Comment un simple tweet a fait tanguer les marchés à hauteur de 2 000 milliards de dollars
Down Rodeo

Un simple tweet, publié par un compte X « certifié », a mis le feu aux marchés lundi, entraînant une hausse momentanée de quelque 2 000 milliards de dollars de la capitalisation boursière mondiale. L’incident, survenu dans un contexte de fébrilité exceptionnel, souligne à quel point les marchés restent vulnérables à des tentatives de manipulation délibérées.
Plus volatil, tu meurs. Sur les forums spécialisés comme sur les réseaux sociaux, l’annonce d’une embellie s’est propagée comme une traînée de poudre lundi après-midi (heure de Paris) : après trois jours de baisse continue, l’heure du rebond est arrivée, et les indices repartent à la hausse ! Pendant vingt minutes, une forme d’euphorie gagne les investisseurs.
Entre le moment où la contagion a débuté et celui où le feu de paille s’est éteint, les places boursières ont regagné lundi l’équivalent de quelque 2 000 milliards de dollars de capitalisation perdus depuis le 3 avril et l’annonce de la mise en place des droits de douane exceptionnels décidés par Donald Trump. Avant de les reperdre, tout aussi rapidement. Que s’est-il donc passé ?
Une interview détournée
Le phénomène débute avec un tweet massivement relayé par de nombreux comptes présentant des affinités avec les thématiques de l’investissement en bourse ou des cryptomonnaies. Écrit tout en majuscules, il affirme : « Trump envisage une pause de 90 jours dans la mise en place des droits de douane pour tous les pays sauf la Chine ». Souvent, il est assorti d’un nom propre, Hassett, en référence à Kevin Hassett, le conseiller économique de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Une heure plus tôt, la question d’une possible pause dans la mise en œuvre des droits de douane lui avait bien été posée au micro de Fox News, mais Kevin Hassett avait alors botté en touche, indiquant que le président déciderait… ce qu’il déciderait.
Une intox particulièrement virale
C’est cette déclaration, plutôt prudente, qui semble avoir servi de point de départ à la diffusion d’une fausse information. D’après le déroulé retracé par NPR, la fake news aurait d’abord été propagée par un compte X baptisé Hammer Capital, et doté de la coche bleue (accessible en souscrivant un abonnement payant) qui permet de disposer de la mention « certifié » à côté de son pseudonyme et offre une portée supérieure aux messages. Le compte initial affiche environ 1 100 followers, mais la fausse information gagne rapidement en visibilité grâce au relais de nombreux autres comptes.
Quelques minutes plus tard, elle gagne une nouvelle caisse de résonance : le message est repris par le compte @Deltaone, qui compte pour sa part quelque 850 000 abonnés, et adopte « Walter Bloomberg » comme pseudonyme sur le réseau social X.
Officiellement, le compte n’a aucun lien avec la célèbre agence d’actu financière Bloomberg, mais il relaie fréquemment les alertes de cette dernière, ce qui explique vraisemblablement sa popularité. Le flux de dépêches de Bloomberg est très prisé des investisseurs particuliers, dans la mesure où il permet d’être alerté très en avance de phase d’éventuelles informations susceptibles d’influencer la bourse, mais il est payant (et facturé très cher).
Une caution journalistique
À ce stade, ni Bloomberg, ni la Maison-Blanche, ni Fox News n’ont confirmé la soi-disant pause sur leurs propres canaux, et même si la rumeur a déjà entraîné un début de hausse sur les marchés, son effet reste encore limité. Le véritable déclencheur intervient peu après 16 heures (heure de Paris), quand CNBC relaie l’intox – via son bandeau d’informations écrites – sur son direct. Cinq minutes plus tard, l’agence Reuters envoie à son tour une dépêche, qui confère, aux yeux de nombreux investisseurs, une légitimité à l’information… jusqu’à ce que la Maison-Blanche démente.
« Alors que nous suivions l’évolution du marché en temps réel, nous avons diffusé des informations non confirmées dans une bannière. Nos reporters ont rapidement corrigé l’information à l’antenne », précise une porte-parole de CNBC au Wall Street Journal. « La Maison-Blanche a démenti ces informations. Reuters a retiré cette information erronée et regrette son erreur », réagit Reuters dans la même veine.
Immédiatement, les investisseurs qui avaient acheté des titres ou des fonds cotés pour essayer de profiter de la hausse s’extraient du marché, provoquant la fin de l’embellie. Dans le lot, d’aucuns s’estiment toutefois heureux : la hausse a été si fulgurante que celui qui a acheté et vendu au bon moment a pu, en quelques minutes, réaliser un gain à deux chiffres.
La martingale est d’ailleurs si belle qu’elle devrait, en théorie, motiver l’ouverture d’une enquête, notamment aux États-Unis, où Donald Trump a récemment renforcé son pouvoir de contrôle sur le gendarme de la bourse, la SEC.