Cinq ans et demi pour les résoudre, ça va
Lors d’un audit, des milliers de failles ont été découvertes dans le Système d’Information Schengen II, logiciel gérant le fichier mis en place dans le cadre de la convention de Schengen. Sopra Steria qui en est responsable a mis des mois, voire des années à corriger certains problèmes.
L’année dernière, la seconde version du Système d’Information Schengen (SIS) a essuyé un audit sévère du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD). Ce logiciel est utilisé par les autorités aux frontières des pays de l’espace Schengen pour ficher les personnes recherchées et celles refoulées ou interdites de séjours.
La seconde version du système a été déployée en 2013, mais il a été « renouvelé » en mars 2023 et de nouvelles catégories de signalements, des données biométriques et des registres d’ADN de personnes disparues ont encore été ajoutées.
1,7 million de personnes concernées
Selon l’agence européenne eu-LISA qui utilise le système [PDF], plus de 93 millions d’alertes y étaient stockées au 31 décembre 2024, dont 1,7 million sur les personnes. Près de 1,2 million concerne des reconduites à la frontière, des refus d’entrée ou de rester sur le territoire et un peu plus de 195 000 personnes y sont fichées comme de possibles menaces pour la sécurité nationale.
Ce système stocke des données concernant des personnes visées par un mandat d’arrêt européen, mais aussi signalée, aux fins de non-admission ou d’interdiction de séjour, des personnes signalées dans le cadre d’infractions pénales ou recherchées pour l’exécution d’une peine, ou encore des personnes disparues.
Ces données comprennent l’état civil, des photographies, des empreintes digitales et d’autres informations biométriques réunies dans les textes officiels sous la dénomination de « signes physiques particuliers, objectifs et inaltérables ». Des données particulièrement sensibles, donc. Des commentaires peuvent être ajoutés comme « la conduite à tenir en cas de découverte », « l’autorité ayant effectué le signalement » ou le type d’infraction.
Des milliers de problèmes de gravité « élevée »
Selon les documents consultés par Bloomberg et par Lighthouse Reports, le logiciel était, à l’époque de l’audit, truffé de vulnérabilités. Des milliers de problèmes de sécurités étaient d’une gravité « élevée ». Le contrôleur a aussi pointé du doigt un « nombre excessif » de comptes administrateurs de la base de données, ce qui était « une faiblesse évitable qui pourrait être exploitée par des attaquants internes ». Dans l’audit du CEPD est indiqué que 69 membres de l’équipe de développement avaient un accès à la base de données du système sans avoir l’habilitation de sécurité nécessaire.
Pour l’instant, le Système d’Information Schengen II fonctionne sur un réseau isolé, les nombreuses failles détaillées dans cet audit ne peuvent donc être exploitées que par un attaquant interne. Mais il est prévu qu’il soit intégré, à terme, au « système d’entrée/sortie » des personnes de nationalités en dehors de l’UE, qui lui doit être mis en place à partir d’octobre 2025. Celui-ci est connecté à Internet. Le rapport d’audit s’alarme d’une facilité des pirates d’accéder à la base de données à ce moment-là.
Une très lente réaction de Sopra Steria
Selon Bloomberg, l’audit explique que des pirates auraient pu prendre le contrôle du système et que des personnes extérieures auraient pu obtenir des accès non autorisés. Mais le média explique que des documents montrent que, lorsque l’eu-Lisa a signalé ces problèmes, Sopra Steria, qui est chargée du développement et de la maintenance du système, a mis entre huit mois et plus de cinq ans et demi pour les résoudre. Ceci alors que le contrat entre l’agence européenne et l’entreprise l’oblige à patcher les vulnérabilités « critiques ou élevées » dans les deux mois.
Dans des échanges de mails avec eu-LISA consultés par nos confrères, Sopra Steria demandait des frais supplémentaires à la hauteur de 19 000 euros pour la correction de vulnérabilités. L’agence européenne a, de son côté, répondu que cette correction faisait partie du contrat qui comprenait des frais compris entre 519 000 et 619 000 euros par mois pour la « maintenance corrective ».
Interrogée par nos confrères, Sopra Steria n’a pas voulu répondre à leurs questions, mais a affirmé : « En tant qu’élément clé de l’infrastructure de sécurité de l’UE, le SIS II est régi par des cadres juridiques, réglementaires et contractuels stricts. Le rôle de Sopra Steria a été joué conformément à ces cadres ».
Dans son audit, le CEPD vise aussi l’eu-LISA qui n’a pas informé son conseil d’administration des failles de sécurité. Il pointe aussi des « lacunes organisationnelles et techniques en matière de sécurité » et lui demandent d’établir un plan d’action et une « stratégie claire » pour gérer les vulnérabilités du système.
À Bloomberg, l’eu-LISA affirme que « tous les systèmes gérés par l’agence font l’objet d’évaluations continues des risques, d’analyses régulières de la vulnérabilité et de tests de sécurité ».