Lors d’une audition par la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat quelques heures après l’élection de Donald Trump, le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), l’Anssi et Viginum ont alerté sur l’augmentation des tentatives de manipulations de l’information en France.
Alors que le projet de loi de finances 2025 va bientôt passer devant le Sénat, sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a auditionné mercredi 6 novembre, le secrétaire général du SGDSN, Stéphane Bouillon, le directeur général de l’ANSSI, Vincent Strubel, et Marc-Antoine Brillant, le chef du Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum).
Pour rappel, Viginum et l’ANSSI sont deux services à compétence nationale rattachés au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Concernant les financements, les coupes budgétaires prévues par le gouvernement touchent aussi le budget de ce service interministériel. Stéphane Bouillon confirme, comme le relate Public Sénat : « nous devrons fonctionner avec 307,6 millions d’euros, soit 8 millions de moins qu’en 2024 » tout en expliquant avoir des mesures « pour assurer la continuité des missions importantes ». Il assure les sénateurs que « nous ne serons pas empêchés dans notre cœur de métier ».
Le secrétaire général du SGDSN a aussi estimé, alors que cette audition se passait le jour de la proclamation des résultats des élections américaines, que « l’élection de Donald Trump va rebattre toutes les cartes » dans le conflit déclenché par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Une « bagarre stratégique »
S’agissant des enjeux numériques et technologiques, « ceux-ci font l’objet d’une véritable bagarre stratégique pour la conquête d’une pôle-position ou le rattrapage d’un retard », a estimé Marc-Antoine Brillant.
Il a notamment fait la liste des cinq campagnes dévoilées par Viginum : « la fameuse affaire des étoiles de David, la campagne « Olympia » qui impliquait des acteurs azerbaïdjanais qui visait à dénigrer les capacités de la France à organiser les JO dans de bonnes conditions de sécurité, le dispositif Portal combat, la dénonciation des manœuvres informationnelles en Nouvelle-Calédonie de la part d’acteurs pro azerbaïdjanais et la campagne Matriochka ».
Si l’année n’est pas encore complètement écoulée, le responsable de Viginum a expliqué aux sénateurs qu’il fallait s’attendre à une forte augmentation du volume des manipulations de l’information à destination des français : « L’année dernière, je vous avais rendu compte d’une activité opérationnelle qui était croissante avec près de 40% de détections supplémentaires par rapport à l’année 2022. En 2023, nous avions identifié 230 phénomènes inauthentiques de manipulation de l’information. Pour cette année 2024, au 1er octobre, nous avons déjà dépassé ce chiffre à la faveur de dispositifs informationnels particulièrement persistants dans notre débat public numérique et très opportunistes ».
Une menace « intime »
Devant les sénateurs, Marc-Antoine Brillant a insisté pour qualifier la manipulation de l’information de menace « intime », pour plusieurs raisons. Et d’expliquer : « tout d’abord parce qu’elle connait le fonctionnement de notre démocratie, de notre société et de nos lignes de fracture. Elle suit notre actualité, s’y intéresse et tente d’exploiter tout fait divers ou tout événement. La situation de nos territoires ultramarins est parfaitement connue de certains acteurs étrangers qui n’hésitent pas à susciter, attiser la contestation, en trompant volontairement l’opinion publique. Elle connait aussi notre histoire et notre héritage ». Il prend la tentative d’instrumentalisation de notre débat public sur le sujet des étoiles de David comme un « parfait exemple ». Mais, pour lui, c’est le cas aussi des « accusations répétées de notre politique étrangère d’être colonialiste dans certains territoires ».
Ce qualificatif d’ «intime » se justifie, selon lui, aussi parce qu’ « elle s’attache à nous accompagner dans la durée avec des modes opératoires qui sont de plus en plus persistants ». Ici, il s’appuie notamment sur les campagnes RNN/ Doppelgänger et mais aussi Portal Combat qui « ont démontré leur capacité d’adaptation à nos réponses ».
Selon lui, cette « menace intime » « nous met à l’épreuve et nous impose de l’humilité et des réponses qui ne sont pas uniquement du champ régalien mais feront davantage la preuve de celui de l’éducation, de l’information et d’une meilleure collaboration avec la société civile ».
Le responsable de Viginum a rappelé aux sénateurs que cette manipulation de l’information passe par l’animation de réseaux de faux comptes pour massifier la diffusion de contenus et également la génération de contenus faux crédibles grâce à l’usage de l’IA générative, l’utilisation d’influenceurs ou de comptes à forte audience pour amplifier la visibilité de certains récits et qui sont susceptibles de remplacer, à terme, nos médias auprès de certaines catégories de citoyens. Mais il pointe aussi l’usurpation de l’identité d’institutions officielles « comme la DGSI, le SGDSN mais également la CIA ou nos médias ».
Difficile mesure de l’impact réel
Sur le résultat réel de ces tentatives de manipulation, Marc-Antoine Brillant a expliqué aux sénateurs qu’il n’y a pas de consensus académique ou scientifique pour le mesurer. « Principalement empirique, l’analyse de l’impact consiste bien souvent à relever des indicateurs de visibilité des principales plateformes de réseaux sociaux, avec le caractère relatif de ces indicateurs (nombre de vues, de likes, de repartage ou commentaires) » décrit-il.
Mais il s’est empressé de rajouter que « ça ne fournit qu’une vision parcellaire d’une exposition d’un lectorat ou auditorat à une campagne sans permettre de connaitre les effets sur le long terme ». Et il ajoute qu’ « une simple approche qui serait fondée aujourd’hui sur des indicateurs issus de plateforme, ne permet qu’une mesure partielle de la visibilité de la manœuvre informationnelle puisqu’elle écarte la nécessaire analyse de l’état sociologique d’une population donnée exposée de manière répétée à un narratif sur un temps long avec les biais qui peuvent en découler ».
Il ajoute donc que Viginum « a une posture de prudence s’agissant de la mesure d’un impact d’une campagne. Nous préférons évoquer un risque d’impact où on essaye de faire le lien avec un changement de comportement dans la population qui est visée et de voir si une campagne qui a un champ virtuel numérique produit des effets dans le champ de la vie réelle ».