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Décrire le Rabbit R1 n’est pas forcément chose facile, l’objet se positionne comme un appareil sortant des sentiers battus. Il s’agit d’un accessoire annoncé à 199$ HT aux US dont l’objectif est de se comporter comme un assistant personnel mobile. Il est, évidemment, piloté par une IA.
Le Rabbit R1 en détail
L’objet est assez joli, il est dessiné par la fameuse équipe de design de Teenage Engineering1. Le Rabbit R1 se présente comme un appareil totalement autonome. Il propose un écran de 2.88″ tactile accompagné d’une webcam rotative d’avant en arrière. Un dispositif qui permettra de se filmer ou de prendre des photos. Il propose également une molette de navigation, des microphones et un bouton qu’il suffira de presser pour parler à l’objet. Le Rabbit R1 fonctionne sur batterie et offrira une journée d’autonomie environ. Il se rechargera avec un port USB Type-C et proposera une connexion de base en Wi-Fi et Bluetooth. Egalement équipé d’un modem 4G et d’un lecteur de cartes SIM pour « naviguer » en ligne où que vous soyez, il dépendra exclusivement des serveurs de la marque. Son système d’exploitation, dérivé d’une solution Linux s’appelle Rabbit OS, et a été pensé pour faire le pont vers ces serveurs où seront pilotées les IA de l’ensemble. La start-up lance donc ici tout un écosystème : serveurs, modèle IA, système d’exploitation et l’appareil pour piloter le tout.
L’objet embarque un matériel assez basique. Un processeur Mediatek MT6765 avec 8 cœurs ont 4 sont cadencés à 2.3 GHz et sans NPU, c’est à dire sans puce capable d’accélérer localement le calcul d’une IA. Ce qui revient à dire que tous les calculs mais également toutes vos recherches seront effectuées sur un serveur externe, chez Rabbit. Cette puce a été choisie car elle propose un modem 4G plus que pour ses capacités de calcul ou graphiques. Elle est accompagnée par 4 Go de mémoire vive et 128 Go de stockage. L’ensemble est donc bien moins compétent qu’un smartphone moderne qui propose les mêmes fonctions avec de meilleurs processeurs, des écrans plus grands, des capteurs photos plus précis et la même capacité de connexion aux réseaux.
Rabbit OS, l’ingrédient secret de l’équation
Le principe de base de Rabbit OS, c’est d’utiliser une IA qui effectue toute seule les actions qu’un humain ferait en ligne. Cette IA fonctionne an tant que LAM pour « Large Action Models ». Un algorithme qui apprend à se comporter exactement comme un utilisateur classique en enchainant les actions sur des sites web. Rabbit OS sait reconnaitre les champs à compléter, cocher des éléments, ajouter des éléments dans un panier, valider des commandes et autres. Elle ne fait pas que lire les données, elle actionne les éléments qu’elle croise pour mener à bien des tâches.
Le Rabbit R1 qui l’abrite ressemble un petit peu à une enceinte connectée dans son fonctionnement mais se veut donc plus active que ces dernières. On parle à l’objet et il exécute des ordres de manière classique tout en ayant la capacité de prendre des « décisions » basiques. On peut lui demander une musique sur le service de streaming de son choix comme de lancer un minuteur ou de faire une recherche sur un service type ChatGPT. Mais on peut également lui ordonner de commander des produits en ligne ou de réserver des services. Le point qui différencie son système d’IA de celui d’un smartphone ou d’une enceinte connectée vient du fait que l’on n’a pas besoin de télécharger une application pour chaque usage. Il sera évidemment nécessaire d’identifier l’utilisateur abonné aux différentes fonctionnalités choisies, comme un service de streaming musical par exemple. Mais pour beaucoup de choses, l’assistant personnel vous proposera de prendre en charge tout seul les différentes options. Il naviguera de manière autonome.
Le Rabbit R1 fonctionne en effet en singeant l’usage que ferait un humain d’un service en ligne. Le modèle est censé être entrainé pour savoir comment se comporter devant ces éléments et donc de pouvoir être capable de le prendre en charge tout seul pour vous fournir un résultat. L’idée de Rabbit est de contourner une des problématiques majeures des systèmes d’exploitation. Au lieu de demander à des compagnies et des développeurs de construire un écosystème d’applications pour un nouveau produit, chose très difficile parce que coûteuse et pas forcément rentable pour ces développeurs, le LAM s’appuie sur des services existants déjà en apprenant à les manipuler. Pas besoin de télécharger l’application d’un loueur de voitures si vous pouvez utiliser son site directement via une IA. Après tout, de nombreuses applications ne sont que des interfaces qui manipulent des données en ligne.
La camera permet également d’interroger des moteurs de recherche par image. Si vous avez un réfrigérateur muni d’une lumière intégrale à l’arrière de celui-ci et que vous utilisez les 5 premiers centimètres de ses étages pour séparer bien régulièrement votre nourriture afin que le capteur photo puisse l’analyser, alors vous aurez une recette de cuisine suggérée par l’appareil. Plus simplement vous pouvez faire comme les smartphones depuis un paquet d’années. Prendre une photo d’un objet et laisser un moteur de recherche par image vous indiquer de quoi il s’agit. On peut également demander à l’objet de poser des questions à une IA plus classique ou de traduire de textes en temps réel. Voir de générer du contenu à partir d’une autre IA via un ordre vocal, au cas où cela servirait à quelque chose.
Sur le papier c’est très joli mais dans la réalité…
Ce service de conciergerie dans la poche est un vieux fantasme humain. On retrouve ce genre d’idée dans beaucoup de thèmes de science fiction. Un appareil qu’on peut piloter à la voix et qu’on dégaine pour lui dicter des ordres. L’engin s’active alors « magiquement » pour répondre aux problèmes posés, identifier une espèce autochtone ou commander à un vaisseau de venir vous chercher. J’écris magiquement parce que jusqu’à il y a peu, ce genre de technologie n’existait pas et imaginer qu’un appareil puisse résoudre ce genre de problématique apparaissait comme totalement illusoire.
Rabbit OS a t-il vu que d’autres pizza étaient disponibles en promo ? Non.
Sur le Rabbit R1, on promet pourtant cet usage avec une grande autonomie. On lui dicte de commander un repas, de réserver un voyage ou un service et l’appareil va butiner les sites disponibles pour s’exécuter. Il ne vous reste donc plus qu’à valider le paiement pour votre pizza, votre voiture ou votre tour du monde. Le premier élément à mettre en perspective ici est évident mais il est bon de le rappeler. L’appareil n’offre aucun financement des services qu’il propose. Il ne fait que les « fluidifier ». Quelqu’un qui ne pourrait pas s’offrir ce tour du monde financièrement parlant ne pourra pas plus se l’offrir avec ce Rabbit R1. Autrement dit, si il fait miroiter des usages, il ne s’adresse qu’à une catégorie d’utilisateurs aisés.
Qui rêve de voir ses vacances planifiées par une IA ?
Et on pourrait même aller un peu plus loin, l’objet s’adresse à une catégorie d’utilisateurs assez riches pour ne pas prendre soin de son argent. Qui va demander ce type de service sur un coup de tête tellement instantané qu’il ne voudra pas prendre la peine de se servir d’un smartphone pour comparer plusieurs offres ? Voir de simplement profiter d’une promotion sur son service habituel ? Une chose qu’Internet a rendu possible facilement c’est la comparaison des tarifs et des services. Acheter un voyage ou un repas, totalement à l’aveugle, en utilisant l’IA de Rabbit OS à la place de son cerveau signifie n’avoir aucune prise sur les choix effectués. Aucun élément de comparaison sur les différentes options. S’en remettre totalement à un algorithme qui ne précise jamais son mode de fonctionnement.
Si je réserve un aller retour de train pour partir en vacances en famille, je n’ai personnellement pas les moyens de ne pas vérifier les détails qui accompagnent ce voyage. Le prix des places à quelques heures d’intervalle, les villes de départ, les différentes options de bagage ou d’assurance. Et cela marche dans les deux sens. Parfois un voyage en seconde est 3 fois moins cher qu’un voyage en première. Ou alors une voiture légèrement surclassée sera proposée pour une dizaine d’euros de plus pour une location. Accepter qu’un algorithme fasse vos choix à votre place, c’est tout simplement accepter qu’on me serve la formule de base voulue par le voyagiste. Et donc pas forcément la plus avantageuse pour moi. Le service Rabbit R1 s’adresse aux plus riches. Et aux plus riches seulement.
L’IA de Rabbit promet de surfer et comprendre des millions de sites en se comportant comme un humain
Un algorithme vraiment autonome ?
ll faut ensuite essayer de comprendre comment sera formée et entrainée cette IA. Comment va t-elle se comporter sur des interfaces en constante évolution ? Suivre des schémas de navigation peut s’avérer plus ardu que prévu. Entre les pages qui se modifient en permanence, les popups vantant des fonctions supplémentaires qui peuvent gripper la navigation habituelle, des promotions temporaires qui viennent s’intercaler dans un tunnel d’achat classique ou des changements complets d’ergonomie qui adviennent du jour au lendemain, le travail de navigation ne sera pas de tout repos pour ces LAM. A moins de les former en continu pour chaque service. Un effort très couteux en temps et en ressources pour Rabbit. On imagine assez mal le système être totalement fonctionnel en permanence, il suffit qu’un service en ligne évolue pour que l’IA demande à être entrainée à nouveau afin de pouvoir le gérer correctement.
Pire, un site web pourrait tout à fait détecter que l’appareil qui navigue sur son site emploie une IA et décider en conséquence de lui barrer le chemin. Il pourrait également facilement prendre en compte l’utilisation de Rabbit OS et, par exemple, adapter son offre en conséquence. Ne pas faire apparaitre certains choix mais, sachant que la navigation n’est pas faite par un humain, ne proposer que les options les plus chères ou les plus rentables. Voir refuser totalement l’affichage des données pour les sites web vivant en partie de la publicité. A quoi bon servir un client si on ne peut pas gagner de l’argent en lui présentant des produits publicitaires ? Les annonceurs vont probablement refuser de compatibiliser ces IA qui absorberaient de la publicité inutile.
L’usage de Rabbit OS nécessitera l’enregistrement préalable de services tiers comme Spotify ou Youtube Music
Enfin l’avantage concurrentiel promis par Rabbit OS consiste à rendre autonomes certains éléments décisionnels importants. La sélection de produits et leur mise dans le panier, la réservation de services ou la validation de choix réalisés à la place de l’humain. Ces éléments demandent très souvent de valider des Conditions Générales d’Utilisation ou des Conditions Générales de Vente ainsi que de remplir des formulaires contenant des informations personnelles. Le fondateur de la société indique très clairement ne pas stocker de données personnelles sur ses appareils. Ce qui veut dire qu’à chaque changement de CGU, à chaque première connexion ou pour chaque nouvelle adresse à valider, il faudra remplir à nouveau des fiches d’identification ou cocher des cases de validation sur le petit écran de 2.88″ tactile. Ce qui pose un petit problème par rapport au scénario de fluidité proposé. Encore une fois, Rabbit OS est censé faire mieux qu’une application de smartphone mais il sera toujours plus efficace d’utiliser son smartphone et ses applications spécialisées ou une navigation Internet dès que votre scénario de commande va un tout petit peu se compliquer.
Ne comptez pas trop sur la bonne volonté des marques pour laisser Rabbit OS butiner leurs services à l’aveugle. Personne n’a envie de voir les clients partir vers un appareil qui ne leur livrerait pas les merveilles de promotions, de suggestions d’achats complémentaires et de tunnels de vente savamment travaillés leur échapper. Les applications dégagent des bénéfices en affichant des suggestions ciblées sur vos centres d’intérêt. Les faire disparaitre au profit d’une commande « robotisée » leur ferait perdre de l’argent. La réservation d’un service de transport cherchera à vous vendre une assurance ou à rajouter la location d’une voiture à l’arrivée parce que c’est rémunérateur. Rendre tout cela invisible sera contre productif pour eux. Il y a donc de grandes chances qu’ils barrent la route à Rabbit OS dès que possible. Plus ou moins subtilement. Soit en exigeant de passer par leur site ou leur application, soit en ne servant tout simplement pas leurs données au service.
Pendant la keynote le CEO de Rabbit jongle entre ordinateur et Rabbit R1 en permanence…
Un usage fixé sur l’homme du XXe siècle
Mais enfin et surtout, l’usage décrit fait totalement abstraction d’une évidence. L’utilisateur moyen susceptible d’acheter cet appareil aujourd’hui n’a pas les mains libres. Qui a encore les deux mains libres autour de vous ? Le greffon smartphone est quasiment partout. Tout le monde a déjà un téléphone en main. Je ne vois pas bien qui va ranger son smartphone dans sa poche pour sortir un second appareil afin de lui dicter de lancer un album sur Spotify ? Il a déjà de quoi passer cet ordre dans la main, il lui suffit de deux clics pour lancer un album… Pire encore, cela veut dire multiplier les abonnements mobiles par deux pour conserver son téléphone et ajouter cette fonction doublon.
Tout le blabla de la présentation sur le manque de praticité du smartphone est assez ridicule. Le reproche des centaines d’applications rendant leur usage peu pratique est servi avec beaucoup de mauvaise foi. La Keynote semble s’adresser à quelqu’un qui n’aurait pas vraiment vu comment fonctionne un smartphone depuis 10 ans. Si un utilisateur a 200 applications sur son appareil, cela ne veut pas dire qu’il a un annuaire d’applications dans la main, rangées par ordre alphabétique ou via un classement décroissant d’installation. Les propriétaires de smartphones ont un ensemble d’applis qu’ils utilisent au quotidien et qui sont évidemment placées par degré d’utilisation sur les premières pages de leurs appareils. Il est parfaitement ridicule de considérer que le nombre d’applications est un handicap sur un smartphone alors que l’on peut depuis des années déjà lancer n’importe quel jeu ou utilitaire en faisant exactement ce que propose le Rabbit R1. A savoir demander oralement à son smartphone de lancer ce que l’on veut. Cet argument ne tient qu’avec une bonne dose de mauvaise fois.
En parlant d’usage d’ailleurs, le côté « dictée » de l’appareil est encore un contrepoint. Personne n’a envie d’utiliser un engin qui va exiger de signaler aux autres ce que l’on veut ou ce que l’on cherche. Je n’ai pas envie que mon voisin de transport sache ce que j’écoute ni qu’il connaisse mes goûts en matière de Podcast. Je ne veut pas devoir commander un service à haute voix. Je n’ai aucune envie de devoir le crier ou m’y reprendre à plusieurs fois parce que je suis dans un environnement bruyant. Je vois autour de moi pas mal d’utilisateurs qui ont parfaitement désappris a téléphoner et n’utilisent leur smartphone qu’avec leur clavier. Pour eux, l’usage du micro est un problème et le recours à ce type de technologie est bien moins efficace que le clavier virtuel. Comment joindre une image à son message ? Comment suivre plusieurs conversations ? Il faut secouer le bidule pour faire apparaitre un petit clavier sur l’écran tactile mais alors on perd tout l’intérêt du dispositif en plus de passer pour un maniaque.
Le problème du multitâche est également évident. Les utilisateurs de smartphones jonglent désormais avec plusieurs outils en parallèle, tiennent une conversation, surfent et écoutent de la musique sans soucis. Le Rabbit R1 est un objet mono tâche. Il propose un fonctionnement en « question-réponse » qui ne permet pas de faire plusieurs recherches à la fois. Pire, il ne semble pas prendre en compte la gestion des hyperliens dans ses réponses. Mettons que sur un coup de tête j’ai envie de réserver une soirée au cinéma. Je peux demander au Rabbit,R1 de me présenter les films disponibles. Si je ne connais pas certains d’entre eux, je vais devoir poser la question à l’appareil pour chaque film qui m’est inconnu… Une opération qui durera de longues minutes. Une simple recherche sur ma salle habituelle depuis un site internet me donnera en un seul coup d’oeil l’ensemble des séances et un synopsis de chaque film proposé en un clic. Je n’aurais pas besoin d’enchainer 5 ou 6 questions les unes à la suite des autres pour arriver au même résultat. Le cours de l’action Coca cola prendra toutes les possibilités d’affichage de l’appareil sur R1 lorsqu’il pourrait apparaitre en bandeau en permanence sur un smartphone…
Et, plus trivialement, si je commande mon billet de cinéma sur le Rabbit R1. Est-ce que je ne serais pas tenté de vérifier que la réservation que j’ai fait est exacte ? Que j’ai le bon nombre de billets, à la bonne heure pour la version Originale ? Que tout cela est correctement enregistré. Dûment payé ? Qu’il s’agit du bon cinéma et pas de la salle d’à côté ? Et ainsi de suite ? Autrement dit, mis à part des personnes vraiment absolument confiantes dans leur achat « aveugle » effectué par le dispositif, qui ne sortira pas au final son smartphone pour voir si tout est correct ? Et si cela ne l’est pas, pour une raison ou une autre, si votre voyage n’est pas le bon ou si le Rabbit R1 ne vous a pas précisé un détail comme le départ depuis un aéroport un peu plus excentré que prévu. Est-ce que vous aurez un moyen d’annuler le tout parce que c’est une IA qui l’a réservé ? Ne va t-il pas être nécessaire de jongler en permanence entre le Rabbit R1 et son smartphone ?
Jesse Lyu, le CEO de Rabbit
Quelle valeur ajoutée face à un smartphone et une application ?
C’est bien là le problème du Rabbit R1. Et c’est d’ailleurs la première question qui a été posée en masse suite à la présentation de l’objet et de ses usages. Pourquoi ne pas avoir fait une application plutôt qu’un appareil ? Après tout, Rabbit OS dépend d’un serveur en ligne et on pourrait l’interroger exactement de la même manière avec une application. La réponse est assez simple. Parce que Google et Apple, ainsi que probablement Amazon et Microsoft, sont déjà sur les rangs pour développer leurs propres applications de ce type. On se doute que les assistants déjà en place et liés à leurs appareils respectifs vont débarquer un jour ou l’autre sur ce segment du service. C’est probablement l’affaire de quelques trimestres tout au plus avant que l’on puisse demander à son PC ou son smartphone exactement ce que propose Rabbit OS.
Et le problème pour la startup Rabbit est alors assez simple, en tant qu’application, leur visibilité serait nulle. Apple, Google et compagnie n’auront aucun scrupule à faire disparaitre une Rabbit App dans les méandres de leurs catalogues si elle fait de l’ombre à leur propre offre. La seule manière d’exister pour Rabbit est donc de proposer un terrain de jeu qui ne soit pas sous le contrôle des autres. Un objet indépendant sur lequel les différents acteurs de ce marché n’auront pas de prise.
Cela ne me déplait pas d’imaginer un indépendant cherchant à se battre contre les GAFAM. Mais encore faut-il que cela ait du sens pour l’utilisateur. Si demain Spotify, Netflix, Shazam ou votre application favorite se faisait la même réflexion que Rabbit, vous auriez les poches pleines d’appareils indépendants pour pouvoir répondre à toutes ces problématiques. Le walkman Spotify, le lecteur vidéo Netflix, le micro Shazam et ainsi de suite…
Le patron de Rabbit, Jesse Lyu, a répondu sur Twitter à la question du « pourquoi pas une app » et a donné de multiples pistes… Mais la majorité de celles-ci ne concernent pas l’utilisateur final. Plutôt le businessman qu’il est. Son premier point est que construire une application et la maintenir est quelque chose de très difficile pour respecter les standards imposés par Apple et Google. C’est peut être vrai mais en quoi c’est le problème de l’utilisateur final ? Il explique également qu’il est difficile de conserver la loyauté des utilisateurs. Une autre manière de dire qu’il craint la concurrence. Le grand public va aller là où ce sera le plus efficace et n’aura jamais de scrupule à basculer de Rabbit OS à Siri ou Google Assistant le jour où ceux-ci proposeront le même produit. La construction de l’appareil physique est donc ici une manière de prévenir de la disparition de la clientèle en empêchant la concurrence d’exister.
Son deuxième argument est plus audacieux, il explique que la startup est « largement devant » Google et Apple sur le segment de l’IA et que leur modèle les surpasse. Je n’ai pas les éléments pour savoir si cela est vrai, je sais juste qu’il s’agit d’une course que les GAFAM vont avoir bien du mal à perdre au vu des ressources disponibles. Cela prendra peut être quelques temps, peu à mon avis, mais cela arrivera tôt ou tard. La fenêtre de tir de Rabbit est forcément très courte et on imagine déjà que la marque n’aura plus de visibilité dans quelques trimestres ou années. C’est peut être malheureux mais parfaitement réaliste. Jamais une entité aussi petite que Rabbit ne pourra faire le poids face aux mastodontes du marché.
Dernier argument de Jesse Lyu, son appareil fera les choses mieux et plus vite que la concurrence sur smartphone. Mieux que les applications donc. C’est un pari audacieux à mon avis. Car si cela fonctionne très bien pour le moment, c’est parce qu’il n’y a pas de demande. Quand quelques utilisateurs commandent des courses, se font livrer des repas ou jouent avec les API de test des agences de voyage. Tout se passe forcément très très bien. Mais quand la clientèle évolue et que l’utilisateur lambda commence à demander des choses un peu plus exotiques… c’est une autre paire de manches. Que va t-on pouvoir dire à un utilisateur qui voudra réserver un bateau de pèche depuis son lieu de vacances alors que le site qui est censé gérer la chose a été référencé avec les pieds dans les moteurs de recherche ? Au bout de combien d’essais de commande d’une pizza dans un petit restaurant Italien, l’utilisateur va en avoir marre de parler à son appareil et sortir son smartphone pour surfer directement sur le site ?
Un détail important souligné comme un avantage de la solution Rabbit OS c’est sa capacité d’apprentissage autonome. Mais je suppose que cette capacité va de pair avec un surf sur des sites codés en respectant l’état de l’art en matière de code et d’accessibilité. Une IA pourra sans doute identifier un bouton de commande qui aura la forme d’un panier ou lire le texte « ajouter au panier » associé au bouton. Mais que fera cette IA si le webmaster à eu la merveilleuse idée de remplacer le bouton par une petite image de pizza avec un gros « +1 » dessus sans commenter celle-ci ? Elle sera sans doute perdue. Autrement dit, Rabbit OS saura parfaitement piloter de gros sites internationaux qui disposent d’applications et d’interfaces bien optimisées mais sera beaucoup moins à l’aise avec des sites plus exotiques.
Rabbit OS met également en avant son système d’apprentissage pour contourner ces limitations mais c’est ce qui me semble être une fausse bonne idée. C’est parfait pour des choses simples et répétitives comme demander à son système domotique d’effectuer des scénarios précis ou surfer sur un site peu connu mais que vous fréquentez assidument. Réserver des tickets pour une exposition dans un musée National ? Cela sera un jeu d’enfant de suivre le cheminement pensé par des professionnels de la programmation et sera probablement pris en charge par l’IA. Mais pour tout le reste ? Pour ce site local qui permet de louer une salle de jeu pour un gouter d’enfant ? Il faudrait apprendre à Rabbit OS comment se débrouiller sur un site presque « amateur » ? Dans quel but ? Pour que l’on puisse éventuellement effectuer l’opération une nouvelle fois dans un an ? Il est plus probable que tout le monde sorte son smartphone et utilise son propre cerveau pour faire cette réservation « à l’ancienne ». En quelques minutes seulement. Jamais Rabbit n’aura la taille nécessaire pour surfer sur le net et apprendre le fonctionnement des millions de sites différents. Même en imaginant que chaque utilisateur partage son expérience, le nombre de Rabbit R1 en circulation aura bien du mal fasse aux centaines de millions de sites existants et changeant en permanence.
L’argument de la vitesse de traitement est identique, tant qu’il n’y a personne sur leur réseau, tout va bien. Mais combien de temps avant que leur système demande plus de ressources. La marque annonce avoir reçu plus de 20 000 précommandes mais n’espérait livrer que 500 appareils au lancement. Cela fait déjà un gouffre technique incroyable a combler. Et les 199$ HT demandé par appareil ne doivent pas dégager une marge folle a investir dans des serveurs adaptés.
Et c’est le dernier point de ma problématique avec ce Rabbit R1, quel est son modèle économique ?
Le Rabbit R1 est annoncé à 199$ HT. L’objet en lui même ne doit pas couter une fortune mais il s’agit de relativement petites séries. On parle quelques dizaines de milliers d’appareils. Je ne sais pas combien va gagner l’entreprise sur chaque vente mais cela n’est pas vraiment une part importante de l’équation.
Le Nabaztag
Le Rabbit R1 me fait irrémédiablement penser à un autre lapin, le Nabaztag. Un objet qui permettait de lire des emails, des flux RSS et d’autres sites d’info. Il pouvait envoyer des signaux lumineux ou bouger ses oreilles… C’était un précurseur des objets connectés puisqu’il est sorti en 2006, à une époque ou ce type de produit n’existait tout simplement pas pour le grand public. L’objet fonctionnait en passant par un serveur hébergé par la société Violet qui distribuait ces lapins. Le Nabaztag et les autres produits qui ont dérivé de cette idée de base fonctionnaient sur un modèle économique identique à celui du Rabbit R1. Un prix à l’achat du produit mais pas de frais d’abonnement.
Vous voyez le problème ?
Lorsque l’on vend un produit, on dégage une marge. Mais cette marge sera irrémédiablement rattrapée par les coûts du service si il n’est pas proposé avec un abonnement. Cela peut prendre 1 an, 2 ans ou plus mais mécaniquement, les salaires du personnel et les frais de gestion des serveurs continueront de couter de l’argent alors que la marge liée à la vente de l’objet restera fixe. Alors on peut toujours continuer a faire rentrer de l’argent dans les caisses en vendant de nouveaux produits mais il arrive toujours un moment où, fatalement, le marché se sature. Des milliers d’appareils se connectent chaque heure aux serveurs mais il n’ y a plus ou pas assez de nouveaux client pour payer la note. C’est ce qui est arrivé au Nabaztag et c’est ce qui arrivera tôt ou tard au Rabbit R1.
En imaginant un produit au prix de revient de 1$ pour chaque Rabbit R1 vendu (Ce qui est évidemment extrêmement généreux), les 20 000 réservations génèrent alors 3 980 000 $ de marge. Une somme importante mais fixe. Une somme qui ne pourra pas permettre de payer les ingénieurs en charge du développement des IA indéfiniment dans la durée. Si on ajoute à cette équation les serveurs nécessaires au fonctionnement du dispositif on a une société qui va irrémédiablement dans le mur. Même en imaginant la marge la plus élevée possible pour son produit.
Sans abonnement mais avec des frais fixes, le service ne peut pas continuer a exister indéfiniment. Le système économique de Rabbit ne tient pas debout une seule seconde dans la durée et j’ai même peur que la fenêtre de commercialisation et d’existence du produit soit bien plus courte que cela. Si demain Apple, Google, Amazon ou Microsoft proposent des services identiques au modèle de Rabbit OS, les ventes du produit s’arrêteront d’un seul coup. Et sans un apport constant de liquidités, la société fermera alors ses portes très rapidement. D’ailleurs la garantie du Rabbit R1 exclu expressément le logiciel et les fonctionnalités de l’appareil. Aucun recours ne pourra être envisagé lorsque le Rabbit R1 se transformera en presse papier, du moment que ce presse papier à un écran et une camera qui fonctionnent encore.
Il existerait bien une solution pour se sortir de cette ornière qui passerait par de la publicité par exemple, mais je ne suis pas sûr que le client final serait ravi d’avoir de la publicité ciblée sur son appareil. Ni que beaucoup de marques aient envie de cibler 20 000 personnes spécifiquement. L’autre solution serait de s’entendre avec des services pour que l’IA oriente ses recherches pour de l’affiliation. Passer par telle offre de location de voiture, telle agence de voyage ou tel marque de pizza… Une idée qui pourrait fonctionner économiquement mais qui enlèverait a peu prêt tout l’intérêt du dispositif. Payer 200$ un objet dont l’objectif serait de mal chercher à votre place et de vous faire payer un produit différent que si vous utilisiez votre smartphone ne me parait pas être une solution miracle pour le client final.
Pourquoi lancer le Rabbit R1 et Rabbit OS si la société va dans le mur ?
La réponse à cette question est très simple et se rapproche de ce que proposent aujourd’hui les plateformes de financement participatif. Pour la visibilité que l’objet propose.
Quelle possibilité a un acteur comme Rabbit sur le marché de l’IA face aux mastodontes de la tech ? Aucune. Annoncer son Intelligence Artificielle et son mode de fonctionnement spécifique dans un article scientifique attirerait certes une attention de la part des GAFAM mais guère plus. Aller sonner aux portes des différents acteurs pour présenter son savoir faire serait sans doute une autre méthode. Mais le mieux qui puisse arriver serait alors d’être embauché comme un développeur lambda sur un Campus de Google ou Apple. Le pire étant que les développeurs de Rabbit OS soient gentiment raccompagnés à la porte pendant que leurs idées, précieusement notées, seraient peu à peu intégrées dans les futures IA des grands groupes.
Quelle alternative ? Indiegogo ? C’est bien pour aller plumer des pigeons et se faire connaitre mais cela ne résout pas le problème d’un modèle économique qui finirait par s’essouffler tôt ou tard. Par contre, lancer une campagne bien ficelée, pendant le salon High Tech grand public le plus suivi au monde qu’est le CES parait être une très bonne idée. Pas forcément pour les clients qui précommanderont un Rabbit R1 mais pour les équipes en charge du développement du produit. En réussissant le tour de force d’être présenté par toute la presse High Tech de la planète et en annonçant 20 000 précommandes, Rabbit prouve qu’elle vaut quelque chose. Que son idée fait sens. En d’autres terme, qu’elle est peut être « bankable » pour un GAFAM. Et là les choses prennent une autre tournure. Toute la première partie de la conférence décrit le fonctionnement spécifique du système et s’adresse non pas au client final mais à des investisseurs. Est-ce qu’il vaut mieux reprendre les idées de Rabbit pour son compte et ainsi gagner du temps et de la visibilité ou tenter de les copier tout simplement en faisant semblant de ne pas les avoir vu avant ?
Qu’est-ce qui est le plus séduisant en matière de communication grand public aujourd’hui. « Nous intégrons à notre IA le savoir faire de Rabbit OS et ses modèles LAM » ou « Cette IA se comporte comme les LAM de Rabbit OS mais ce ne sont pas les même. » ?
Pour le grand public cela ne fait pas de différence. Les Rabbit R1 sont condamnés a se transformer tôt ou tard en presse papier. Mais pour les ingénieurs de Rabbit cela change vraiment la donne. La conférence donnée au CES n’avait pas pour cible le grand public et ceux qui ont commandé l’objet l’on sans doute fait sur un coup de tête. Non Rabbit s’adressait directement aux GAFAM, les seuls a pouvoir leur assurer un véritable avenir.
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