Science manipulée
Les données de santé de centaines de milliers de Britanniques auraient été détournées par un groupe international d’extrême-droite cherchant à crédibiliser ses thèses racistes par les apparences de la science.
Des chercheurs de réseaux extrémistes promouvant l’idée que l’intelligence serait expliquée par la « race » des individus ont obtenu l’accès à des données de santé d’un demi-million de Britanniques, selon les informations de l’ONG Hope not Hate.
Les vidéos, obtenues sous couverture, montrent les membres d’un réseau de « racisme scientifique » discuter du jeu de données qu’ils ont récupéré de UK biobank. Le « racisme scientifique » consiste à utiliser l’apparence d’études et de méthodes scientifiques pour promouvoir l’idée d’une hiérarchie naturelle entre groupes d’humains en fonction de supposées races.
Fondée en 2003 par le ministère de la Santé britannique, UK Biobank gère une étude de long-terme sur les prédispositions génétiques au développement de divers types de maladies – la base de données a par exemple été utilisée pour mieux comprendre le fonctionnement du diabète ou de la maladie de Parkinson.
Elle recueille le consentement (.pdf) de ses participants à l’usage de leurs données de santé – dont des réponses à des questionnaires, des prélèvements sanguins ou urinaires, ou encore des dossiers médicaux – pour « de la recherche d’intérêt public dans le domaine médical ».
Auprès du Guardian, l’entité se déclare confiante dans ses processus de sécurisation des données qu’elle recueille. « Malheureusement, nous évoluons dans un monde où des personnes contraires à l’éthique chercheront à les détourner », déclare au quotidien le directeur de UK Biobank Rory Collins.
Fausse science financée par un entrepreneur de la tech
Le groupe de chercheurs étudié par Hope not Hate est dirigée par Emil Kirkegaard, de son vrai nom William Engman, danois d’une trentaine d’années, autoproclamé « génie universel » et connu pour fournir des arguments pseudo-scientifiques à l’extrême-droite.
En 2022, celui-ci crée la Human Diversity Foundation (HDF), une société qui utilise tous les moyens disponibles – podcasts, vidéos, magazines papier, articles de « recherche » – pour promouvoir l’idée de la supposée supériorité génétique de certains groupes de population. Une « idéologie dangereuse », explique la directrice du Centre for Culture and Evolution de l’université de Brunel, Rebecca Sear, au Guardian, car utilisée à des fins politiques concrètes, notamment « pour s’opposer à toute politique visant à réduire les inégalités » et pour « plaider en faveur de politiques d’immigration plus restrictives », notamment pour réduire celle de population « supposées avoir un « faible QI » ».
Le quotidien britannique comme Hope not Hate ont constaté que le HDF entretenait des liens avec plusieurs personnalités de l’extrême-droite allemande, dont l’activiste Erik Ahrens, qualifié d’extrémiste par les autorités d’outre-Rhin, l’influenceur Matthew Frost, qui anime une newsletter payante forte de 14 000 abonnés sur la plateforme substack, ou encore le youtubeur Edward Dutton, dont les diatribes sur la « dysgénie », la supposée dégradation du stock génétique, est suivie par plus de 100 000 abonnés.
L’un des principaux financeurs des activités du groupe est Andrew Conru, diplômé d’ingénierie mécanique à Stanford et fondateur du site de rencontres Adult FriendFinder, revendu 500 millions de dollars en 2007 à l’entreprise pornographique Penthouse. À lui seul, l’entrepreneur aurait versé 1,5 million de dollars au projet, ce qui en ferait le plus gros financeur du groupe.
Auprès du quotidien comme de Hope not Hate, un représentant de la Conru Foundation a déclaré avoir « aidé à financer le projet » à ses débuts, mais que celui « semble maintenant s’être écarté de son objectif initial, et de la motivation de son financement, qui était de promouvoir la recherche universitaire libre et non partisane ». Conru indique avoir décidé de rompre les liens avec le HDF.
Sans que les montants soient comparables, Hope not Hate relève par ailleurs la présence de l’investisseur Marc Andreessen parmi les abonnés payants (500 $ l’année) à la lettre de Matthew Frost.
Détournement des processus de contrôle de l’usage des données
Outre la dangerosité des idéologies promues grâce à ces fonds (que leurs tenants déclinent aussi en fonction du genre, de la classe sociale, du handicap, etc), se pose la question de l’usage des données de santé, sensibles au sens du RGPD, fait par le HDF.
Les usagers des données de UK Biobank n’ont en effet pas toujours eu à passer par la plateforme dédiée de l’entité, indique le Guardian : jusqu’à récemment, les chercheurs pouvaient télécharger des jeux de données sur leurs propres équipements, après avoir signé un contrat assurant qu’ils ne les partageraient pas sans autorisation.
D’après les extraits vidéos obtenus par Hope not Hate, c’est à ce type de téléchargement que le groupe mené par Kirkegaard semble avoir eu accès. UK Biobank affirme avoir enquêté de manière « approfondie »et n’avoir pas trouvé de preuve que ces données « étaient accessibles à des chercheurs non agréés ». L’entité admet cela dit la possibilité que le groupe ait mis la main sur « des données brutes, de niveau individuel ».
Auprès du chercheur de Hope not Hate sous couverture, Emil Kirkegaard aurait lui-même admis que les « ensembles de données génétiques nécessaires pour tester les différences ethniques de QI ou tout ce qui va dans ce sens, sont bien gardées. » Et de préciser : « La seule façon d’obtenir ces données est qu’un universitaire les obtienne et nous les donne sous la table. (…) Pas nécessairement des universitaires, parfois le secteur privé… même s’il prend un gros risque. »
En 2022, l’université de Cleveland a par exemple licencié le professeur Bryan Pesta pour mésusage de données issues d’une banque génomique états-unienne. Pesta avait co-signé avec Emil Kirkegaard un article dans lequel ils prétendaient établir un lien entre intelligence et ascendance.