et ses amendements étant particulièrement larges, l’éventail des propositions concerne également le télétravail. Paula Forteza souhaite ainsi faire reconnaître le télétravail comme un droit. « Le télétravail est de droit, un jour par semaine, pour tout salarié dont les missions sont éligibles à cette forme d’organisation du travail » prévient son amendement. « L’employeur ne pourra s’opposer à ce que le salarié exerce ce droit, à raison d’un jour par semaine, dès lors que ses missions peuvent être effectuées à distance ».

Fuite de données médicales : l'ordonnance de blocage obtenue par la CNIL

Par : Marc Rees,
5 mars 2021 à 10:09

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a obtenu en justice le blocage du site diffusant le fichier des patients. Next INpact diffuse l’ordonnance de référé rendue le 4 mars 2021, par le premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris.

La fuite du fichier contenant les informations de 500 000 patients a déjà des répercussions judiciaires. Dans un communiqué, la CNIL indique avoir saisi la justice aux fins d’obtenir le blocage de l’un des sites hébergeant le fameux fichier.

« Cette décision fait suite aux investigations immédiatement lancées par la CNIL après la révélation dans la presse de cette violation de données » prévient encore l’autorité qui révèle avoir mené jusqu’alors trois opérations de contrôle.

Elle indique aussi avoir « pris les mesures nécessaires auprès des organismes concernés afin que les personnes dont les données ont été diffusées soient informées de cette violation par les laboratoires dans les meilleurs délais ».

Que prévoit exactement cette fameuse ordonnance de blocage ?

Un éditeur inconnu, des demandes restées sans réponse

Déjà, on découvre l’historique des démarches entreprises par la commission. Le 24 février 2021, ses services ont procédé à une opération de contrôle en ligne, pour constater qu’un lien partagé sur un forum de discussion pointait vers le fameux fichier hébergé sur un serveur tiers. 

La CNIL a analysé ce fichier aux 491 840 lignes. Selon le résumé dressé par l’ordonnance :

« Chaque ligne se rapporte à une personne physique identifiée par son nom d’usage (éventuellement accompagné de son nom patronymique), son prénom, sa date de naissance, son numéro de téléphone fixe et/ou portable, son numéro de sécurité sociale (NIR), son adresse postale et son adresse électronique. Ces informations sont complétées par d’ autres données, comme le nom et les coordonnées du médecin traitant, la date de la dernière visite médicale, le nom de l’assuré social dont le patient est ayant-droit ».

« Des données médicales sont également renseignées, comme le groupe sanguin, le facteur rhésus et l’existence ou non d’une affection de longue durée (ALD). Un champ nommé « commentaires » contient des indications libres qui peuvent renvoyer, à nouveau, à d’autres données à caractère personnel (numéro de mutuelle, par exemple). Plusieurs de ces champs contiennent des indications relatives à l’état de santé des intéressées ».

Constatant l'ampleur de la fuite, elle a tenté d’obtenir le retrait de ce fichier auprès de l'éditeur de ce site « .gg » (pour les îles de Guernesey). Vainement puisque l’adresse de son contact a renvoyé un message d’erreur. Quant à CloudFlare, l'intermédiaire utilisé par ce site n’a même pas daigné répondre. 

Faute de mieux, le 1er mars 2021, une assignation en référé d’heure à heure a été délivrée à la requête de la CNIL.

Un blocage de 18 mois aux frais des FAI

Elle a enjoint Orange, Free, SFR et Bouygues Télécom de « mettre en œuvre ou de faire mettre en œuvre, sans délai et de manière définitive et illimitée, toutes mesures les plus adaptées et les plus efficaces de surveillance ciblées de nature à assurer le blocage effectif du fichier "full *****.7z" ». À défaut, elle a réclamé le blocage du site « *****.gg) ou à défaut d’une adresse URL pointant vers le fameux fichier.

En face, les FAI lui ont expliqué qu’ils ne pouvaient ni bloquer ni procéder à la suppression d'un seul fichier ou d'un contenu qui se trouverait sur un site.

Dans son ordonnance, le juge a relevé sans mal que « la mise en ligne de ce fichier, contenant de très nombreuses données relatives à l’identité et à la santé de près de 500 000 personnes, constitue une atteinte grave et immédiate aux droits des personnes concernées, notamment le droit au respect de la vie privée ».

Et pour faire cesser cette atteinte, il n’y a plus mille solutions au regard du contexte : le blocage.

Si la CNIL défendait une mesure illimitée dans le temps, le juge a opté pour une solution présentée comme plus appropriée et proportionnée : « délivrer injonction aux fournisseurs d’accès à internet de mettre en oeuvre ou de faire mettre en oeuvre, sans délai et pour une période de 18 mois à compter de la présente décision toutes mesures les plus adaptées et les plus efficaces de surveillance ciblées de nature à assurer le blocage effectif du service de communication au public en ligne "*****.gg" sur leurs réseaux ».

Relevons enfin que le juge judiciaire n’a pas voulu condamner la CNIL, autorité administrative indépendante, « à prendre en charge le coût des mesures effectivement prises par les fournisseurs d'accès internet au vu de la séparation des autorités administratives et judiciaires ».

Un fichier simplement planqué sous le tapis

« Cette décision montre qu’un référé heure à heure peut fonctionner. Assignation le 1er, audience le 3 et décision le 4 mars », commente Me Alexandre Archambault.

L’avocat spécialisé dans le numérique relève toutefois que si la solution va réduire l’exposition du fichier, « celui-ci reste accessible à des fins malveillantes » (d’où la sécurisation des URL citées dans le PDF, réalisée par nos soins).

« La CNIL a fait au plus pressé tout en faisant bien les choses : un référé heure à heure et une procédure contradictoire ». Seule solution pour gagner davantage en efficacité : passer par le guichet des autorités américaines ou saisir un juge californien pour demander l’intervention de CloudFare. Un traitement qui s'inscrit néanmoins dans un calendrier plus long. 

Sécurité globale : la future loi remaniée en commission des lois au Sénat

Par : Marc Rees,
5 mars 2021 à 07:00

Après l'Assemblée nationale, le Sénat examinera la proposition de loi sur la sécurité globale en séance publique les 16, 17 et 18 mars. Le texte est déjà passé au crible de la commission des lois, où il a subi plusieurs modifications.

Le projet de loi sécuritaire porté par le groupe LREM sera examiné en séance publique dans quelques jours. En commission des lois, sans surprise, l’article 24 a été réécrit sur proposition des rapporteurs Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé.

Dans sa version adoptée par les députés, la disposition visait à réprimer le fait de diffuser dans un but malveillant l’image du visage des policiers. Mesure qui avait suscité d’imposantes critiques, notamment au regard du risque d’atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d’information et de communication.

Les sénateurs ont préféré réécrire ce passage en lui préférant deux volets : le premier punit de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende la provocation à l’identification d’un agent agissant dans le cadre d’une opération de police, dans un but malveillant. Mesure étendue au partenaire, conjoint, concubin et enfant de l’agent. Le second volet interdit de traiter les données de ces agents, hors des finalités prévues par les textes.

Le champ de l’article 24, version sénateurs, est donc beaucoup plus large : il ne se limite pas à la seule image du visage des agents. Il frappe en outre la provocation à l’identification, non plus la diffusion d’images.

Pas de guerre des images sur les réseaux sociaux

La Commission des lois a aussi fait sauter la possibilité pour l’Intérieur d’utiliser les images captées par les caméras individuelles des forces de l’ordre à des fins « d’information du public ».

L’idée défendue à l’Assemblée ? Permettre au ministère d’apporter sa version des faits, notamment sur les réseaux sociaux, lorsque des vidéos sont échangées, captées notamment par des manifestants. Au Sénat, la commission n’a pas été vraiment charmée par cette guerre des images. « Revient-il aux pouvoirs publics d’alimenter le climat délétère qui règne actuellement dans les relations entre la police et la population dans le but de concurrencer les images diffusées sur les réseaux sociaux ? » se demandent plusieurs sénateurs

Même avis des rapporteurs : « Les images captées par la police ont un caractère exclusivement probatoire, et non polémique ou illustratif. Elles ne sauraient donc juridiquement être mises sur le même plan que celles tournées par des journalistes voire de simples particuliers. » 

L’avis de la CNIL sur la proposition de loi a été pris en compte afin de prévoir de nouvelles garanties. Il s’agira par exemple d’« encadrer la consultation directe des images des caméras mobiles ». Le texte précise en ce sens « les conditions opérationnelles justifiant cette consultation immédiate (faciliter la recherche d’auteurs d’infraction, la prévention d’atteintes imminentes à l’ordre public, le secours aux personnes ou l’établissement fidèle des faits lors des comptes rendus d’interventions), et ajoute une exigence de traçabilité des consultations ainsi réalisées ».

Des drones sans reconnaissance faciale 

Toujours à ce stade, les sénateurs ont souhaité réduire les capacités de ces outils utilisés par les forces de l’ordre. Déjà le nouveau dispositif ne doit pas s’appliquer selon eux à l’ensemble des aéronefs avec caméras, mais aux seuls drones, sans pilote. La commission a aussi souhaité pour l’occasion « réaffirmer les principes de nécessité et de proportionnalité et la soumission de l'usage des drones à la loi "Informatique et libertés" ».

Ces élus comptent par exemple prohiber « la captation du son depuis ces aéronefs, l’analyse des images issues de leurs caméras au moyen de dispositifs automatisés de reconnaissance faciale, ainsi que les interconnexions, rapprochements ou mises en relation automatisés des données à caractère personnel issues de ces traitements avec d’autres traitements de données à caractère personnel ».

Ils ont donc découplé « drones » et « reconnaissance faciale », sans prévoir un régime identique pour les caméras mobiles dont les images pourront être transmises en temps réel au poste de commandement.

De même, si le texte autorise toujours l’envol de ces drones lors des rassembles de personnes, ce sera seulement « lorsque les circonstances font craindre des troubles à l’ordre public d’une particulière gravité » ou « lorsque des circonstances liées aux lieux de l'opération rendent particulièrement difficile le recours à d’autres outils de captation d’images ou sont susceptibles d’exposer leurs agents à un danger significatif ».

Autre chose, ce déploiement dans le cadre de la lutte contre les crimes et délits graves sera soumis à autorisation, délivrée par décision écrite et motivée du procureur de la République territorialement compétent. L’autorisation devra déterminer à la fois le périmètre, mais aussi la période ainsi que les infractions concernées. 

Pas de moratoire sur la reconnaissance faciale

La commission des lois a cependant refusé d’imposer un moratoire de deux ans, visant à interdire aux autorités l’usage de la biométrie sur les flux captés par les caméras de surveillance dans l’espace public.

« Les données faciales sont des données biométriques sensibles, uniques et irrévocables. Elle nécessite une protection accrue. On ne peut y recourir par de simples biais législatifs sans avoir préalablement examiner les enjeux qu'elles soulèvent en matière de libertés publiques, d’éthique et de consentement » ont plaidé, vainement, plusieurs sénateurs PS.

Copie privée : un député ne veut pas de redevance sur les biens reconditionnés

Par : Marc Rees,
3 mars 2021 à 15:57

Selon nos informations, le député Philippe Latombe se saisit de la question des produits reconditionnés. Dans deux amendements sur la rampe parlementaire, il veut interdire la perception de la redevance Copie privée sur ces biens en seconde vie.

Ce n’est plus un secret. Les ayants droit regardent avec vif intérêt le développement des produits reconditionnés en France, en particulier les smartphones et les tablettes. Leur appétence n’est pas liée aux questions écologiques, à la préservation des ressources et autres futilités, mais au potentiel rémunérateur de ce marché porteur.

Et pour cause, si les sociétés de gestion collective perçoivent cette redevance sur les produits neufs lors de leur mise sur le marché, les biens reconditionnés ont jusqu’alors été épargnés. Pour corriger le tir, les ayants droit ont déjà initié plusieurs actions en justice auprès de reconditionneurs afin de prélever finalement cette ponction sur l’ensemble des biens revendus depuis cinq ans en France. Les dossiers sont en cours devant les tribunaux.

Pour l’avenir, le chantier est au ministère de la Culture. L’enjeu ? Ébaucher cette fois un barème spécifique très rapidement. Tout devrait s’accélérer en mars, avec la mise en place d’un vague questionnaire d’usages permettant ensuite d’adopter un tarif spécifique à ce second marché.

Si le temps s’accélère, c’est qu’au Parlement, les menaces grondent. Déjà, le Sénat a adopté un amendement dans le cadre de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique. La disposition, qui n’a pas encore été examinée par les députés, interdit de prélever la douloureuse sur les supports « issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. »

« Juridiquement discutable et fortement contre-productif »

Selon nos informations le député Philippe Latombe (Modem) s’est aussi emparé du sujet. Dans le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », il a déposé un premier amendement selon lequel « les supports reconditionnés ne sont pas assujettis à la redevance [copie privée] ».

philippe latombe copie privée reconditionnés smartphones

Trois arguments militent pour ce non-assujettissement, selon lui : d’abord, « quand ils étaient neufs, ces produits ont déjà été soumis à cette redevance, et ce pour toute leur durée de vie, y compris en cas de recyclage et d’utilisation de seconde main. Il est donc anormal qu’ils y soient assujettis de nouveau ».

« De plus, ajoute l’élu, ces matériels sont reconditionnés par des entreprises d’insertion, une filière qui ne peut survivre si la redevance copie privée absorbe presque toute la faible marge que peut espérer le revendeur (par exemple sur une marge de 18 €, la copie privée représenterait 14 €) ».

Dernier argument, « la clientèle de ces matériels recyclés est en général une clientèle à revenus modestes pour laquelle cette filière contribue à résoudre la problématique de la fracture numérique, ou une clientèle très investie, avec raison, sur les vertus environnementales du recyclage ».

Selon lui, pas de doute : « l’assujettissement de ces matériels à la redevance de copie privée serait à la fois juridiquement discutable et fortement contre-productif au regard des objectifs portés par la loi ».

Dans un second amendement, de repli, il propose que la rémunération pour copie privée ne soit pas due non plus « par les personnes qui acquièrent des supports reconditionnés ».

Au gouvernement, les ministères se déchirent sur le sujet. La Rue de Valois est nécessairement favorable à cet assujettissement, contrairement au ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, et au secrétariat d’État au Numérique de Cédric O, qui l'un et l'autre craignent des coups très durs pour la filière et l’environnement.

Conservation des données : le gouvernement demande au Conseil d’État d’ignorer la justice européenne

Par : Marc Rees,
3 mars 2021 à 11:02

L’exécutif ne veut pas entendre parler d’un encadrement européen de l’obligation de conservation des données de connexion. Devant le Conseil d’État, il redouble d’arguments pour considérer que la CJUE s’est plantée. Et qu’il convient de ne pas appliquer ses décisions. 

La question de la conservation des données de connexion est complexe pour le profane. Données de connexion ? Obligation de conservation ?

Derrière ces brumes, se cache une obligation pesant sur de nombreux intermédiaires techniques (plateformes, opérateurs, etc.) consistant à devoir stocker un an durant l’ensemble des données de trafic et de localisation des contenus utilisateurs. Ce sont les « qui », « quand », « quoi », « d’où », « comment » de *toutes* les communications électroniques, posts, commentaires en ligne, etc.

En France, cette obligation se manifeste juridiquement par un joli pied de nez. Si l'article L. 34-1 du Code des postes et des télécommunications consacre un principe d’effacement immédiat de ces données, c’est pour le réduire en poudre quelques lignes plus bas.

Ce même article prévoit en effet de multiples dérogations pour imposer cette conservation généralisée et indifférenciée aux opérateurs et prestataires, pour « les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales », la Hadopi, l’ANSSI ou encore les services du renseignement et d’autres administrations...

Selon leur champ de compétence, ces autorités peuvent dès lors remonter le passé numérique d’une personne, en quête d’éléments matériels ou de simples indices. Et sans surprise, services du renseignement, Hadopi, administrations, etc. défendent tous le privilège d’un tel droit d’accès quand les internautes ne s’imaginent pas vraiment que de ce sillage, peut être déduit un grand nombre d’informations sur la vie privée, et pas seulement le graphe social des individus.

Le 14 avril 2015, durant les débats autour de la loi Renseignement, la députée Isabelle Attard l’expliquait par l’exemple lorsqu’elle voulut témoigner de la sensibilité de ces données de trafic et localisation, face aux données de contenus :

« Vous vous êtes par exemple connectés à un site de rencontres échangiste ou fétichiste deux fois par jour pendant un mois, mais – nous dit-on – on ne sait pas du tout ce que vous avez écrit ou lu… Autre exemple, vous avez appelé Sida Info Service pendant douze minutes, puis un laboratoire d’analyses médicales pendant deux minutes. Une semaine plus tard, le laboratoire vous a rappelé. On ne sait pas ce que vous vous êtes dit, mais il vous a rappelé, et vous avez ensuite appelé votre médecin pendant quinze minutes, mais, encore une fois, on ne sait pas vraiment de quoi vous avez parlé. »

Dis-moi ce que tu métadonnes, je te dirai qui tu es

Les législations des États membres étant de plus en plus gourmandes d’exceptions en la matière, la Cour de justice de l’UE a tiré plusieurs coups de canon dans le ciel de l’UE.

Le 8 avril 2014 dans son arrêt fondamental « Digital Rights Ireland », elle devinait derrière cette obligation de conservation, une profonde ingérence dans la vie privée des millions de citoyens concernés.   

Et pour cause, de telles informations, « prises dans leur ensemble, sont susceptibles de permettre de tirer des conclusions très précises concernant la vie privée des personnes (…) telles que les habitudes de la vie quotidienne, les lieux de séjour permanents ou temporaires, les déplacements journaliers ou autres, les activités exercées, les relations sociales de ces personnes et les milieux sociaux fréquentés par celles-ci ».

Dans cet arrêt Digital Rights, la Cour de Justice de l’Union européenne ne rejetait pas cette conservation des données, mais exigeait des garanties solides, des textes clairs, outre que l’obligation soit réservée à la seule lutte contre les infractions graves, principe de proportionnalité faisant.

Pas d’open-bar donc, mais une définition sérieuse des durées de rétention variant selon les situations, outre une délimitation des accès des autorités compétentes en sus évidemment d’un haut niveau de sécurité chez les opérateurs.

Le 21 décembre 2016, nouveau coup de semonce. Avec l’affaire « Télé2 », la CJUE jugeait contraire au droit européen « une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l’ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique ».

Par ces deux couches, le droit européen a donc généré d’une jurisprudence de plus en plus protectrice pour les uns, mais beaucoup trop restrictives aux yeux de certains États membres, et tout particulièrement la France.

Quand la France défend l’obligation de conservation indifférenciée

Déjà, dans l’affaire de 2016, l’avocat général de la CJUE relatait comment le pays des Droits de l’Homme avait multiplié d’arguments pour se libérer du joug européen et de ses multiples garanties.

Selon la grille de lecture de Paris, la directive de 2002 relative à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques exclut de cet encadrement européen les dispositions nationales régissant l’univers de la sécurité publique, la défense et la sûreté de l’État (article 1, paragraphe 3 de la directive).

Dit autrement, selon Paris, dans ce secteur, les autorités compétentes doivent pouvoir lire le passé, sans les embûches européennes. 

Des arguments qui n’ont pas convaincu la Cour de Luxembourg. Dans son arrêt de 2016, elle a relevé qu’au regard de l’économie générale de la directive de 2002, relèvent bien de ce texte, les lois des États membres imposant à des fournisseurs de conserver les données relatives au trafic et les données de localisation, « puisqu’une telle activité implique nécessairement un traitement, par ceux-ci, de données à caractère personnel ».

Contentieux de la conservation des données de connexion

Armées de ces deux arrêts, Privacy International FDN, FFDN, et la Quadrature du Net notamment ont attaqué plusieurs dispositions internes devant les juridictions nationales.

En juillet 2018, plutôt que de rendre un arrêt mettant un terme à cette conservation généralisée, le Conseil d’État, malcomprenant, a préféré réinterroger la Cour de justice de l’Union européenne. L’espoir ? Trouver de nouvelles exceptions justifiant cette obligation de conservation, en particulier dans le cadre de la loi Renseignement.  

Sans surprise, ce nouveau round européen a permis au gouvernement français de revenir à la charge devant la cour de Luxembourg. Selon la France, les dispositions de la loi Renseignement, « en ce qu’elles tiennent au maintien de l’ordre public ainsi qu’à la sauvegarde de la sécurité intérieure et de l’intégrité territoriale », relèveraient « des fonctions essentielles des États membres ». il existerait ainsi des secteurs où les jurisprudences européennes sur la conservation des données n’auraient pas droit de cité, ou si peu. 

Là encore, raté : « le seul fait qu’une mesure nationale a été prise aux fins de la protection de la sécurité nationale ne saurait entraîner l’inapplicabilité du droit de l’Union », lui a répondu la CJUE. Plus particulièrement, a-t-elle précisé, « l’ensemble des traitements de données à caractère personnel effectués par les fournisseurs de services de communications électroniques relève du champ d’application de ladite directive ».

Si « cette conservation ne saurait présenter un caractère systématique », la juridiction n’a pas totalement fermé les portes. Une obligation de conservation généralisée reste possible, mais seulement dans des cas spécifiques.

Des autorités peuvent donc parfaitement enjoindre aux fournisseurs de service de conserver l’ensemble des données de trafic et de localisation de l’ensemble des utilisateurs, mais uniquement  

  • Durant une période limitée,
  • En présence de circonstances suffisamment concrètes permettant de considérer l’existence d’une menace grave
  • Pour la sécurité nationale
  • Et d’une menace « réelle et actuelle ou prévisible »

Ces réponses ont été adressées au Conseil d’État qui va maintenant pouvoir rendre sa décision dans une série de requêtes en souffrance, et visant plusieurs textes relatifs à ce thème sensible (les décrets d’applications des articles 851-1 à 851-4 du Code de la sécurité intérieur, mais aussi l’article 10-13 du Code des postes et télécommunications et le décret 25 février 2012 relatif à la conservation des données).

La souveraineté nationale pour contourner la CJUE 

La juridiction administrative va-t-elle enfin tenir compte de cette jurisprudence dans son arrêt attendu dans quelques semaines ou mois ? Pas si sûr.

Selon nos informations, le gouvernement a invité le Conseil d’État à suivre une voie exceptionnelle : se draper derrière l’étendard de la souveraineté nationale et même de l’identité constitutionnelle de la France pour ne pas appliquer les mesures imposées par la CJUE. Il considère que ces juges ont fait une bien mauvaise application du traité de l’UE en allant au-delà de leurs compétences.

Pourquoi ? Toujours selon nos sources gouvernementales, l’exécutif estime que cette jurisprudence vient priver d’effectivité plusieurs principes constitutionnels français, dont le principe de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation, l’objectif de prévention, de recherches des auteurs d’infraction pénale, et l’objectif de lutte contre le terrorisme.

Interdire la conservation généralisée des données de connexion, sauf dans quelques cas trop spécifiques, priverait finalement la France des moyens d’actions nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces principes fondateurs.

Un véritable « bras d’honneur » adressé à la CJUE qui ne surprend pas vraiment. Au même moment, le gouvernement milite aussi pour colmater cette brèche dans le futur, au travers du projet de règlement ePrivacy, comme l’a souligné le professeur Theodore Christakis le long d’un « thread » sur Twitter.

De même, à l’Assemblée nationale, le député Guillaume Larrivé a déjà dénoncé le « hold-up » des décisions de la CJUE en matière de conservation des données de connexion. Dans son rapport sur les cinq ans de la loi Renseignement, l’élu LR estime qu’« on n’aurait sans doute d’autre solution que de considérer que la primauté du droit européen cesse quand on se trouve au cœur du cœur de la souveraineté nationale et de notre droit constitutionnel ». 

Un quatrième arrêt de la CJUE

Pendant que la France gesticule pour éviter la régulation européenne, ce 2 mars, patatras : après Digital Rights, Télé2, la décision La Quadrature du Net, un quatrième arrêt a été rendu par la Cour de justice.

Dans cette affaire née en Estonie, une personne fut reconnue coupable des chefs de vol, d’utilisation de la carte bancaire d’un tiers et de violence à l’égard de personnes participant à une procédure en justice. Elle avait été identifiée par l’accès aux données conservées par les opérateurs. Des preuves recevables ?

La Cour européenne a une nouvelle fois jugé que le droit de l’UE s’oppose à une législation permettant l’accès d’autorités publiques aux données de connexion, si cet accès n’est pas « circonscrit à des procédures visant à la lutte contre la criminalité grave ou à la prévention de menaces graves contre la sécurité publique ».

En l’espèce surtout, elle a relevé que la réglementation estonienne était pour le moins fragile : elle ne prévoyait aucune limitation de la période pour laquelle l’accès auxdites données était sollicité, ni la quantité ou la nature des informations disponibles. Un bel accès open bar.

Mieux. Elle a jugé au passage que le droit européen tout comme la Charte des droits fondamentaux s’opposent aux réglementations qui donnent compétence au ministère public d’autoriser à la fois ces accès aux données tout en conduisant l’enquête pénale. Une double casquette qui s’oppose au principe d’indépendance qui vaut aussi en la matière.

Sur son compte personnel, Matthieu Audibert, doctorant en droit privé et sciences criminelles, anticipe en France un « gros problème parce que concrètement en flagrance et en préliminaire, c'est le parquet qui est à la manœuvre ». Il devance également une « avalanche des pourvois déposés à la Cour de cassation », notamment sur certaines affaires comme celle qui a conduit à la condamnation récente de Nicolas Sarkozy.

Me Alexandre Archambault rappelle pour sa part que plusieurs réformes législatives ont été entreprises ces dernières années sans que les rustines nécessaires n’aient été apposées, malgré les arrêts de la CJUE. « Les autorités françaises, en persistant dans leur refus de procéder aux adaptations qui s’imposent de la procédure pénale afin de la mettre en conformité, portent une lourde responsabilité dans le gel des enquêtes pénales à compter de ce jour ».

Redevance sur les reconditionnés : les ayants droit déjà à la manœuvre ?

Par : Marc Rees,
19 février 2021 à 15:53

Mardi prochain, les membres de la Commission Copie privée se réuniront une nouvelle fois. À l’ordre du jour, la question de l’assujettissement des biens reconditionnés. Selon nos informations, pour accélérer l’adoption d’un barème spécifique, les ayants droit ont déjà concocté un projet d'étude d’usages « flash ». Aux multiples charmes.

Tout s’accélère au sein de cette commission dite « paritaire », en réalité découpée en trois blocs inégaux. Copie France, derrière laquelle on trouve la SACEM, la SCPP, la SPPF, l’Adami, la Spedidam, la SACD et les autres sociétés de gestion collective, prépare l’assujettissement des ordinateurs fixes, portables et les disques durs nus, rares univers encore préservés. 

Mais l’appétit des collecteurs ne s’arrête pas là : ils souhaitent désormais prélever également la redevance sur le marché des smartphones et des tablettes reconditionnés. Un mât de cocagne au sommet duquel trônent plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année.

Des actions en justice pour le passé

Pour espérer le gros lot, ils ont d’abord lancé une pluie d’actions en justice contre les reconditionneurs fin 2019, début 2020. Next INpact le révélait déjà en mai 2020

La technique ? Efficace pour les uns, baroque pour les autres : repérer le chiffre d’affaires de ces entreprises. Diviser ensuite ce C.A. par un prix moyen de téléphone. Et enfin, multiplier ce résultat par le barème des smartphones (par exemple 12 euros pour un modèle de 64 Go, 14 euros, au-delà) ou des tablettes.

Une certitude pour Copie France : de telles reventes offrent « à un nouvel utilisateur la possibilité de bénéficier de fonctions identiques de copie privée » que celles d’un appareil neuf. La position était déjà inscrite noir sur blanc dans le dernier rapport annuel de la société civile

Autant de points contestés par les reconditionneurs (Smaart, Recommerce, et les autres).

Un barème pour l'avenir

Dans le même temps, les ayants droit préparent un barème spécifique pour ces appareils de seconde vie. Une fois voté, ce tarif, éventuellement moins élevé que celui réservé aux produits neufs, permettra à ces bénéficiaires de bétonner juridiquement les perceptions futures.

Sur la scène, un chef d’orchestre. Jean Musitelli. En novembre dernier, le président de la Commission copie privée avait décidé d’inscrire le sujet du reconditionnement à l’ordre du jour de la Commission. Le 11 décembre 2020, il faisait cette fois adopter un calendrier de travail pour ce nouveau chantier.

Les festivités ouvertes, la suite a coulé de source. Deux mois plus tard, les ayants droit se sont proposés de réaliser l’étude d’usage nécessaire à l’établissement de ce fameux barème.

La génération streaming amputée

Pour mémoire, ces études d’usages consistent à jauger des pratiques de copies auprès d’un panel, pour ensuite déterminer des taux évoluant selon les capacités. Très schématiquement, plus les sondés affirment réaliser des copies, plus les ayants droit peuvent militer pour des barèmes élevés, sachant qu’ils perçoivent les sommes qu’ils déterminent.

En principe ces études d’usages doivent obéir à un tempo, un cadre un peu sérieux, celui du Code des marchés publics. C’est en effet le ministère de la Culture qui prend les devants comme c’est actuellement le cas avec les ordinateurs fixes, les portables et les disques durs nus

En se proposant de financer cette étude d’usage, les ayants droit sortent de ce carcan et surtout peuvent espérer un tarif final à brève éch��ance. Et selon nos informations, c’est dans ce contexte qu’ils ont déjà rédigé un projet de questionnaires, qu’ils ont baptisé « étude flash ».

Le document de 21 pages que nous avons pu consulter se limite à quelques questions qui seront posées à des personnes physiques. Ces femmes et ces hommes sauront en introduction que « les résultats de cette étude [seront] strictement anonymes » outre que l’utilisation des données sera « à usage purement statistique ».

Ils ignoreront donc que ces travaux serviront à établir des barèmes de redevance sur les smartphones et les tablettes reconditionnés.

D’entrée, chaque sondé sera invité à révéler son âge. S’il a moins de 18 ans, surprise : le questionnaire s’arrêtera là. Un tel seuil diffère grandement des précédentes études sur les smartphones et les tablettes, réalisées en 2016-2017 où il était alors établi à 15 ans.

Les conséquences d’un relèvement de trois ans ne sont pas minces. Il va effacer toutes les pratiques d’une partie des jeunes utilisateurs, cette génération « Streaming » qui, aux copies sur supports vierges, préfère Netflix, Spotify, Deezer ou YouTube. 

Les résultats de l’étude flash ne seront donc pas tout à fait représentatifs de ces nouveaux moyens de consommations en flux. Avantage pour les ayants droit : le poids des copies étant plus important, ils pourront réclamer une redevance toujours plus musclée.

Synchronisation, priez pour nous

Parmi les autres questions, les sondés devront aussi indiquer si, une fois leur smartphone ou leur tablette reconditionné(e) reçu(e), ils ont procédé à la synchronisation de leur ancien appareil des « titres musicaux, films, vidéos, photos, etc.».

Ils devront aussi révéler dans la foulée s’ils utilisent, ou non, leur nouveau smartphone « de manière équivalente à un smartphone neuf ».

Bien entendu, en partant du principe que la synchronisation est une forme de copie privée, qu’il faut donc compenser avec la perception de la redevance, là encore ce critère permettra in fine de percevoir davantage, alors même que dans l’esprit du consommateur, ces opérations procèdent avant tout d’un simple déplacement de A vers B.

Une étude adossée sur des études... aux « bases faibles »

Dans les études d’usages de 2017, les sondés étaient invités à quantifier très exactement le nombre de fichiers copiés. Cette fois, les ayants droit comptent demander à l’acheteur de produits d’occasion de mesurer « la différence dans vos pratiques de copie ou d’enregistrement de contenus contenant des œuvres (titres musicaux, films/vidéos, images/photos non personnelles/dessins, livres/textes non personnels/ paroles de chanson) avec votre smartphone reconditionné par rapport à ce que vous faisiez précédemment avec un smartphone neuf ».

L'acheteur pourra répondre :

  • « Je copie globalement moins à hauteur de près de : …. % »
  • « je copie globalement plus à hauteur de près de : ….% »
  • « je ne sais pas ».

Si ces répondants expliquent qu’ils copient disons 30 % moins que sur leur ancien téléphone, les ayants droit pourront réclamer un barème en rapport. Le premier avantage sera, disions-nous, de sécuriser les perceptions sur les futures ventes en reconditionné.

Cette technique fondée des chiffres globaux a un autre mérite : sacraliser les anciennes études d’usages, alors même qu’elles souffraient de nombreuses fragilités.

Explications. Suite à une énième procédure CADA, nous avions diffusé en 2020 les questionnaires relatifs aux Smartphones et Tablettes, mais également les réponses afférentes. Ces documents de 2017 avaient par la suite servi à déterminer les barèmes définitifs publiés au Journal officiel le 22 septembre 2018. 

étude d'usage tablette smartphone copie privée

Dans les résultats, l’Institut CSA avait toutefois relevé plusieurs fois la faiblesse des bases de réponses. Selon notre décompte, par 86 fois, la mention « base faible » était apparue dans le sondage relatif aux smartphones. Pour les tablettes, l’occurrence fut de 192 fois.

Quelques exemples : 621 personnes avaient répondu sur les smartphones. Mais seules 48 avaient admis avoir copié un fichier vidéo au cours des six derniers mois. 26 avaient copié un film. 17 personnes, un clip. 3 utilisateurs avaient dupliqué des épisodes de séries TV à partir d’Internet par l’intermédiaire d’un autre support… Même si de moins en moins de personnes copient, la commission avait voté des barèmes de 4 à 14 euros pour les smartphones et de 8 à 14 euros pour les tablettes.

En réclamant désormais aux acheteurs de biens reconditionnés, surtout pas le nombre de fichiers copiés, mais s’ils ont simplement dupliqué plus ou moins de fichiers qu'auparavant, les ayants droit sont en passe de construire un nouveau tarif à partir d'un ancien barème construit sur des bases « bases faibles ». Un astucieux levier pour reconditionner la redevance pour copie privée.

Blocage des sites pornos : le CSA bientôt prêt à trancher

Par : Marc Rees,
18 février 2021 à 13:57

« Nous devrions prendre les décisions dans le mois qui vient » nous confirme le CSA. Le président de l'autorité termine l’instruction du dossier initié par trois associations, en novembre dernier. Elles souhaitent le verrouillage de plusieurs sites pornos jugés trop accessibles aux mineurs.

Le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel va-t-il engager la procédure de blocage à l’encontre de Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et JacquieetMichel ? Réponse dans quelques jours selon nos informations.

La décision intervient suite à la saisine en novembre dernier du CSA par trois associations, l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique (OPEN), le Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant (COFRADE, qui compte OPEN dans ses rangs) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF).

Cette saisine est intervenue à la suite d’une réforme introduite par la loi du 30 juillet 2020 contre les violences conjugales.

L’article 227-24 du Code pénal réprime déjà le fait de fabriquer, transporter, diffuser un contenu pornographique lorsqu’il est « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».

La loi de 2020, portée par le camp LREM, est venue préciser que l’infraction reste constituée même lorsque l’accès au site pornographique est conditionné par une déclaration de majorité.

En clair, un simple clic sur « oui, j’ai plus de 18 ans », à l’entrée d’un site X, ne protège plus l’éditeur du délit. Le contrevenant risque donc trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Montant multiplié par cinq pour les personnes morales, soit 375 000 euros d’amende.

Le législateur a confié les clefs de cette régulation au gendarme de l’audiovisuel. Plus précisément, lorsqu’il constate qu’un site porno se limite à une telle déclaration d’âge, le président du CSA peut alors lui adresser une mise en demeure pour l’enjoindre à « prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé ».

Le site a ensuite quinze jours pour présenter ses observations. Et si l’injonction n’est pas suivie d’effet, Roch Olivier Maistre, actuel chef de file du CSA, peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d'ordonner son blocage d’accès chez les FAI et un déréférencement dans les moteurs.

Pour espérer une telle procédure, la COFRAD, Open, et l’UNAF avaient adressé en 2020 au président du CSA d’épais constats d’huissiers. L’enjeu ? Démontrer l’accessibilité de ces contenus X aux mineurs, et contraindre le président du CSA à « constater ».

Pornhub, Xvideos, Xnxx, Xhamster, Tukif et JacquieetMichel bientôt bloqués ? Tous les sites ne subiront pas forcément une telle restriction d’accès. JacquieetMichel, qui a multiplié les échanges avec le CSA, compte toujours généraliser My18Pass, sa solution maison basée sur OpenID destinée à vérifier « si un utilisateur a bien l’âge requis grâce au moyen, dans un premier temps, d’une vérification par carte bancaire ».

Le volet numérique du projet de loi Séparatisme adopté par les députés

Par : Marc Rees,
17 février 2021 à 10:45

Les députés ont adopté le projet de loi Séparatisme, y compris ses articles relatifs à la « haine en ligne ». Il introduit de nouvelles infractions, une transcription par avance du règlement relatif au Digital Services Act outre de nouvelles procédures de comparution immédiate. Panorama complet, avant examen au Sénat.

Sans grande surprise, le projet de loi Séparatisme (devenu celui confortant les principes de la République) a été adopté par 347 pour, 151 contre. 65 députés se sont abstenus. L'épisode parlementaire a permis à Laetitia Avia de réchauffer plusieurs dispositions qu’elle avait portées lors de sa proposition de loi contre la haine en ligne.

Devenue rapporteure du projet de loi, elle a pu ainsi sauver des articles qui furent censurés par contamination par le Conseil constitutionnel. Pour mémoire, toute sa proposition de loi avait été architecturée sur l’obligation de retrait en 24 h ou 1 h des contenus haineux ou « terroristes ». L’incompatibilité flagrante de ces dispositions avec les textes fondateurs avait contraint les Sages à trapper la quasi-totalité de son texte, texte que la députée affirmait mordicus conforme durant les débats.

Délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations

À l’article 18, le projet de loi déposé par le gouvernement introduit d’abord une nouvelle infraction dans le Code pénal. Elle vient condamner la pratique de doxing, lorsque ces divulgations d'informations personnelles sont faites dans un but malveillant.

Voilà la future disposition : 

« Art. 223-1-1. – Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne mineure, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.  »

Il est une alternative à l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, celui contre lequel de nombreuses manifestations avaient été organisées. Avec des différences néanmoins.

Il ne s’agit plus seulement de protéger l’image du visage des policiers, diffusés sur Internet dans un but malveillant. Et le nouveau texte n'est plus dans la loi de 1881, mais dans le Code pénal. La surface de frappe est donc considérablement élargie, pas seulement sur le terrain de la prescription.

Durant les débats, plusieurs voix se sont opposées à cette disposition, introduite en réaction à l’assassinat de Samuel Paty. « Pardonnez-moi de le formuler ainsi, mais l’article 18 s’appuie sur une seule étude d’impact, le meurtre de Samuel Paty, et résulte d’une réaction à chaud. Nous craignons, dans ces conditions, qu’il ait des conséquences négatives non anticipées » a ainsi regretté le député LFI Éric Coquerel. Ce « nouveau délit prévu à l’article 18 ne fait-il pas courir un risque de détournement de certaines procédures ? » s’est interrogé Frédéric Reiss LR.

Dans une série d’amendements de suppression, Frédérique Dumas (Libertés et Territoires) a considéré que cet article « écorne la liberté puisqu’il existe un risque d’autocensure ». Ainsi, « si l’on ne peut plus divulguer d’informations sur la vie professionnelle d’un individu, les journalistes peuvent s’autocensurer ».

Pour vanter au contraire ses mérites, Laetitia Avia a d’abord tenté de couper les ponts avec la sulfureuse proposition de loi sur la sécurité globale. « Vos interventions, chers collègues, ont souvent mentionné l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Pour toute question relative à ce texte, je vous renvoie au travail d’auditions et de concertation que mène la présidente de la commission des lois, Mme Yaël Braun-Pivet, pour déterminer l’opportunité d’y apporter des évolutions ». Et celle-ci d’ajouter « plutôt que d’être obsédés par l’article 24, concentrons-nous sur le texte dont nous avons à débattre ».

Le 18 du projet de loi n’aurait donc rien à voir avec le 24 de la proposition de loi, et ne gênerait en rien la liberté de la presse. « Si l’intention est d’informer, alors l’article 18 n’a pas vocation à s’appliquer », dixit le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. « Contrairement à ce que prétendent les députés de la France insoumise, ce n’est pas flou : l’intention de nuire n’est pas celle d’informer » précise-t-il au fil des débats.

Il fallait s'y attendre : les amendements qui visaient à préserver « le droit d’informer » de ce champ infractionnel ont tous été repoussés. Éric Coquerel n’a su convaincre lorsqu’il décrivit ce scénario : « des policiers peuvent facilement, lors d’une manifestation, présupposer une intention de nuire et agir de manière préventive en plaçant par exemple des personnes en garde à vue ou en leur confisquant leur matériel ».

Certes, un tribunal sera saisi et donnera raison à terme au journaliste… mais a posteriori. Et trop tard. « Vous devrez répondre des cas où ceux qui seront accusés d’avoir cherché à nuire devront passer par la garde à vue avant de pouvoir démontrer qu’ils n’ont aucune volonté de nuire. Il y aura là, de fait, une interdiction d’informer le plus largement possible » a appuyé Olivier Faure (PS).

Au final, l’infraction adoptée par les députés contient deux éléments : un élément matériel, soit le fait de « révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser ». Et un élément intentionnel, la transmission de ces informations dans le but d’exposer la personne ou les membres de sa famille « à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

Les députés profitent d’une circonstance aggravante, non les handicapés

L’article est taillé pour protéger les personnes des pratiques dites de doxing (divulgation des données personnelles), non sans prévoir une circonstance aggravante au bénéfice de certaines d’entre elles.

Les sanctions seront en effet plus lourdes lorsque les faits viseront une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, titulaire d’un mandat électif public ou enfin les mineurs. De trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, on passe à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Les amendements qui visaient à ajouter à cette liste, les personnes vulnérables ou en situation de handicap n’ont pas été adoptés. Laetitia Avia a bien « cherché à sous-amender les amendements proposés, mais les modifications auraient été trop substantielles pour faire l’objet de sous-amendements et permettre leur adoption ». Le sujet pourrait être retravaillé avec les sénateurs.

En attendant, le groupe Agir a par contre obtenu un vote favorable pour bien préciser que « les personnes concernées par cette circonstance aggravante sont notamment les parlementaires et les élus locaux ». 

L’amendement Zemmour

L’article 18 a été voté par 97 voix pour, 10 contre, dans un hémicycle conquis à la majorité LREM.

Par la suite des échanges, un amendement 2092 a fait l’objet de nombreuses discussions. Déposé par le groupe Agir ensemble, il visait à permettre aux juges d’ordonner, à titre de peine complémentaire, la diffusion de la condamnation d’une personne sur les chaînes de télévision.

Pour ses instigateurs, « il s’agit notamment de permettre aux juges d’ordonner cette obligation de diffusion d’une condamnation pour incitation à la haine sur les chaînes de télévision qui emploieront ou inviteront une personne condamnée, jusqu’à deux mois après sa condamnation ».

En bref, un moyen d’informer les téléspectateurs ou les auditeurs sur les condamnations prononcées « contre des personnalités invitées ou employées par des chaînes de télévision », et donc de rappeler que tel éditorialiste sulfureux a été condamné pour injure et provocation à la haine, au hasard contre l’islam ou l’immigration...

Laetitia Avia, si prompte à vouloir lutter contre ces infractions sur les réseaux sociaux, s’est opposée à une telle disposition : « je ne voudrais pas qu’on puisse nous reprocher de prendre une mesure aussi lourde de conséquences que celle-ci alors que nous n’avons pas organisé la moindre audition sur le sujet et que nous n’avons pas consulté les acteurs concernés ».

Le garde des Sceaux a embrayé dans le même sens : « Cette proposition revient à créer une forme de responsabilité du fait d’autrui, en obligeant la chaîne concernée à supporter un préjudice à raison d’un fait qu’elle n’a pas commis – à moins de considérer qu’inviter une personne condamnée est en soi une faute justifiant une sanction, mais ce n’est pas l’état du droit ».

Frédérique Dumas, très aiguisée, a été surprise du rejet de cet amendement rapidement baptisé « amendement Zemmour » par le député Sébastien Jumel. Et ce, alors que le gouvernement a introduit un amendement de « dix pages » visant à retranscrire le Digital Service Act, sans l’ombre d’une concertation.

Et Avia n’a pas suggéré cette fois de retravailler ce sujet au Sénat, ou qu’il soit aiguisé durant les débats à venir, avec arbitrage en Commission mixte paritaire.

« Si cet amendement était adopté, ce serait une ignominie démocratique à l’encontre de la liberté d’expression. Vous avez cité la cible, certains viennent de la confirmer : un journaliste, qui a des convictions. Et ces convictions méritent d’être défendues… » ne s’est pas prié de commenter le très droitier Éric Ciotti, Des « convictions » quand les initiateurs de l’amendement ciblaient des condamnations pénales.

Lutte contre les sites miroirs

À l’article 19, le projet de loi consacre de nouveaux outils pour lutter contre les sites miroirs. Une autorité publique pourra réclamer blocage et déréférencement des répliques (identiques ou « équivalentes »), directement chez les FAI, les hébergeurs et les moteurs. Sans passer par la case juge, sans contrôle externe.

Le juge reviendra dans la boucle si l’autorité n’obtient pas gain de cause : « lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement desdits services en application du présent article, l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services. »
Cette mesure concerne les infractions suivantes :

  • apologie des atteintes volontaires à la vie, à l’intégrité de la personne, des agressions sexuelles, vols, extorsions et destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes (cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
  • apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage, d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi (cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
  • provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (septième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
  • provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap (huitième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881) ;
  • propos relevant du harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal) ;
  • traite des êtres humains (article 225-4-1 du Code pénal) ;
  • proxénétisme ou assimilé (articles 225-5 et 225-6 du Code pénal) ;
  • enregistrement ou diffusion d’images pédopornographiques (article 227-23) ;
  • fabrication, transport ou diffusion d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger (article 227-24 du Code pénal) ;
  • provocation à des actes de terrorisme ou apologie de tels actes (article 421-2-5 du Code pénal).

Une liste très longue, qui concernera aussi les sites pornographiques simplement accessibles aux mineurs. L’amendement a été taillé néanmoins pour lutter contre Democratie Participative, du nom du site raciste et homophobe plusieurs fois bloqué, mais sans cesse sur le retour.

Il a été enrichi en séance. Ainsi, l’autorité administrative tiendra une liste à jour des sites bloqués, miroirs compris, qu’elle mettra à disposition des annonceurs et autres régies de pub’. L’espoir ? Que ces services en ligne voient leurs ressources financières se raréfier. La fameuse approche Follow The Money.

Dans un amendement 657, Éric Bothorel a bien tenté d’améliorer encore son efficacité. Son souhait ? Que l’autorité administrative (très certainement l’OCLCTIC) puisse réclamer des mesures de restrictions à « toute personne » susceptible de contribuer à empêcher l’accès aux miroirs. Et pour cause, « entre le contenu et ceux qui peuvent agir, il y a bien plus que des hébergeurs ou des fournisseurs d’accès à internet : il y a aussi des navigateurs et d’autres acteurs qui protègent les sites, y compris parfois des sites d’État, et qui tronquent les adresses IP ».

La rapporteure Laetitia Avia s’y est lourdement opposée au motif que « l’action visée s’inscrit dans le cadre de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, ou LCEN, qui distingue trois catégories juridiques d’acteurs : les FAI, ou fournisseurs d’accès à internet, les hébergeurs et les éditeurs. Or ceux que vous visez n’appartiennent pas à ces catégories ».

Et la députée LREM d’insister : « il ne faut surtout pas donner à l’autorité administrative des pouvoirs dont même un juge ne dispose pas ». Elle a suggéré un retrait d’amendement, tout comme Cédric O, à charge de trouver une nouvelle rédaction durant la navette.

La prétranscription du Digital Services Act

Cette mesure introduite par amendement gouvernemental et de Laetitia Avia vient bouleverser le calendrier européen, puisque la Commission européenne a dévoilé sa proposition de règlement destiné à revoir les obligations pesant sur les acteurs du web en décembre dernier.

Sans attendre la fin de ces travaux européens, la France a fait son marché pour introduire dans notre droit des obligations présentes dans le texte bruxellois. « Il s’agit d’un article essentiel pour la lutte contre la haine en ligne », dixit Laetita Avia.

Mais l'article a été lourdement critiqué par les députés des autres bords. Pour Frédérique Dumas, « alors qu’un travail commun est en cours, les autres pays doivent se demander pourquoi nous prenons un bout du projet pour l’appliquer à notre législation nationale, alors même que sa base juridique n’est pas consolidée. Ce n’est pas la meilleure méthode si nous voulons convaincre d’autres pays ! »

Sous l’égide du CSA, une pluie de nouvelles obligations pèsera sur les épaules des plateformes en ligne. Un déluge même puisque l’article en question fait sept pages.

  • Ils mettent en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant :
    1. D’informer, dans les meilleurs délais, les autorités judiciaires ou administratives des actions qu’ils ont mises en œuvre à la suite des injonctions reçues
    2. D’accuser réception sans délai des demandes des autorités judiciaires ou administratives tendant à l’identification des utilisateurs
    3. De conserver temporairement les contenus signalés qu’ils ont retirés
  • Ils désignent un point de contact unique
  • Ils mettent à la disposition du public, de façon facilement accessible, leurs CGU où «  ils y décrivent en
    termes clairs et précis leur dispositif de modération visant à détecter, le cas échéant, à identifier et à traiter ces contenus, en détaillant les procédures et les moyens humains ou automatisés employés à cet effet ainsi que les mesures qu’ils mettent en œuvre affectant la disponibilité, la visibilité et l’accessibilité de ces contenus
    »
  • Ils rendent compte au public des moyens mis en œuvre et des mesures adoptées pour lutter contre la diffusion des contenus haineux
  • Ils mettent en place des dispositifs d’alertes
  • Ils mettent en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant
    1. D’accuser réception sans délai des notifications visant au retrait d’un contenu
    2. De garantir l’examen approprié de ces notifications dans un prompt délai
    3. D’informer leur auteur des suites qui y sont données
    4. D’en informer l’utilisateur à l’origine de sa publication, si ces acteurs décident de retirer (même si le contenu est pédopornographique ou terroriste…). Les raisons sont données et il est informé des voies de recours
      Ils mettent en œuvre des dispositifs de recours interne permettant de contester les décisions relatives aux contenus (retrait ou non)
  • Ils exposent dans leurs conditions d’utilisation, en des termes clairs et précis, ces procédures de retrait, pouvant conduire à des résiliations de compte pour les cas les plus graves (car répétés)
  • Les acteurs dépassant un seuil de connexion devront évaluer les risques systémiques liés à leurs services. Ils devront mettre en place des mesures destinées à atténuer les risques de diffusion des contenus illicites rattachés à la liste.
  • Ils doivent rendre compte au CSA des procédures et moyens

Dans le même temps, le CSA se voit doter de tout un arsenal de moyens pour contrôler ces obligations. Quand un acteur ne se conforme pas à ses mises en demeure, il encourra une amende pouvant atteindre 20 millions d’euros ou 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent (le montant le plus élevé étant retenu).

Un «permis » Internet, ou plutôt une simple attestation

La mesure a là aussi été voulue par Laetita Avia. Ce pseudo-permis prendra surtout la forme d’une attestation que recevront les élèves en fin de primaire ou collège. Elle attestera « qu’ils ont bénéficié d’une sensibilisation au bon usage des outils numériques et des réseaux sociaux ainsi qu’aux dérives et aux risques liés à ces outils. »

Une révolution de papier. Le Code de l’Éducation prévoit déjà que ces élèves reçoivent une « formation à l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques » qui comporte « une éducation aux droits et aux devoirs liés à l'usage de l'internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle, de la liberté d'opinion et de la dignité de la personne humaine, ainsi qu'aux règles applicables aux traitements de données à caractère personnel ». 

Cette formation doit aussi contribuer « au développement de l'esprit critique, à la lutte contre la diffusion des contenus haineux en ligne et à l'apprentissage de la citoyenneté numérique ». Et comporte « également une sensibilisation sur l'interdiction du harcèlement commis dans l'espace numérique, la manière de s'en protéger et les sanctions encourues en la matière ».

Pas suffisant aux yeux de Laetitia Avia qui veut consacrer cette formation par une attestation axée notamment sur les risques.

Ajoutons que le projet de loi introduit aussi la possibilité de comparution immédiate pour certaines infractions au droit de la presse.

« Si l’on soumet ces prévenus à une comparution immédiate, la décision judiciaire pourra s’inscrire dans le temps rapide des réseaux sociaux. Si elle est prononcée suffisamment vite, la peine produira pleinement l’un de ses effets nécessaires, celui d’exemplarité, non pas seulement sur l’opinion publique, mais aussi sur la personne condamnée, qui songera : "J’ai commis une faute, j’ai été sanctionné ; je ne récidiverai pas." Une telle vertu pédagogique de la peine est importante », estime Laetitia Avia.

Même avis d'Éric Dupont Moretti : « ceux qui, le lundi, diffusent la haine en ligne, ce véritable poison de notre société, pourront être jugés le mardi, si le dossier le permet : voilà qui parle au justiciable, voilà qui fait véritablement exemple. Les gamins doivent savoir qu’il n’est plus possible de raconter impunément n’importe quoi sur les réseaux sociaux ».

La CNIL refroidit l’appétit de Big Brother Bercy

Par : Marc Rees,
15 février 2021 à 15:50

Au Journal officiel ce week-end, Bercy a publié l’un des derniers coups de truelle de son chantier destiné à chaluter les réseaux sociaux et autres plateformes pour trouver des indices de fraudes. Un chantier validé par le Conseil constitutionnel, modulo un strict encadrement, rappelé par la CNIL dans sa délibération.

Derrière le hashtag #BigBrotherBercy, on trouve la possibilité pour les services fiscaux « d'une part, de collecter de façon indifférenciée d'importants volumes de données, relatives à un grand nombre de personnes, publiées sur de tels sites et, d'autre part, d'exploiter ces données, en les agrégeant et en opérant des recoupements et des corrélations entre elles ». Voilà en quelques mots comment les neuf Sages résumèrent cette disposition née de la loi de finances pour 2020.

Au fil d’une expérimentation sur trois ans, les fins limiers de Bercy se voient depuis autorisés à collecter les données ouvertes sur les réseaux sociaux, les plateformes de vente et plus globalement tous les sites de mises en relation. La finalité ? Après traitement automatisé, déceler des débuts de commencement de traces de fraudes en matière de commerce illicite (drogue, tabac) ou encore de domiciliation à l’étranger.

Ce 13 février 2020, au Journal officiel, a été publié le décret « portant modalités de mise en œuvre par la direction générale des finances publiques et la direction générale des douanes et droits indirects de traitements informatisés et automatisés permettant la collecte et l'exploitation de données rendues publiques sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne ».

Il vient rythmer en deux séquences l’expérimentation programmée voilà de longs mois par le législateur : une phase d’apprentissage suivie par une phase d’exploitation. Il s’agira en pratique de développer d’abord des outils puis déceler ensuite les indélicatesses à la législation fiscale.

Le cas échéant, ces données seront transmises à des agents de la Direction générale des finances publiques ou celle des douanes pour qu’un contrôle plus individualisé soit orchestré. « Les données ouvertes qui seront utilisées ne serviront que d’indices qui, croisés avec d’autres données, peuvent conduire l’administration à ouvrir un contrôle », nous avait précisé Bercy en 2018.

« En aucun cas des redressements n’interviendront sur la seule base de telles données, insiste la direction, et il n’y aura aucune inversion de la charge de la preuve : il incombera toujours à l’administration de démontrer la fraude, sur la base d’éléments objectifs. Il ne s’agit donc absolument pas d’une surveillance généralisée de tous les Français ».

La phase d'apprentissage et de conception

Cette première phase avait été annoncée en novembre 2019 dans un amendement de la majorité LREM. Selon les explications des élus, « un algorithme auto-apprenant sera développé afin de déterminer des indicateurs permettant de cibler les infractions visées par le dispositif, sur la base d’une base de données anonymisées ».

Au Journal officiel, samedi, plus d'un an après le vote du projet de loi de finances, le décret confirme cette logique. Durant cette phase initiale, des outils « de collecte et d'analyse des données » seront développés afin « d'identifier des indicateurs (…) tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux ». Ces mêmes indicateurs permettront ensuite de caractériser les manquements et infractions recherchés.

Pour cet essai grandeur nature, Bercy va travailler d’abord sur des listes d’entreprises ou de personnes physiques préalablement identifiées par son traitement de data mining « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (ou CFVR). Soit une centaine d'entreprises pour la recherche d'activités occultes, et une dizaine de personnes physiques s’agissant des fausses domiciliations à l'étranger.

Prenons l’exemple d’une fraude à la domiciliation fiscale où un contribuable affirme vivre six mois et un jour à l’étranger, en espérant échapper à l’impôt français alors que ses activités en ligne démontrent une autre réalité. Les services vont développer d’abord « un outil permettant d'associer une personne physique à ses comptes détenus sur les plateformes en ligne », dont les réseaux sociaux.

Ensuite, à partir d’un échantillon, seront aspirés tous « les contenus des pages permettant d'identifier des lieux géographiques qui peuvent notamment être des écrits, des images, des photographies, des sons, des signaux ou des vidéos ».

Enfin, ce stock d’informations sera croisé « avec des bases de données de lieux géographiques et des moteurs de recherche spécialisés dans l'identification des lieux correspondant à des images, afin d'identifier des indicateurs de lieux géographiques ». Reconnaissance de bâtiments, d’adresses, exploitation des coordonnées géolocalisées associées aux métadonnées d’une photo, tout peut être envisagé…

S’agissant de la vente de tabac ou de drogues illicites, même logique : la DGFIP compte identifier les « titulaires des pages internet analysées », tout en exploitant « les photographies des produits vendus, les données d'expédition de la marchandise et les données permettant de mesurer l'audience de la page, l'ancienneté et l'activité du profil et de l'annonce ».

Durant cette première période, toutes les données personnelles collectées seront effacées puisque l’objectif est « seulement » de disposer d’outils de collecte après cette mise à l’épreuve dans l’océan Internet.

La phase d'exploitation des données

Comme l’exploitant agricole après avoir vérifié ses engins et aiguisé ses fourches, le ministère sera ensuite prêt pour la moisson, armé de ses « indicateurs ». Les données chalutées seront ensuite transférées dans le data mining du CFVR pour « vérifier si la personne ne s'est pas fait connaître de l'administration ».

Au fil de l’eau et des manquements recherchés, les services seront amenés à brasser états civils, identifiants de profil, pseudonymes, adresses, numéros de téléphone, adresses électroniques, photographies, données d'expédition de marchandises, activités d’un profil et d’une annonce, etc.

L’appétit de Bercy, le rappel de la CNIL

Saisie pour avis, la CNIL considère dans sa délibération que ces deux phases obéissent à deux régimes juridiques différents. La phase d'apprentissage relève du RGPD, celle de l’exploitation des données, de la directive Police-Justice.

Mais au-delà, on découvre surtout les appétits des services fiscaux qui ont tenté de raboter au maximum les garanties imposées par le législateur et la décision du Conseil constitutionnel, à savoir que la collecte et l’exploitation ne visent que les contenus :

  • librement accessibles sur les sites des opérateurs de plateforme
  • manifestement rendus publics par leurs utilisateurs

Lorsqu’ils validèrent cette disposition, dans sa quasi-totalité, les neuf Sages prirent en compte le fait que « ne peuvent être collectés et exploités que les contenus se rapportant à la personne qui les a, délibérément, divulgués ».

API et webscraping

Dans le décret, le ministère s’est d’abord réservé la possibilité de créer des comptes via les interfaces de programmation mises à disposition par les opérateurs de plateforme.

Selon la CNIL, il « entend utiliser des API (interfaces de mise à disposition des données des sites) proposées par les plateformes ou les réseaux sociaux, et/ou des techniques de "webscraping" (techniques d'extraction du contenu de sites, via des scripts ou des programmes automatisés) pour collecter les données des plateformes et des réseaux sociaux. »

Cette technique permettra à la DGFIP de passer entre les lames des solutions de sécurité mises en place par les plateformes pour prévenir les usages massifs.

Toutefois, lors d’un échange avec Bercy, la CNIL a découvert une doctrine fiscale pour le moins éloignée de celle espérée par le législateur. Les données « librement accessibles » visées par Big Brother Bercy seraient aux yeux de la DGFIP toutes celles « publiées sur les plateformes et les réseaux sociaux sans paramètre de confidentialité spécifique ou avec un paramétrage de confidentialité public ». Et donc, toutes celles « qui ne sont pas publiées en mode privé ou en accès restreint à un cercle de contacts, quelles que soient les modalités techniques utilisées pour les collecter ».

De même, dans son projet de décret soumis à l’avis de l’autorité, le ministère a estimé que les commentaires pouvaient parfaitement être alpagués.

Interrogé par la CNIL, il « fait valoir le caractère public - par nature - des commentaires publiés sur les sites marchands au regard de leur modèle économique ainsi que la connaissance, par les utilisateurs de ces sites marchands, des paramètres de confidentialité retenus ». Et pour les réseaux sociaux, même logique : « les utilisateurs ont également la possibilité de configurer les paramètres de confidentialité de leurs pages, en l'absence de paramétrage spécifique, de suppression des contenus concernée ou de signalement effectué auprès de la plateforme concernée, l'utilisateur les divulgue délibérément ».

Un peu court…La Commission a une interprétation beaucoup plus stricte et fidèle au texte initial : un contenu librement accessible doit être... librement accessible.

Des contenus vraiment publics, divulgués par la personne concernée

De cette tautologie, elle en déduit que l’expression vise « les contenus auxquels un utilisateur non inscrit ou sans enrôlement préalable (création de compte, fourniture de certaines informations pour créer un identifiant ou toute autre forme d'inscription) sur une plateforme ou un réseau social pourrait avoir accès, sans saisie préalable d'un mot de passe ».

De même, « pour être manifestement rendus publics les contenus doivent être délibérément divulgués par la personne titulaire du compte ou de la page ce qui implique incontestablement une action volontaire de sa part ». À contrario, « la simple absence de mise en place d'un paramétrage de confidentialité spécifique par exemple ne suffit pas à caractériser qu'une personne a délibérément divulgué un contenu ».

La Commission a donc demandé une modification du décret final, qui prévient désormais au Journal officiel que « seuls les contenus se rapportant à la personne qui les a délibérément divulgués et dont l'accès ne nécessite ni saisie d'un mot de passe ni inscription sur le site en cause peuvent être collectés et exploités ».

De même, le texte indique que « lorsque la personne est titulaire sur internet d'une page personnelle permettant le dépôt de commentaires ou toute autre forme d'interactions avec des tiers, ces commentaires et interactions ne peuvent faire l'objet d'aucune exploitation ».

Cachez ce hashtag 

Relevons au final que Bercy entendait aspirer également des données relatives aux « contenus de toute nature, y compris diffusés en temps réel ».

Dans les échanges avec la CNIL, il a précisé que cette expression recouvrait principalement les « hastags » outre, selon la Commission, « l'ensemble des publications quel que soit leur format informatique (par exemple des codes chiffrés, des algorithmes, …) dès lors qu'ils sont librement accessibles et manifestement rendus publics par l'utilisateur de la plateforme ». L’expression ne se retrouve plus dans le texte finalement publié.

Redevance Copie privée : « Si on doit payer, on va juste tuer la filière du reconditionnement »

Par : Marc Rees,
11 février 2021 à 09:20

Le projet d’assujettissement des produits reconditionnés à la redevance copie privée irrite le secteur. SOFI Groupe, société derrière le site Smaaart, s’interroge sur la cohérence gouvernementale, non sans fournir plusieurs chiffres sur les conséquences d'un chantier soutenu bec et ongles par le ministère de la Culture.

Faire tomber les biens reconditionnés dans le champ de la redevance pour copie privée, voilà la nouvelle marotte des industries culturelles. Tout en continuant de frapper les téléphones, box, tablettes, clés USB, cartes mémoires, GPS à mémoire, disques externes et bientôt les ordinateurs neufs, les bénéficiaires de cette ponction reluquent avec appétit les biens de seconde vie.

Une étude d’usages est sur la rampe de la Commission copie privée. Elle devrait être financée par les seules sociétés de perception de ces sommes (SACEM, ADAMI, SPEDIDAM, SPPF, SCPP, SACD, etc.). L’objectif ? Mesurer les pratiques de copie sur ces biens, puis déterminer un barème, publié au Journal officiel dans les prochains mois. Le ministère de la Culture soutient sans surprise l’initiative. Depuis, une bataille s’organise avec d’un côté, la filière du reconditionné, épaulée du bout des lèvres par Cédric O au numérique et Barbara Pompili à l’Environnement. Et de l’autre, les sociétés de gestion collective et la Rue de Valois.

Après Recommerce, un autre acteur, SOFI Groupe, a bien voulu témoigner dans nos colonnes des conséquences d'un tel chantier, non sans revenir sur l’action intentée par Copie France, le collecteur de la redevance pour les sociétés de gestion collective.

L’entreprise basée à St-Mathieu-de-Tréviers en France, au nord de Montpellier, fut créée en 1986. À ses origines, elle était uniquement spécialisée dans la réparation de matériels électroniques dans les télécoms. « Cela fait 35 ans qu’on fait ce métier, en ayant géré en sous-traitance pour le compte d’opérateurs et de constructeurs, la remise en état de matériel sur le territoire » se souvient Jean Christophe Estoudre, son président.

35 ans, mais « un fleuve non tranquille ». La société était l’une des briques du groupe Anovo, lui aussi spécialisé dans la maintenance électronique. Dans les années 2010, des difficultés de gestion stoppent l’aventure. Dépôt de bilan, fermeture d’une dizaine de sites sur les 25 à l’actif… Et parmi eux, SOFI Groupe. Plusieurs cadres décident alors d’investir leurs indemnités de licenciement dans la reprise de l’entreprise montpelliéraine. « On voulait préserver l’activité en France, les emplois et les compétences acquises ».

« Avoir une industrie électronique en France est extrêmement rare aujourd’hui et cela reste difficile à maintenir en raison des coûts structurels face à des pays qui pratiquent le low cost. Nous croyons tout de même à notre savoir-faire. Nous essayons d’avoir une entreprise à l’équilibre, de préserver des emplois. Nous avons une centaine de collaborateurs aujourd’hui, le double par rapport à 2011. C’est un combat de tous les jours » témoigne Jean Christophe Estoudre.

En 2017, la société s’est diversifiée. En plus de son activité de réparation et maintenance, elle s’ouvre au marché du reconditionné. Elle dépose sa marque Smaaart, pour se spécialiser dans cette seconde vie des smartphones et autres tablettes. Une marque « qui se pose sur l’économie circulaire, l’emploi en France, où les produits sont achetés en France, renvoyés dans nos locaux près du Pic St Loup. Nous faisons attention à notre empreinte carbone, tout en conjuguant notre activité dans une démarche sociale ».

La réalité économique n’est pas simple face à la concurrence étrangère : « on essaye de progresser en terme de chiffre d’affaires. Derrière la vente d’un téléphone reconditionné, il y a de l’emploi en usine. Le marché est très concurrentiel avec des acteurs étrangers installés dans des pays low cost, Europe de l’est et Asie notamment. Pour garder le cap, nos niveaux de marges sont très faibles. Ça ne fait rien, on y croit. Nous avons 25 % de croissance chaque année sur notre chiffre d’affaires, mais en tirant le diable par la queue, donc avec des niveaux de marge qui nous permettent d’être à l’équilibre ».

Fin 2019, l'assignation de Copie France 

Fin 2019, la douche froide. Une lettre recommandée avec accusé de réception. Dans l’enveloppe ? « Une assignation de Copie France, qui n’a jamais pris soin de communiquer préalablement avec nous. La société nous réclame le versement de la redevance pour copie privée comme si les produits reconditionnés étaient assujettis au même titre que les smartphones neufs ».

Car si la question de ces biens en seconde vie est arrivée très récemment en Commission Copie privée, sur le front Copie France avait pris les devants. Elle a assigné des dizaines d’entreprises, en considérant que ces téléphones revendus devaient être soumis au même barème que les téléphones neufs.

L’entreprise française, qui reconditionne en s’approvisionnant sur le marché français, a du mal à comprendre. « Pourquoi avec un tel mécanisme de dédommagement calculé sur la durée de vie d’un produit, nous aboutissons à des smartphones taxés une seconde fois alors qu’on essaye de prolonger cette durée ? ». Selon le chef d’entreprise, pas de doute : « si on doit payer, on va juste tuer la filière du reconditionnement ».

Déjà, les ayants droit de Copie France n’ont pas fait dans la demi-mesure. « Et même dans l’arbitraire », corrige Jean-Christophe Estourdre.

Explications : « Nos chiffres sont publiés sur Societe.com. Nous pensons qu’ils ont donc pris notre chiffre d’affaires sur cinq ans, en estimant je ne sais trop comment le panier moyen d’un Smartphone. Ils ont divisé le chiffre d’affaires par le panier moyen pour arriver à un volume d’unités. Et ils ont appliqué le barème de la redevance, sans même nous demander combien de produits avaient été reconditionnés. Ils sont même remontés jusqu’à 2015 en considérant que la totalité du chiffre d’affaires résultait de cette activité… que nous avons débuté en 2017 ! »

Avec sa méthode bulldozer, Copie France lui réclame un chèque de 678 000 euros. En prenant en compte les deux dernières années, l’entreprise pourrait même avoir à débourser près de 1,6 millions d’euros. Une paille.

Pour défendre leur appétit, les membres de Copie France tentent de relativiser, communiqué à l'appui. « La rémunération pour copie privée ne représente que 3 à 4 % du prix d’un téléphone reconditionné, vendu en moyenne 332 euros ».

18,33 euros de marge, puis 12 euros de copie privée 

Jean-Christophe Estoudre conteste, avec un exemple parlant. Un iPhone 8 disposant de 64 Go d’espace de stockage est racheté par SOFI Groupe à peu près 150 euros, hors taxes.

Puis vient le processus de reconditionnement, totalement internalisé. « Les données sont effacées. Nous réalisons un audit, un diagnostic, un contrôle qualité et le processus de reconditionnement. Là-dessus il faut compter aussi sur les couts de commercialisation, la mise en stock et évidemment la livraison. Ces opérations représentent un cout de 65 euros, soit un total de 215 euros. On le vend 280 euros TTC, soit 233,33 hors taxes. Notre marge est donc de 18,33 euros ».

Mais sur ces 8 % de marge, il faut ensuite déduire les frais généraux, les ressources humaines, le marketing, l’administratif, le loyer, l’énergie, les impôts. « Au final, il ne nous reste pratiquement rien. On est juste à l’équilibre ».

«  Dès lors, lorsque Copie France réclame 12 euros de redevance sur les 18,33 euros restants, cela signifie qu’on va donner 65,5 % de notre marge. Presque les deux tiers, quand le tiers restant ne nous permettra pas de financer nos charges. On ne sera plus à l’équilibre, mais en déficit, alors qu’au même moment, des acteurs étrangers échappent à tous les prélèvements, TVA de 20 % + écoparticipation + Copie privée »

Autre commentaire du président de SOFI Groupe : « il faut évidemment être solidaire avec la Culture, mais ce ne peut être au détriment de notre filière. On ne peut attaquer des gens arbitrairement. Les seuls qui survivront seront ces acteurs étrangers qui échappent à toutes les taxes ».

Érences et cohérence 

Le chef d’entreprise cherche aussi la cohérence dans cette décision portée par le ministère de la Culture : « Est-ce qu’on veut vraiment réindustrialiser ? Nous avons souffert nous aussi du Covid. L’entreprise sera en perte cette année, mais nous essayons de nous battre pour maintenir cette filière vertueuse. Aujourd’hui, les pouvoirs publics soutiennent plusieurs lois relatives au reconditionnement, à l’économie circulaire. C’est vertueux pour l’environnement, cela crée de l’emploi en France».

L’entreprise, aujourd’hui en S.A.S, projette d’ailleurs de changer de statut dans les six prochains mois pour migrer vers une entreprise à mission sociale et environnementale. Alors qu’elle forme de nombreux jeunes déjà, « nous allons retrouver beaucoup d’acteurs, des entreprises d’insertions, des travailleurs handicapés… ». Conclusion : « On ne peut pas favoriser la culture en défaveur de l’économie sociale et solidaire et de la lutte pour l’environnement ! »

« Nous avons fait un calcul au sein du SIRRMIET [pour Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms, ndlr]. La filière représente 2 000 emplois avec 280 millions d’euros en volume d’affaires. Tout cela risque de disparaître au profit d’acteurs étrangers qui échappent à cette redevance ».

Ne pas augmenter le prix des reconditionnés, exhorte HOP

L’association Halte à l’Obsolescence programmée s’est également emparée du sujet. HOP « regrette un manque de vision globale des enjeux de la transition écologique et enjoint le Gouvernement à veiller à ne pas augmenter in fine le prix des appareils reconditionnés ».

« Le gouvernement avec la loi Anti-Gaspillage et Économie Circulaire (AGEC) souhaite encourager l’achat de biens reconditionnés plutôt que neufs en vue d’allonger la durée de vie des produits, ainsi que la réparation (indice réparabilité, fonds réparation et réemploi…). Or, ce secteur émergent reste fragile et doit rester compétitif pour être attractif aux yeux des consommateurs » ajoute-t-elle.

Elle souligne que dans un cycle de vie d’un smartphone, « la phase de fabrication est la plus impactante au niveau environnemental (et social) : 70 kg de matières sont nécessaires pour produire un smartphone, contenant 60 métaux différents.  Ainsi, un smartphone reconditionné permet d’éviter 45kg de CO2 émis et entre 34 et 40 kg de matières premières utilisées. »

Copie privée : comment le ministère de la Culture justifie l’assujettissement du reconditionné

Par : Marc Rees,
9 février 2021 à 15:05

Le chantier de l’extension de cette redevance culturelle aux biens reconditionnés est en cours en Commission Copie privée. Aux manettes, pas seulement les ayants droit ou le président de l’instance administrative, mais aussi et surtout le ministère de la Culture.

Depuis plusieurs mois, les ayants droit regardent croître l’univers des reconditionnés, mais non pour ses vertus écologiques, ou les bienfaits sur le portemonnaie des consommateurs.

Les intérêts se concentrent sur la redevance (ou « rémunération ») pour copie privée qui a préservé jusqu’à présent ces transactions. Si en France, la plupart des catégories de supports sont frappées, les biens en seconde vie, smartphones, tablettes, disques durs externes, sont revendus chez les reconditionneurs sans subir ce prélèvement collecté par Copie France.

En 2019, la société civile, qui compte notamment la SACEM parmi ses membres, a amassé 260 millions d’euros pour la mise en circulation en France des tablettes, des smartphones, des disques durs externes, et toutes les autres unités de stockage d’œuvres concernées.

Le paiement réalisé par l’importateur ou le fabricant vient compenser les pratiques de copies d’œuvres réalisées par les particuliers, sans la sacro-sainte autorisation des ayants droit. Mais cette rente n’est pas suffisante. Alors que de moins en moins de personnes copient, l’important est de sauver le butin en étendant la base d’assujettissement. Le mouvement a déjà été entrepris par l’extension de la ponction culturelle aux ordinateurs fixes, portables et autres disques durs nus, actuellement sur la rampe.

Le sujet de l’extension de la redevance est pour sa part arrivé comme une fleur après une réunion ministérielle. Le gouvernement aurait demandé à ce qu��il soit inscrit à l’ordre du jour de la Commission Copie privée, celle chargée d’établir barème et taux pour chaque support. Voilà ce qu’a affirmé Jean Musitelli. Le 16 décembre dernier, le président de cette instance s’est empressé de proposer une modification du programme de travail 2019/2021 pour y introduire ce sujet.

Pour les ayants droit, c’est une nouvelle venue miraculeusement du ciel. Si la réforme est validée au sein de cette commission où ils sont en forces, c’est l’assurance de faire grossir les flux de dizaines de millions d’euros, alors même que la consommation en streaming gagne chaque année du terrain au détriment des copies-à-la-papa. En sus des sommes indument prélevées sur le dos des professionnels

Le 12 janvier dernier, ils ont pu compter sur les bons conseils d’Hugues Ghenassia-de Ferran, le sous-directeur des affaires juridiques au ministère de la Culture, un temps directeur adjoint du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse.

Dans une présentation, l'énarque a étalé arguments économiques et juridiques en faveur de l’assujettissement du reconditionné.

De l’intérêt du ministère

Il faut dire qu’il existe un intérêt entre la Rue de Valois à voir grossir les flux de la redevance perçu par les ayants droit. Sur les 260 millions d’euros collectés chaque année, 25 % des sommes sont réservées par les sociétés de gestion collective afin de financer les festivals notamment.

Or, alors que ces activités culturelles sont au point mort, les mêmes sociétés peuvent désormais transformer ces aides financières au profit des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins, frappés par la crise sanitaire. Récemment, le dispositif a été étendu jusqu’à la fin 2021. Inutile de chercher les noms des bénéficiaires, une disposition empêche l’inscription de ces données nominatives sur la AidesCreation.org, base de données initiée par le législateur, après notre procédure CADA destinée à obtenir (enfin) la transparence de ces affectations. 

Dit autrement, plus le ministère soutiendra cette extension, plus les sociétés de gestion collective pourront aider leur secteur sinistré. Et plus ces sociétés disposeront de moyens, et moins le même ministère aura à se saigner de subventions. Un merveilleux exercice de poids et contre-poids. 

10 % de smartphones reconditionnés chaque année

Selon le sous-directeur des affaires juridiques, le reconditionnement « représenterait environ 10 % du nombre de téléphones vendus soit près de 1,5 million d’unités sur 15 millions (…) vendues au cours de l’année 2020 ».

Toujours d’après ses sources, non communiquées, « 86 % des ventes concernent des produits gradés en A et A+ ». À ces niveaux de qualité, ces téléphones flirteraient avec des produits neufs. Ainsi, « ces téléphones ont recouvré leurs fonctionnalités d’origine lorsqu’ils sont mis en vente et (…) il n’est donc pas possible de les assimiler à des biens d’occasion » soutient-il. Peu importe donc que ces téléphones aient déjà été entre d’autres mains et subi la redevance, du moins pour les modèles préalablement mis en circulation en France.

En supposant que ces 1,5 million d’appareils disposent d’une capacité supérieure à 64 Go, l’extension permettrait d’apporter 21 millions d’euros dans les poches des ayants droit (14 euros x 1,5 million). Chaque année.

Mis ou remis en circulation 

Sur le terrain juridique, les yeux se concentrent sur l’article L.311-4 du Code de la propriété intellectuelle.

La redevance pour copie privée, indique cette disposition, doit être versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires « lors de la mise en circulation en France » des supports. Dans les pays ayant choisi de reconnaitre la copie privée, le droit européen impose en effet la perception de cette somme pour compenser les copies d’œuvres réalisées sur « tout support ».

De ces articles, il en déduit qu’« aucune distinction n’est faite par les législateurs français et européen en ce qui concerne les supports d’enregistrement ». Il est également allé déterrer un avis du Conseil d’État de 2000, où la juridiction a défini la notion de « supports d'enregistrement » très généreusement : « tout élément matériel susceptible de fixer, de manière définitive ou temporaire, une œuvre et de la restituer en vue de sa représentation, indépendamment de la nature de cet élément, des techniques ou procédés utilisés pour la fixation de l’œuvre ».

Conclusion, « la définition des supports retenue par le législateur et par la jurisprudence est très générale et n’opère aucune distinction selon que le support est de première main ou reconditionné ».

En clair, le droit en vigueur n’interdirait pas l’assujettissement des biens reconditionnés. Au contraire. La Cour de justice de l’Union européenne a exigé d’une part que la redevance soit calculée « sur la base du préjudice causé aux auteurs des oeuvres protégées à la suite de l’introduction de l’exception de copie privée », d’autre part, que la perception soit effective, en ce sens que pèse sur les États membres une obligation de résultat : s’ils reconnaissent la copie privée, ils doivent collecter pour compenser le préjudice subi par les ayants droit du fait de cette atteinte à leur monopole.

Arrive enfin l’argument relatif aux usages : « les supports d’enregistrement, lorsqu’ils sont reconditionnés, laissent place à deux durées d’usage successives. En effet, lorsque le support est reconditionné, un nouvel utilisateur a la faculté de réaliser des copies et, de fait, cause un nouveau préjudice aux titulaires de droits, distinct de celui découlant du premier utilisateur ». Pas de doute, pour le juriste : « il est donc légitime justifier d’appliquer une rémunération pour chacune de ces deux périodes ».

Vers un barème provisoire sur une durée d’un an ?

Pour parer au plus pressé, il recommande d’activer une option ouverte à l’article L.311-4 du Code de la propriété intellectuelle qui autorise la mise en place d’un barème provisoire sur une période d’un an, déterminé selon le type de supports et la capacité d'enregistrement.

Comme les prix des biens reconditionnés sont moindres, la part de redevance (exprimée en euro) pourrait être proportionnellement beaucoup plus lourde. L’une des pistes envisagées : alléger cette part en introduisant un abattement « dûment justifié par la Commission afin de ne pas créer une rupture d’égalité avec les produits neufs ».

Problème le prix n’est pas une variable d’ajustement. Le Code ne permet pas de tenir compte du critère tarifaire pour faire alléger (ou alourdir) la redevance.

Pluie de difficultés

On voit rapidement poindre plusieurs difficultés. Principalement, le Code permet d’engager la perception de la redevance lors de « la mise en circulation ». Ici, les téléphones (et autres supports) sont par définition « remis en circulation ».

Pour Hughes Ghenassia-de Ferran, cela n’est en rien bloquant. Le code ne dit pas « qu’il s’agit de la première mise en circulation » tempère-t-il. « Si l’intention du législateur avait été d’éviter d’assujettir à la redevance deux fois un même support lorsqu’ils sont remis sur le marché, il aurait peut-être précisé que la rémunération n’est due que lors de la première mise en circulation ».

Le Code civil indique pourtant qu’« un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation ». En frappant le reconditionné, on vient finalement imaginer une deuxième mise en circulation.

Autre difficulté. Comment qualifier les reconditionneurs ? Est-ce des importateurs, des personnes qui réalisent une acquisition intracommunautaire ou bien des fabricants ? Seules ces trois personnes sont redevables de la redevance, qu’ils font peser ensuite aux distributeurs puis aux consommateurs.

Selon le juriste du ministère de la Culture, pas de doute : « la personne qui opère une transformation sur un support et qui le remet sur le marché a bien la qualité de fabricant ».

Une interprétation dégommée par Mathieu Gasquy (AFNUM). Pour ce membre du collège des industriels, « la transformation ne concerne pas les capacités de stockage ou la mémoire du support. L’opérateur vide cette mémoire, ajoute un câble, nettoie l’appareil, mais il n’y a pas de véritable transformation du support ».

Et celui-ci de s’interroger : « quelle est la différence entre un utilisateur qui garde le même téléphone pendant sept ans et qui de temps en temps efface du contenu pour faire de la place par rapport à sept utilisateurs différents qui remettraient le même téléphone dans le circuit des reconditionnés chaque année » ?

« Dans le premier cas, la RCP serait payée une fois alors que dans le second cas, elle serait acquittée sept fois », alors « qu’il s’agit du même support sur lequel on a simplement effacé de la mémoire ».

Une durée de vie de deux ans 

Contestation d'Idzard Van der Puyl : voilà des cas « très hypothétiques ». Pour le membre de Copie France, « en moyenne un téléphone est utilisé au moins pendant deux ans ».

Ce critère des deux ans ne doit rien au hasard. En Commission Copie privée, lorsque des études d’usage sont réalisées en amont des barèmes, les sondés sont interrogés sur leurs pratiques de copie sur une durée de 6 mois. Ensuite, les résultats sont extrapolés.

L’avantage est immédiat : comme les pratiques de copies sont plus importantes lors des premiers mois de détention (notamment lors du transfert des fichiers d’un ancien appareil vers un nouveau), la petite astuce permet de dilater les compteurs.

Toutefois, pour éviter une explosion des barèmes, la Commission a plusieurs fois limité volontairement ce coefficient à 4 en prenant pour référentiel une « durée de vie » théorique de deux ans.

Aujourd’hui, miracle ! Ces 24 mois, utilisés autrefois pour amoindrir l’emballement, servent aujourd'hui d’arguments pour justifier l’assujettissement des biens reconditionnés, partant qu’un téléphone ne se garderait que deux années.

Qu'elle était verte, l'avalée 

Avant cette phase, une étape politique devra être franchie. Le 12 janvier dernier, le sénateur Partick Chaize a déposé un amendement sur la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France.

Il propose que la redevance pour copie privée ne soit jamais due « lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération ».

Un texte adopté contre l’avis du gouvernement, porté bon gré mal gré par Cédric O. L’arbitrage final à l’Assemblée nationale permettra de jauger le poids du secrétariat d’État au numérique et celui du ministère de la Transition écologique face au ministère de la Culture.

Les paris sont ouverts, et les ayants droit, rouges d’impatience.

Déconstruisons le communiqué « Copie privée : à qui profite le green ? »

Par : Marc Rees,
5 février 2021 à 16:17

L’extension de la redevance aux produits reconditionnés soulève de lourdes critiques de la part des acteurs du secteur. Les sociétés de gestion collective, qui collectent ces sommes, ont elles publié un communiqué pour rétablir leur version des faits. Présentation du texte, accompagné de nos commentaires. 

Deux camps s’affrontent actuellement. Les ayants droit qui ont déjà lancé une salve de procédures devant les instances judiciaires contre des reconditionneurs, tentent désormais d’obtenir un barème spécifique en Commission Copie privée.

Du côté des industriels du secteur, c’est la soupe à la grimace, et la crainte d’un écrasement des marges et derrière d’une fermeture de plusieurs d’entre eux, sans compter des effets néfastes pour la planète. 

Pour gagner une manche médiatique, les sociétés de gestion collective ont publié hier un communiqué. Communiqué que nous allons examiner, point après point.

« Copie privée : à qui profite le green ?
Les revendeurs de téléphones et appareils reconditionnés réclament une exonération de la rémunération pour copie privée, répandant depuis quelques jours dans la presse de nombreuses contre-vérités, qui risquent d’avoir des répercussions désastreuses sur un secteur culturel déjà lourdement éprouvé par la crise ».

La phase difficile traversée par les industries culturelles est une évidence. Spectacles repoussés, date après date, salle de ciné et musées, etc. fermés. Un rappel : ce secteur n’est pas le seul frappé puisque la crise sanitaire est aveugle et concerne l’ensemble des strates de la société.

Les reconditionneurs ne réclament pas uniquement une exonération de la « rémunération » pour copie privée, ils veulent surtout que ces produits ne soient pas soumis au même prélèvement plusieurs fois au fil de sa vie. Solution qui viendrait les pilonner, et faire payer les consommateurs plusieurs fois. 

« Non, la rémunération pour copie privée n’est pas une taxe !

La rémunération pour copie privée est la contrepartie d’un droit dont chacun bénéficie quotidiennement : celui de dupliquer librement des œuvres protégées (films, musiques, photos, livres…), acquises légalement, pour son usage personnel. En contrepartie, les auteurs, artistes et producteurs de ces œuvres reçoivent une rémunération qui compense le préjudice financier résultant de l’utilisation massive et gratuite de leurs œuvres. Ce mécanisme existe dans pratiquement toute l’Union européenne et n’a cessé de démontrer son caractère vertueux. Il profite à la fois aux consommateurs de biens culturels, aux créateurs, artistes et professionnels de la création artistique et apporte toujours plus de valeur aux smartphones, tablettes et appareils de stockage qui auraient moins d’intérêt sans la possibilité d’y stocker nos contenus culturels. »

Il est vrai que les sociétés spécialisées dans le reconditionnement ont fait une erreur. Ils ont parfois dépeint cette ponction comme une « taxe », de nature fiscale donc. Or, il n’en est rien.

Si elle était de nature fiscale, ce prélèvement serait examiné à l’Assemblée nationale et au Sénat, au fil de débats et rapports publics, avec d’épais rapports justifiant tel choix plutôt que tel autre. Ce n’est toutefois pas le projet de loi de finances qui vient fixer les montants prélevés sur les supports vierges pour compenser non « le droit », mais la « liberté » pour chacun de réaliser des duplications d’œuvres sans autorisation. C'est une commission administrative qui est chargée de fixer son assiette et ses taux.

Dans cette bataille sémantique, les industries culturelles ne sont pas en reste. Elles parlent non d'une « taxe », mais d'une « rémunération », le nez tout concentré sur le seul droit français. Le Code de la propriété intellectuelle parle effectivement de « rémunération pour copie privée », au fil d'articles d’abord passés entre leurs mains avant d’être votés par les députés et sénateurs. 

Si l’on remonte d’un cran, la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001 évoque elle le paiement d’une « compensation équitable », véritable nom européen de ce prélèvement. Et là est la véritable appellation. Cette redevance n’est donc pas non plus une « rémunération ». Elle compense un préjudice. Elle a donc une nature indemnitaire, sûrement pas alimentaire.

Cette guerre des mots n’est pas neutre. Ce choix lexical a l'avantage néanmoins de repousser toutes les critiques et scléroser les réformes qui viendraient menacer les rendements. Si on peut s’attaquer à « une taxe », on ne touche pas à « une rémunération ». 

« L’exonération des appareils reconditionnés apparaîtrait d’autant plus injustifiée que l’usage, en matière de stockage et de duplication d’œuvres, est similaire sur un appareil neuf et reconditionné. Il est donc légitime que cette rémunération compensatoire s’applique à chaque utilisateur d’un appareil, qu’il soit neuf ou reconditionné »

Cette affirmation tombe comme une évidence pour les ayants droit, qui prélèvent ces sommes (260 millions d'euros en 2019). Or, elle n’est corroborée par aucune étude solide. Rien ne dit qu’une personne ayant acheté un téléphone en fin de vie aura les mêmes pratiques de copie privée que le tout récent possesseur du tout dernier Apple ou Samsung.

D’ailleurs, le sujet questionne en Commission copie privée où les ayants droit se sont proposés de réaliser une étude d’usages pour jauger les pratiques de copie sur les reconditionnés. Cette étude est normalement de la compétence du ministère de la Culture, mais sa privatisation va permettre de s’échapper des délais contraints du Code des marchés publics. 

« La rémunération pour copie privée appliquée aux appareils reconditionnés est minime

La rémunération pour copie privée ne représente que 3 à 4% du prix d’un téléphone reconditionné, vendu en moyenne 332 euros. Son montant n’est donc pas de nature à perturber le marché des supports reconditionnés alors qu’il constitue un enjeu important pour le financement de la culture. Un smartphone vendu par le leader du marché reconditionné coûte sensiblement le même prix en France que dans les autres pays européens. Rappelons que les tarifs de la rémunération pour copie privée sont fixés par une Commission mixte paritaire et encadrés par des conditions juridiques qui s’appuient sur des études d’usage. »

Les ayants droit prennent pour exemple un téléphone de 332 euros où le poids de la redevance représenterait jusqu’à 4 % du prix, soit un peu moins de 14 euros. Une poussière.

De fait, la présentation est biaisée, car elle infuse l’idée selon laquelle le barème de redevance est déterminé en fonction du prix du produit. Or, ce n’est pas le cas. Le calcul est effectué selon la capacité de stockage, nuance importante. 

barème copie privée smartphone

Barème copie privée (Copie France)

Résultat des courses : un téléphone reconditionné de 128 Go proposé par exemple 154,90 euros sera lesté de 14 euros de redevance. La si légère « rémunération pour copie privée » devrait s’approcher cette fois des 10 % du prix… Où comment transformer la plume en plomb. 

Au passage, les ayants droit disent vrai lorsqu’ils expliquent que les « tarifs » sont fixés par une Commission administrative. Par contre, celle-ci n’est paritaire que dans la forme. 

Selon le Code de la propriété intellectuelle, « les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'État et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports (…) et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs. »

Le mal congénital est décrit en ces quelques mots : il faut être un as de la géométrie non euclidienne pour appeler « paritaire » une commission divisée en trois groupes. Trois groupes, où les ayants droit ont 12 sièges, les représentants des consommateurs 6 et ceux des industriels 6 autres. Il n’est pas non plus nécessaire d’être un fin stratège pour comprendre que les 12 ayants droit, qui perçoivent, parlent d’une même voix, quand le représentant d’une association de consommateur ne partage pas les mêmes intérêts qu’un fabricant de disques durs ou un fournisseur d’accès. La bonne vieille recette du diviser pour mieux gagner, qui permet donc au secteur culturel de faire adopter facilement les tarifs de la redevance dont ils vont toucher les fruits. 

« L’économie des supports reconditionnés n’est ni verte, ni circulaire, ni pourvoyeuse d’emplois !

Les supports reconditionnés viennent essentiellement des États-Unis, sont recyclés en Europe avec des composants provenant de Chine et sont ensuite revendus dans le monde entier. Une exonération de la rémunération pour copie privée profiterait uniquement aux revendeurs, qui sont principalement des grands acteurs de l’Internet et pas aux recycleurs. »

L’argument des « grands acteurs de l’Internet » peut être efficace. Il avait déjà été victorieusement porté par les mêmes industries culturelles, lorsque, au moment du vote en faveur de la directive relative au filtrage des contenus, ils n’avaient de cesse de critiquer le lobbying de Google

Les sources de cette affirmation ne sont pas davantage précisées. Si l’on comprend bien : au motif que des téléphones reconditionnés viendraient de l’étranger, il faudrait soumettre tous les recycleurs français à cette ponction, même ceux-ci qui reconditionnent sur un marché où les produits ont déjà été soumis une première fois à la redevance.

Nous laissons aux ayants droit la responsabilité de soutenir que le monde du reconditionné n’est pas vert. Les petits acteurs du secteur qui s’échinent dans une démarche éthique apprécieront l'affirmation à sa juste valeur.

« Cette exonération priverait la culture d’une ressource vitale à son dynamisme

Dans un contexte de crise historique, la rémunération pour copie privée est essentielle à la survie, demain, d’une création française fertile et diversifiée. Priver la culture des revenus provenant du secteur très florissant des appareils numériques reconditionnés porterait un grave préjudice aux artistes, aux auteurs et aux entreprises du secteur, estimé aujourd’hui à 30 millions d’euros.

Depuis plus de 35 ans, la rémunération pour copie privée prouve son efficacité en contribuant au financement de plus de 10 000 projets culturels et à la rémunération de milliers d’artistes, créateurs, auteurs, producteurs, éditeurs d’œuvres artistiques dans tous les genres. Depuis le mois de mars dernier, elle abonde les fonds d’urgence et de secours aux auteurs, artistes et titulaires de droits voisins, qui vivent des situations d’extrême précarité et de détresse liées aux effets de la crise sanitaire. Une exonération de rémunération pour copie privée sur ces supports représenterait une menace grave pour le secteur culturel, reconnu pour être pourvoyeur d’emplois jeunes, non qualifiés et non délocalisables. 

Face à cette campagne mensongère des revendeurs pour ne pas payer la rémunération pour copie privée, les organisations signataires de ce communiqué demandent au gouvernement de maintenir l’assujettissement des supports reconditionnés, déjà prévu par la loi actuelle, et de défendre un mécanisme de rémunération essentiel pour la culture et ceux qui la font vivre. Le travail déjà engagé sur ce sujet par la Commission de la Copie privée doit pouvoir se poursuivre sereinement afin d’envisager un barème adapté à ces supports. »

Les ayants droit ont raison : le secteur culturel traverse une grave crise…comme d’autres secteurs. Seulement, le communiqué souffre d’amnésie. Il oublie de rappeler qu’en France, le système a été calibré pour prélever la redevance pour copie privée tout en haut de la chaîne commerciale, lors de la mise en circulation par l’importateur, là où on ne connaît pas encore la destination des produits.

Les importateurs se retournent ensuite auprès de leurs distributeurs, qui eux-mêmes font payer l’acheteur final. Conclusion : avec un tel régime, tout le monde paye, alors que selon le droit européen, seules les personnes physiques pour leurs copies privées doivent supporter cette charge. Donc pas les professionnels.

Juridiquement, cette discrimination est inscrite à l’article 5, 2, b) de la directive Droit d’auteur de 2001, qui prévient que la compensation équitable doit être versée pour les seules « reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales ». 

Certes, les millions de professionnels (associations, entreprises, hôpitaux, collectivités locales, établissements, etc.) ont la possibilité de se faire rembourser ce qu’ils n’avaient pas à payer ou bien même de se faire exonérer. Cette possibilité a été ouverte par une loi de 2011 sur la copie privée, mais le système est totalement grippé pour le plus grand avantage des ayants droit qui conservent les sommes non réclamées.

Les raisons tiennent d’une part à un déficit crucial d’information et d’autre part au coût administratif de ces procédures, d’autant que le remboursement est conditionné à la production d’une facture mentionnant le poids de la copie privée. Obligation trop rarement respectée par les distributeurs (point 6° de cet arrêté).

En octobre 2011, le projet de loi relatif à la copie privée, qui a donc introduit la possibilité pour les « pro » de se faire rembourser ou exonérer, évaluait la perte consécutive pour les ayants droit « entre 20 et 30 % des rémunérations perçues chaque année ». 

Entre 2012 et 2019, le secteur culturel a prélevé 2,094 milliards d’euros de redevance Copie privée. Si l’étude d’impact avait dit vrai, il aurait dû rembourser/exonérer entre 628,2 et 837,6 millions d’euros. Selon le dernier rapport annuel de Copie France, ils n’ont remboursé/exonéré sur la même période que des miettes : un peu plus de 7 millions d’euros.

La différence, entre 621,2 et 830,6 millions d’euros, a donc été conservée par ceux qui réclament désormais l’assujettissement du reconditionné.

Redevance Copie privée sur le reconditionné : « Dramatique » selon Recommerce

Par : Marc Rees,
5 février 2021 à 11:25

La Commission copie a décidé d’enclencher la guerre aux produits reconditionnés. Le sujet a été inscrit au programme, et les ayants droit sont en ordre de bataille. L’hypothèse d’un barème de redevance sur ces supports d’occasion fait sursauter le secteur. Interview de Benoît Varin, cofondateur de Recommerce.

Le 26 mai 2020, nous révélions le projet des ayants droit, collecteurs de cette ponction culturelle sur les produits neufs : assujettir le marché des biens d’occasion reconditionnés. Et pour avancer sur un tel chantier, rien de mieux qu’un bulldozer.

Les sociétés de gestion collective comme la SACEM, via leur société civile Copie France, ont assigné plusieurs spécialistes du reconditionnement. Dans l'esprit des ayants droit, reconditionner un produit, c’est lui redonner une nouvelle vie auprès d’une nouvelle personne. Et comme celle-ci peut réaliser des copies légales d’œuvres sur un téléphone d’occasion, la redevance s’applique sans nuance afin de compenser la liberté de chacun de réaliser des duplications d’œuvres. 

En décembre dernier, le fidèle Jean Musitelli, président de la Commission administrative chargée de définir le barème et le taux de cette ponction que perçoivent les industries culturelles, a décidé d’inscrire le sujet à l’ordre du jour.

Et, sans surprise, les ayants droit se sont proposés de réaliser (et payer) les études d’usages qui permettront de jauger les pratiques de copie auprès d’un panel. Ces études permettront ensuite de détailler un barème spécifique sur les biens de seconde vie, en fonction des résultats.

Avantage de ce « sacrifice » financier ? La commission n’aura pas à respecter les règles des marchés publics, enfermées dans des délais jugés trop longs au regard des appétits culturels.

Au Parlement, se joue une bataille parallèle. Un amendement porté par Patrick Chaize a été adopté au Sénat dans le cadre de la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. Il prévoit que la redevance pour copie privée « n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. »

Un amendement soutenu à titre personnel par Cédric O, qui a dû malgré tout porter l’avis « défavorable » du gouvernement, Jean Castex et la Culture étant opposés à cette restriction. Le texte part maintenant devant les députés, où le groupe LREM est en force.

Face à l’appétit du secteur culturel, les professionnels du reconditionnement sont vent debout. Ils dénoncent cette compensation sur les biens reconditionnés qu’ils vivent comme une « taxe ». En témoigne notre échange avec Benoît Varin, cofondateur de Recommerce, spécialisé dans les smartphones reconditionnés.

Quel est aujourd'hui le poids du marché du reconditionné en France ?

Sur le smartphone, l’étude annuelle Recommerce - Kantar, estime à 2,2 millions le nombre de téléphones reconditionnés vendus chaque année en France. En valeur, sur un site Internet comme Recommerce.com, le prix des modèles reconditionnés varie entre 69,90€ et 1279,90€ pour un prix moyen pondéré de vente de 190€.

Pour l’instant on n’a pas de barème copie privée spécifique aux produits reconditionnés. À combien estimez-vous la majoration ?

Selon les annonces, la société Copie France souhaite taxer les produits d'occasion jusqu’à 14 euros sur les smartphones de plus de 64 Go, leurs barèmes étant déterminés en fonction des capacités et de l’usage. Cependant la redevance copie privée normalement compense un préjudice lié à des copies légales et s’applique à la première mise sur le marché. Selon le Code Civil, il n’y a qu’une seule mise sur le marché. Les produits neufs étant déjà taxés lors de la première mise sur le marché, les produits reconditionnés ne devraient donc pas être taxés plusieurs fois.

Certes, mais des produits peuvent être reconditionnés à l’étranger, sans avoir subi la redevance française…

Cela dépend, puisque des produits européens sont aussi taxés par des redevances, comme en Allemagne. Pour notre part, nous réclamons déjà une harmonisation européenne et surtout que l’on ne paye pas plusieurs fois la redevance, cette redevance pouvant être assimilée à une taxe par le consommateur payeur.

Vous craignez donc un barème français qui soit plus élevé en Europe influant les décisions des consommateurs ?

Exactement. Cela va inciter les consommateurs à acheter des produits dans des pays où la Redevance n’existe pas ou parce que le barème y sera moins élevé ou encore auprès de sites de vente en ligne notamment où la redevance ne semble pas être payée. Cela risque de faire comme ce qu’il se passe sur les marketplaces où les fraudes à la TVA sont nombreuses.

En frappant le reconditionné, il y aurait en effet deux redevances sur le même produit, mais les ayants droit estiment que cela concerne aussi deux utilisateurs et donc deux usages successifs...

On ne comprend pas trop ce mécanisme qui n’existe pas dans le droit. S’il faut taxer à chaque fois qu’il y a un changement de main, cela signifierait de taxer à chaque échange ou transaction de produits d’occasion, et donc de réclamer la redevance lors d’échange entre particulier et par exemple chaque fois qu’un consommateur vend un disque dur externe d’occasion?

Pourquoi seuls les acteurs industriels qui emploient des salariés en France, qui investissent dans des formations de techniciens, qui garantissent la qualité des produits devraient payer cette redevance ? C’est une attaque au secteur de l’occasion en général et aux acteurs professionnels francais en particulier que nous sommes en train de subir.

Quelles seraient les conséquences d’un tel assujettissement ?

Les menaces sont multiples et importantes. Il y a des risques de voir beaucoup d’entreprises fermer en France puisque cela impacterait le modèle économique des acteurs professionnels de l’occasion. On anticipe aussi des délocalisations et des pertes de compétitivité face aux produits neufs qui sont vendus de moins en moins cher, face aussi aux produits reconditionnés vendus venant de pays où les barèmes sont moindres voire nuls. S’ils nous taxent à 14 euros sur certains produits, je ne vois pas comment on peut rester compétitif.

Côté consommateur, c’est aussi le risque de faire perdre l’intérêt d’acheter ce type de produit et finalement lui faire perdre du pouvoir d’achat. Tôt ou tard, les acteurs économiques se diront « autant acheter un neuf low cost comme un smartphone 5G à 250 euros ».

Avez-vous eu des échanges avec le gouvernement, soit directement ou par le biais d’un syndicat ?

Oui, on est très engagé au sein de la Fédération professionnelle du réemploi et de la réparation (Rcube.org), que l’on préside en tant que Recommerce. Nous discutons avec le gouvernement et avons sensibilisé les parlementaires aux enjeux. On leur a expliqué les enjeux pour notre secteur de cette menace qui pèse sur le secteur du réemploi.

Cette redevance est obsolète. Elle date du magnétophone, des cassettes VHS, des disquettes… à l’heure du streaming, les habitudes des consommateurs se tournent vers Netflix, les vidéos à la demande, Deezer… Qui vraiment aujourd’hui utilise son téléphone pour faire des copies ?

Elle n’est pas seulement obsolète, elle est aussi inadaptée. Elle n’a pas été prévue pour aider les artistes en situation de crise, mais à faire respecter le cadre légal du respect du droit d’auteur. Il semble y avoir un mélange des genres où la culture utilise la crise pour essayer de taxer le reconditionné, alors que notre secteur n’est pas du tout stabilisé et est en phase de construction.

Cédric O s’est dit particulièrement sensible à l’amendement Chaize protégeant le reconditionné, mais il a été tenu par le gouvernement de porter un avis défavorable…

Il y a des pressions de la part du monde de la culture et un gouvernement partagé entre le soutien au tissu industriel français tourné vers le reconditionnement et le numérique responsable, et le soutien au monde de la culture, aujourd’hui dans une situation très difficile du fait de la fermeture des salles.

Nous, acteurs du reconditionné, on veut bien faire beaucoup de choses, respecter la loi, payer des taxes en France, recruter, former, innover…, mais on ne peut pas être la solution à cette crise. On ne peut pas se permettre d’être taxé pour essayer de sauver la culture. D’un, les montants ne seraient pas suffisants, de deux ce n’est pas légal au regard du Code civil et du Code de la propriété intellectuelle, selon lesquels on ne peut taxer le produit qu’une seule fois, lors de la mise en circulation.

Quid des conséquences sur le terrain de l’écologie ?

Très clairement, augmenter par exemple de 10 % le prix d’un produit reconditionné entraînera mécaniquement une réduction de l’offre en produits responsables, la réparation deviendrait mécaniquement plus chère et cela aboutirait à un ralentissement de l’économie circulaire en France.

Cela serait dramatique pour tout ce que font les entrepreneurs militants engagés pour un autre monde, plus respectueux des ressources. Prolonger la vie des produits, c’est très clairement lutter contre le réchauffement climatique. Si le modèle économique de la réparation est touché, il sera plus difficile de créer des emplois locaux et d’investir en France dans ce nouveau secteur, cela serait effectivement dramatique pour ce changement de système qu’il faut arriver à enclencher.

80 % de l’impact environnemental vient de la production de produits manufacturés : les matières premières, le transport, la transformation des micropuces, etc. Plus on prolonge la durée de vie du produit, plus on amortit le sac à dos écologique et donc plus on limite cet impact sur l’environnement.

Faites-vous partie des sociétés assignées par Copie France ? Que vous réclame-t-elle ?

Oui. On pense que plus d’une trentaine d’entreprises ont été assignées, pour un montant total représentant près de 100 millions d’euros. Copie France nous réclame nos chiffres depuis le début de la société et une rétroactivité qui serait de cinq ans avec des montants réclamés de plus de 30 millions d’euros par an.

Concrètement, Copie France veut connaître votre sortie de stock et multiplier le total par 14 euros pour les smartphones supérieurs à 64 Go ?

Vous avez tout compris. Depuis qu’on existe, on a vendu plus de 3,3 millions de téléphones. Ce qui représenterait 46,2 millions d’euros pour la somme des mobiles vendus. Comprenez que l’on se sente un peu menacé.

Nous sommes au tribunal. Une procédure est en cours, alors que notre argument est simple : cette rétroactivité n’existe pas, cette taxe Copie privée n’existe pas sur les produits reconditionnés. Rien officiellement ne nous dit que les produits reconditionnés doivent payer une nouvelle fois sans passer par une loi, une nouvelle réglementation.

Comment donc un organisme indépendant de tout contrôle démocratique et privé comme Copie France pourrait d’un seul coup créer une nouvelle redevance pouvant être considérée comme une taxe payée par les consommateurs ? C’est surprenant.

Nouvelle saison pour la lutte contre le piratage des compétitions sportives

Par : Marc Rees,
3 février 2021 à 14:45

La grande loi sur l’audiovisuel ayant été abandonnée et le projet de loi sur le piratage encore incertain, les députés LREM ont déposé une proposition de loi dédiée au monde du sport. Des dispositions s'attaquent tout particulièrement aux contrefaçons dans ce secteur, armées d'ambitieux outils. Explications.

Avec leur proposition de loi destinée à « démocratiser le sport en France », les parlementaires de la majorité veulent « faciliter l’accès aux pratiques physiques et sportives pour tous les Français, et notamment ceux qui en sont aujourd’hui les plus éloignés ».

Cet objectif « implique de faciliter l’accès aux infrastructures, multiplier les aménagements de plein air et de mener des actions de sensibilisation, d’améliorer le quotidien des bénévoles et des pratiques en club dans un cadre d’organisation renouvelé ».

Mais pas seulement. Crampons aux pieds, les députés LREM profitent de la fenêtre pour intensifier la lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives. La raison nous avait été expliquée par Aurore Bergé : quand les droits du foot baissent en valeur, « ce n’est pas juste la ligue qui va en souffrir, c’est tout le financement du foot amateur, votre gamin qui va à son club le dimanche, club qui bénéficie du financement de la ligue grâce à la taxe Buffet ».

La taxe sur la cession de droits télévisés d'événements sportifs prévue à l’article 302 bis ZE du Code général des impôts. Son taux est fixé à 5 % du montant des encaissements. Son produit « atteint environ 50 millions d’euros, contribue au financement du sport à hauteur d’une part plafonnée, augmentée en 2019 de 25 à 40 millions d’euros », chiffre sur ce point, le rapport de la députée relatif à la communication audiovisuelle. 

Le sujet des compétitions sportives avait déjà intéressé la Hadopi et le CSA. En mars 2020, dans une étude écrite à quatre mains, les deux autorités relevaient aussi que « les éditeurs de télévision, en particulier les chaînes payantes, subissent la concurrence déloyale d’acteurs illégaux qui captent une audience importante sans jamais avoir acquis de droits de diffusion de compétitions sportives ». « La consommation d’offres illégales constitue une perte et génère un manque à gagner en termes d’abonnements et d’audience ». 

Une trousse à outils taillée contre le streaming illicite

Le texte veut compléter le Code du sport avec un arsenal taillé pour la lutte contre le piratage de ces compétitions, notamment en streaming. Concrètement, une chaine ou une ligue sportive pourra saisir le président du tribunal judiciaire pour obtenir « toutes mesures proportionnées propres à prévenir ou à faire cesser cette atteinte, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ».

La plume est volontairement floue et généreuse pour permettre à la juridiction d’envisager toutes les mesures possibles pour faire cesser l’atteinte à ses intérêts. Cette procédure devra concerner un site qui diffuse de manière répétée des matchs (de foot ou autre) sans autorisation.

La mesure envisagée est particulièrement ambitieuse puisque le texte autorise le président du tribunal judiciaire à ordonner, au besoin sous astreinte, la mise en œuvre de ces mesures de blocage pour chacune des journées du championnat, ce sur un an.

Le blocage, le retrait ou le déréférencement pourra donc être décidé avant que l’infraction ne soit répétée. Mieux, la décision pourra viser un site nommément ou même un site qui n’a pas encore été identifié à date. C’est le système de l’ordonnance dynamique qui devrait rendre jalouses les industries culturelles.

Un blocage des sites futurs, via une ordonnance dynamique

Pour s’attaquer à ces sites ou miroirs futurs, la ligue ou la chaîne communiquera aux FAI ou encore aux moteurs leurs « données d’identification nécessaires » en suivant les modalités recommandées par la Hadopi. Soit une sorte de liste noire que les FAI auront à bloquer.

Dans ce cadre, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet se voit en outre chargée d’établir des modèles d’accord type que les parties prenantes (titulaires de droits, ligues professionnelles, les chaînes, les FAI, et toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes) seront invitées à signer.

Ces accords détermineront :

  • les conditions d’information réciproque en cas de violations des droits
  • les mesures qu’elles s’engagent à prendre pour les faire cesser
  • l’intervention, si nécessaire, de la Hadopi pour constater l’existence de ces violations et la répartition du coût de ces mesures

Des agents de la Hadopi assermentés

Le texte entend également assermenter les agents de la Hadopi à constater les faits susceptibles de constituer des atteintes aux droits des acteurs concernés. Ils pourront agir directement, ou sur saisine du titulaire de droits, de la ligue ou de la chaîne.

Ils pourront dans ce cadre,

  • Participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques
  • Reproduire des œuvres
  • Extraire, acquérir ou conserver des éléments de preuve
  • Acquérir et étudier les matériels et logiciels propres à faciliter la commission des atteintes aux droits (en pense aux box Kodi)

Leurs constats seront consignés dans un procès-verbal. Ces agents Hadopiens seront même habilités à informer les titulaires de droits, la ligue professionnelle ou la chaîne de TV « des faits qu’ils ont constatés et leur communiquer tout document utile à la défense de leurs droits ».

Leur constat permettra de nourrir leur mission (notamment en amont de l’identification de ces sites), et faciliter les actions des acteurs privés, outre l’exécution des décisions de justice à l’égard des sites miroirs. Pour ces derniers, voilà un moyen économique de déporter sur l’État la charge des différents constats qu’ils auraient normalement été amenés à dresser.

La CNIL étrille la proposition de loi sur la Sécurité Globale

Par : Marc Rees,
3 février 2021 à 09:06

Saisie par la commission des lois du Sénat, la CNIL rend public son avis sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Autant dire que les critiques de l’autorité indépendante sont multiples à l’égard du texte porté par la majorité LREM.

La CNIL avait été délaissée jusqu’à présent, les députés ayant adopté la proposition de loi sur la sécurité globale, sans s’enquérir de son avis. Et pourtant, la loi de 1978 modifiée permet déjà au président de l'Assemblée nationale ou des commissions compétentes de la saisir « sur toute proposition de loi relative à la protection des données à caractère personnel ou au traitement de telles données ».

Au Sénat, autre lieu, autre ambiance : François-Noël Buffet (LR), président de la commission des lois, a corrigé le tir. Un choix bienvenu selon Marie Laure Denis, qui « témoigne de la volonté de prendre en compte les enjeux significatifs sur certaines dispositions de la proposition de loi, en particulier en matière de vidéo ». Message transmis aux députés.

Aujourd’hui, l’autorité indépendante vient de rendre cet avis sur le texte LREM, défendu mordicus par Gérarld Darmanin au gouvernement. Et pour cause, plusieurs de ses dispositions centrales orchestrent des traitements de données à caractère personnel à des fins sécuritaires.

Des outils de surveillance de plus en plus performants

Dès l’introduction, le ton est donné : la PPL s’inscrit dans un mouvement appuyé sur « des technologies de surveillance de plus en plus performantes ». Et la présidente de la commission de regretter l’absence d’évaluation globale sur « l’efficacité de ces systèmes » au regard des risques d’atteintes aux libertés individuelles. Un peu plus loin dans son avis, elle évoque même un « changement d’échelle ».

La proposition de loi sur la sécurité globale ? « Une nouvelle étape, majeure de ce mouvement » écrit Marie-Laure Denis. Les outils qu’elle draine induisent « des choix de société auxquels il convient que le Parlement soit particulièrement attentif », et dont les conséquences à moyen terme « ne sont pas (…) parfaitement identifiées ».

D’autant plus que le texte ne permet pas d’aboutir à un encadrement juridique « cohérent, complet et suffisamment protecteur des droits des personnes en matière de vidéoprotection », estime-t-elle. La faute à de nombreuses dispositions du Code de la sécurité intérieure jugées « obsolètes ».

Plusieurs articles sont passés au crible.

Les drones équipés de caméras, un « changement de paradigme »

Si tous les yeux se sont tournés sur l’article 24 relatif aux photos du visage des policiers, la CNIL débute son examen par l’article 22 relatif aux caméras dites aéroportées.

Cette disposition avait été appelée par le Conseil d’État, alors que la Préfecture de Police de Paris a multiplié ces vols, sans l’ombre d’un texte encadrant les traitements de données personnelles qu’ils induisent. Une cavalerie aérienne dégommée par un missile sol-air lancé par la CNIL à l’égard du ministère de l’intérieur.

Avec la PPL, drones, avions et hélicoptères pourront donc être utilisés dans des « missions de prévention des atteintes à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique » mais aussi « de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ».

Contrairement aux caméras au sol, voilà des dispositifs « mobiles, discrets par nature et dont la position en hauteur leur permet de filmer des lieux jusqu’ici difficiles d’accès voire interdits aux caméras classiques », relève la CNIL. Ces caméras permettent même le suivi individualisé des déplacements d’une personne, à son insu « et sur une durée qui peut être longue ».

Un changement de « paradigme » pour la Commission, qui évoque la question de la société dite « de surveillance ». Pour éviter le pire, la CNIL recommande aux parlementaires de conditionner ces outils à une expérimentation préalable, suivie d’un bilan transmis à l’autorité, aux députés et aux sénateurs. Des phases non prévues par le texte actuel, qui autorise le déploiement de ces flottes aériennes dès publication au Journal officiel.

La commission rappelle sans mal que ces yeux électroniques devront respecter les textes européens et français en la matière, puisqu’ils opèrent un traitement de données à caractère personnel. Or, « les personnes filmées peuvent être aisément identifiées », des techniques d’analyse d’images permettent de restaurer une image proche de celle d’origine » outre que des données sensibles (convictions religieuses, etc.) seront possiblement aspirées.

La loi en gestation a fixé plusieurs finalités pour justifier ces drones aéroportés :

  • La prévention d’actes de terrorisme
  • Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves
  • La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords
  • La protection des intérêts de la défense nationale et des établissements, installations et ouvrages d’importance vitale
  • La régulation des flux de transport
  • La surveillance des rodéos routiers
  • La surveillance des littoraux et des zones frontalières
  • Le secours aux personnes

Ces images pourront en outre être diffusées en temps réel au poste de commandement, même en l’absence de menace sur les biens ou les personnes.

Des finalités jugées « très larges, diverses et d’importance inégale » qui peuvent conduire à une banalisation de l’usage des drones, en contrariété avec le principe de limitation ou de proportionnalité. Or, cet usage doit normalement « être limité à certaines finalités et missions précisément définies par la loi, pour lesquelles des dispositifs moins intrusifs se sont révélés insuffisants ».

Une certitude : « le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves » ne peut être autorisé selon la CNIL. Elle demande que le législateur définisse précisément les infractions graves, qui seules seront susceptibles de nécessiter l’envol de ces drones.

Même remarque pour la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ou le secours aux personnes. Là encore, il faudrait réserver ces usages aux situations les plus épineuses. Dans tous les cas, il faudra s’assurer que « les circonstances précises des missions menées justifient l’emploi de ces dispositifs, et ce pour une durée adaptée à ces circonstances ». Elle suggère des précisions législatives, outre la mise en place de lignes directrices pour permettre de jauger la proportionnalité.

Le texte interdit certes de filmer l’intérieur des domiciles ou de leurs entrées, mais la CNIL doute de l’effectivité de cette garantie. Faute de mieux, elle recommande des solutions destinées à « bloquer la retransmission des images selon certaines caractéristiques de vol », comme l’altitude, le niveau de zoom ou la zone survolée. Autre piste : rendre anonymes les données collectées pour la finalité liée à la régulation des flux de transport (on pense ici aux plaques d’immatriculation).

Derniers missiles sol-air, dans le silence des textes, considère la Commission, l’usage de micros couplés à ces drones sera interdit, tout comme le recours à la reconnaissance faciale ou à l’interconnexion de fichiers. Des amendements avaient été déposés pour matérialiser cette interdiction, ils furent tous rejetés par le groupe LREM. La précision apportée par la CNIL est donc riche de conséquences.

Les caméras un peu trop individuelles

La proposition de loi, portée par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ouvre la possibilité pour les forces de l’ordre de déporter les images captées par les caméras mobiles à un centre de commandement, en temps réel. Ce, dès lors que « la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée ».

Les autorités pourront se servir de ces enregistrements pour combattre les faits jugés « alternatifs » et diffusés en boucle sur les réseaux sociaux, afin d’informer le public sur les circonstances de l’intervention. La CNIL réclame de solides garanties pour « préserver les libertés individuelles et publiques attachées à l’anonymat dans l’espace public en recourant par exemple à des solutions techniques de floutage ».

L’agent pourra aussi consulter ces images « dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention ». La mesure est considérée comme légitime par la CNIL, mais celle-ci réclame que les textes d’application décrivent « précisément les missions et circonstances justifiant cet accès ». Et elle annonce déjà qu’elle lancera des contrôles pour s’assurer que l’intégrité des enregistrements est bien assurée en pratique.

L’usage malveillant des images des policiers, déjà sanctionné

Au détour de son avis de 12 pages, elle revient sur l’article 20 bis de la proposition de loi. Aujourd’hui, sur décision de la majorité des copropriétaires, les images des caméras installées dans les parties communes des immeubles d'habitation peuvent être transmises aux policiers et gendarmes. Cet accès est possible seulement « lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d'une atteinte grave aux biens ou aux personnes ».

Suite à un amendement porté par Alice Thourot (LREM), la diffusion pourra se faire « en cas d’occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité des lieux ». Ces critères d’accès sont jugés très, pour ne pas dire trop, larges. La CNIL demande que la formulation soit « resserrée ».

La Commission n’a pas fait l’économie d’un examen de l’article 24 sur le visage des policiers, celui sur lequel se sont concentrées de nombreuses critiques, de la presse et dans des manifestations. Le texte punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, dans le but manifeste de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique, l’image du visage d’un policier ou d’un gendarme, ou de n’importe quel autre élément d’identification.

Elle rappelle utilement que ces utilisations d’images constituent des traitements de données à caractère personnels. Or un usage à des fins malveillantes n’est pas une finalité légitime au regard de la loi de 1978. Conclusion : il est déjà possible de les réprimer.

La proposition de loi sera prochainement examinée en commission des lois, avant son examen en séance au Sénat.

Plan social chez Criteo

Par : Marc Rees,
1 février 2021 à 15:27

Criteo s’apprète à sabrer dans ses effectifs, a-t-on appris de sources internes. Ce plan nous a été confirmé par l’entreprise. Selon nos informations, il devrait toucher 10 % du personnel. 

Peu de détail pour l’instant, mais le géant de la publicité en ligne va réduire la voilure. Contactée, l’entreprise nous confirme que « dans le cadre de [sa] transformation, la société a procédé à un examen de son organisation mondiale au cours des derniers mois ».

Suite à cet examen, « la société a communiqué aux salariés le 1er février 2021 un plan d'ajustement de sa structure de coûts et de retour à une croissance durable ».

« Côtée en bourse, la société Criteo, et ses filiales, est l'un des leaders du Commerce Marketing grâce au machine learning et à ses 2 700 employés » indiquent les pages officielles. Selon nos informations, le plan pourrait toucher 10 % des effectifs. Plus de détails sous peu. L'entreprise détaillera ses résultats le 10 février prochain

 

DSA, vérification d’identité, sites miroirs… le projet de loi Séparatisme devant les députés

Par : Marc Rees,
1 février 2021 à 14:50

Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » (ou PJL « Séparatisme ») entame son examen en séance aujourd'hui à 16 heures. Les inévitables amendements ont été déposés. Panorama des propositions touchant au numérique.

Le texte, véritable fourre-tout, ouvre une nouvelle fenêtre d’opportunités pour les députés en mal de régulation. Et nécessairement, Internet et les nouvelles technologies en général, sont une cible de choix, comme nous allons le voir. Internet, mais pas seulement puisque la télévision est aussi concernée.

Des députés Agir ensemble souhaitent par exemple permettre au juge de prononcer à titre de peine complémentaire, la diffusion sur les chaines de télévision de la condamnation de la personne reconnue coupable de faits de provocation à la commission d’un crime ou d’un délit » (1679). Selon eux, le juge pourra par ce biais informer les téléspectateurs et les auditeurs « des condamnations prononcées contre des personnalités invitées ou employées par des chaines de télévision ».

Le miroir de l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale

Surtout, l’article 18 du projet de loi vient condamner les diffusions d’informations sur une personne permettant de l’identifier ou la localiser, avec une précision : cette diffusion doit avoir été faite dans le but de l’exposer à un risque d’atteinte à la vie ou aux biens, ce à l’égard d’elle ou même de sa famille.

La disposition a été inspirée de l’assassinat du professeur Samuel Paty. Elle est aussi et surtout le miroir de l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, contre laquelle des manifestations sont organisées chaque samedi.

La notion d’ « information » est très vaste puisqu’elle intègre celles relatives à vie privée, familiale et même professionnelle d’une personne. L’infraction sera alors punie de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, voire 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende quand la personne concernée est mineur ou dépositaire de l’autorité publique.

Marc Le Fur (LR) a déposé un amendement de suppression, jugeant l’infraction beaucoup trop étendue en l’état. « Un simple appel à manifester devant un bâtiment public, sans mention du nom du fonctionnaire, sera-t-il pénalisé ? » s’interroge-t-il, non sans craindre en creux une réponse positive (774)

Même remarque chez Guillaume Chiche (non inscrit) : « le délit de mise en danger est un délit qui prohibe un comportement indépendamment de l’existence de résultat. Par conséquent, l’instauration de ce nouveau délit risque d’entrainer des conséquences délétères » (675). 

Emmanuelle Ménard juge l’article inutile : « le droit actuel comportant déjà de nombreuses dispositions permettant de punir cette incitation aux crimes et aux délits, cet article 18 ne semble pas nécessaire » (1148).

Et pour Charles de Courson (Libertés et Territoires), « si le dispositif juridique proposé permet que le comportement prohibé soit réprimé indépendamment de l’existence du résultat, il sera complexe de caractériser correctement l’infraction. Il faudra rapporter la preuve du caractère malveillant de la diffusion en l’espèce. Or, on ne condamne pas sur une intention, il faut la prouver » (1429).

La France Insoumise dresse sans mal un pont avec l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale (relative à la photo du visage des policiers), non sans relever que l’article 18 est inscrit dans le Code pénal et concerne cette fois toutes les personnes. « Sa rédaction n’en demeure pas moins aussi inquiétante » note le groupe qui réclame donc sa suppression (1596).

Charles de Courson a d’ailleurs déposé un amendement reprenant l’article 24, afin d’interroger le gouvernement sur l’articulation de ces deux infractions aux périmètres si voisins. « Ces deux articles, aux objectifs similaires, auront-ils vocation à cohabiter ? » (1434).

« Ce nouveau délit, comme l’indiquait monsieur le garde des Sceaux en audition, va bien au-delà de l’article 24 de la proposition de loi Sécurité globale. En effet, seront pénalisés également les cas de révélation d’information relative à la « vie professionnelle » d’un individu, et l’amendement mentionne les risques directs d’atteinte aux biens. Ces notions sont larges et parfois très floues » remarquent aussi les députés Reiss et Hetzel (LR) (1959).

Émilie Cariou notamment recommande également de supprimer cet article. « Il faut nécessairement une politique de protection par la puissance publique des personnes - notamment concrétisée par une politique pénale judiciaire dotée d’orientations claires, pragmatiques et financées en moyens humains et matériels ». Toutefois, « cette juste action publique ne peut être remplacée par la création d’infraction floue et probablement surabondante par rapport à celles existantes » (2198).

Dans la salve des amendements suivants, le PS préfèrerait faire condamner moins lourdement les atteintes aux biens (1006) « Il en va de la proportionnalité de la mesure et donc de sa conformité à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ».

Dans le n°1007, ils entendent préserver la liberté d’informer : « Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. »

Des députés LR veulent réprimer également « le fait de communiquer des éléments de la vie étudiante permettant d’identifier une personne qui pourraient lui porter atteinte ». Un amendement baptisé « Mila » (124).

La rédaction actuelle pose néanmoins de lourds problèmes sur le terrain de l’intentionnalité, souligne notamment l’amendement 242 signé par plusieurs députés LR. « Tel que rédigé, cet article est flou avec des contours imprécis. Il convient de préciser que les faits révélés sont dans l'intention de nuire comme l'a indiqué le Procureur de Paris lors de son audition ». Ils veulent expressément mentionner que la diffusion soit faite avec l’intention de nuire, pour s’engager vers la condamnation de l’auteur. 

Le député Olivier Falorni (Libertés et Territoires) entend profiter du texte pour revoir à la hausse les peines en matière d’usurpation d’identité lorsqu’elle est réalisée en ligne. Une circonstance aggravante devrait selon lui être punie de deux ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende, contre un an et 15 000 euros d’amende aujourd’hui (1724). 

Vers un délit d’incitation à la haine ?

Plusieurs autres mesures sécuritaires sont sur la rampe. Ainsi, le député LR Meyer Habib dans le n°1443 veut introduire « un délit d’incitation à la haine de la France ». « Les propos de haine contre la France se banalisent, trouvent refuge chez des chanteurs de rap, comme Nick Conrad, qui dans sa chanson « Doux pays » en 2019, dit notamment "brûler la France". Les exemples sont hélas légions ! »

Autre exemple cité par le député : « récemment, en réponse aux re-publications des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, ainsi que le discours d’Emmanuel Macron évoquant un "islam en crise" lors de son allocution sur le séparatisme islamiste le 8 octobre 2020 et l'hommage national à Samuel Paty le 16 octobre suivant, de nombreux pays arabes notamment le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis, l'Algérie, l’Iran, la Jordanie ont manifesté une hostilité envers la France ».

Le même Meyer Habib entend assimiler l’antisémitisme à l’antisionisme dans la loi de 1881. Seraient punis des mêmes peines (cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende) ceux qui « auront incité à la haine envers l’existence même de l’État d’Israël ou qui auront appelé à sa destruction. » (1447)

Au n°1807, il réintroduit le délit de consultation des sites terroristes, censuré par deux fois par le Conseil constitutionnel en 2017. 

Vérification d’identité, modération en France

Le texte étant sécuritaire, il est un appeau aux propositions déjà tentées par le passé. Éric Ciotti entend ainsi encore et toujours imposer la vérification d’identité sur les plateformes et même chez tous les hébergeurs dépassant un seuil de connexion. « L’objectif est double : celui qui publie un message sera non seulement identifiable immédiatement, mais aussi responsable des contenus qu’il aura publiés. Cela sera de nature à remédier au sentiment d’impunité qui existe pour les auteurs de propos haineux sur internet » (1629)

Relevons aussi le n°2537 du député Jolivet qui entend obliger tous les hébergeurs à avoir des équipes de modération « situées en France ». Le même, dans le n°2580, veut rendre responsable les sociétés d’hébergement de tous les dommages, du moins « si elles n'ont pas pris toutes les mesures visant à éviter ce dommage ». Une mesure en contrariété directe avec le régime de responsabilité de la directive e-commerce de 2000 qui ne prévoit pas de mesures similaires.

Protection des journalistes

Dans le 2363, le député Belkhir Belhaddad (LREM) rappelle que « le Code pénal a prévu des sanctions aggravées lorsque des violences sont commises sur un agent chargé de mission de service public, un professionnel de santé ou encore un gardien d’immeuble ».

Son amendement ajoute « explicitement la profession de journaliste à cette liste définie par la loi. En effet, il paraît pertinent et équilibré, pour faire vivre les principes républicains, que tout journaliste puisse effectuer son devoir d’information sans risque pour son intégrité physique ».

Ainsi, « les violences qui auraient entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail seraient punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises dans l’exercice ou du fait des fonctions de journaliste, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur ».

Droit de réponse sur les réseaux sociaux

Au n°1137 Paula Forteza et plusieurs autres députés souhaitent revoir le régime du droit de réponse en ligne. Il prévoit « que les internautes visés par une publication pourront le faire valoir même s’il est possible de répondre directement (à un tweet, à une publication Facebook…) ».

Pour cela les réseaux sociaux devraient « mettre en place "un dispositif facilement accessible et visible depuis le service" , afin que chaque internaute mis en cause puisse exercer son droit de la manière la plus simple possible. L’auteur du message sera tenu d'insérer la réponse dans un délai de trois jours, sous peine d’amende, et dans des formes identiques à celles de la mise en cause : tweet, post Facebook, etc. »

Les sites miroirs

Sur l’article relatif à la lutte contre les sites miroirs, il s’agira de rendre plus effective les décisions de justice exigeant le blocage d’un site parce qu’il recèle certaines infractions (injures aggravées, apologies de certains crimes, provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence, harcèlement sexuel, traite des êtres humains, proxénétisme, pédopornographie et provocation au terrorisme, mais aussi exposition de mineurs à des messages violents ou pornographiques ».

Si ce site revient sous un autre nom de domaine, le texte autorise une « autorité administrative » (sans doute l’OCLCTIC), au besoin saisie par toute personne intéressée, à demander aux hébergeurs et aux FAI d’étendre le blocage à ce miroir si les contenus sont « identiques » ou simplement « équivalents ». Et si les intermédiaires refusent, il faudra ressaisir le juge.

Éric Ciotti entend réduire les marges de manœuvres laissées aux FAI et hébergeurs en imaginant une sanction en cas de non-respect de l’obligation de retirer ou de rendre inaccessible les contenus. Elle serait « d’un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende pour une personne physique. Ce montant est porté à 37,5 millions d’euros pour une personne morale. » (1628).

Éric Bothorel dans le n°657 préfère permettre l’extension de ces mesures non aux seuls FAI ou hébergeurs, mais « à toute personne susceptible d’y contribuer ». Selon l’élu LREM en effet, « il paraît préférable de ne pas s’en tenir à une liste limitative dans un contexte où les technologies évoluent très rapidement dans ce domaine, comme l’illustre par exemple la généralisation à venir du protocole DNS over HTTPS ».

Dans le n°1067, le même veut qu’une liste noire soit érigée par la même autorité, à charge pour les annonceurs de couper les vivres de ces sites. Et dans le n°1068 il veut muscler cette approche dite « follow the money ».

Au MoDem on tient à ce que les intermédiaires techniques soient indemnisés pour ces opérations de blocage et autres suppressions d’accès (1686).

La pré-transcription du Digital Services Act

Le gouvernement entend avec ce projet de loi prétranscrire dans notre droit le futur Digital Services Act, le nouveau régime de responsabilité et d’encadrement des plateformes et autres réseaux sociaux. La mesure est à tout le moins ambitieuse puisqu’en anticipant le droit futur, l'exécutif compte avant tout rajouter des nouvelles obligations non prévues par la directive de 2000 sur le commerce électronique, toujours en vigueur.

La démarche agace. Des députés LR, aux amendements 945 et 947 citent Next INpact pour dénoncer cette charrue française avant le bœuf européen. « La situation va conduire nécessairement la France vers un texte en contrariété avec le droit européen existant, au prétexte d’une mise en conformité avec un futur droit européen hésitant » expliquent-ils, non sans reprendre ce passage dans notre brève

Chez Libertés et Territoires, même analyse : les députés regrettent le dépôt en commission de l’amendement gouvernemental, qui a donc su éviter d’y consacrer une partie de son étude d’impact. Ils dénoncent des bases juridiques très fragiles. « Si chaque pays se met à anticiper l’adoption du DSA (…) et en adoptant sa propre législation en faisant son marché dans le projet de DSA (ce que projette la Pologne par exemple), en multipliant les autorités compétentes comment va-t-on gérer la compétition entre les différentes régulations européennes ? » (1452)

Paula Forteza entend elle exclure les plateformes à but non lucratif comme Wikipedia, des obligations de moyens qu’entend imposer le gouvernement français. « Certains acteurs à but non lucratif, dont les contenus sont modérés par des bénévoles, pourraient (…) se trouver dans l’incapacité de répondre aux nouvelles obligations posées par ce texte » regrette-t-elle

Au n° 861, le député Raphael Gérard souhaite cette fois revoir les obligations de retrait pesant sur les plateformes. « Les associations féministes se font régulièrement l’écho de retraits abusifs de contenus présentant de la nudité féminine, y compris lorsque de tels contenus sont dépourvus de connotations sexuelles sur les plateformes, à l’instar de la censure de la couverture de Leslie Barbara Butch dans Telerama par Instagram et Facebook ». Son amendement veut que ne soit retiré que « les contenus impliquant de la nudité ou ayant trait à la sexualité uniquement lorsque cela est strictement nécessaire au regard de la poursuite de l’intérêt général attaché à la lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie ».

Laetitia Avia qui endosse la casquette de rapporteure sur les articles relatifs à la lutte contre la haine en ligne a introduit un amendement 2518 pour écarter les plateformes de vente ou d’échanges de biens et services. Un oubli consécutif à l’empressement LREM à vouloir légiférer plus vite que l’Europe.

Ajoutons qu’une cohorte de députés LREM comptent introduire une sorte de Permis internet attestant que les élèves du primaire et du collège « ont bénéficié d’une sensibilisation au bon usage des outils numériques et des réseaux sociaux, aux dérives et risques liés notamment aux contenus haineux et illicites, ainsi qu’aux fonctionnements et biais technologiques de ces outils. » (2584). L’idée avait déjà été soutenue en commission, mais repoussée car la majorité des députés ont expliqué à Laetitia Avia que le dispositif existe déjà. 

Dans l’amendement 2585, est annoncée une généralisation de cette certification « dès l’année scolaire 2021-2022 pour les classes de terminale en lycée général, technologique et professionnel, de CAP, et pour les étudiants en 2e année de BTS et CPGE ».

Internet, les mineurs, l’enfermement et la charge émotionnelle

Valéria Faure-Muntian (LREM) compte obliger les plateformes à détailler chaque semaine à chaque abonné le temps passé sur la plateforme, le type et la provenance de contenus visualisés, ainsi que des thématiques abordées. Elles devraient aussi les informer « des contenus illicites qui ont été visionnés avant leur retrait de la plateforme ». Dans son amendement 2214, elle relève que « les mécanismes algorithmiques des plateformes sont en effet susceptibles d’enfermer progressivement les utilisateurs dans des bulles informationnelles où peuvent notamment se diffuser des contenus illicites ou tendancieux ».

Ces effets « poussent ainsi l’utilisateur à développer des biais cognitifs de confirmation toujours plus poussés, encourageant l’absence d’objectivité, le manque d’avertissement des utilisateurs et, plus préoccupant encore, le processus de repli sur soi ».

Dans le 2219, elle veut aller plus loin pour contraindre Facebook et autre Twitter à identifier « les contenus susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs », selon l’expression puisée dans la loi de 1986 sur la liberté de communication.

Le mineur serait alors informé « de manière claire, accessible et facilement compréhensible, lorsqu’un contenu visionné est porteur d’une charge émotionnelle à forte intensité ».

C’est un contenu qui « sans nécessairement être illicite, est de nature à nuire, notamment en raison de son caractère violent, choquant ou particulièrement viral, à l’épanouissement physique, mental ou moral du mineur ».

Le mineur serait tout aussi informé « de manière claire, accessible et facilement compréhensible, lorsqu’il s’expose à un risque d’enfermement » Soit les contenus « qui, visionnés de façon régulière et répétée dans le temps, sont de nature à nuire, en raison de charges émotionnelles à forte intensité ou de leur caractère addictogène, à l’épanouissement physique, mental ou moral du mineur »

Des obligations qui obligeraient les plateformes à surveiller activement l’ensemble des contenus mis en ligne. En violation de l’article 15 de la directive e-commerce.

La députée veut que les mêmes Facebook, Twitter et autres adoptent les symboles et autres messages d’avertissements lorsque des programmes sont diffusés notamment à destination des mineurs (signalétiques interdits aux moins de 16 ans, -18 ans…)

Ce n’est pas tout. Les mêmes plateformes devraient veiller « à recommander en priorité aux mineurs des contenus éducatifs adaptés à l’âge de l’utilisateur, en certifiant des contenus favorisant l’épanouissement physique, mental et moral du mineur ». Rien de moins.

Les députés LREM optent pour un projet moins ambitieux. Ils veulent tout de même que les plateformes, lors de l’inscription d’un mineur, lui adressent une information « sur l’utilisation civique et responsable dudit service et sur les risques juridiques encourus en cas de diffusion par le mineur de contenus haineux ». Les parents recevraient un document similaire, toujours lors de l’enregistrement de moins de 18 ans (2599)

Ajoutons que le projet de loi va étendre la procédure de comparution immédiate pour les personnes accusées de délits de provocation à la commission d’infractions graves, des délits d’apologie d’infractions graves, délits de provocation à la haine discriminatoire. Le groupe GDR s’y oppose (2013) au motif que cette procédure rapide « qui concernait initialement les seuls flagrants délits est considérée par de nombreux professionnels comme une justice expéditive dans laquelle les avocats disposent de très peu de temps pour prendre connaissance du dossier ». De plus, « aucune étude ne permet d’étayer le paradigme suivant lequel la justice rapide serait une justice plus efficace ».

En centre de rétention à cause de son comportement 

D’autres amendements LR veulent étendre les délais de prescription dans la loi de 1881 (752) notamment lorsque certaines infractions sont commises « à l’encontre d’une personne chargée d’une mission de service public ou d’un agent d’un établissement scolaire » (250)

Dans l’amendement 1442, le député Meyer Habib souhaite que le ministre de l’Intérieur puisse placer en centre de rétention ou sous surveillance électronique n’importe quel individu « à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il constitue, par son comportement, une grave menace pour la sécurité nationale ».

La décision initiale s’étendrait sur un mois. Au-delà, le juge de la détention pourrait l’étendre jusqu’à cinq mois, période aux termes de laquelle le ministre pourrait « prendre une nouvelle décision d’assignation dans un centre de rétention ou de placement sous surveillance électronique ».

Des députés LREM souhaiteraient que tous les élèves disposent d’un matériel scolaire identique, dont une tablette électronique, dans les écoles élémentaires, collèges et lycées. Une obligation pesant sur les épaules de l’État. « La fourniture d’un matériel scolaire identique à tous les élèves participe à faire tomber ce qui pourrait détruire moralement un jeune, qui n’aurait pas les ressources financières suffisantes pour être épargné par les insultes ou les violences ».

Copie privée : bataille sur l'extension de la redevance aux biens reconditionnés

Par : Marc Rees,
29 janvier 2021 à 09:31

Ce n’est plus un secret : le monde de la Culture lorgne avec appétit les téléphones reconditionnés. L’idée ? Faire tomber ces secondes vies commerciales dans le périmètre de la redevance pour copie privée. Peu importent les conséquences pour l’écologie ou les acheteurs. Le Sénat tente de freiner ce rêve doré, soutenu par Cédric O.

Inutile de présenter cette redevance, tellement le sujet a occupé nos colonnes depuis plus de 15 ans. Retenons que cette ponction, que prélèvent les sociétés de gestion collective comme la SACEM, vient compenser un préjudice : la possibilité pour chacun de réaliser des copies à titre privé d’œuvres protégées, sans le sacro-saint accord des titulaires de droits.

L’acheteur paye donc une redevance lors de l'acquisition de ces supports, en contrepartie d'une liberté de copie. C’est une commission administrative, hébergée par le ministère de la Culture, qui décide des barèmes. Les ayants droit y sont en force (12 représentants, face à 6 industriels et 6 autres consommateurs) pour voter les montants qu’ils vont donc percevoir.

En 2019, les barèmes appliqués aux clés USB, tablettes, disques durs externes, cartes mémoire ou autres smartphones leur ont rapporté la bagatelle de près de 270 millions d’euros. Une manne importante pour l’univers culturel, d’autant que si 75 % sont redistribués aux titulaires de droits, 25 % servent à financer les festivals et autres actions collectives.

Souci : le secteur sait ce trésor annuel menacé. D’une part, le secteur de la téléphonie concentre la majorité des prélèvements, avec plus de 70 % de parts de marché en 2019. En clair, tous les œufs sont un peu dans le même panier.

D’autre part, les consommateurs copient de moins en moins. La génération qui dupliquait des fichiers à tour de bras pour alimenter d’épaisses bibliothèques a laissé place à la génération Spotify, Deezer ou YouTube. D’une logique de stock, voilà la logique de flux.

Avec une redevance dépendant des supports de stockage importés en France, on comprend que les sociétés de gestion collective puissent craindre des lendemains douloureux. Et l’idée que cette « rémunération » puisse baisser leur est insupportable, quand bien même elle n'est que la compensation d’un préjudice, en rien un pseudo-salaire.

Pour anticiper ces effets financiers, plusieurs stratégies sont en cours. Il y a bien sûr les biens achetés par les professionnels. Alors que ceux-ci devraient pouvoir se faire rembourser cette ponction, la procédure est suffisamment compliquée pour les en dissuader. Conclusion : contrairement à ce qu'impose le droit européen, des millions de pros payent une redevance sur ces supports. Les sommes non remboursées sont dès lors partagées par le secteur culturel.

Comme déjà révélé dans nos colonnes, il y a aussi le prochain assujettissement des ordinateurs et disques durs nus. L’un des derniers bastions qui restaient encore préservés pour des raisons historiques (ne pas freiner l’informatisation des foyers) est en train de tomber. La phase préparatoire est engagée depuis juillet 2020. 

Mais une autre cible est dans le viseur, rue de Valois : les biens reconditionnés. L’idée ? Frapper ces produits, peu importe qu'ils soient achetés par conviction écologique ou en raison de capacités financières restreintes. La Culture a des besoins bien plus impérieux.

Les biens reconditionnés, nouveau marché de la Redevance Copie privée

Souci, la redevance aujourd’hui est prélevée lors de la mise en circulation en France. L’importateur déclare donc ses stocks de supports à Copie France, la société des organismes de gestion collective. Il paye la copie privée afférente et déporte son coût sur le grossiste. Celui-ci se retourne à son tour sur le détaillant pour arriver enfin sur les épaules de l’acheteur final.

Avec l’essor de l’économie circulaire, ces règles d’assujettissements tombent sur un os : avec le reconditionnement, il y a non seulement l'importation puis la vente par exemple d'un téléphone neuf. Cette opération est en effet suivie de deux ou plusieurs ventes successives à des grossistes, des reconditionneurs, puis des particuliers.

Le 26 mai 2020, Next INpact révélait que le collecteur Copie France avait malgré tout assigné plusieurs reconditionneurs pour les faire passer à la caisse. Le combat judiciaire est depuis en cours. Et quel combat ! « Si on assujettit les produits reconditionnés, le consommateur va payer deux fois cette redevance. Une fois sur le produit neuf. Une fois sur le produit d’occasion », nous confiait par exemple Jean-Lionel Laccourreye, président du SIRRMIET, le fameux Syndicat Interprofessionnel du Reconditionnement et de la Régénération des Matériels Informatiques, Électroniques et Télécoms.

Un thème inscrit à l'ordre du jour en Commission

Le 16 novembre dernier, Jean Musitelli, président de la Commission copie privée, a tenté de siffler la fin de la récré : il a proposé seul d’inscrire la question des supports reconditionnés à l’ordre du jour.

Ce cheveu n'est pas tombé dans la soupe par hasard mais suite à un bras de fer entre plusieurs ministères : « le sujet des supports reconditionnés a été abordé au cours d’une réunion interministérielle concernant le projet de loi Environnement et numérique (ndlr : c'est une proposition de loi). À cette occasion, les ministères de l’Économie et de la Transition Écologique ont proposé d’introduire une disposition prévoyant l’exclusion du champ de la rémunération pour copie privée des supports reconditionnés. Le ministère de la Culture s’est opposé à cette exclusion ».

Toutefois, a relevé encore Jean Musitelli, « à la suite d’un arbitrage opéré par les services du Premier ministre, il a été décidé de ne pas donner suite à l’exclusion des supports reconditionnés du champ de la rémunération, mais de réfléchir à la mise en place d’un tarif différencié ».

En clair, la Culture était pour cet assujettissement, l’Écologie contre au point d’envisager un amendement taillé sur mesure. Et Jean Castex a tranché en faveur de la Rue de Valois, décision que Musitelli, président de cette instance non indépendante, s’est empressé d’inscrire fidèlement à l’agenda.

Celui-ci estime depuis « nécessaire de bien définir les caractéristiques propres aux appareils reconditionnés afin de déterminer en quoi ils se distinguent des produits neufs ». Évidemment, « s’il s’avère opportun de mettre en place un traitement différencié, il conviendra de déterminer selon quelle méthode la Commission le mettra en place ». Il s’agira donc de déterminer si ces biens flirtant avec la fin de vie commerciale doivent être soumis au même barème que les produits neufs, ou sous un tarif spécifique. 

La proposition de loi précitée « poursuit un objectif très louable. Il est important de prendre en compte l’empreinte du numérique sur l’écologie » concède encore Musitelli. Toutefois, il estime « que le numérique a aussi une empreinte sur la culture et l’exception de copie privée en est un des éléments ». Dit autrement, le vert est vraiment une jolie couleur, mais l'enchantement ne doit pas priver les ayants droit de millions d’euros supplémentaires. 

Toujours Rue de Valois, le plan d’attaque a été immédiatement applaudi par Pascal Rogard (membre de Copie France) qui a voulu rappeler que « la culture est un des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire », tout en se disant « d’accord avec l’arbitrage du Premier ministre qui consiste à mettre le sujet des supports reconditionnés entre les mains de la Commission ».

Un agenda pour l'extension de la redevance

Le 11 décembre dernier, nouvelle réunion de la Commission Copie privée et nouvelle accélération : le président a cette fois proposé un programme de travail à bref délai, étendu du 12 janvier au 1er juin. Les grandes manœuvres sont donc en place :

agenda biens reconditionnés copie privée

Fin de l’acte 1 rythmé donc par un empressement hors norme.

L'acte 2 s'est joué cette fois au Sénat à l’occasion de l’examen en séance de la fameuse proposition de loi, celle visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France.

Une PPL transpartisane portée par Patrick Chaize (LR), Guillaume Chevrollier (LR) Jean-Michel Houllegate (PS) et Hervé Mauray (UC) et qui, selon le résumé officiel, « vise à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu'il s'agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d'un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux ».

L'amendement Chaize pour exclure la redevance

Le 12 janvier dernier, Partick Chaize a en effet déposé un amendement qui vient fracasser le plan du trio Industries Culturelles - Ministère de la Culture - Commission Copie privée.

La rustine parlementaire précise que la redevance pour copie privée « n’est pas due non plus lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. »

L'élu s’en explique dans l’exposé des motifs : « le paiement de la rémunération pour copie privée est collecté sur les produits neufs lors de leur mise en circulation en Europe. Or, un produit ne peut faire l'objet que d'une seule mise en circulation au sens de l’article 1245-4 du Code civil ».

Cet article prévient clairement qu’« un produit est mis en circulation lorsque le producteur s'en est dessaisi volontairement », non sans préciser qu’« un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation ». Patatras.

Pour Chaize donc, la redevance ne doit s’appliquer qu’aux seuls produits reconditionnés qui proviennent d’Europe, sachant que « la redevance ne doit être payée qu’une seule fois sur un même produit. » En somme, si un produit est reconditionné en Allemagne puis importé en France, il serait soumis. Mais si ces opérations n’ont lieu qu’en France, avec déjà un prélèvement de RCP, il n’y aura pas de ponction sur les reventes successives.

Des raisons pas seulement juridiques

Les raisons avancées ne sont pas seulement juridiques. « L’application de cette obligation aux produits reconditionnés ferait peser une menace sur un secteur en développement et apportant une contribution majeure à l’essor d’une économie numérique plus circulaire et plus vertueuse » ajoute le parlementaire. 

Ainsi, « si ces produits numériques reconditionnés devaient être soumis à cette redevance, le coût supplémentaire serait supporté par les consommateurs eux-mêmes et pourrait favoriser l’achat de produits neufs à faible coût, mais de moindre qualité technique et de plus fort impact environnemental plutôt que l’achat de produits reconditionnés en Europe ».

Frapper les biens reconditionnés « provoquerait un double coup en ces temps de crise : une perte de pouvoir d’achat pour les Français et un frein au développement de solutions environnementalement vertueuses ».

Cédric O personnellement contre une telle extension

En séance, les partisans de cette exclusion ont croisé le fer avec les parlementaires très portés sur la cause culturelle. Duel où est intervenu Cédric O.

Ce 12 janvier, les sénateurs n’ont pas seulement adopté un taux de TVA réduit à 5,5 % pour l’acquisition de produits électriques et électroniques reconditionnés, ainsi que pour les services de réparation de biens comportant des éléments numériques.

Ils ont aussi adopté l’amendement Chaize excluant la redevance pour copie privée.

Pour le sénateur Jean-Michel Houllegatte, « les biens reconditionnés n’ont encore jamais fait l’objet dudit prélèvement. Pour autant, nous avons appris que la commission chargée de déterminer les types de supports entrant dans le champ de la rémunération envisageait une telle mesure. À nos yeux, le fait d’exonérer les biens reconditionnés du paiement de la rémunération pour copie privée n’entraînerait donc pas, à ce jour, de perte de recettes pour le monde de la culture : il s’agirait tout au plus d’une perte de recettes hypothétique(s) ».

D'autres arguments ont été mis sur la table : « l’application de la rémunération pour copie privée à un smartphone de 250 euros pourrait se traduire par un prélèvement d’environ 10 euros. Autrement dit, cet assujettissement annulerait presque intégralement la baisse des taux de TVA sur les biens reconditionnés, que nous avons souhaité introduire ».

Le geste fiscal pour l'écologie serait donc annulé dans l'estomac du monde de la Culture, sur le dos d'acheteurs parfois peu fortunés, frappés eux-aussi par la crise et/ou sensibles aux impacts environnementaux du numérique.

Et si on doublait les barèmes ? 

L’analyse n’a pas été partagée par Laure Darcos (LR). Pour la vice-présidente de la commission de la Culture, « il s’agit non pas d’assujettir deux fois le même équipement, mais de partir du principe que les produits reconditionnés disposent d’une seconde vie : leur nouvel utilisateur pourra employer toutes leurs fonctionnalités d’origine ». Et selon les évaluations du ministère de la Culture et des acteurs de la filière, les sommes en jeu frôleraient les 20 millions d’euros. Peu importe là encore si ce prélèvement menace des filières fragiles et naissantes,.

La sénatrice a imaginé une autre piste avec une finesse de bulldozer : si avec cette proposition de loi en faveur des produits reconditionnés, « la durée d’utilisation des smartphones est portée de deux à quatre ou cinq ans, doublons le montant de la taxe ! » (sachant que la redevance n’est pas une taxe). 

Les convictions de Cédric O, la position du gouvernement 

Cédric O s’est appuyé sur une évaluation juridique interne pour « confirmer » que les biens reconditionnés « ne sont pas assujettis à la rémunération pour copie privée ». Alors que la Commission s’engage malgré tout sur cette voie, « à titre personnel, j’estime que les dispositions proposées par M. Chaize ont du sens ».

Sauf qu'avec l'arbitrage Castex, le secrétaire d’État au numérique a été contraint d’émettre un avis défavorable sur l’amendement. Malgré tout adopté par le Sénat, le texte part maintenant à l’Assemblée nationale, où le groupe LREM a cette fois la majorité.

Autant dire que les jours sont comptés pour l’amendement Chaize, alors que se prépare l’extension de la redevance en Commission Copie privée sur le reconditionné, quand les tribunaux examinent déjà sa solidité juridique

La nouvelle régulation des plateformes adoptée en commission parlementaire

Par : Marc Rees,
26 janvier 2021 à 16:12

Le projet de loi « séparatisme » termine son examen en commission spéciale. Enclenché à cette occasion, le futur de la régulation des plateformes. Le texte est prêt pour son passage en séance avant le Sénat. Bilan d’étape sur les dispositions touchant au numérique.

Le texte, rebaptisé projet de loi « confortant le respect des principes de la République » sera en séance à partir du 1er février. Là, les parlementaires pourront à nouveau proposer une série d’amendements sur chacune des dispositions. La base de travail sera non le texte initial déposé par le gouvernement, mais sa version modifiée en commission spéciale.

Dans cette version modifiée, plusieurs articles concernent directement « la lutte contre les discours de haine et les contenus illicites en ligne ».

Ils ont eu pour rapporteure l’inévitable Laetitia Avia, la députée LREM qui avait déjà tenté de faire passer sa loi contre la haine avant sa vaste censure du Conseil constitutionnel. La députée a donc « remis le couvert », espérant voir plusieurs dispositions passer cette fois.

L’article « Samuel Paty »

Le premier article à suivre introduit une nouvelle infraction, très inspirée de l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale, celui qui sanctionne le fait de diffuser l’image du visage d’un agent des forces de l’ordre à des fins manifestement malveillantes. 

L’article 18 dont il est ici question a été adopté sans profond changement par rapport à la version initiale. Avec l'assassinat de Samuel Paty en mémoire, il sanctionne le fait de révéler, diffuser ou transmettre (donc toutes les actions possibles) des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne.

Ce n’est pas tout. Ces « informations » devront permettre d’identifier ou de localiser une personne ou les membres de sa famille dans le but de l’exposer à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens. Un risque que l’auteur de la révélation, de la diffusion ou de la transmission « ne pouvait ignorer ».

Un millefeuille de conditions est donc exigé, mélangeant volonté délictuelle (« dans le but ») et faute caractérisée (« ne pouvait ignorer »). Ce responsable encourra en l’état, trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, et même cinq ans et 75 000 euros quand les faits visent une personne dépositaire de l’autorité publique ou sont commis au préjudice d’un mineur.

Une procédure non publique contre les sites miroirs

Les députés ont profité de cette fenêtre pour réécrire une partie de la loi sur la confiance dans l’économie numérique. Dans le droit actuel, lorsque le juge impose des mesures destinées à prévenir ou faire cesser un dommage, il faut d’abord passer par l’hébergeur puis à défaut, par le fournisseur d’accès. Pour accélérer ces traitements, ce cheminement hiérarchique (appelé principe de subsidiarité) est supprimé.

Autre nouveauté prévue par le texte gouvernemental, la lutte contre les sites miroirs. Un chantier qui avait débuté en matière de propriété intellectuelle voilà plusieurs années, décliné ici pour s’attaquer aux contenus dits « haineux ».

Hypothèse : une décision de justice exige le blocage d’un site parce qu’il recèle d’infractions considérées comme odieuses : injures aggravées, apologies de certains crimes, provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence, harcèlement sexuel, traite des êtres humains, proxénétisme, pédopornographie et provocation au terrorisme mais aussi exposition de mineurs à des messages violents ou pornographiques. Le cas cité ? Democratie Participative, site raciste et homophobe. 

Si ce site réapparait sous un autre nom de domaine, il faut en principe une nouvelle procédure. Dans le texte en gestation, une « autorité administrative » (sans doute l’OCLCTIC), le cas échéant saisie par toute personne intéressée, pourra désormais demander aux hébergeurs et aux FAI d’étendre le blocage à ce miroir, si les contenus sont « identiques » ou simplement « équivalents ».

Un blocage des équivalents inspiré d’une décision de 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette demande pourra aussi être exprimée à l’égard des moteurs de recherche, des annuaires ou tout autre service de référencement.

Tout se fera sans publicité. La demande est sans formalisme, les débats avec les intermédiaires se feront sans lumière, ni oreille. Et FAI, hébergeurs, moteurs et autres annuaires pourront accepter d’y faire suite. S’ils refusent, l’autorité judiciaire pourra être saisie, en référé ou sur requête, pour étendre ce blocage.

L’article 20 du projet de loi introduit pour sa part la possibilité de comparution immédiate à l’égard des auteurs de certaines infractions issues de la loi de 1881 qui en était traditionnellement privé. Cela vise la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence, l’apologie des crimes de guerre ou encore la provocation à des crimes contre l'humanité.

L’anticipation du futur règlement DSA

Le gouvernement a profité de ce projet de loi pour imposer cette fois une série d’obligations aux plateformes. Obligations que Paris espère voire adoptées dans le « Digital Services Act ». La future bible européenne pour moderniser la responsabilité de ces acteurs.

Lors d’une récente audition, Cédric O a précisé les vœux gouvernementaux : « notre objectif est de prétranscrire dans le projet de loi, sous la forme d’un amendement, les dispositions du DSA relatives aux grandes plateformes et aux grands réseaux sociaux ».

Il admet que le sujet est sensible « tant juridiquement (…) qu’au niveau européen » et ce 6 janvier 2021, il indiquait que cet amendement serait transmis « au Conseil d’État, qui devrait l’étudier avant l’examen en séance ». Toujours selon le secrétaire d’État au numérique, « compte tenu de cette sensibilité juridique et de l’enjeu de la conventionnalité, il n’est pas tout à fait certain que le Conseil d’État l’approuvera. Mais si le Conseil nous y autorise, nous l’introduirons en séance ».

Ce plan d’attaque n’a pas été vraiment respecté. L’amendement a été présenté et adopté dès le stade de la commission spéciale, sans que l’on ne dispose de l’avis du Conseil d’État.

Sensibilité ? La France entend s’écarter du droit actuel, pour anticiper un droit futur à l’aide de nouvelles obligations que devront respecter religieusement plateformes et autres réseaux sociaux. Une gesticulation juridique pour le moins hasardeuse qui devrait tôt ou tard être examinée par la Cour de justice de l’Union européenne. Si elle est saisie.

Lorsque le DSA entrera en vigueur, ses normes écraseront celles adoptées par la France, puisqu’un règlement est d’application directe. « Ce que nous allons prétransposer ne correspond pas à l’intégralité du DSA, dont certains éléments vont d’ailleurs évoluer au fil de la discussion européenne : il s’agit de la partie relative aux obligations de moyens pour les très grands réseaux sociaux. Compte tenu de l’urgence, nous traitons le gros du problème : la modération des contenus haineux sur ces très grands réseaux ».

Une pluie d'obligations de moyens 

Mais que prévoit en détail l’amendement gouvernemental adopté ? Le texte impose une ribambelle d’obligations dites de « moyens » à ces acteurs, avec le CSA comme gendarme. L’autorité administrative, autrefois vissée sur le tube cathodique, gagne ainsi de nouvelles compétences pour régenter l’ensemble des réseaux sociaux.

Quelles sont ces obligations ? La liste est très longue. Ils devront par exemple mettre en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant « d’informer, dans les meilleurs délais, les autorités judiciaires ou administratives des actions qu’ils ont mises en œuvre à la suite des injonctions émises par ces dernières ». Ils devront conserver temporairement les contenus qui leur ont été signalés et qu’elles ont retirés, « aux fins de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ».

Ils auront à désigner un point de contact « chargé de la communication avec les autorités publiques pour la mise en œuvre des dispositions » de cet article phare du projet de loi.

Ils devront mettre « en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques proportionnés permettant d’accuser réception sans délai des notifications relatives aux contenus » dits haineux et devront « garantir leur examen approprié dans un prompt délai ». En cas de retrait, ils devront informer l’auteur des publications litigieuses, tout en lui indiquant les voies de recours internes et judiciaires dont il dispose.

Des obligations de reporting sont également introduites. Le CSA, lui, sera chargé de veiller au respect de l’ensemble de ces obligations. Il disposera d’un accès aux principes de fonctionnement des outils automatisés auxquels les plateformes ont recours (paramètres, méthodes et données utilisées, etc.)

Le Conseil pourra mettre en demeure les réticents voire, s’il ne se plie pas, lui imposer une sanction d’un montant maximal de 20 millions d’euros ou 6 % du chiffre d’affaires annuel mondial. Dans certaines hypothèses, notamment en cas de communication d’informations fausses ou trompeuses, cette somme est ramenée à 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial.

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