À qui profite la « vidéoprotection » ?
Le rapport du comité d’évaluation de l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique dans le cadre des Jeux olympiques de Paris révèle qu’un seul algorithme a été testé, sur la moitié seulement des motifs autorisés. Six détections d’intrusion et un seul colis suspect ont été identifiés. L’algorithme, par contre, a classé à tort des vitrines et feux de circulation comme incendies potentiels, et qualifié de « colis suspects » des poubelles et des… SDF. L’expérimentation aura donc eu le mérite de montrer qu’en l’état, la VSA n’est pas au point.
« Vidéosurveillance algorithmique : le rapport d’évaluation s’interroge sur l’efficacité du dispositif », titre Le Monde, qui parle d’un « bilan en demi-teinte ». « Le comité d’évaluation émet des doutes sur l’efficacité du dispositif mis en place pour les Jeux de Paris », renchérit France Info, évoquant « des résultats inégaux ».
Nos deux confrères ont, en effet, pu consulter le rapport, remis ce mardi 14 janvier au ministère de l’Intérieur, du comité d’évaluation de l’expérimentation (controversée) de vidéosurveillance algorithmique (VSA) dans l’espace public autorisée dans le cadre des JO de Paris.
France Info, qui fournit bien plus de verbatims du rapport que ne le fait Le Monde, relève que ses auteurs y écrivent que « le recours aux traitements algorithmiques mis en place dans le cadre de l’expérimentation s’est traduit par des performances techniques inégales, très variables en fonction des opérateurs et des cas d’usages, des contextes d’utilisation, ainsi que des caractéristiques techniques et du positionnement des caméras ».
Dans des propos qui font écho à ce que l’on sait déjà de l’efficacité (ou pas) des caméras de vidéosurveillance, le comité rappelle que l’intérêt de tels dispositifs « dépend largement du contexte d’utilisation ». Il relève que la VSA est, par exemple, « moins efficace quand il y a peu d’éclairage », mais plus pertinente « dans les espaces clos ou semi-clos, notamment les couloirs du métro et les gares, par rapport aux résultats observés dans les espaces ouverts ».
Une « maturité technologique insuffisante »
Fort d’une centaine de pages, le rapport commence par rappeler les limites de l’expérimentation, « qui laisse encore des questions en suspens », euphémise Le Monde.
Les auteurs soulignent d’une part que le nombre, sans équivalent dans l’histoire, de forces de l’ordre déployées sur le terrain, et les très nombreuses restrictions d’accès aux zones vidéosurveillées par les algorithmes ont « rendu la VSA moins utile qu’escompté ».
Certaines possibilités offertes par la loi, comme l’analyse d’images prises depuis des drones, n’ont pas, d’autre part, été mises en œuvre « en raison d’une maturité technologique insuffisante », souligne Le Monde.
L’expérimentation n’a en outre porté que sur un seul logiciel (Cityvision, de Wintics), alors qu’une dizaine de prestataires de VSA avaient répondu à l’appel d’offres, et que le ministère de l’Intérieur en avait initialement choisi trois (Wintics, Videtics et Chapsvision).
Le rapport relève que l’évaluation ne saurait donc proposer de « bilan » sur la « pertinence » de la VSA, ni se prononcer sur l’opportunité de la poursuivre, ou pas.
Des vitrines éclairées et feux de voiture pris pour des incendies
De plus, près de la moitié des 8 cas d’usage autorisés après avis de la CNIL n’ont pas été expérimentés, tels que la détection de départs d’incendie, de chutes de personne ou encore d’armes à feu, qui n’ont été testées ni par la RATP, ni par la SNCF.
La ville de Cannes a certes expérimenté la « présence ou utilisation d’armes » mais, tempère Le Monde, « sans résultats concluants et avec un grand nombre de faux positifs » :
« Quant à la détection des feux ou des chutes, le rapport mentionne, là aussi, une faible maturité technologique, les algorithmes prenant parfois les devantures de magasin ou les phares de voiture pour des incendies. »
Les SDF et les poubelles, des « colis suspects » comme les autres
La détection de la « présence d’objets abandonnés » dans les gares et stations de métro n’aurait, de son côté, abouti qu’à des résultats « très moyens ». 62 % des 270 alertes adressées par le logiciel étaient des « faux positifs », et seules 21 (soit moins de 8 %) se sont avérées « pertinentes ».
De plus, relève France Info, le logiciel peinerait à identifier les objets dont la présence sur les lieux n’a rien d’anormal, pour des performances qualifiées de « très inégales ». Il « assimile ainsi régulièrement le mobilier urbain (bancs, panneaux) ou encore les matériels de nettoyage (poubelles, seaux et machines de nettoyage) et autres objets fixes ou usuels » à des « colis suspects » :
« Plus grave, il lui arrive d’assimiler des personnes assises ou statiques, notamment des sans domicile fixe. »
Un seul cas d’usage fait l’unanimité : la détection d’intrusion
Sur les quelques cas d’usage réellement testés, et « de façon générale, les alertes émises par les logiciels de VSA n’ont entraîné qu’un nombre limité d’interventions », résume par ailleurs Le Monde :
« A la SNCF, six ont été menées grâce à la détection automatique d’intrusion en zone interdite avant et pendant les JO, et une seule pour objet abandonné. »
D’après Le Monde, et du point de vue de la technologie, « un seul cas d’usage fait l’unanimité : la détection d’intrusion en zone interdite », notamment utilisée pour identifier les personnes sur les voies.
La détection des flux de circulation et des déplacements en sens interdit (de personnes comme de véhicules), tout comme l’analyse de la densité de population, censée détecter les attroupements, seraient de leur côté jugés « satisfaisants » par les opérateurs de transport.
« Avec toutefois quelques réserves », temporise France Info. Le logiciel « a parfois eu du mal à comptabiliser un nombre d’individus trop resserrés (…) en raison de la hauteur d’emplacement des caméras », relève le rapport. Le dispositif apparaît en outre « moins efficace lorsque les caméras sont trop proches du public, les corps n’étant pas entièrement visibles ».
S’agissant des mouvements de foule, l’efficacité de la VSA serait là aussi « difficile à évaluer », reconnaît le rapport :
« Les quelques retours font état des difficultés rencontrées dans l’identification des véritables mouvements. Le traitement peut, en particulier, assimiler des groupes de personnes se déplaçant dans le même sens, sans précipitation particulière. Il est délicat de définir des mouvements de regroupement ou de dispersion rapide. »
Un « choix politique » qui appelle à « une vigilance particulière »
Le rapport affirme cependant que « les agents concernés sont globalement satisfaits de la mise en œuvre du dispositif » :
« L’intégration des écrans des caméras IA dans les salles de commandement, lorsqu’elle a été réalisée, a contribué à favoriser la complémentarité des caméras classiques et des caméras IA. »
Pour le comité d’évaluation, « l’abandon, la prolongation ou la pérennisation » du dispositif est « un choix politique » qui ne relève pas de sa mission. Il souligne cela dit que, si ce dispositif était mis en place, « une vigilance particulière s’impose (…) afin notamment de prévenir tout risque de détournement des finalités légales ou, plus fondamentalement, d’accoutumance au recours à une telle technologie à des fins de surveillance ».
Le Monde et France Info rappellent également que Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, Bruno Retailleau, ministère de l’Intérieur et Philippe Tabarot, le nouveau ministre des Transports, se sont déjà prononcés en faveurs d’une généralisation du dispositif, sans même attendre le rapport du comité d’évaluation.