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Les vraies menaces contre le vivant

La crise affectant la biodiversité est réelle, massive, et l’endiguer doit être une priorité. Mais encore faut-il bien identifier les raisons de ce déclin. Or, celles qui sont mises en avant sont souvent très loin d’être les plus délétères. Au risque d’aggraver le problème.

Arrêtez cette lecture et réfléchissez-y un instant : quel serait votre top 5 des causes de la crise de la biodiversité ? Vous l’avez ? Eh bien… vérifions cela. Avec, pourquoi pas, quelques surprises à la clé…

N°5 : Le réchauffement climatique (6%)

Vous l’imaginiez certainement plus haut, pourtant le réchauffement climatique n’arrive qu’en cinquième et dernière position. Un résultat en partie en trompe-l’œil, car pour beaucoup de chercheurs, il pourrait bientôt devenir la cause principale du déclin biologique si l’humanité ne parvient pas à freiner sa progression.

Ses effets sur la biodiversité sont multiples. La plupart des espèces réagissent en migrant vers des latitudes ou des altitudes plus hautes, mais toutes n’en ont pas la possibilité. Les espèces peu mobiles, comme certaines plantes, sont particulièrement vulnérables. D’autres sont littéralement prises au piège dans leur milieu. C’est le cas de l’edelweiss, emblème des montagnes européennes, qui, ne pouvant plus migrer plus haut, est aujourd’hui menacé par le réchauffement du climat alpin.

Et même pour celles qui migrent, l’histoire n’est pas forcément heureuse. Ces déplacements bouleversent les chaînes alimentaires et provoquent des déséquilibres écologiques. Dans l’Arctique, par exemple, la migration vers le nord du cabillaud — un poisson prédateur — met à mal les espèces locales. En se nourrissant de juvéniles de morue polaire ou de lycodes arctiques, il exerce une pression nouvelle sur leurs populations tout en entrant en compétition avec d’autres prédateurs comme le flétan. Résultat : une perturbation en cascade de tout l’écosystème, jusqu’aux oiseaux marins et aux phoques.

Le réchauffement perturbe aussi le rythme du vivant. En modifiant la saisonnalité, il désynchronise les relations entre espèces. En Suisse romande, le gobemouche noir en fait les frais. Cet oiseau migrateur arrive chaque printemps pour nourrir ses petits avec des chenilles… mais celles-ci éclosent désormais plus tôt, à cause de la hausse des températures. Quand les oisillons naissent, le pic de nourriture est déjà passé. Ce décalage temporel, ou « mismatch », entraîne un effondrement du succès reproducteur et, à terme, menace la population.

Enfin, les océans subissent particulièrement les conséquences du réchauffement, notamment à travers les « canicules marines » — de véritables vagues de chaleur qui déciment des populations entières. Couplées à l’acidification des eaux, provoquée par l’excès de CO₂ absorbé, elles déclenchent le blanchiment massif des coraux, piliers de la biodiversité océanique. Plus de 40% des espèces coralliennes sont ainsi menacées d’extinction selon la liste rouge de l’UICN.

N°4 : La pollution (7%)

Vous la pensiez elle aussi certainement beaucoup plus haut. Son impact reste cependant très significatif.

Quand on parle de pollution, on pense d’abord à la pollution chimique des milieux naturels. Celle de l’air, notamment : l’ozone troposphérique, produit indirectement par les activités humaines (combustions, solvants, transports…), est toxique pour les végétaux. Il altère la photosynthèse, ralentit leur croissance et les rend plus vulnérables aux maladies ou à la sécheresse. Quant aux oxydes d’azote et de soufre, ils se transforment dans l’atmosphère en acides nitrique et sulfurique, donnant naissance aux fameuses pluies acides, capables d’altérer de nombreuses fonctions biologiques.

Retiens la nuit, retiens la vie

J’approfondis

Vient ensuite la pollution de l’eau, douce ou marine. L’agriculture en est souvent une source majeure : l’épandage d’engrais azotés et phosphatés entraîne un lessivage vers les rivières, puis vers la mer. Ce cocktail nourrit les proliférations d’algues vertes et de cyanobactéries, qui bloquent la lumière et épuisent l’oxygène en se décomposant. En conséquence, des zones mortes où la vie ne tient plus qu’à un fil. C’est le phénomène bien connu de l’eutrophisation.

Les pesticides, les métaux lourds, les médicaments ou autres molécules issues de l’industrie et des eaux usées aggravent encore la situation. Absorbées par les organismes aquatiques, ces substances intoxiquent les êtres vivants. Certaines molécules s’accumulent tout au long de la vie sans pouvoir être éliminées ; leur concentration augmente alors par bioamplification le long de la chaîne alimentaire, jusqu’à menacer les grands prédateurs. Côté hydrocarbures et plastiques, l’enjeu est double : des accidents spectaculaires (marées noires) et une pollution chronique par les macro- puis microplastiques qui blessent, étouffent ou contaminent la faune.

Les sols, eux, n’échappent pas à la contamination. L’usage de pesticides, d’engrais ou encore le travail mécanique du sol fragilisent les communautés souterraines : filaments mycéliens, bactéries, vers, insectes. À cela s’ajoutent les pollutions issues de décharges mal gérées, de rejets industriels ou miniers, qui empoisonnent lentement les sols vivants.

Enfin, des “pollutions sensorielles” — lumière et bruit — perturbent aussi les cycles biologiques : éclairages nocturnes désorientant insectes et oiseaux, bruit des transports ou activités maritimes nuisant à la communication, la chasse ou la reproduction. Les rejets d’eaux chaudes, plus localisés, modifient la température des cours d’eau et réduisent l’oxygène disponible.

N°3 : Les espèces et maladies envahissantes (13%)

Peut être pour vous la surprise de ce classement. Et pourtant, songez-y…

Avant l’arrivée de l’Homme, les écosystèmes évoluaient lentement, soumis aux forces naturelles : climat, dérive des continents, catastrophes ponctuelles… Chaque espèce occupait une niche écologique, c’est-à-dire un ensemble de conditions de vie, de ressources et d’interactions avec son environnement. Ces niches restaient globalement équilibrées : si une espèce prenait le dessus, ses prédateurs ou la limitation de ses ressources régulaient rapidement la situation. Sauf lors de grandes crises, les déséquilibres restaient lents, comme lors de migrations naturelles, ou très localisés, par exemple après une éruption volcanique. Les espèces avaient le temps de s’adapter, et un nouvel équilibre s’installait.

Puis est arrivé l’Homme. En colonisant la planète, il a brusquement chamboulé cet équilibre fragile. Les échanges de marchandises et de personnes entre continents ont déplacé des espèces beaucoup plus vite que ne l’aurait fait la nature. Résultat : certaines débarquent dans un nouvel environnement avec des avantages biologiques que les habitants locaux n’ont pas — reproduction rapide, grande tolérance écologique, agressivité… Parfois, elles n’ont pas de prédateurs. Parfois, leurs proies se laissent faire. Dans tous les cas, elles s’installent, se multiplient et prennent la place des espèces autochtones, souvent à leurs dépens.

Chat domestique : portrait d’un tueur en série

J’approfondis

Parmi les exemples les plus frappants : le rat noir, embarqué dans les cales des navires, qui a conquis toutes les îles du globe et dévoré œufs et poussins d’oiseaux nicheurs ; ou la jacinthe d’eau, originaire d’Amérique du Sud, qui a envahi de nombreux cours d’eau tropicaux et subtropicaux, formant des tapis denses qui étouffent la faune aquatique, bloquent la lumière et perturbent pêche et navigation.

Des exemples comme ceux-là, on en compte des milliers — plus exactement 3 500 — répartis aux quatre coins du monde. Et ces invasions concernent tous les groupes du vivant : animaux, plantes, mais aussi bactéries et champignons. Comme Xylella fastidiosa, une protéobactérie qui attaque oliviers, vignes et agrumes, devenue envahissante en Europe, ou encore Batrachochytrium dendrobatidis, un champignon responsable de la chytridiomycose et du déclin massif des amphibiens à l’échelle planétaire.

Bref, là où ces envahisseurs passent, l’équilibre fragile des écosystèmes est bouleversé, et la biodiversité locale en paie le prix. Mieux connaître les mécanismes de ces invasions, c’est donc déjà commencer à réfléchir à la manière de les prévenir.

N°2 : La surexploitation des espèces (24%)

La surexploitation des espèces et des ressources naturelles se hisse au second rang des causes de perte de biodiversité — bien loin devant la pollution ou le réchauffement climatique.

L’être humain a toujours prélevé dans la nature de quoi vivre : chasser, pêcher, cueillir. Mais les lances ont laissé place aux fusils, les filets artisanaux aux chaluts géants, et la planète compte désormais plus de huit milliards d’habitants. Ce qui n’était autrefois qu’une pression ponctuelle sur les écosystèmes est devenu, à l’échelle mondiale, une véritable hécatombe. Les prélèvements dépassent souvent la capacité de renouvellement des populations : on parle alors de surexploitation.

Celle-ci touche d’abord les vertébrés terrestres, chassés pour leur peau, leur ivoire, le commerce d’animaux de compagnie ou, parfois, simplement par pur loisir. Certaines espèces ont même failli disparaître à cause de croyances absurdes : la corne de rhinocéros, censée être aphrodisiaque, ou les os, griffes et pénis de tigre, jadis vantés comme remèdes contre l’arthrite ou l’impuissance.

Les plantes et les champignons ne sont pas épargnés : cueillette intensive et exploitation forestière menacent plusieurs espèces emblématiques. Le cèdre de l’Atlas, par exemple, subit des abattages clandestins pour son bois parfumé.

Mais c’est surtout dans les océans que la surexploitation atteint des proportions dramatiques. Chaluts de fond, filets démesurés ou dispositifs de concentration de poissons : les techniques de pêche industrielle, souvent peu sélectives, tuent bien plus qu’elles ne capturent, laissant derrière elles des écosystèmes épuisés et silencieux. Et quand les poissons disparaissent, ce sont aussi les oiseaux marins, les mammifères et les communautés humaines côtières qui s’effondrent à leur tour.

N°1 : Les changements dans l’utilisation des terres et de la mer (50%)

Numéro un et de très loin, la destruction des milieux naturels et les changements dans leur utilisation.

Car du haut de nos 8,2 milliards d’habitants, l’espèce humaine prend de la place. Beaucoup de place. Pour assurer survie et confort, il faut bien construire, circuler, produire, se nourrir… bref, aménager. En conséquence, entre 2 et 3 % de la surface terrestre émergée sont aujourd’hui couverts de bâtiments, de routes et d’infrastructures en tous genres. Cela peut sembler dérisoire, mais ces quelques pourcents pèsent lourd dans la balance du vivant.

Les zones côtières, d’abord, sont en première ligne : urbanisation, ports, digues, extraction de sable ou de granulats détruisent des écosystèmes parmi les plus riches et les plus utiles de la planète. À l’intérieur des terres, les infrastructures linéaires — routes, voies ferrées, canaux — peuvent aussi occasionner des dégâts majeurs en fragmentant les habitats.

Or, un animal a besoin d’un territoire, de ressources et de mobilité. Une quatre-voies entre une forêt et un étang peut suffire à rompre cet équilibre, coupant certaines populations de leur point d’eau. Chez les espèces à faible densité d’individus, comme beaucoup de grands mammifères, cette fragmentation isole les individus, limite les échanges génétiques et favorise la consanguinité — un lent poison pour la résilience des populations.
Plus le maillage d’obstacles se resserre, plus les populations se retrouvent à l’étroit, jusqu’à disparaître purement et simplement.

Mais les plus gros impacts proviennent sans doute de l’agriculture. Les terres cultivées et pâturées recouvrent près d’un tiers des surfaces émergées, et presque la moitié des terres habitables.

Cette expansion s’est faite au détriment des écosystèmes naturels, grignotant inexorablement les habitats d’innombrables espèces. Depuis la préhistoire, on estime ainsi que 46 % des surfaces forestières ont été perdues, et avec elles les êtres vivants qui s’y trouvaient.

Il faut toutefois nuancer, car environ deux tiers des terres agricoles sont constitués de prairies, souvent riches en biodiversité végétale et souterraine. Le dernier tiers, en revanche, correspond aux terres cultivées, fréquemment labourées, fertilisées et traitées, donc appauvries en êtres vivants. Et la disparition progressive des haies a aggravé la situation : en supprimant ces corridors écologiques, on a isolé les poches de nature restantes, piégeant la faune dans un puzzle d’habitats morcelés.

Différentes causes, différentes perceptions

Au fond, le déclin du vivant ne s’explique pas par une seule cause, mais par une mosaïque d’impacts. Tous n’ont pas la même ampleur… ni la même visibilité. Et c’est bien là le problème : ce qui frappe l’opinion n’est pas toujours ce qui affecte le plus les écosystèmes.

Certaines menaces deviennent de véritables totems médiatiques. Les pesticides, en particulier, cristallisent les peurs, les slogans et les débats politiques, jusqu’à occulter d’autres pressions tout aussi préoccupantes. Et cette focalisation sélective façonne notre vision du monde. En 2018, une enquête européenne révélait ainsi que la pollution était perçue – à tort – comme la première cause de perte de biodiversité, loin devant la destruction des milieux ou la surexploitation.

Une perception biaisée, héritée du bruit médiatique, qui brouille parfois la hiérarchie réelle des priorités écologiques. Car comprendre les véritables causes du déclin du vivant, c’est déjà faire un pas vers les solutions. Nous verrons au chapitre suivant qu’il existe des leviers simples, souvent peu coûteux, pour inverser les tendances locales, à condition de cibler les bonnes causes. 

Car sans bon diagnostic, pas de remède efficace.

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D'ailleurs je précise "pour la France" mais je ne vois pas quel autre pays pourrait prétendre avoir déjà exporté autant d'électricité à un instant don...

Tristan K. @tristankamin.bsky.social replied:
D'ailleurs je précise "pour la France" mais je ne vois pas quel autre pays pourrait prétendre avoir déjà exporté autant d'électricité à un instant donné...

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HOLYSHIT.

Orynick @orynick.fr posted:
HOLYSHIT.

Visualisation des exports français le 7 décembre à 21h45 20,9GW d'export
La France qui gave l'Europe de 21 GW d'électricité bas carbone.

Quoted post from Saperlipopette 🗣️ @tommyfr.bsky.social:
Hier soir la France a exporté plus de 20GW d'électricité 😱 !

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Vraisemblablement un record absolu d'exportations d'électricité pour la France (au pic à 20983 MW à 21h45 pour être exact).

Tristan K. @tristankamin.bsky.social posted:
Vraisemblablement un record absolu d'exportations d'électricité pour la France (au pic à 20983 MW à 21h45 pour être exact).

Quoted post from Saperlipopette 🗣️ @tommyfr.bsky.social:
Hier soir la France a exporté plus de 20GW d'électricité 😱 !

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Et encore là, il faudra attendre trois années supplémentaires (2016) pour prendre une décision. Vingt-cinq ans après la loi qui a donné le top départ.

Tristan K. @tristankamin.bsky.social replied:
Et encore là, il faudra attendre trois années supplémentaires (2016) pour prendre une décision. Vingt-cinq ans après la loi qui a donné le top départ.

Deux lois, un débat public, plusieurs concertations, 20 ans de travaux scientifiques.

« Marche forcée ».

Bande d'hurluberlus.

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À cette échéance (2012), l'avis est encore plus favorable, avec notamment dix ans d'essais en laboratoire souterrain.

Tristan K. @tristankamin.bsky.social replied:
À cette échéance (2012), l'avis est encore plus favorable, avec notamment dix ans d'essais en laboratoire souterrain.

L'État décide que c'est insuffisant pour se décider, on lance un débat public (2013).

Celui-ci conforte l'option du stockage géologique.

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Le Parlement décide en 1991 de laisser 15 ans aux scientifiques pour se prononcer sur une solution de gestion.

Tristan K. @tristankamin.bsky.social replied:
Le Parlement décide en 1991 de laisser 15 ans aux scientifiques pour se prononcer sur une solution de gestion.
15 ans plus tard, avis favorable unanime des concernés pour ce qui deviendra Cigéo.
Le Parlement demande de repousser d'une mandature.

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Ce genre de « marche forcée ».

Tristan K. @tristankamin.bsky.social posted:
Ce genre de « marche forcée ».

Frise chronologique des études de Cigéo. En résumé : 1991, Le Parlement demande au CEA, au CNRS et à l’Andra d’étudier diverses solutions. Ils ont 15 ans pour rendre leur copie. 2005-2006 : ils rendent leurs copies. L'IRSN et l'ASN se prononcent : « Si une décision de principe sur le stockage géologique devait être prise par le Parlement en 2006, l’IRSN considère qu’il n’existe pas d’obstacle [...] » ; « L’ASN considère que le stockage en formation géologique profonde est une solution de gestion définitive qui apparaît incontournable. » Toujours 2006 : le Parlement repousse la décision à 2012. 2013 : l'État lance un Débat Public avant toute décision. 2016 : le Parlement vote pour le stockage géologique. Vingt-cinq ans après s'être donné quinze ans pour décider.

Quoted post from Valerie Faudon @valeriefaudon.bsky.social:
“Depuis plus de vingt ans, Cigéo avance à marche forcée”. Vingt ans d’études et de concertations, c’est trop rapide? À lire: la position de la Sfen sur la phase pilote de Cigéo: sfen.org/positions/posi…

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Adieu Microsoft : le Schleswig-Holstein mise sur l'open source et économise 15 millions d'euros en frais de licence en migrant des solutions du géant technologique vers des logiciels libres et open source

"Les 20 % restants des postes de travail de l’administration du Schleswig-Holstein continuent de dépendre des programmes Microsoft tels que Word ou Excel car certaines applications spécialisées requièrent ces programmes d'un point de vue technique."
Ah ces abominations d'applications développées à grand coup de VBScript pour aller piocher les données dans des fichiers et onglets Excel. 👌 J'ai déjà vu quelques splendides monstruosités de ce genre.
(Permalink)
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Sont payés combien, les experts missionnés pour confirmer que l'Arche, avec un gros trou, a perdu sa mission de confinement ?

Tristan K. @tristankamin.bsky.social replied:
Sont payés combien, les experts missionnés pour confirmer que l'Arche, avec un gros trou, a perdu sa mission de confinement ?
Y'avait besoin de prendre 10 mois pour organiser une mission sur place pour l'annoncer ?
Les médias sont obligés de jouer la surprise voire l'effarement MAINTENANT ?

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Alors j'ai rien contre l'AIEA mais...

Tristan K. @tristankamin.bsky.social posted:
Alors j'ai rien contre l'AIEA mais...

www.iaea.org/newscenter/p...

Extrait de la publication de l'AIEA en lien. L'extrait indique qu'une mission de l'AIEA à Tchernobyl a pu confirmer que l'Arche de confinement avait perdu des fonctions de sûreté primaires, telles que la capacité à confiner les substances radioactives.

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L’ère du rêve éveillé : quand le jeu vidéo devient infini

L'IA est à l'aube de révolutionner le jeu vidéo. D'ici quelques années, on ne jouera plus jamais comme avant. Immersion dans la réalité virtuelle de demain, comme si vous y étiez déjà, et présentation des ruptures technologiques à l'œuvre.

Le dernier mur invisible

Kevin déteste les mises à jour. À 74 ans, cet ancien Level Designer à la retraite, qui a terminé sa carrière sur l'Unreal Engine 4 à la fin des années 2010, conserve une nostalgie farouche de l'époque où "créer un monde" signifiait poser chaque pierre, calculer les lightmaps et définir manuellement les zones de collision. Pour lui, le jeu vidéo était alors un artisanat. Une horlogerie fine où le créateur guidait le joueur par la main, subtilement.

- Papy, tu vas encore râler ou tu mets tes lunettes ? lui lance Sarah, 16 ans, en lui tendant une paire de lunettes VR (réalité virtuelle) légères comme une monture de lecture.
- Je ne râle pas, je constate, grommelle Kevin en ajustant les branches. À mon époque, quand on voulait raconter une histoire, on l'écrivait. On ne laissait pas une machine improviser du Shakespeare avec des probabilités statistiques.
- On ne joue pas à Shakespeare, on joue à Aethelgard. Et promis, on ne fera pas de quête de combat. Je veux juste te montrer “la Forêt des Murmures”.

Kevin soupire. Il n'a pas touché à un "Jeu Vivant" depuis cinq ans. La dernière fois, l'expérience l'avait frustré : des PNJ (Personnages Non-Joueurs, personnages de l'histoire gérés par l'ordinateur) qui répétaient des phrases prédéfinies, sans âme, et des décors qui "bavaient" quand on regardait trop vite. Il active la connexion.

Le salon disparaît. La résolution est indiscernable de la réalité. Pas de pixels, pas de défauts. Juste la lumière du soleil filtrant à travers une canopée dense. Kevin regarde ses mains virtuelles. La latence est nulle. 

- On va où ? demande-t-il. 
- Nulle part, répond Sarah, qui est apparue à ses côtés sous les traits d'une rôdeuse elfe. C'est ça le truc. On marche.

Ils avancent. Kevin, par déformation professionnelle, cherche les défauts. Il s'approche d'un vieux chêne et en examine l'écorce. Dans les jeux de son temps, c'était une texture plaquée sur un cylindre. Ici, chaque crevasse du bois a sa propre géométrie. Il observe une fourmi grimper le long du tronc, contourner un morceau de mousse. 

- C'est du World Model ? demande-t-il, impressionné malgré lui. 
- Oui. Genie 7 de Google couplé au moteur interne du studio. Rien de ce que tu vois n'existait il y a dix secondes. L'IA génère le monde au fur et à mesure qu'on avance, en prédisant ce qui doit logiquement se trouver là, selon la géologie, la météo, l’heure, la biodiversité et le climat de la région.

Ils arrivent dans une clairière où une vieille femme, assise sur un tronc, taille un morceau de bois. C'est un PNJ. Kevin s'attendait à voir apparaître une bulle de dialogue avec trois choix : "A. Bonjour", "B. Que faites-vous ?", "C. Au revoir". Rien ne s'afficha. 

- Parle-lui, chuchote Sarah.
- Lui parler ? Comment ?
- Avec ta bouche, Papy. Comme dans la vraie vie.

Kevin se sent ridicule. Il s'éclaircit la voix.
- Euh... Bonjour, madame. Il fait beau pour sculpter, non ? La vieille femme lève la tête. Ses yeux plissés par le soleil le fixent. Elle ne répond pas tout de suite, comme une vraie personne qui évalue un étranger.
- Le beau temps, c'est pour ceux qui ont le ventre plein, voyageur, répond-t-elle d'une voix éraillée, teintée d'un accent local indéfinissable. Mais le bois est tendre aujourd'hui. Ça me rappelle l'hiver de la Grande Famine, curieusement. Le bois pleurait de la sève comme ça.

Kevin se fige. Ce n'était pas une phrase pré-enregistrée. Il le sait. Aucune base de données ne contenait cette réplique exacte liée à son commentaire banal sur la météo. Il décide de tester les limites du système. Il veut coincer l'IA, la forcer à sortir de son rôle ("halluciner").
- La Grande Famine ? C'était avant ou après que les développeurs aient patché le bug de duplication de l'or à la banque centrale ? lance-t-il avec un sourire en coin.

C'est le test ultime. Normalement, un PNJ aurait dû répondre  "Je ne comprends pas" ou aurait ignoré la partie hors-contexte. La vieille femme fronce les sourcils, l'air confuse, mais pas buggée. Elle se tapote la tempe.

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La voiture électrique avait un siècle d’avance. Pourquoi a-t-elle disparu ?

La voiture électrique ne date pas d’hier : avant même l’invention de la thermique, le premier modèle a fait son apparition il y a presque deux siècles. Passion initiale de Ferdinand Porsche, taxis londoniens, courses homériques… Retour sur ce temps des pionniers.

Avec la voiture électrique, Les électrons libres entament une nouvelle série hebdomadaire, aussi surprenante qu’instructive. Les trois premiers épisodes vous plongent dans l’histoire fascinante de cette technologie pionnière dans le développement de l’automobile, longtemps oubliée, avant de s’affirmer comme la nouvelle norme contemporaine.

Épisode 1 : 1830 – 1930, un siècle électrisant

Notre histoire de la grande marche vers la voiture électrique commence à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les scientifiques commencent à appréhender le concept d’électricité. Pensez aux expériences de Franklin avec la foudre, de Galvani avec la stimulation des muscles d’une grenouille morte… et surtout à Alessandro Volta, qui invente la première pile électrique en 1800. Dans la foulée, on commence à tâtonner sur l’électromagnétisme. Les balbutiements du moteur électrique ont lieu entre les années 1820 et 1830. En 1834 l’américain Thomas Davenport en crée un à courant continu destiné à être commercialisé et le teste dans une sorte de jouet, un mini véhicule sur rails. C’est probablement la première fois qu’on a fait se déplacer un objet à l’aide de cette énergie. En 1838 le prussien Moritz von Jacobi pilote un bateau muni d’un moteur électrique, à contre-courant sur la Neva.

Le 17 juin 1842 à Édimbourg, un certain Andrew Davidson se serait promené dans une carriole mue à l’électricité. Mais forcément, avec une batterie non-rechargeable. Difficile alors de réellement parler d’un moyen de transport utilisable !

Pour obtenir la première bonne batterie, il faut attendre 1860 avec les français Gaston Planté puis Camille Faure. Le couple plomb-acide permet de délivrer des puissances assez importantes grâce à une résistance interne intrinsèquement faible, et surtout la réaction est réversible. On peut enfin charger ses accus ! Mais pour y parvenir, un générateur est préférable. Le belge Zénobe Gramme s’attelle à réaliser les premières machines électriques réversibles dans les années 1870. 

Toutes les pièces du puzzle sont enfin réunies et on peut accueillir ce qui est probablement la première « vraie » voiture électrique en 1881. Un modeste tricycle, œuvre de Gustave Trouvé. Il dispose de deux moteurs à l’arrière, produisant 0.1ch, ce qui propulse ses 160 kg à une dizaine de km/h, rue de Valois. Mine de rien, il grille de 4 ans la politesse au fameux tricycle à moteur à explosion de Karl Benz ! (La vapeur, déjà courante sur les rails, a aussi fait ses timides débuts routiers depuis quelques décennies, mais rien de très concluant jusque-là).

Le tricycle de Gustave Trouvé

La même année, le tilbury de Charles Jeantaud dispose de 3ch pour 1170kg, mais il prend feu presque instantanément lors de son premier essai. Après cela, les expérimentations se poursuivent sur la base d’une recette simple : des batteries, une ou plusieurs machines électriques, et une carrosserie d’origine globalement hippomobile (signifiant un véhicule tiré par des chevaux. Berline, limousine, break, coupé, coach, cabriolet etc, sont à la base des noms de carrosseries hippomobiles avant d’avoir été utilisées dans le monde de l’automobile).

Le tilbury de Charles Jeantaud

Légère avance rapide, nous sommes le 11 juin 1895 et c’est un jour important dans l’histoire de l’automobile. Se déroule la première course longue distance. Paris-Bordeaux-Paris, rien que ça. Imaginez l’exploit consistant à parcourir 1200 km sur les routes de l’époque… Avant qu’un lecteur pointilleux n’en fasse la remarque, rappelons que le Paris-Rouen organisé l’année précédente était un « concours » et non une course. Il n’y avait pas vraiment de notion de vitesse, mais la volonté de démontrer la polyvalence des automobiles.

Et sur les 24 voitures au départ, devinez quoi ? Il y a une électrique. Un break Jeantaud de 7ch, 38x15kg de batteries, 6 places, 2200kg, et 24-30 km/h de vitesse de croisière. Mais comment espérer faire 1200 km ? En changeant de batteries tous les 40 km, ce qui a demandé une sacrée organisation en amont pour prépositionner les fameuses batteries. Handicapée par une roue endommagée, la pionnière abandonne la course à Orléans (les réparations étaient interdites hors matériel présent à bord), mais rallie quand même Bordeaux à 16 km/h de moyenne. Pour l’anecdote, la victoire est revenue à un engin à essence, Panhard-Levassor, qui a accompli la distance à 24.6 km/h de moyenne.

Le break Jeantaud du Paris – Bordeaux – Paris

Si la voiture à moteur à combustion interne vient de démontrer sa supériorité sur longue distance, l’opération est loin d’être un échec cuisant pour la voiture électrique. Car faire 1200 km d’une traite est loin d’être dans les priorités de l’époque ! On cherche plutôt à remplacer les innombrables fiacres à chevaux qui souillent les villes de leurs déjections, et pour cela les voitures électriques semblent prometteuses. Car nul besoin d’aller trop loin ni trop vite. En revanche, simplicité et fiabilité sont des atouts précieux face aux autres véhicules à moteur de l’époque, qui sont toute une aventure à piloter sur le moindre trajet. Et le coût est un moindre problème lorsqu’on fait payer à la course plutôt que de viser la vente directe d’un véhicule à un particulier. 

La London Electrical Cab Company est lancée en 1896. Ses voitures revendiquant 3.5ch, 40 km d’autonomie, et se rechargent en 12h.

Un taxi de le London Electrical Cab Company

En 1897 est établie la New-York Electric Cab and Cariage Service puis Electric Vehicle Company. Elle s’affirmera un temps comme l’un des plus gros constructeurs automobile au monde, avec 1500 voitures produites en 1900, essentiellement destinées à servir de taxi.

En 1898 a lieu, à Paris, un concours de « voitures de place » (le terme consacré à l’époque pour désigner les taxis, avant l’invention du taximètre qui leur donnera leur nom), largement remporté par des voitures électriques. 

Va-t-on alors assister à une segmentation du marché automobile selon l’énergie utilisée ? Sans les véhicules à vapeur, trop contraignant et surtout dangereux. À l’électricité la ville et notamment le marché du remplacement des fiacres. À l’essence le frisson de l’aventure et de la vitesse. Enfin quoi que, pour la vitesse… les jeux ne sont pas encore faits ! Car si le moteur à combustion interne est déjà maître de l’endurance, sa densité de puissance laisse encore à désirer en ce tournant du siècle.

Un pionnier nommé Ferdinand Porsche

Parmi les pionniers de la voiture électrique, outre Trouvé, Jeantaud, Jenatzy, ou encore Krieger, Baker etc, on trouve un nom dont vous avez probablement déjà entendu parler : Ferdinand Porsche. Oui, le Ferdinand Porsche du futur bureau d’étude éponyme, père de la Coccinelle et d’un certain nombre de chars d’assaut. L’homme est avant tout un autodidacte passionné d’électricité qui a trouvé son premier emploi chez les autrichiens de Lohner. Là, il va concevoir toute une série de véhicules caractérisés par leurs étonnants moteurs-roues. Après une petite Lohner-Porsche qui en dispose de deux à l’avant, développant 5ch pour 50 km/h de pointe et 50 km d’autonomie, il décide de régler une bonne fois pour toute le problème de l’autonomie comme de la puissance avec une voiture révolutionnaire dotée de 4 moteurs roues reliés à des batteries, elles-mêmes alimentées par… un moteur thermique ! Ce n’est rien de moins que la première hybride-série-rechargeable-4 roues motrices de l’histoire. Quatre records d’un seul coup ! Ces monstres atteignent les 90 km/h et peuvent grimper des côtes de 20%. Mais leur masse est éléphantesque (aux alentours de 2 tonnes) et leur coût prohibitif. Leur production est arrêtée vers 1906.

L’hybride-série-rechargeable-4 roues motrices de Ferdinand Porsche

Car le coût est bien l’éléphant dont nous parlons, posé au milieu de la pièce. Cela nous ramène à notre segmentation du marché entre voitures électriques et à combustion interne. Et là, les choses ne se sont pas exactement déroulées comme prévu. Car, outre leur autonomie et leur vitesse réduite, le prix des voitures électriques et de leur exploitation (usure des pneus, échange des batteries…) est exorbitant. Conséquences : les sociétés de taxi électriques font faillite les unes après les autres ! (Avec même quelques scandales à la clef, semble-t-il).

Et pendant que l’électricité peinait à remplir le rôle qui semblait lui échoir, la rustre voiture à combustion interne apprenait à se civiliser, se fiabiliser et à s’adapter aux tâches les plus utilitaires. Et surtout, elle réduisait ses coûts grâce à l’expérience acquise ! Le premier taxi Renault, avec son modeste mais infatigable bicylindre, allait rapidement remplir les rues de Paris, puis s’exporter jusqu’à Londres et New-York, il y a peu terrains privilégiés de la propulsion par électrons. Ils entreront bientôt dans la Grande Histoire sous le nom de « taxis de la Marne ». Et la Ford T, lancée en 1908, enfonce le clou avec ses tarifs imbattables. D’autant plus que le carburant est devenu plus abondant.

La messe serait-elle alors dite pour nos voitures électriques ? Car, durant ces décennies, la thermique à essence a fait d’immenses progrès, bien que partant de très, trèèèès loin, même si elle reste puante, cahotante, et contraignante. Et surtout, dangereuse à cause de la redoutable manivelle indispensable pour en démarrer le moteur. Un ustensile qui a cassé tant de bras, si ce n’est pire. 

Mais tout n’est pas perdu pour notre électrique. Même chère et limitée en rayon d’action, elle reste infiniment plus simple, douce, bref raffinée. Et quelle clientèle douce et raffinée peut-on tenter de séduire avec ce genre d’arguments à cette époque infiniment patriarcale ? Les femmes pardi ! 

Voici donc les fabricants de voitures électriques lançant progressivement, au cours des années 1900, un assaut désespéré en direction d’une clientèle féminine (très aisée, cela va sans dire) en quête d’indépendance. Et… ça marche ! Aux États-Unis surtout, les voitures électriques connaissent un mini âge d’or grâce aux grandes bourgeoises, très heureuses de se mouvoir en ville, dans de confortables et silencieuses automobiles, exemptes de ces horribles manivelles réclamant de la force physique et un brin d’inconscience. Même la propre femme d’Henry Ford possède une voiture électrique ! 

D’ailleurs, savez-vous pour quelle personnalité notre cher Henry Ford, concepteur du fameux Model T,  a travaillé avant de fonder sa propre marque de voitures ? (Ou plutôt ses marques de voitures, vu qu’il a connu quelques échecs avant de triompher…)

On vous le donne en mille : chez Thomas Edison. Avec lequel il entretient toujours des liens amicaux, en plus d’avoir historiquement manifesté un certain intérêt pour les véhicules électriques. Les deux hommes sont convaincus qu’il existe un marché pour ces voitures, à condition qu’elles soient abordables, et ils s’associent en 1913. Objectif : une masse de 500kg dont 185 kg de batteries, 160km d’autonomie, 600$. Soit approximativement le prix d’une Model T. Ford va jusqu’à investir 1.5 millions de dollars dans ce projet. Une somme colossale pour l’époque. Mais… c’est un échec. La batterie Nickel-Fer créée par Edison est incapable d’atteindre la puissance escomptée, pas assez dense et finalement toujours trop chère. Elle sera tout de même proposée en option dans certaines voitures électriques de l’époque. Et connaîtra une brillante carrière dans le stockage stationnaire, ces batteries étant quasiment immortelles, pouvant durer des décennies. 

Detroit Electric

En même temps que ce coup dur, en vient un autre, fatal celui-ci. Et  ironie du destin, il implique aussi des électrons. En 1912, Cadillac inaugure le démarreur électrique. Les jours de la manivelle sont comptés ! (Même si elle restera longtemps présente pour dépanner en cas de déficience du nouveau dispositif.) Ceux de la voiture électrique grand public, aussi. Au terme de plus de trois décennies de bataille le verdict tombe : le siècle suivant sera thermique. Un leader tel que Detroit Electric, qui a fabriqué plusieurs milliers de voitures par an dans les années 1910, décline progressivement après 1916 et finit par cesser la production en série à la fin des années 20, et la production tout court en 1939.

Mais contrairement aux voitures à vapeur, les électriques ne vont pas tout à fait disparaître. Tout au long du XXe siècle de nouveaux projets vont constamment apparaître au gré des crises, progrès technologiques ou changements sociétaux. Et ce sera le sujet de notre prochain épisode !

Duel à grande vitesse

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