Dans votre réseau social, tout le monde vous entendra crier
En recourant à sa plateforme pour critiquer les positions françaises, le patron de Telegram illustre une tendance désormais régulière des dirigeants de réseaux sociaux.
Pour Pavel Durov, cela devient une habitude. Le 10 octobre, les usagères et usagers de Telegram ont reçu une publication annonçant : « Le fondateur de Telegram, qui fête aujourd’hui ses 41 ans, a accordé une interview exclusive au podcasteur américain Lex Fridman ». Le 14, rebelote. Le message s’annonçait cette fois-ci plus politique : « Aujourd’hui, l’Union européenne a failli interdire votre droit à la vie privée. »
Sur le coup, ces notifications nous ont semblé être la conséquence d’une évolution récente de notre usage de Telegram. À force de suivre les aléas de son fondateur avec la justice française, l’autrice de ces lignes a fini par s’abonner directement au canal de Pavel Durov pour savoir ce qui y était diffusé.
Un examen approfondi a démontré que non : pour certains membres de la rédaction, c’est dans le canal « Notifications de service » que les messages de Durov étaient transmis. Habituellement, cet espace sert à transmettre un code de connexion lorsque vous voulez vous servir de l’application sur différents équipements. Pour d’autres membres de l’équipe de Next, ce canal reste cantonné à son usage normal. Les messages du fondateur de la messagerie ont néanmoins été reçus, sous la forme de simples notifications à ouvrir.
Pour tous, en revanche, l’évidence était la même : depuis quelques mois, Pavel Durov multiplie le recours à sa plateforme pour y diffuser des messages à visée auto-promotionnelle, ou faire passer ses critiques sur la manière dont la France s’occupe de Telegram.
En cela, l’entrepreneur russe naturalisé français et émirati adopte un comportement proche de celui d’Elon Musk, depuis que ce dernier a racheté Twitter pour le transformer en X. Ensemble, les deux hommes illustrent une évidence : comme les médias, les réseaux sociaux sont dépendants de leurs propriétaires, et cela peut influencer leur ligne éditoriale.
Auto-promotion et critique de la France
En remontant l’historique des messages reçus dans notre canal « Notifications de service », nous avons trouvé, en vrac : un message du 24 août directement retransmis depuis le canal personnel de Pavel Durov, revenant sur la garde à vue qui lui a été imposée un an plus tôt par la police française ; la promotion, le 4 juillet, d’un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point ; celle, le 17 juin, de la « première interview vidéo » de Durov « depuis son arrestation à Paris en août dernier », accordée à Tucker Carlson ; ou encore un message, le 29 avril 2025, expliquant que la France « a failli interdire le chiffrement des applications de messagerie ».
Avant cette date, rien. Rien d’autre, du moins, que ce à quoi ce canal est a priori dédié : des codes de connexion, pour nous permettre d’accéder à un même compte depuis notre smartphone et notre ordinateur. Et une annonce, en date du 23 novembre 2022, de la possibilité de se porter acquéreur, contre monnaie sonnante et trébuchante, de « @ reconnaissables et courts ».
Outre l’inflexion récente des messages reçus, cette remontée des échanges permet au moins deux constats. D’abord, Pavel Durov préfère les médias aux lignes éditoriales penchant vers la droite. En France, l’entretien qu’il relaie a été donné au Point. Aux États-Unis, les entretiens vidéo relayés ont été donnés à deux personnalités bien connues de la sphère masculine et souvent pro-MAGA du podcast américain : l’ancien éditorialiste de Fox News, Tucker Carlson, et l’informaticien Lex Fridman. La tendance de ce dernier à interviewer des membres du « dark web intellectuel » (diverses personnalités de la droite américaine critiquant le « politiquement correct » qu’ils considèrent promu par la gauche) et le manque de vérification des propos de ses invités sont régulièrement critiqués.
Surtout, Pavel Durov a visiblement décidé, depuis le mois d’avril, de faire de sa plateforme un porte-voix assumé de ses idées. Axe principal d’expression, vu depuis un compte français : la critique de la politique hexagonale lorsqu’elle touche de près ou de loin ses affaires. En avril, alors que l’Assemblée nationale venait d’adopter la loi contre le narcotrafic en lui ôtant un amendement demandant l’introduction de portes dérobées pour les forces de l’ordre, le message indiquait que Telegram préférerait « quitter un pays plutôt que de compromettre la sécurité de nos utilisateurs », dans un intéressant écho de la communication de son concurrent Signal (qui, lui, n’est bien qu’une messagerie).
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