Après avoir démontré que les souvenirs s’inscrivent de façon matérielle dans notre cerveau, les scientifiques s’attèlent à la tâche de réactiver des souvenirs attaqués par des maladies neurodégénératives chez des souris.
DÉCRYPTAGE - Le constructeur aéronautique a ordonné vendredi l’arrêt «immédiat» des vols de quelque 6000 avions A320. En cause, un logiciel de commande dont la mise à jour rendait vulnérables les aéronefs face aux radiations solaires.
Airbus a indiqué qu’il s’agissait d’une «mesure de précaution», après un «événement» ayant eu lieu fin octobre sur un appareil de la compagnie JetBlue.
DÉCRYPTAGE - Avec 5 milliards en plus pour les trois prochaines années, les crédits de l’ESA sont en hausse de 30 %. Un effort qui indique l’urgence de relever l’ambition spatiale face à la multiplication des menaces.
Au moins 65 personnes ont péri dans l’incendie de sept tours d’habitation qui étaient en rénovation. Le fait qu’elles étaient encerclées des traditionnels échafaudages en bambou relance le débat sur leur dangerosité.
Le feu et la fumée engloutissent l’échafaudage en bambou de plusieurs bâtiments au sein de la résidence Wang Fuk Court, à Tai Po, Hong Kong, Chine, le 26 novembre 2025.
Un ancêtre géant des requins régnait sur les mers d'Australie il y a 115 millions d'années, soit bien plus tôt que dans les théories admises jusqu'à aujourd'hui par les scientifiques. C'est ce qu'a mis en évidence une étude parue en octobre 2025, publiée dans la revue Nature.
DÉCRYPTAGE - C’est par les sons enregistrés par le microphone du rover Perseverance que les décharges électriques ont été détectées. Elles seraient très fréquentes et pourraient expliquer différents mystères de la chimie martienne.
Un tourbillon de poussières pris en photo par accident par le rover Perseverance lors d’un «selfie» le 10 mai 2025 pris pour fêter ses 1500 jours martiens.
Le 23 novembre 2025, l'éruption du volcan éthiopien Hayli Gubbi, resté calme depuis 12 000 ans, a impressionné le monde. Les images vues du ciel, publiées par différentes agences de surveillance de la Terre, donnent une autre perspective du phénomène.
Une nouvelle étude parue le 24 novembre 2025 révèle que les chiens gardent des traces génétiques de loup dans leur ADN. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas d'ADN lupin ancestral, mais plutôt de la preuve d'une hybridation récente entre les deux espèces.
Une équipe de chercheurs de l’Université des sciences de Malaisie de la région de Penang (nord-ouest) a découvert que les punaises de lit tropicales peuvent conserver l’ADN humain jusqu’à 45 jours après avoir sucé le sang de leur proies.
« Les populations de vertébrés sauvages ont décliné de 73 % en cinquante ans », titrait Le Monde en octobre 2024. Un chiffre alarmant, repris en boucle par de nombreux médias. Mais d’où vient-il ? Que signifie-t-il vraiment ? Et surtout : est-ce si simple de compter le vivant ?
Recenser les pandas géants n’est déjà pas une sinécure. Ces animaux emblématiques sont pourtant gros, lents et confinés à une zone géographique bien délimitée des montagnes du centre de la Chine. Lors du dernier recensement, les autorités ont estimé leur population à 1 864 individus à l’état sauvage. Un chiffre précis… en apparence. Depuis, certains pandas sont nés, d’autres sont morts, et quelques-uns échappent toujours aux radars. Alors imaginez compter toutes les formes de vie sur Terre, du virus microscopique au séquoia géant. L’exercice devient vertigineux.
On l’a vu, dans un seul gramme de sol, on peut trouver jusqu’à un milliard de bactéries, réparties en plusieurs millions d’espèces. Compter la biodiversité n’a donc rien d’une simple opération de dénombrement : c’est un défi scientifique, technologique et quasi philosophique. C’est vouloir réaliser un puzzle dont on n’a qu’une toute petite partie des pièces.
Les multiples façons de compter la vie
Les scientifiques disposent d’un arsenal impressionnant de méthodes pour tenter d’y voir clair dans le foisonnement du vivant. Certaines reposent sur le bon vieux travail de terrain : observer, capturer, noter. Les inventaires exhaustifs restent possibles pour quelques espèces emblématiques, comme le panda, d’autres grands mammifères ou encore certains arbres d’une parcelle forestière. Mais la plupart du temps, on doit se contenter d’échantillons représentatifs. On compte ce qu’il y a dans un carré de terrain (un quadrat) ou le long d’une ligne (un transect), puis on extrapole.
Pour les animaux particulièrement mobiles, on utilise la méthode « capture-marquage-recapture ». On attrape quelques individus, on les marque, puis on observe la proportion d’individus marqués lors d’une seconde capture. Une formule statistique permet alors d’estimer la population totale. Outre la mobilité, d’autres facteurs rendent ces approches de terrain compliquées : la taille (microbe ou baleine), le milieu (montagne, canopée, abysses, sol, air, désert, etc.), le mode de vie (diurne ou nocturne), la discrétion ou encore la taille de la population.
Heureusement, de nouvelles technologies viennent en renfort. Grâce à l’ADN environnemental, on peut aujourd’hui identifier les espèces présentes dans un lac en analysant simplement un échantillon d’eau. Des méthodes encore en développement sont même basées sur l’ADN retrouvé dans l’air ambiant. Chaque être vivant laisse en effet derrière lui une trace génétique, et le séquençage permet de dresser un inventaire invisible. Le barcoding génétique, lui, fonctionne comme un code-barres moléculaire : une courte séquence d’ADN suffit pour reconnaître une espèce. Quant aux drones et satellites, ils repèrent la déforestation ou les troupeaux d’éléphants. La bioacoustique, enfin, alliée à l’IA, analyse les sons de la nature pour identifier près de 15 000 espèces — oiseaux, amphibiens, mammifères, insectes — y compris sous l’eau comme sur les récifs coralliens.
Les angles morts du suivi de la biodiversité
Mais même armés des meilleurs outils, les scientifiques avancent à tâtons. Le suivi de la biodiversité souffre de biais profonds.
Le premier est un biais taxonomique. On mesure surtout ce qu’on connaît. Les mammifères, les oiseaux ou les poissons, visibles et charismatiques, sont abondamment suivis. Mais le reste du vivant — insectes, champignons, micro-organismes du sol — demeure largement dans l’ombre. Or, ces êtres invisibles constituent l’essentiel de la biodiversité et assurent le fonctionnement même des écosystèmes.
Ensuite s’ajoute un biais géographique. Les données se concentrent dans les régions où se trouvent les chercheurs, en Europe et en Amérique du Nord. À l’inverse, les véritables « hotspots » de biodiversité — forêts tropicales, récifs coralliens, zones humides d’Asie du Sud — sont souvent sous-échantillonnés, faute de moyens, d’accès ou de stabilité politique.
Le dernier biais est économique et médiatique. Surveiller un éléphant rapporte plus d’attention (et de financements) que d’étudier une colonie de fourmis. À l’arrivée, notre vision du vivant reste partielle, déséquilibrée, voire franchement déformée.
Prendre le pouls du vivant : un casse-tête ?
Mesurer la biodiversité, c’est vouloir résumer un monde infiniment complexe en quelques chiffres. Mais que mesure-t-on, au juste ? Le nombre d’espèces ? Leur abondance ? Leur répartition ? Tout cela à la fois ?
La difficulté tient aussi au fait qu’une large part du vivant nous échappe encore. On estime que seules 20 % des espèces ont été décrites, et personne ne sait combien il en reste à découvrir. À cela s’ajoute une évidence que l’on oublie souvent : les extinctions font partie de l’histoire naturelle. Environ 99 % des espèces ayant jamais vécu sur Terre ont disparu bien avant que l’humanité ne songe à compter quoi que ce soit.
Comparer les dynamiques entre groupes d’espèces relève donc du casse-tête. Une hausse des populations de loups en Europe compense-t-elle la disparition des orangs-outans en Indonésie ? Et si les mammifères se portent mieux, cela suffit-il à relativiser le déclin des amphibiens ?
Le Living Planet Index : une compréhension en voie d’extinction
Pour tenter de synthétiser un monde foisonnant, le Living Planet Index (LPI), piloté par le WWF et la Zoological Society of London, combine les données de près de 35 000 populations animales. C’est de là que provient notre fameux chiffre choc de –73 % depuis 1970. Le résultat est spectaculaire, mais il est souvent mal interprété. Il ne signifie pas que 73 % des vertébrés sauvages ont disparu, contrairement à ce que l’on lit régulièrement. Il signifie que, parmi les 35 000 populations suivies, la baisse moyenne — calculée sans tenir compte de leur taille respective — a été de 73 %. Une nuance essentielle.
Une étude a montré que la méthode de calcul du LPI est beaucoup plus sensible aux baisses qu’aux hausses. Cette asymétrie donne un poids disproportionné à un petit nombre de populations en déclin très prononcé, ce qui tire la tendance globale vers le bas. Quant au biais géographique déjà évoqué, il fait que l’indice reflète surtout les régions du monde où les données sont abondantes, pas nécessairement celles où la biodiversité est la plus riche. Dit autrement : on mesure ce que l’on sait compter, pas forcément ce qui compte le plus.
La communauté scientifique elle-même appelle désormais à manier le LPI avec prudence. Ce n’est pas le thermomètre de la biodiversité mondiale, mais un outil utile parmi d’autres, avec ses forces, ses angles morts et ses limites.
La Liste rouge de l’UICN
Créée en 1964, la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est aujourd’hui la référence mondiale pour évaluer le risque d’extinction des espèces. Elle recense plus de 170 000 espèces évaluées et les classe dans neuf catégories, de « Préoccupation mineure » à « Éteinte », selon un protocole standardisé reposant sur cinq critères officiels (A à E) : ampleur du déclin, taille de la population, aire de répartition, fragmentation de l’habitat et probabilité d’extinction modélisée. Ce cadre homogène, validé par des experts internationaux, est utilisé par les chercheurs, les ONG et les gouvernements pour dresser un aperçu global de l’état du vivant et orienter les priorités de conservation.
La Liste rouge reflète les connaissances disponibles, qui restent très inégales selon les groupes taxonomiques, et souffre des mêmes biais que les autres indicateurs. Sa catégorisation est aussi volontairement prudente. Une species peut entrer rapidement dans une catégorie menacée dès qu’un seuil de déclin est franchi, mais en sortir exige des preuves robustes d’amélioration durable, mesurées sur dix ans ou trois générations. À cela s’ajoute un effet d’attention : les espèces en progression sont souvent moins suivies que celles en difficulté, ce qui peut retarder la validation de leur amélioration.
La mesure de la vie, entre science et humilité
Compter la biodiversité, ce n’est pas seulement accumuler des données : c’est tenter de comprendre les équilibres du vivant et d’en suivre les transformations. Les biais sont réels, les incertitudes nombreuses, mais ces travaux restent indispensables pour éclairer les décisions publiques, orienter la conservation et éviter que l’action écologique ne s’engage sur de fausses pistes.
En matière de biodiversité, les chiffres sont des balises, pas des certitudes. Ils exigent de la méthode, de la prudence et une véritable humilité devant la complexité du vivant.
RÉCIT - La 30e conférence internationale sur le climat s’est achevée samedi soir à Belém. L’Union européenne et quelques alliés repartent dépités, le Brésil estime avoir limité la casse.
Le président de la COP30, André Correa do Lago (au centre), après l’interruption de la séance plénière de clôture, samedi 22 novembre, après une plainte de la Colombie sur la procédure.
Une équipe internationale de scientifiques a réfuté toutes les hypothèses avancées jusqu'à présent sur la diversification des races canines. Non, nos compagnons à quatre pattes ne se sont pas surtout diversifiés depuis 200 ans, mais bien depuis des milliers d'années.
Dans les Alpes françaises, quelques poignées de terre suffisent aux scientifiques pour cartographier la vie grâce à l’ADN environnemental. Une technologie centrale dans le cadre de Dynabiod, un programme de recherche de grande ampleur confié au CNRS pour surveiller et prédire l’état de la biodiversité, et plus particulièrement des plantes et des invertébrés, dont le démarrage est prévu en mars 2026.
FOCUS - Trente ans après le début des COP et dix ans après l’accord de Paris, les participants s’interrogent de plus en plus sur le format de ces rendez-vous annuels.
Le président de la COP30 Andre Correa do Lago frappe le marteau lors de la session plénière de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP30), à Belém.
Alors que la conférence internationale sur le climat entamait les prolongations, les positions sur l’effort mondial de lutte contre le réchauffement et les moyens financiers d’y parvenir semblaient irréconciliables.
Le président de la COP30 du Brésil, Andre Correa do Lago, assiste à une session plénière lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP30), à Belém, au Brésil, le 21 novembre 2025.
Les dernières négociations ont commencé à l’issue de la COP30, qui doit prendre fin samedi soir. Mais les pays européens peinent à obtenir un engagement fort sur la sortie des énergies fossiles, et craignent une conclusion du sommet sans accord majeur.
Un chiffre choc, glaçant même. Empire of AI, best-seller de l’été sur l’IA, affirme qu’un data center consomme mille fois l’eau d’une ville entière. Le problème, c’est que l’autrice s’est trompée : l’estimation était 5 000 fois trop élevée.
Cerrillos, petite ville chilienne de 88 000 habitants, devait accueillir un nouveau data center de Google. Dans son livre à succès consacré à Sam Altman et au système OpenAI, Karen Hao décrit une installation dont les besoins en eau dépasseraient mille fois ceux de la commune. De quoi s’imaginer un véritable monstre technologique à la soif inextinguible. Le chiffre était frappant… trop, sans doute.
La menace fantôme
Car tout ceci s’est révélé être une énorme erreur factuelle, qui fait partir la démonstration à vau-l’eau et basculer Karen Hao — pourtant diplômée d’ingénierie du MIT — du côté obscur de l’information scientifique.
Dans un contexte saturé de chiffres alarmistes sur l’IA, ce ratio improbable a pu paraître crédible à beaucoup. Mais pas à Andy Masley, membre du courant de l’Effective Altruism, dont la démarche repose strictement sur les faits et les preuves.
Le Jedi des ordres de grandeur
Un calcul rapide montre en effet que ce ratio impliquerait que chaque habitant n’utilise que 0,2 litre d’eau par jour — une absurdité, près de 900 fois moins que la moyenne chilienne. En consultant les rapports de la SMAPA (service municipal de l’eau de Maipú/Cerrillos), Masley découvre que les chiffres présentés comme des « litres » dans la réponse officielle obtenue par Hao sont en réalité des mètres cubes. Une erreur d’unité qui change la comparaison d’un facteur 1 000.
Karen Hao a reconnu l’erreur et admis qu’un contrôle de plausibilité aurait suffi à la repérer. Elle a aussi annoncé qu’elle mettrait à jour son livre une fois la confirmation officielle reçue, tout en maintenant ses critiques sur l’implantation de data centers en zones de stress hydrique.
Mais ce n’est pas tout. Masley lui reproche aussi d’avoir fondé sa comparaison sur les valeurs maximales de prélèvement autorisées, alors que la consommation réelle se situe plutôt autour de 20 % de ce plafond. Une autre source majeure de surestimation.
Enfin, il pointe la confusion fréquente entre prélèvements et consommation nette : les volumes cités correspondent à de l’eau prélevée — restituée à plus de 90 % — et non à la part réellement consommée. Une nuance pourtant essentielle pour comprendre l’impact réel d’un data center.
Ces trois éléments — l’erreur d’unité, la comparaison à la capacité maximale autorisée et la confusion entre prélèvements et consommation nette — modifient radicalement l’interprétation du cas de Cerrillos.
Rien d’anecdotique. La circulation mondiale de chiffres spectaculaires mais faux finit par façonner une image déformée de l’IA, présentée comme une industrie prédatrice. Ce décalage entre perception et réalité alimente la défiance du public et complique tout débat rationnel autour de ces infrastructures.
La France refroidit le cloud sans assécher la planète
S’il est légitime de se poser des questions sur l’impact environnemental des data centers, encore faut-il poser correctement les enjeux. Le volume total d’eau consommée, pris isolément, n’a aucune signification. Ce qui compte, c’est où et quand l’eau est prélevée. Un captage dans un grand cours d’eau en période de crue n’a aucun impact, alors que puiser de l’eau potable dans une zone sous stress hydrique peut devenir problématique.
À Cerrillos, Google a mis en pause son projet de 200 millions de dollars après qu’un tribunal environnemental chilien a partiellement révoqué son autorisation et demandé une réévaluation intégrant la vulnérabilité de l’aquifère local et les effets du changement climatique.
L’entreprise a annoncé repartir « à zéro », en adoptant un refroidissement par air, sans aucun prélèvement dans les puits environnants. Une solution plus coûteuse, mais appelée à devenir la norme partout où l’usage de l’eau fait l’objet d’une forte compétition.
Bouleversé par une baisse drastique du prix de revente, le secteur de la production domestique d’électricité recentre ses enjeux autour de l’optimisation de l’autoconsommation. Des solutions, notamment propulsées par l’IA, existent pour maximiser ses économies.
Zendure
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Il y a 12 000 ans, le climat s’est refroidi brutalement, les températures chutant de près de 10 °C dans l’Atlantique Nord en quelques années seulement. Un épisode qui nous rappelle que notre priorité devrait être d’apprendre à nous adapter.
Nous parlons du climat comme d’une courbe globale qui s’élève et que l’humanité devrait stabiliser. Mais les civilisations ne vivent pas dans les moyennes planétaires : elles vivent dans des régions capables de basculer brutalement, parfois sans que la température globale n’enregistre grand-chose. Il y a douze mille ans, à peine un instant dans l’histoire de la planète, l’hémisphère Nord a plongé dans un changement brutal qui a redessiné les paysages et les modes de vie humains. Comprendre cet épisode oublié pourrait bien être essentiel pour penser la résilience du XXIᵉ siècle.
Depuis des années, le débat climatique s’organise autour d’un récit désormais familier : la Terre se réchauffe à un rythme inédit par rapport aux millions d’années précédentes, et ce réchauffement est principalement dû aux activités humaines. Cette affirmation est solide, étayée par les rapports du GIEC et abondamment commentée. Mais elle occupe tellement de place qu’elle finit par constituer presque tout le récit climatique contemporain. Or la manière dont les sociétés humaines perçoivent et subissent les transformations du climat est bien plus complexe. Les civilisations ne vivent pas dans la moyenne globale, mais dans des régions où l’équilibre peut se rompre en quelques années.
Le Dryas récent : un basculement climatique oublié
Parmi les épisodes qui illustrent le mieux cette réalité figure le Dryas récent, un événement climatiquement abrupt, récent au sens géologique et pourtant largement absent du débat public. Il s’est produit il y a environ douze mille ans, un battement de cils à l’échelle de la Terre, trop court pour laisser une marque profonde dans les archives planétaires, mais suffisamment long pour transformer durablement l’hémisphère Nord. À ce moment-là, le monde sortait de la dernière glaciation et se dirigeait vers un climat plus chaud et plus stable. Puis, soudainement, l’hémisphère Nord a basculé dans un refroidissement rapide : plusieurs degrés perdus en l’espace de quelques années à quelques décennies, entre deux et six en Europe, parfois jusqu’à dix au Groenland. En termes climatiques, c’est l’équivalent d’un déplacement de plusieurs centaines de kilomètres de latitude, mais vécu à l’échelle d’une vie humaine.
Ce basculement rapide n’a presque pas modifié la température moyenne globale. Si nous avions disposé des outils de mesure actuels, la courbe globale n’aurait rien laissé deviner, et pourtant les écosystèmes, les migrations et les sociétés humaines ont été profondément affectés. Cette dissociation entre la stabilité globale et l’instabilité régionale constitue un enseignement majeur : un climat peut paraître stable à l’échelle planétaire tout en étant chaotique là où vivent les civilisations.
Les causes du Dryas récent : un mystère climatique encore ouvert
Mais c’est la fin du Dryas récent qui illustre le mieux la violence potentielle des transitions climatiques. Après environ 1 200 ans de froid, l’hémisphère Nord a connu un réchauffement si rapide qu’il dépasse tout ce que l’humanité contemporaine considère comme un scénario extrême : plusieurs degrés gagnés en quelques années, ou quelques décennies au maximum. Une accélération fulgurante qui marque le début de l’Holocène, la période tempérée durant laquelle toutes les civilisations historiques se développeront. Cette transition — un refroidissement brutal suivi d’un réchauffement encore plus rapide — montre que les changements de seuil peuvent survenir de manière explosive et que les régions peuvent basculer presque instantanément par rapport aux rythmes géologiques.
Conséquences humaines et écologiques
Les conséquences de ce double mouvement ont été considérables. La mégafaune a décliné, les biomes se sont reconfigurés et certaines sociétés humaines ont disparu ou se sont déplacées. L’agriculture elle-même émerge précisément à la fin de cette période. Non pas dans un climat stable, mais au contraire dans un monde en pleine réorganisation. Beaucoup d’historiens y voient la trace d’une adaptation forcée : lorsque l’environnement devient trop imprévisible, les humains cherchent à en reprendre le contrôle.
Le Dryas récent a-t-il entraîné l’invention de l’agriculture ?
Ce récit, pourtant central pour comprendre notre rapport au climat, est presque absent de la discussion contemporaine. Nous nous focalisons sur la variation de la température globale et sur son origine anthropique, comme si l’ensemble du risque climatique se concentrait dans une seule courbe. Or l’histoire récente de la Terre montre exactement l’inverse : les bouleversements susceptibles de transformer les sociétés humaines peuvent être régionaux, rapides et invisibles dans la moyenne globale. C’est là un paradoxe dérangeant : nous surveillons l’indicateur qui monte le plus régulièrement, mais pas nécessairement celui qui menace le plus concrètement nos infrastructures, nos ressources et notre organisation sociale.
Sommes-nous mieux préparés qu’il y a douze mille ans ? Sur le plan technologique, sans aucun doute. Mais notre sophistication nous rend aussi vulnérables : une agriculture dépendante de chaînes logistiques mondiales, une énergie centralisée, des systèmes urbains fragiles face aux perturbations soudaines et une interdépendance généralisée qui transforme des chocs locaux en crises globales. Nous sommes puissants, mais notre puissance repose sur une complexité qui, en cas de perturbation rapide, pourrait devenir notre talon d’Achille.
C’est précisément ici qu’il devient nécessaire d’admettre l’évidence : la question n’est pas de savoir si un changement rapide du climat est possible, mais quand ? Reconnaître que ce type d’épisode peut survenir, indépendamment ou en combinaison avec le réchauffement actuel, est une condition préalable à toute réflexion sérieuse. Il ne s’agit pas d’imaginer des scénarios catastrophistes, mais d’accepter que notre monde peut être confronté à des ruptures soudaines et de réfléchir à la manière de s’y préparer et de s’y adapter. Cela implique des infrastructures distribuées, une agriculture capable d’encaisser des variations fortes, des systèmes d’énergie autonomes, des mécanismes de stockage durable du savoir et une capacité institutionnelle à absorber l’imprévu. La technologie n’est pas un luxe dans cette perspective : elle devient une assurance-vie collective.
Le Dryas récent ne nous dit pas que l’histoire climatique va se répéter. Il nous dit que les ruptures soudaines peuvent exister, qu’elles peuvent être rapides, régionales, intenses et que la moyenne globale n’est pas, à elle seule, un bon indicateur du danger pour les sociétés humaines. Comprendre cela n’invite ni au fatalisme ni à la peur ; cela invite à élargir notre regard, à sortir de la vision étroite d’un climat résumé à une courbe globale et à envisager notre avenir avec une ambition plus vaste : celle de bâtir une civilisation capable d’encaisser l’inattendu.