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Compte-rendu de la conférence APELL - Quelles politiques européennes de soutien au logiciel libre?

La conférence 2024 de l'APELL avait rassemblé l'été dernier à Berlin des acteurs clés du logiciel libre et des décideurs politiques pour échanger sur l'avenir des politiques open source en Europe. Les discussions ont abordé, notamment, les thèmes de la souveraineté numérique, du renforcement de la collaboration entre les pays et de l'adoption de politiques publiques favorisant le logiciel libre. Un compte-rendu détaillé de la conférence (PDF, 33 pages) est à présent disponible.

Les participants ont formulé ou rappelé de nombreuses propositions concrètes pour promouvoir et dynamiser la filière européenne de l'open source. Les participants ont notamment débattu d'initiatives visant à harmoniser les politiques publiques, à soutenir la formation, à plus communiquer sur les réussites. Le rôle central de l'APELL, en tant que voix unifiée de l'open source professionnel en Europe, a été souligné, ainsi que l'importance de créer et de promouvoir standards ouverts et de développer des partenariats transfrontaliers. In fine, les participants ont appelé à une mobilisation collective pour ancrer l'open source au cœur de la stratégie numérique européenne, garantissant résilience et innovation sur le continent.

Sommaire

La conférence APELL 2024 a été l'occasion de discuter des enjeux stratégiques et d'élaborer des propositions concrètes visant à renforcer l'open source en Europe.

Renforcer la souveraineté numérique par l'open source

Les discussions ont mis en avant l'importance de dépasser les simples questions de conformité légale pour intégrer la souveraineté numérique dans la culture et la pratique des institutions européennes. Le logiciel libre a été reconnu comme un levier essentiel pour garantir la liberté de choix et l'innovation technologique. Les participants ont proposé que l'Union européenne fixe l'objectif ambitieux de ne financer que des solutions open source dans l'administration publique à l'horizon 2035. Cette idée repose sur un engagement à long terme soutenu par des financements ciblés et des stratégies de mise en œuvre durable.

Cinq idées fortes

Cinq points clés ont particulièrement marqué les débats et témoignent de la portée des discussions :

  1. Le passage à l'open source pour la souveraineté numérique : Le consensus parmi les participants était clair : adopter et promouvoir les logiciels libres est une étape stratégique incontournable pour que l'Europe atteigne une véritable souveraineté numérique. Dans un monde où les dépendances technologiques peuvent fragiliser des économies entières, l'open source offre un moyen de regagner du contrôle sur les infrastructures numériques.
  2. L'importance des logiciels libres dans les produits et services technologiques innovants : Les logiciels open source ne se limitent pas à représenter des alternatives à des solutions dominant le marché, mais sont présents dans 96 % des bases de code actuelles, selon les experts présents. Ils sont essentiels pour soutenir l'innovation dans des domaines aussi divers que le cloud, l'IoT, l'intelligence artificielle et l'analyse des données massives (big data). Selon Manuel Hoffman, économiste à la Harvard Business School, qui est intervenu pendant la conférence, sans les logiciels libres, les entreprises auraient besoin de tripler leurs dépenses en logiciels (cf. Hoffmann, Manuel, Frank Nagle, and Yanuo Zhou. "The Value of Open Source Software." Harvard Business School Working Paper, No. 24-038, January 2024.). Ce constat met en évidence le caractère irremplaçable des logiciels libres dans le développement technologique et économique.
  3. Les standards ouverts et le projet Sovereign Cloud Stack : Le projet Sovereign Cloud Stack (SCS) a été cité en exemple pour illustrer la manière dont les standards ouverts peuvent servir de fondement à la souveraineté numérique. SCS combine les principes de liberté de choix, d'innovation, de conformité et de concurrence, permettant aux utilisateurs de ne pas être enfermés dans un écosystème unique. Cette approche favorise une plus grande résilience et réduit les coûts de transition entre solutions.
  4. Renforcer la coopération transfrontalière : Un autre point crucial a été l'appel à intensifier les efforts de collaboration entre les pays européens. En unissant leurs forces et en coordonnant leurs efforts, ceux-ci peuvent sensibiliser davantage les décideurs à l'importance stratégique de l'open source et orienter les investissements publics et privés vers des initiatives qui soutiennent cet écosystème. Cette collaboration est essentielle pour maintenir la compétitivité de l'Europe face aux géants mondiaux de la technologie (e.g. les GAFAM).
  5. Le rôle central de l'APELL : En tant qu'association européenne des entreprises de logiciel libre, l'APELL a réaffirmé son engagement à défendre et à promouvoir des politiques qui soutiennent l'écosystème open source. L'association se positionne comme une voix unifiée pour représenter les intérêts de la filière du logiciel libre à l'échelle européenne, encourageant des actions politiques cohérentes et des initiatives qui renforcent l'innovation collective.

Initiatives et propositions concrètes

Plusieurs propositions et recommandations ont émergé des ateliers et des discussions :

  1. Harmonisation des politiques "Public Money, Public Code" : Inspirées des cadres législatifs existants en France et en Italie, les recommandations du groupe de travail appellent à une harmonisation de ces principes à l'échelle européenne, accompagnée de financements pour des programmes de formation et des études d'impact sur l'adoption de l'open source.
  2. Développement des compétences et formations : Pour répondre au manque de main-d'œuvre qualifiée, les participants ont suggéré la création de partenariats entre les universités et l'industrie pour développer et standardiser les enseignements spécifiques au logiciel libre, et des travaux de fin d'études axés sur des contributions aux projets open source. Le financement de formations spécialisées dans des domaines stratégiques tels que la cybersécurité a également été discuté.
  3. Collaboration transfrontalière : Afin de renforcer l'écosystème open source, l'APELL a été invitée à encourager la création d'associations professionnelles nationales là où elles manquent, comme en Pologne et en République tchèque, ou encore d'aider à la relance d'une association en Espagne. L'objectif est de créer un réseau européen plus intégré capable de partager ressources et meilleures pratiques, et de peser au niveau des institutions de l'Union.
  4. Promotion de la transparence et de la confiance : Les participants ont recommandé de créer des outils et des campagnes de sensibilisation pour promouvoir la transparence et la fiabilité des solutions open source, particulièrement dans les secteurs réglementés tels que la finance et la santé.
  5. Réglementation et standards ouverts : La conférence a plaidé pour l'élaboration de nouvelles régulations favorisant l'interopérabilité et les standards ouverts, en s'appuyant sur des cadres tels que le cadre européen d'interopérabilité (EIF). L’adoption de solutions modulaires, permettant une flexibilité accrue et des coûts de migration réduits, a été recommandée pour soutenir la transformation numérique des administrations publiques de manière durable et pérenne. Ces réglementations devraient également inclure une obligation pour les administrations publiques de privilégier des solutions open source lorsque celles-ci répondent aux besoins. Toutefois, l’expérience en France et en Italie montre qu’un cadre légal ne suffit pas à lui seul à provoquer un changement durable. Pour que cette adoption soit efficace, un soutien actif à la mise en œuvre est essentiel, qui doit être l'objet de plan cohérents.
  6. Soutien aux initiatives de "proof of concept" : Pour surmonter les réticences des administrations, l'encouragement à financer des projets pilotes démontrant la valeur des solutions open source a été recommandé par les participants, afin de prouver l'efficacité et les avantages à long terme de ces solutions.

Redéfinir le message autour du logiciel libre

Un des thèmes centraux abordés lors de la conférence a été l’importance de choisir le bon message pour promouvoir l’open source. Les participants ont débattu de l’efficacité de mettre en avant la "mitigation des risques" – un argument souvent utilisé pour justifier l’adoption des logiciels libres, en particulier auprès des administrations publiques. Bien que pertinent, cet argument reste dans un "espace de problème" plutôt que de présenter l’open source comme un outil "d’opportunités et d'innovation". Pour une communication plus impactante, les experts ont proposé de recentrer le discours sur le potentiel de l’open source à favoriser l'innovation et la collaboration.

L'open source ne se limite pas à réduire les risques; il constitue aussi une source de croissance et de compétitivité. Par exemple, dans l'industrie automobile, où l’interopérabilité entre divers sous-systèmes est cruciale, l'open source permet aux grandes entreprises et à leurs nombreux sous-traitants de collaborer plus efficacement et de garantir la compatibilité de leurs systèmes. Les développeurs, en travaillant dans un écosystème open source, peuvent ainsi obtenir des résultats plus rapidement que s'ils travaillaient de manière isolée sur des solutions propriétaires.

La voie à suivre : une mobilisation collective

La conférence s'est conclue par un appel à l'action pour une mobilisation collective et proactive afin de garantir que le logiciel libre devienne durablement un pilier de la politique numérique européenne. La mise en place de prix et de trophées européens pour célébrer les réussites open source (ex: Acteurs du Libre en France ou les EU Open Source Awards), la publication régulière d'études pour attirer l'attention des médias (cf. les publications du CNLL ou celles de l'OSBA, etc.), et l'organisation d'événements dédiés ont été identifiés comme des moyens de stimuler l'intérêt et l'engagement.

La conférence APELL 2025 aura vraisemblablement lieu à Varsovie au début de l'été 2025 et sera l'occasion de faire le bilan des actions en cours, au niveau des institutions européennes comme des États membres.

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