Glyphosate, le retour
Chaque semaine, un nouveau signal d’alarme sanitaire vient semer l’effroi sur nos fils d’actualité : aspartame, cadmium, pesticides… C’est le festival de « Tu cannes ! ». Mais la star des produits faisant vendre du papier est le glyphosate. Le voilà de retour dans l’actualité avec la parution de ce qui est présenté par nos confrères, allant du Monde, en passant par Le Quotidien du Médecin ou Mediapart, comme « la plus vaste étude jamais menée » sur le sujet. Verdict : il augmenterait le risque de cancer. Frissons garantis.
Mais avant de réclamer son interdiction immédiate, une analyse de l’étude s’impose. Spoiler alerte, ça ne va pas faire plaisir à tous ceux qui sont atteints de glyphosatophobie chronique…
Mode d’action et usage
Découvert dans les années 1970, le glyphosate est un herbicide non sélectif : il bloque la synthèse de certains acides aminés chez les plantes. Il est utilisé seul ou dans des formulations commerciales, comme Roundup Bioflow (en Europe) ou RangerPro (aux États-Unis), enrichies en surfactants (substances qui réduisent la tension de surface d’un liquide facilitant leur mélange avec d’autres). Son usage massif et mondial en fait un candidat régulier aux polémiques sanitaires.
Flashback : l’étude Séralini, dix ans plus tôt
En 2012, le biologiste Gilles-Éric Séralini affirme avoir observé une hausse de tumeurs mammaires chez des rats exposés au Roundup. L’étude est vite contestée : seulement dix rats par groupe, analyses statistiques faibles, et surtout, rats Sprague-Dawley, connus pour développer spontanément des tumeurs au cours de leur vie. L’article est rétracté un an plus tard. Pourtant, la nouvelle étude reprend… le même modèle animal.

Que montre l’étude Ramazzini ?
Menée par un laboratoire italien engagé de longue date contre divers produits chimiques, l’étude suit 1 020 rats Sprague-Dawley (51 mâles et 51 femelles par groupe), exposés dès la gestation à trois doses de glyphosate : 0,5 mg/kg/j (la DJA européenne, bien au-dessus de l’exposition humaine réelle), 5 mg/kg/j et 50 mg/kg/j. Le glyphosate est administré pur ou sous forme de Roundup Bioflow ou RangerPro. Les auteurs annoncent une augmentation « significative » de tumeurs bénignes et malignes à toutes les doses : leucémies, hémangiosarcomes, cancers du foie, de la thyroïde, du système nerveux…
Des résultats inquiétants, mais fragiles
Le problème ? Il est multiple. Les rats utilisés développent déjà spontanément des tumeurs avec l’âge. Sans corrections statistiques pour les dizaines de comparaisons réalisées, le risque de faux positifs est considérable. Certaines données sont incohérentes : à la dose la plus faible de Roundup Bioflow, aucun lymphome détecté, contre 10 % dans le groupe témoin. Comment un cancérogène pourrait-il « effacer » une tumeur ? Silence radio dans l’étude. On observe aussi des courbes en U (plus de tumeurs à faibles doses qu’à fortes), et surtout, de nombreux résultats reposent sur un ou deux cas par groupe. C’est trop peu. Un calcul simple montre qu’il faudrait presque le double de rats pour détecter de façon fiable un risque multiplié par dix sur une tumeur rare. Enfin, et c’est crucial : le glyphosate est administré ici en continu dans l’eau de boisson. Rien à voir avec l’exposition humaine, qui se fait par l’alimentation, à petites doses, par pics, et à des niveaux des milliers de fois inférieurs. En population générale, le glyphosate urinaire tourne autour de 1 à 5 µg/L. Seuls certains applicateurs agricoles atteignent des niveaux plus élevés, et chez eux, un léger sur-risque de lymphome non hodgkinien est débattu depuis vingt ans – un signal absent de l’étude Ramazzini.
Une couverture médiatique biaisée
La plupart des articles reprennent les conclusions sans mise en contexte. Pas un mot sur les limites du modèle animal, les erreurs statistiques, l’inadéquation des doses testées. On empile les tumeurs comme on aligne les arguments d’un procès. On oublie aussi de préciser que les rats exposés ont vécu aussi longtemps que les témoins : aucune surmortalité observée. Présenter ces résultats comme une preuve implacable, c’est confondre signal expérimental et démonstration scientifique.
Alerter, oui. Interdire dans la précipitation, non.
Oui, cette étude mérite d’être discutée. Mais elle ne prouve pas un danger immédiat pour l’humain. Elle appelle à des reproductions indépendantes, sur d’autres souches animales, avec des protocoles plus robustes et des données publiques. Interdire le glyphosate sans alternative viable reviendrait à rouvrir la porte au labour intensif, à l’érosion des sols, à plus de CO₂, et parfois à des herbicides plus toxiques. La vraie voie, c’est une transition agronomique intelligente : rotations, couverts végétaux, désherbage mécanique, robotique.
Science vs storytelling
L’étude Ramazzini ne change pas fondamentalement l’état des connaissances. Elle relance un débat déjà ancien, sans le faire progresser de façon décisive. La presse, elle, joue souvent le rôle de caisse de résonance plutôt que celui de filtre critique. La science avance par contradiction et rigueur. Pas par proclamation.
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