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L’usine invisible qui fait tourner le monde

Sans elle, plus de fleurs, plus de fruits… et plus de vie. La biodiversité n’est pas un inventaire d’espèces menacées, mais une immense usine biologique qui filtre notre eau, stabilise le climat et nourrit nos sols. Les scientifiques appellent cela les « services écosystémiques » : l’ensemble des fonctions que les écosystèmes assurent gratuitement pour maintenir la vie sur Terre. Bienvenue au cœur de la machine qui fait fonctionner la planète.

Les cycles invisibles qui rendent la Terre habitable

Le phytoplancton océanique assure près de la moitié de la photosynthèse planétaire et pompe chaque année des quantités massives de CO₂ atmosphérique. Les forêts, elles, ont longtemps joué leur rôle de puits de carbone. L’excès de CO₂ stimule encore leur croissance, mais le bilan se dégrade : en Australie, les forêts émettent désormais plus de carbone qu’elles n’en absorbent, victimes de la sécheresse et des canicules. En France, les forêts ont capté 38 % de carbone en moins entre 2015 et 2023 qu’entre 2005 et 2013. Le puits se fissure. Et quand les amortisseurs naturels lâchent, c’est le climat qui s’emballe.

Sous nos pieds, l’action est tout aussi frénétique. Les sols contiennent plus de carbone que toute la végétation terrestre et l’atmosphère réunies. Une armée invisible — bactéries, champignons, vers de terre — décompose la matière organique, la transforme en humus et recycle les nutriments indispensables aux plantes. Sans ces recycleurs, la planète croulerait sous un manteau de cadavres végétaux, stérile et improductif.

Les mycorhizes, ces champignons microscopiques qui s’associent aux racines, multiplient par dix à cent la capacité d’absorption des plantes. Quatre-vingt-dix pour cent des végétaux terrestres vivent en symbiose avec eux. Quant aux bactéries fixatrices d’azote, elles transforment le gaz atmosphérique — inutilisable par les plantes — en ammonium assimilable, première étape du cycle de l’azote.

Le thermostat naturel de la planète

Les écosystèmes ne se contentent pas de recycler, ils régulent. La forêt amazonienne, par exemple, agit comme une pompe biotique géante — un mécanisme par lequel la végétation influence le climat. En absorbant l’eau du sol et en la relâchant dans l’air par évapotranspiration, les arbres humidifient l’atmosphère. Chaque jour, près de 20 milliards de tonnes d’eau s’élèvent ainsi dans le ciel amazonien, soit 3 milliards de plus que le débit du fleuve Amazone. Cette vapeur crée une zone de basse pression qui aspire l’air humide de l’Atlantique vers le continent, générant des pluies qui, à leur tour, entretiennent la forêt. Sans cette pompe végétale, l’intérieur de l’Amérique du Sud serait un désert, car l’air océanique ne pénétrerait pas aussi loin dans les terres.

Les forêts tropicales retiennent à elles seules environ 1 °C de réchauffement mondial, à 75 % grâce au carbone stocké et à 25 % par effet de refroidissement lié à l’évapotranspiration. Les océans, eux, absorbent 90 % de la chaleur excédentaire liée au changement climatique grâce à la capacité thermique exceptionnelle de l’eau. Si ces régulateurs naturels s’enrayaient, les températures terrestres grimperaient en flèche.

Baleines : les fertiliseurs des océans

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Les mangroves et les forêts côtières sont, elles, les brise-lames du littoral. Elles réduisent jusqu’à 75 % la force des vagues lors des tempêtes et protègent plus de 15 millions de personnes des inondations chaque année. Les récifs coralliens, quant à eux, atténuent 97 % de l’énergie des vagues et protègent environ 200 millions d’habitants dans plus de 80 pays, dont l’Indonésie, l’Inde et les Philippines. Les détruire, c’est condamner les côtes à l’érosion — et dépenser des milliards en digues pour tenter de remplacer, mal et cher, ce que la nature faisait gratuitement.

Pollinisation : le service à 153 milliards d’euros… ou plus

Environ 75 % des cultures mondiales dépendent des pollinisateurs à des degrés divers. Mais, en volume de production, cette dépendance se réduit à 35 % : les céréales, base de notre alimentation, sont pollinisées par le vent, non par les insectes. En revanche, certaines plantes seraient tout simplement impossibles à cultiver sans eux : la noix du Brésil, le kiwi, le cacao, la pastèque, le melon, la courge, le fruit de la passion ou la vanille. Pour d’autres — café, agrumes, amandes, tomates, pommes — leur absence ferait chuter les rendements de 40 % à 90 %, selon les variétés. Un monde sans abeilles est… un monde sans chocolat.

Comment mesurer la valeur économique de ce service ? En multipliant le volume et le prix de chaque culture par son taux de dépendance aux pollinisateurs, une méthode élaborée en 2009 par Nicola Gallai, professeur en sciences économiques au LEREPS, et ses collègues. Résultat : 153 milliards d’euros en 2005, soit près de 10 % de la valeur totale de la production agricole mondiale destinée à l’alimentation humaine. Les estimations les plus récentes, ajustées de l’inflation et de l’expansion des surfaces cultivées, portent ce chiffre entre 235 et 577 milliards de dollars par an. Trois filières concentrent l’essentiel de cette valeur : les légumes (≈ 50 milliards €), les fruits (≈ 50 milliards €) et les oléagineux (≈ 40 milliards €), suivis des stimulants comme le café et le cacao. Des cultures à forte valeur marchande, mais dépendantes du travail gratuit de milliards d’insectes.

Purification : les stations d’épuration gratuites

Les zones humides filtrent naturellement l’eau en éliminant l’azote, le phosphore et les métaux lourds. Les forêts riveraines — ces bandes boisées le long des cours d’eau — éliminent jusqu’à 90 % de l’azote et 74 % du phosphore provenant des ruissellements agricoles. Les tourbières saines agissent comme d’immenses filtres naturels : elles retiennent les polluants et réduisent les flux de nutriments vers les rivières et les lacs. Quant aux forêts, elles purifient l’air en capturant les particules fines et l’ozone.

Ces écosystèmes accomplissent gratuitement ce que nos technologies ne pourraient reproduire qu’à des coûts considérables. Construire une station d’épuration coûte des millions ; restaurer une zone humide revient bien moins cher — tout en apportant d’autres bénéfices : régulation des crues, habitats pour la faune, qualité des paysages, loisirs. Dans bien des cas, préserver vaut mieux que remplacer.

Résilience et régulation : l’assurance-vie génétique

La diversité génétique est notre police d’assurance face aux crises à venir. Plus un écosystème est riche, plus il résiste aux perturbations : maladies, sécheresses, invasions. Plusieurs espèces assurent souvent la même fonction ; si l’une disparaît, les autres prennent le relais. C’est ce qu’on appelle la redondance fonctionnelle.

Les variétés agricoles traditionnelles en offrent une illustration frappante. Souvent plus rustiques, elles résistent mieux aux maladies et aux conditions locales. Mais elles ont été largement remplacées par des variétés modernes à haut rendement, qui ont permis de nourrir plus de monde sur moins de terres — un progrès majeur pour la sécurité alimentaire. Leur revers, c’est une vulnérabilité accrue : moins de diversité signifie moins de capacité d’adaptation et un risque plus élevé en cas d’épidémie.

Exemple récent : la betterave sucrière française, frappée par la jaunisse virale en 2020, a perdu 30 % de sa récolte. Privés d’insecticide, les producteurs réclament des dérogations, alors que des variétés résistantes issues de programmes de sélection sont attendues d’ici la fin de la décennie — un processus que les nouvelles techniques génomiques (NGT) pourraient accélérer. La diversité génétique n’est pas un musée à préserver, mais une bibliothèque de solutions dans laquelle la recherche puise pour concevoir les variétés de demain. Là où la chimie ne fait que gagner du temps, la génétique offre une réponse durable.

Les prédateurs naturels participent eux aussi à la régulation : coccinelles contre pucerons, chauves-souris contre insectes nocturnes. L’absence ou le retour d’un grand prédateur peut remodeler tout un écosystème. Ainsi, à Yellowstone, la réintroduction du loup en 1995 a modifié le comportement des cerfs, favorisé la repousse des arbres, le retour des castors et même stabilisé le cours des rivières.

La diversité agit enfin comme barrière sanitaire : c’est l’effet de dilution. Plus il y a d’hôtes différents, moins un pathogène circule efficacement. Les monocultures, au contraire, sont des autoroutes à épidémies. Mais de plus en plus émergent des solutions combinées — agroforesterie, haies, rotations — qui réintroduisent de la diversité sans sacrifier la productivité. Des approches hybrides, à la fois technologiques et écologiques, où la biodiversité redevient une alliée plutôt qu’une contrainte.

Le coup du lapin

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Ces services que personne ne remarque

Le vivant inspire aussi nos technologies. Le Velcro imite les crochets de la bardane ; les pattes du gecko, des adhésifs réversibles ultra-puissants. Le bec du martin-pêcheur a inspiré la forme du TGV japonais Shinkansen, réduisant sa consommation d’énergie de 15 %. Les fils d’araignée, d’une résistance inégalée, nourrissent la recherche militaire et biomédicale. Les termitières ont inspiré des systèmes de ventilation naturelle pour les bâtiments.

Le biomimétisme transforme ainsi l’observation du vivant en innovation technologique — preuve que la biodiversité est aussi un immense laboratoire d’idées. Elle constitue en outre un réservoir de molécules précieuses pour le développement de nouveaux médicaments. La nature ne se contente pas de nous nourrir et de nous protéger : elle nous inspire, nous soigne et maintient les équilibres invisibles dont dépend notre civilisation.

Une architecture à préserver

Chaque fonction écosystémique — épuration de l’eau, régulation du climat, fertilisation des sols, pollinisation, protection contre les catastrophes — est un service gratuit rendu chaque jour par le vivant.
La biodiversité n’est pas un luxe ni une curiosité : c’est l’infrastructure invisible sur laquelle repose toute notre civilisation. Et elle n’a rien d’indestructible. Retirer un maillon peut fragiliser toute la chaîne.

Selon l’IPBES, près d’un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction, 75 % des terres émergées sont altérées par l’activité humaine et deux tiers des océans sont dégradés.
Mais fragile ne veut pas dire condamnée.
Chaque fonction peut être restaurée, chaque cycle réparé — à condition de savoir ce qu’on protège et pourquoi.

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Avant les attentats du 13-Novembre, une course contre la montre et une succession de rendez-vous manqués

Entre la décision de l’organisation Etat islamique de perpétrer une tuerie de masse en France et les attentats du 13-Novembre, un an s’est écoulé. Douze mois au cours desquels les services de renseignement ont eu maintes occasions de porter un coup d’arrêt à cette cellule terroriste.

© MARCEL VAN HOORN/AFP

A Verviers, dans l’est de la Belgique, après une opération de police contre une cellule terroriste dirigée par Abdelhamid Abaaoud depuis Athènes, le 15 janvier 2015.
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Invité à l’Elysée, Mahmoud Abbas espère faire de l’Autorité palestinienne un acteur du plan de paix à Gaza

En recevant Mahmoud Abbas, mardi, Emmanuel Macron entend retrouver une influence et redonner voix à l’Autorité palestinienne, alors qu’un cessez-le-feu précaire est en vigueur entre Israël et le Hamas et que se préparent les prochaines étapes du plan de Donald Trump pour Gaza.

© YOAN VALAT/AFP

Emmanuel Macron rencontre le président palestinien Mahmoud Abbas, lors d’une réunion bilatérale en marge du sommet de paix de Charm El-Cheikh (Egypte), le 13 octobre 2025.
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« Je n’ai pas pu revoir mes enfants avant d’être emmenée » : à la frontière entre Haïti et la République dominicaine, les migrants haïtiens expulsés en masse

Depuis le début de l’année, plus de 220 000 immigrés haïtiens ont été rapatriés de force, en raison du durcissement de la politique migratoire du gouvernement dominicain. Nombre d’entre eux sont séparés de leur famille et subissent de mauvais traitements durant leur expulsion.

© Pierre Michel Jean /K2D POUR « LE MONDE »

L’espace d’attente du Centre de ressources frontalier après l’arrivée de quatre convois d’immigrés haïtiens rapatriés par la République dominicaine, à Ouanaminthe (Haïti), le 21 octobre 2025.
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L’ex-compagne de Salah Abdeslam mise en examen pour un projet d’attentat et pour avoir fait remettre au terroriste une clé USB en détention

Maëva B. et deux autres personnes ont été mises en examen lundi pour un projet d’action violente. Une seconde enquête, distincte, s’intéresse à une clé USB contenant de la propagande djihadiste qu’elle aurait fait remettre en détention à son ancien compagnon.

© FRANCOIS NASCIMBENI/AFP

Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), où est incarcéré Salah Abdeslam, en avril 2025.
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En Russie, des musiciens en détention pour avoir interprété des chansons d’opposants en pleine rue

En Europe, Monetochka, artiste anti-Kremlin en exil, chante ses textes contre la guerre en Ukraine. A Saint-Pétersbourg, trois jeunes ont osé reprendre ses chansons. Depuis près d’un mois, ils sont en prison.

© Anton Vaganov/REUTERS

Diana Loginova, musicienne de rue de 18 ans connue sous le nom de « Naoko », accusée de discréditer les forces armées russes, avant son audience, à Saint-Pétersbourg (Russie), le 28 octobre 2025.
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Aux Philippines, le bilan du typhon Fung-Wong s’élève à 18 morts

Le phénomène météorologique a balayé presque tout l’archipel, entraînant l’évacuation de 1,4 million de personnes. Il se dirige désormais vers Taïwan.

© JOHN DIMAIN / AFP

Après le passage du typhon, Fung-Wong, à Tuguegarao, dans la province de Cagayan, au nord de Manille, la capitale des Philippines, le 11 novembre 2025.
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EN DIRECT, Gaza : Emmanuel Macron reçoit mardi Mahmoud Abbas, le « président de l’Etat de Palestine »

« Cette rencontre s’inscrit dans la continuité de la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France et du travail engagé pour la mise en œuvre d’un plan de paix et de sécurité pour tous au Moyen-Orient », précise l’Elysée dans un communiqué. La France a officiellement reconnu en septembre l’Etat de Palestine lors de l’Assemblée générale de l’ONU.

© YOAN VALAT / via REUTERS

Emmanuel Macron et Mahmoud Abbas, lors du sommet sur Gaza, à Charm El-Cheikh, en Egypte, le 13 octobre 2025.
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EN DIRECT, guerre en Ukraine : la ville de Kramatorsk, dans l’Est, visée par une « attaque massive » de drones

Sept drones ont frappé la ville en l’espace de trente minutes, peu après 20 heures, a écrit le conseil municipal de Kramatorsk sur Telegram. Au moins une personne est morte. Dans l’oblast de Kharkiv, un drone a, par ailleurs, touché lundi soir un véhicule, blessant ses trois occupants.

© TETIANA DZHAFAROVA/AFP

Des habitants marchent au milieu des décombres d’un immeuble touché par des bombardements russes, à Kramatorsk, le 15 septembre 2025.
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