« Tartufferies »
OVHcloud serait aux prises avec la justice canadienne, qui ordonne à l’entreprise française de remettre des données dans le cadre d’une décision de justice. Pour l’avocat Alexandre Archambault, il n’y a cependant rien de nouveau dans ce type de procédure, en vertu des accords d’adéquation et du RGPD.
Dans un article publié le 26 novembre, le média allemand Heise décrit une situation inextricable : OVHcloud est sommée d’obéir à une décision de justice canadienne dans le cadre d’une enquête criminelle.
18 mois plus tôt
Cette décision a été initialement rendue en avril 2024 par la Cour de justice de l’Ontario. Puisque des données sont présentes sur des serveurs appartenant à OVHcloud sur des serveurs situés en France, au Royaume-Uni et en Australie, demande est faite à la filiale canadienne de transmettre ces informations. Celle-ci étant une entité juridique indépendante, elle répond qu’elle ne peut pas transférer les informations réclamées.
Selon Heise, l’affaire remonte, en France, aux oreilles du SISSE (Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques). Un premier courrier aurait été envoyé à OVHcloud en mai 2024 pour rappeler qu’en vertu de la loi de blocage de 1968 (renforcée en 2022), il est interdit aux entreprises françaises de transmettre des informations à une autorité étrangère hors des canaux internationaux.
Le 25 septembre suivant, la juge chargée de l’affaire en Ontario, Heather Perkins-McVey, décide que c’est la maison mère française qui doit envoyer les données. Elle motive sa décision en faisant référence à la « présence virtuelle » : « Puisque OVH opère à l’échelle mondiale et propose des services au Canada, l’entreprise est soumise à la juridiction canadienne, peu importe où se trouvent les serveurs physiques », écrivent nos confrères. Une vision qui se rapprocherait du Cloud Act américain.
Conflit diplomatique ?
La Cour aurait donné jusqu’au 27 octobre 2024 à OVHcloud pour répondre. La société française aurait alors fait appel devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Janvier 2025, nouveau courrier de la SISSE, décrit comme « plus détaillé », mais enfonçant le clou : tout envoi de données à la Gendarmerie royale du Canada serait illégal.
Le 21 février, toujours selon Heise, le ministère français de la Justice serait intervenu pour assurer à ses homologues canadiens qu’ils bénéficieraient d’un « traitement accéléré » en passant par la voie officielle. Le ministère aurait ainsi montré sa volonté de coopération, indiquant qu’OVHcloud se tenait prête, l’entreprise ayant préparé les données demandées. Mais la Gendarmerie canadienne aurait insisté pour une transmission directe, appuyée par le tribunal en Ontario.
Nos confrères affirment que l’affaire est depuis suivie de près par l’industrie technologique comme illustration des tensions autour du modèle commercial habituel du cloud, et plus généralement de la notion de souveraineté des données.
L’affaire rappelle celle qui avait alimenté la création du Cloud Act américain : Microsoft était sommée par un tribunal de fournir les données d’une personne accusée de trafic de drogue. Problème, ces données étaient situées sur un serveur en Irlande, l’entreprise estimant qu’il fallait passer par la voie classique de coopération. Pour le tribunal américain, Microsoft était une entreprise mondiale dont le siège était aux États-Unis, elle devait donc pouvoir transmettre ces données, où qu’elles soient. L’emplacement physique des serveurs n’avait pas d’importance.
« C’est une tempête dans un verre d’eau ! »
L’avocat Alexandre Archambault, spécialiste des questions numériques, n’est cependant pas d’accord avec le récit que dresse Heise de la situation. Il s’étonne également des réactions émues autour de la question, car il n’y a selon lui rien de nouveau dans cette affaire.
Contacté, il ne cache pas son agacement : « Il faut qu’on arrête vraiment ces tartufferies ! C’est une tempête dans un verre d’eau. Moi ce que je vois, c’est qu’une juridiction s’est prononcée, avec des magistrats indépendants, dans le cadre d’une procédure contradictoire, publique, sur laquelle tout le monde peut faire valoir ses points de vue. On est face à une décision de justice. Et bien sûr, si on n’applique pas cette décision, on s’expose à des sanctions. Et on peut tout à fait contester la décision là-bas, ce qui a été fait ».
L’avocat cite en exemple un arrêt de la cour d’appel de Paris (via le site de la Cour de cassation) dans le cadre d’une affaire où il était exigé de la filiale allemande d’OVHcloud qu’elle applique la loi française. OVHcloud avait contesté, mais la Cour avait confirmé la validité de la demande. « On peut difficilement exiger, à juste titre d’ailleurs, d’acteurs établis hors de France de communiquer des éléments d’identification d’auteurs d’infractions en ligne, tout en s’indignant que d’autres pays fassent la même chose », estime Alexandre Archambault.
Tout est dans le RGPD
Pour l’avocat, OVHcloud « n’est pas coincée entre deux lois » et le média allemand s’est trompé. « Le droit de l’Union, notamment au titre du DSA et du prochain règlement E-evidence, dit que les acteurs du numérique établis sur le sol européen doivent coopérer avec les autorités judiciaires, quelles qu’elles soient. Tout est dans l’article 48 du RGPD ! ».
Que dit ce dernier ? Que toute « décision d’une juridiction ou d’une autorité administrative d’un pays tiers exigeant d’un responsable du traitement ou d’un sous-traitant qu’il transfère ou divulgue des données à caractère personnel ne peut être reconnue ou rendue exécutoire de quelque manière que ce soit qu’à la condition qu’elle soit fondée sur un accord international, tel qu’un traité d’entraide judiciaire, en vigueur entre le pays tiers demandeur et l’Union ou un État membre, sans préjudice d’autres motifs de transfert en vertu du présent chapitre ».
Or, rappelle l’avocat, il y a non seulement un traité d’entraide entre la France et le Canada, mais également un accord d’adéquation avec le pays. La CNIL pointait ainsi en décembre 2024 que le Canada faisait justement partie d’un groupe de onze pays bénéficiant « d’un niveau de protection adéquat », à la suite d’un examen d’évaluation de ces accords au regard du RGPD.
Les courriers du SISSE ne seraient donc que des rappels de la bonne marche à suivre dans ce contexte, mais il est difficile d’en savoir plus, leur contenu n’étant pas consultable.
Contactée, OVHcloud n’a pas souhaité réagir, indiquant simplement : « Nous ne commentons pas les décisions de justice ».