IA et DropShipping : le nouvel eldorado de l’arnaque en ligne
Le DropShipping est une pratique légale, c’est même devenu un grand classique de la vente en ligne. On repère un produit commercial intéressant et on le présente du mieux possible pour le rendre appétissant. Si on reste dans les clous d’une présentation honnête, la pratique n’a rien de problématique.
Il faut ainsi présenter le produit tel qu’il est, sans inventer de caractéristiques fantaisistes. Indiquer sa provenance, par exemple qu’il est manufacturé en Chine et qu’il partira de là-bas. Il faut également indiquer la garantie réelle, le délai de livraison et éviter autant que possible de proposer des témoignages bidons. Si vous respectez toutes les règles, le DropShipping ne pose aucun problème. L’acheteur sait où il met les pieds.
Évidemment, beaucoup de gens malhonnêtes ont vite compris l’intérêt du processus dans une optique de rentabilité à court terme. Des outils simples et accessibles permettent aujourd’hui d’interfacer des boutiques en ligne avec des stocks disponibles sur AliExpress. Pour le « vendeur », chaque commande générée sur un site de DropShipping génère à leur place le produit qui sera livré ensuite au client. Du coup ils peuvent se concentrer sur la fabrication de ce genre de site et les multiplier à l’infini.
Un exemple ? La barre de son Qinux Soudvol réunit tous les éléments d’un Dropshipping. On arrive sur un site qui vous met directement face à un achat pressé : -50% pour obtenir un bon prix à -50% du tarif catalogue. Un drapeau français est visible, l’engin est « testé aux USA » (ce qui ne veut rien dire mais bon…) et la livraison est gratuite.
Suit une page web à dérouler avec des arguments techniques classiques. Puissance, qualité du son, gestion de l’appareil. Quelques détails clochent comme un tutoiement de rigueur qui vient du fait que le logiciel qui a servi à traduire le site ne sait pas faire la différence avec le vouvoiement. Des fautes simples comme des accords de genre et de nombre dans les textes… Un total d’avis indécent qui classe le produit 4.5 étoiles sur 5. Des logos de sécurité, des images et surtout des témoignages plus ou moins habiles.
On retrouve ici un charabia issu d’une génération d’avis par IA. Cela fait un bon moment que cela existe et jusque-là, on ne dépassait pas ce stade en matière de DropShipping. Le site explique d’ailleurs qu’il pratique le DropShipping et indique à la fois que les délais de livraison seront longs et qu’il est possible d’avoir a payer des droits de douane.
Le produit vendu est une barre de son noname affichée à un prix catalogue de 239.99€ en promotion à 119.95€. On trouve exactement la même barre de son sur AliExpress à 62€ sans trop fouiller. Le vendeur gagnera donc plusieurs dizaines d’euros à chaque vente réalisée en DropShipping sans n’avoir rien d’autre à faire que de maintenir le site et répondre plus ou moins automatiquement aux questions qui lui parviendront.
On note au passage que sur le site, on ne voit que des profils « seniors ». Des retraités grisonnants, mais en forme et souriants. Et cela n’est pas un hasard, les sites de Dropshipping adorent ces profils d’acheteurs qui font plus facilement confiance dans ce type de communication. Ils les visent en particulier dans leurs publicités en demandant aux réseaux sociaux qu’ils payent pour faire de la publicité à leurs pages de les sélectionner en priorité.
Le DropShpping boosté à l’IA va faire des ravages
Là où le paysage est largement en train de changer, c’est sur l’exploitation beaucoup plus large de l’IA pour toucher plus efficacement le public visé. Une copine a envoyé un lien vers le site Colette-dubois.fr qui est l’exemple parfait de cette exploitation nouvelle de l’Intelligence Artificielle pour vendre des babioles à des prix délirants en DropShipping.
Le site présente donc une certaine Colette Dubois, femme mûre au regard tourné vers le lointain, qui pose dans son atelier. Le site explique qu’il sera bientôt fermé car Colette part à la retraite. Elle a consacré toute sa vie à la joaillerie, a commencé à travailler à 19 ans dans l’atelier familial et désormais, elle se fait vieille et a donc décider de se reposer. Chacun de ses bijoux est unique, chaque pièce est travaillée à la main, avec des matériaux nobles… Le site indique que le stock est en France, que la livraison est gratuite et qu’il accepte les retours comme le stipule la loi Française.
Mais en creusant un peu on découvre de petites incohérences. D’abord que le paiement comme un éventuel remboursement sera fait en dollars US. Ce qui est franchement étrange pour une boutique française pilotée par une française qui stocke en France.
Autre détail étrange, la livraison en France métropolitaine parle d’éventuels retards liés au dédouanement des produits. Ce qui suppose une traversée de frontière extraeuropéenne. D’un côté la boutique est située en France, de l’autre on nous indique que les produits viennent du Royaume uni. Le fait que Colette prenne sa retraite mais ne livre que la France « pour le moment » est également énigmatique… Pourquoi une future retraitée planifierait une expansion à l’international ?
Evidemment on retrouve les alertes classiques qui doivent nous mettre la puce à l’oreille. Comme l’absence de tout numéro d’identification de la boutique. Pas de SIRET ni de coordonnées physiques et encore moins de contact précis : juste un formulaire et un email. C’est bien un site de Dropshipping, toute l’histoire de Colette est une invention, elle n’existe tout simplement pas.
Ce qu’il y a de terrible c’est que le site a été découvert au travers d’une publicité taillée de A à Z pour séduire les séniors à grands coups d’Intelligence Artificielle. Et je suis certain que c’est très efficace. Cela commence par un contenu sponsorisé sur un réseau social. L’accroche est simple : je ferme ma boutique, je prends ma retraite, faites y des affaires… En dessous des images des bijoux proposés.
En cliquant sur la pub, on arrive sur le site qui met en scène des femmes portant des bijoux et « témoignent » de la qualité des produits vendus. Evidemment, pour toute personne un peu habituée, la supercherie de portraits générés par une IA est évidente. Aucune de ces femmes n’existe réellement, elles ont été générées par une machine. On se demande d’ailleurs assez vite qui enverrait un portrait de cette qualité mettant en scène son propre visage vers un site de vente en ligne. Les témoignages proposés sont également risibles. Il suffit de lire les véritables témoignages laissés en général sur un vrai site pour comprendre le grand écart effectué par l’algorithme qui les a générés par rapport au réel.
Mais cela ne s’arrête pas là, suivant le parcours que vous avez pour tomber sur le site, vous ne verrez pas la même chose. En provenant d’un réseau social type Facebook qui vous aura identifié d’une manière précise (âge, sexe, situation), le site affichera des pages différentes. Ainsi, vous pouvez tomber sur l’histoire larmoyante de Colette Dubois et de sa passion pour la joaillerie. Colette, littéralement enfermée dans son atelier, y passe toute sa jeunesse pour acquérir son savoir faire. On parle de patience, de racines, de valeurs. On parle d’un temps où l’ouverture de la porte faisait tinter une clochette, où on pouvait avoir des relations humaines… Des éléments rassurants même si au final, on navigue sur un site internet sans âme. L’important, c’est de créer un sentiment de confiance.
Vient ensuite le côté dramatique de l’histoire. Celle de Colette Dubois qui a « tout perdu » lors de l’incendie de sa boutique lorsqu’elle avait 22 ans. On glorifie ici les notions de courage, de ténacité et on flatte l’égo de personnes du même âge. L’idée est que le visiteur se dise qu’il fait partie de cette génération de gens courageux qui savaient lutter contre l’adversité. Qu’il s’identifie à la boutique pour créer un sentiment de confiance.
Et la courageuse petite Colette Dubois qui avait vu partir son avenir en flammes a réussi à remonter la pente. Trois ans plus tard, elle a ouvert une boutique tout en prenant le temps de se marier et d’avoir une fille. Là encore, un œil exercé verra sans trop de difficulté que Colette a été générée par un ordinateur. Mais une personne un peu plus crédule pourra sans problème y croire.
Le fait de voir une personne « vieillir » en image permet encore plus d’ancrer l’idée de la qualité du personnage. De la véracité du propos, de son authenticité. On a moins de peine a croire en son expérience artisanale en voyant ses traits changer. Cela signe le passage du temps bien plus efficacement qu’un discours de grande marque. Et du reste le site parle sans arrêt d’une grande histoire d’artisanat.
Vient ensuite le moment de ferrer le poisson avec un accès au catalogue de Colette Dubois. On découvre alors des bijoux aux prix sabrés par rapport à leur prix d’origine. Passant de 150 à 30€… Une affaire cette fermeture pour cause de départ en retraite ! On va pouvoir se faire plaisir ou offrir un cadeau de qualité à sa moitié sans investir de fortes sommes. Une bague par ci, un collier par là, facile d’arriver a une coquette somme en ayant l’impression de faire une très bonne affaire.
Sauf que, évidemment, il ne s’agit que de grosse camelote. Une fois bien endormi par le boniment précédent, la garde bien baissée devant ces visages affables, la personne qui dépenserait 30€ pour une bague en provenance probable de Chine serait largement perdante. Ce collier « fait à la main » de « qualité authentique » et « fabriqué avec amour par Colette » cache assez mal son jeu.
Il ne faut que quelques minutes pour retrouver le même collier à 4€ sur Amazon… avec une note de 1 étoile sur 5 … Il s’agit d’un bijou de pacotille fariqué dans un atelier en Chine.
Les photos du vrai bijou ne laissent pas trop de doutes, c’est quelque chose que personne n’irait acheter s’il le croisait sur un marché ou dans une boutique.
Et si vous doutez encore de la sincérité de Colette Dubois, je pourrais vous parler de Theresa Klein… La version Allemande de Colette Dubois. Le site theresa-klein.de reprend mot pour mot la même histoire, mais de Française notre joaillière passe à Allemande, elle se rebaptise Theresa et vit pourtant exactement la même histoire d’incendie.
Cette fois-ci la boutique à un nom et elle est située Outre Rhin. Colette Theresa y travaille en famille, prête a passer le flambeau à sa fille qui a bien grandi. Bref, vous l’aurez comprix Colette Dubois et Theresa Klein n’existent pas. Les produits sont minables et si vous les commandez, jamais vous ne reverrez votre argent. Renvoyer les « bijoux » à une adresse exotique en Asie vous coutera beaucoup trop cher.
Le véritable propriétaire de ces sites a domicilié leur enregistrement dans une entreprise de domiciliation à Londres. En cas de pépins ou de trop de plaintes, il lui suffira de quelques heures pour transformer le site Colette-Dubois.fr en Josiane-Gradoux.fr. Il ne lui restera qu’a changer sa publicité sur Facebook, Instagram et autres pour lui livrer des profils séniors qu’il pourra plumer de la même manière, en leur racontant la même histoire.
La différence entre notre barre de son du début et le site de bijoux ? L’arrivée de l’IA exploitée de manière très efficace dans le second cas. Le point commun entre les deux ? Il s’agit du même groupe de vente en ligne. Le premier est le E Com Group enregistré en Espagne, les sites de Colette et de Theresa est piloté par E-COM BUY-UP COMPANY LIMITED enregistrée à Londres. Et cette entité spécialisée dans le Dropshiping propose tout un catalogue de produits noname achetés une misère en Chine et vendus en Dropshipping à différents profils contre une fortune.
Ce qu’il faut retenir de tout cela ?
Sans surprise les escrocs s’adaptent et embrassent les nouvelles technologies aussi efficacement que rapidement. N’hésitez pas a vous servir du site de Colette Dubois pour éduquer autour de vous vos proches à ces nouveaux dangers liés à l’usage de l’IA. Dans l’absolu un excellent conseil est de ne pas cliquer sur les liens sponsorisés en provenance des réseaux sociaux, c’est une des nouvelles plaies de l’humanité.
En cas de doute sur un site, même un très léger doute, n’hésitez pas a demander conseil à un proche. Si ces « boutiques » mettent en avant le fait qu’il faut se presser pour en profiter avec des offres a durée limitée et des compteurs de temps avant la fin de la promotion, c’est justement pour vous éviter de prendre conseil. Quand tout est trop beau pour être vrai, il faut se poser quelques questions.
Et si vous avez peur d’embêter vos proches parce que vous ne savez pas si le super « drone 4K » à 99€ vanté sur le super site que vous avez découvert dans votre journal local est un vrai, sachez que vous les embêterez encore plus si ils découvrent qu’on vous a envoyé un jouet à 15€ en se moquant de vous.
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