Reworld Media hallucine et publie n’importe quoi, mais ce n’est pas à cause de l’IA (2/2)
We are Reworld, we are the children
Premier éditeur de presse magazine en France, et 3ᵉ groupe média sur le web et les réseaux sociaux, Reworld Media estime que les sites d’infos générées par IA auraient fait perdre des dizaines de millions d’euros aux médias depuis que l’algorithme de Google a commencé à recommander leurs articles. Il vient de commencer à… faire pareil, ou presque. Étrangement, nombre de ses articles « augmentés » par l’IA publient comme images d’illustration des… bras cassés coupés.
Nous n’avons matériellement pas pu, faute de temps, vérifier l’ensemble des sites web des 81 « marques médias propriétaires » de Reworld Media, premier éditeur de presse magazine français en nombre de journaux détenus, et 3ᵉ groupe média sur le web et les réseaux sociaux.
Nous avions précédemment découvert que parolesdemamans.com avait publié une rafale d’articles avançant qu’en France des crèches acceptaient des poupées « reborn » (hyperréalistes) au détriment de bébés humains. Mais celui-ci n’est pas le seul site du groupe à avoir récemment mis en ligne des articles problématiques, et potentiellement générés par IA (GenAI).
Aurélia Baranes est co-fondatrice directrice de publication de Serieously, qu’elle présente comme le « premier média d’infotainment indépendant en France », et l’un des « leaders sur le segment de la pop culture ». Lancé en 2017, il représenterait aujourd’hui 6 millions de visiteurs uniques par mois, et emploie une vingtaine de personnes à ce jour.
Elle était auparavant journaliste culture à Be.com, l’un des sites du groupe Reworld Media, de 2014 à 2017. Or, et alors que sa page de profil indiquait qu’elle n’y avait plus rien publié depuis septembre 2016, des articles signés de son nom ont commencé à y réapparaître à partir de la mi-septembre 2025.
Mais si ses précédents articles portaient sur ses spécialités, à savoir le cinéma et les séries TV, ses nouveaux articles, dont la plupart étaient illustrés par des photos de stock ou des images GenAI créditées Canva, concernaient le « pic de chaleur attendu ce week-end », la revalorisation à venir de la retraite complémentaire Agirc-Arrco, paraphrasant des communiqués de Météo France ou de la Banque de France.
Le 19, elle signait par exemple un article consacré aux augmentations de salaires à venir en 2026. Il s’agissait en fait d’une reprise d’un décryptage signé par deux journalistes des Echos, publié quatre jours plus tôt. Or, l’article signé Aurélia Baranes sur Be.com comporte deux citations, qui ne figurent pas dans l’article des Echos, mais qui en paraphrasent des extraits.
| « Nous observons une forte prudence face à une situation économique incertaine », déclare au journal Les Echos Sophie Lazaro, directrice capital humain chez Deloitte. | « On est vraiment dans un contexte complexe pour se projeter avec beaucoup d’incertitude au niveau national comme international », observe Sophie Lazaro, directrice capital humain chez Deloitte. |
Et si Les Echos mentionnaient bien trois citations de Khalil Ait Mouloud, directeur des enquêtes de rémunération chez WTW, les propos qui lui sont prêtés semblent eux aussi avoir été « hallucinés », en paraphrasant un passage écrit par les journalistes :
| Un des grands changements attendus pour 2026 réside dans l’introduction de la directive européenne sur la transparence salariale. À partir de juin 2026, cette législation obligera les entreprises à publier les fourchettes salariales des postes proposés dans leurs annonces de recrutement. Si cette mesure vise avant tout à réduire les inégalités salariales, elle pourrait aussi entraîner une dynamique de réajustement salarial pour les salariés actuels. « Les employés disposeront désormais d’une meilleure visibilité sur les rémunérations offertes, ce qui pourrait les pousser à demander des augmentations s’ils estiment être sous-payés« , explique Khalil Ait Mouloud, directeur des enquêtes de rémunération chez WTW. | Les sociétés doivent aussi anticiper la transposition de la directive européenne sur la transparence des salaires – qui interviendra au plus tard en juin 2026 – et qui pourrait peser sur la masse salariale. Elle imposera aux entreprises d’afficher, dans leurs offres d’emploi, le salaire initial prévu pour le poste ou une fourchette de rémunération. Une aubaine pour les salariés en poste, qui sauront à combien leur entreprise recrute… et qui pourraient donc être tentés de demander une augmentation s’ils s’estiment sous-payés. |
Or, ce type d’ « hallucinations » est un marqueur typique des contenus générés par IA (GenAI) que nous documentons depuis des mois, les chatbots ne faisant pas la distinction entre un « texte » (qu’il est possible de paraphraser, ne serait-ce que pour éviter les accusations de plagiat ou de contenu dupliqué, que pénalisent les moteurs de recherche, en matière de référencement) et les « citations ». Dans un article, celles-ci ne sauraient bien évidemment être modifiées, paraphrasées, encore moins inventées.
Contactée, Aurélia Baranes nous répond qu’elle n’était « absolument pas au courant », avant de rajouter, 30 minutes plus tard : « Je découvre l’ampleur des articles à mon nom, c’est affolant ! On dirait des articles faits par IA en plus ».
Son avocat a depuis adressé un courrier à Reworld Media « parce que je trouvais ça assez violent », nous a-t-elle depuis expliqué, et les nouveaux articles GenAI qui lui étaient attribués ont été effacés dans la foulée.
Contacté, Jérémy Parola, directeur des activités numériques de Reworld Media, nous répond que « c’est un pigiste qui a merdé avec le CMS [système de gestion de contenus, ndlr], on a supprimé l’intégralité des articles ». Il se dit d’autant plus peiné qu’ « on s’entend bien avec elle ».
25 articles par jour, à raison d’un par heure, 24 h/24, 7j/7
Évoquant le cas de « pigistes qui passent de 2 contenus/jour à plusieurs dizaines », Jérémy Parola précise par ailleurs qu’à Reworld, le fait de générer des articles par IA, sans relecture ni supervision, est proscrit par contrat :
