Road to disaster
Microsoft a un problĂšme avec Windows 11. Ce qui veut dire que, tĂŽt ou tard, nous en aurons un aussi. Les qualitĂ©s (parfois discutables) du systĂšme ne sont pas en cause. Câest le choix de lâĂ©diteur de claquer la porte de Windows 10 dans neuf mois, sa volontĂ© de passer en force et son aveuglement face Ă une rĂ©alitĂ© plus que tangible qui risque de lui exploser Ă la figure.
Le 14 octobre prochain, le support technique de Windows 10 prendra fin. Ce nâest pas la premiĂšre fois que cela arrive, ni mĂȘme quâune fin de support pose des difficultĂ©s. Windows XP et 7 ont posĂ© problĂšme en leur temps, toujours pour la mĂȘme raison : le nombre dâordinateurs qui les utilisaient encore.
MĂȘme joueur joue encore
Quand un systĂšme perd son support technique, il nâest plus entretenu. On peut continuer Ă lâutiliser, en thĂ©orie, tant que le matĂ©riel ne rend pas lâĂąme. En revanche, les failles de sĂ©curitĂ© ne sont plus corrigĂ©es. Or, des vulnĂ©rabilitĂ©s sont dĂ©couvertes en permanence. Souvent, une mĂȘme faille couvre plusieurs versions dâun composant, dâune application, dâun systĂšme, car de vastes tronçons de code sont communs. Une faille trouvĂ©e dans Windows 11 a de bonnes chances de pouvoir ĂȘtre exploitĂ©e dans Windows 10.
Actuellement, le plus gros problĂšme de Microsoft rĂ©side dans la part de marchĂ© de Windows 10. Que lâentreprise le veuille ou non, lâancien systĂšme reprĂ©sente toujours prĂšs des deux tiers du parc Windows, ce qui reprĂ©senterait environ un milliard dâordinateurs. Un chiffre vertigineux face Ă lâarrĂȘt du support qui approche, et trois fois plus Ă©levĂ© que ne lâĂ©tait Windows 7 au moment de sa propre « mort ».
Pour Ă©viter un dĂ©sastre de sĂ©curitĂ© sur le parc Windows, il faudrait que ces centaines de millions dâordinateurs soient remplacĂ©s ou mis Ă jour dans les neuf mois. La tĂąche est impossible, pour plusieurs raisons.
La barriĂšre technologique
Le principal facteur bloquant, câest le choix de Microsoft sur le matĂ©riel compatible. Il faut certes un processeur rĂ©cent, mais surtout une puce TPM 2.0. Sur le parc Windows 10 existant, on ne sait pas exactement quelle proportion de machines est compatible, mais beaucoup ne peuvent pas ĂȘtre mises Ă jour vers Windows 11.
Câest la premiĂšre fois que le passage Ă une nouvelle version de Windows est aussi complexe. JusquâĂ prĂ©sent, il suffisait surtout dâavoir assez de puissance sous le capot. Et encore, cet argument nâa pratiquement pas Ă©voluĂ© depuis Vista, les configurations Ă©tant depuis longtemps largement suffisantes pour assurer le minimum. Quand Vista est sorti, câĂ©tait loin dâĂȘtre le cas.
Cette fois cependant, mĂȘme des configurations que lâon pourrait encore qualifier de puissantes peuvent ne pas y avoir droit. Des ordinateurs Ă©quipĂ©s de multiples cĆurs, de 32 ou 64 Go de RAM, dâun SSD et ainsi de suite. Si la puce TPM 2.0 nâest pas lĂ , la machine est jugĂ©e incompatible. MĂȘme chose si le processeur est jugĂ© trop ancien.
Contrairement aux Windows prĂ©cĂ©dents, on ne peut pas simplement forcer la mise Ă jour. On peut tricher avec des outils dĂ©sactivant ces vĂ©rifications, mais on sâexpose Ă un ordinateur pouvant arrĂȘter de fonctionner suite Ă une mise Ă jour.
Il suffit de tout changer
La solution la plus simple, la voie royale pour Microsoft, câest bien sĂ»r lâachat dâun nouvel ordinateur. LâĂ©diteur pousse en ce sens, affichant sur les PC Windows 10 des messages dâavertissement pour prĂ©venir de la fin prochaine du support. Et parmi ces messages, dâauthentiques publicitĂ©s pour des PC Copilot+, prĂ©sentĂ©s comme la relĂšve idĂ©ale, Windows 11 Ă©tant prĂ©sentĂ© comme le grand vaisseau de lâintelligence artificielle.
Quâils le soient ou non, ils reprĂ©sentent surtout un achat. De nombreuses personnes ne peuvent pas remplacer si facilement un ordinateur. Dâailleurs, Microsoft devrait sâexpliquer sur la nĂ©cessitĂ© de remplacer un matĂ©riel encore fonctionnel pour un nouveau, quand le message sur la consommation responsable autour du numĂ©rique devient si prĂ©gnant. Lâimpact Ă©cologique dâune telle transition forcĂ©e serait phĂ©nomĂ©nal. Et que dire de lâimpact majeur dans certaines parties du monde, notamment en Afrique, comme lâa soulignĂ© trĂšs justement Pascal Cohet dans une tribune le 7 janvier ?
Et si Linux Ă©tait la solution ? Quand bien mĂȘme, cela dĂ©pendrait fortement des usages et des compĂ©tences des personnes concernĂ©es. Ou de leur entourage. Et pour toutes celles et ceux qui se servent dâun ordinateur comme dâun appareil Ă©lectromĂ©nager â nâont-ils pas raison ? â il faudrait encore expliquer lâintĂ©rĂȘt de la dĂ©marche et pourquoi toutes leurs habitudes sâapprĂȘtent Ă changer. LâĂ©vidence des uns est rarement celle des autres.
Inciter, coûte que coûte
JusquâĂ prĂ©sent, Microsoft a dit et redit quâelle ne transigerait pas sur les prĂ©requis de Windows 11 : la puce TPM 2.0 doit ĂȘtre prĂ©sente, entre autres critĂšres (il peut arriver que la puce TPM 2.0 soit prĂ©sente, mais que le processeur soit trop ancien). On comprend lâintĂ©rĂȘt pour la sociĂ©tĂ© de Redmond : le parc Windows 11 est, dans ses rĂ©glages par dĂ©faut, plus sĂ©curisĂ© quâavec toutes les versions prĂ©cĂ©dentes, oĂč ces sĂ©curitĂ©s Ă©taient optionnelles.
Si lâentreprise a raison dans lâabsolu, sa radicalitĂ© pourrait sâavĂ©rer contre-productive. Outre ces messages incitant Ă lâachat de nouvelles machines, elle repart dans ses vieilles techniques pour motiver les retardataires Ă migrer, y compris pour les machines compatibles mais nâayant pas fait le grand saut.
DĂ©but janvier, Microsoft dĂ©clarait ainsi que 2025 Ă©tait lâannĂ©e du grand renouvellement des PC sous Windows 11. Quelques jours plus tard, la fiche dâinformation sur « Comment mettre Ă jour vers Windows 11 » Ă©tait remaniĂ©e pour ĂȘtre plus simple, renvoyant notamment vers lâapplication ContrĂŽle dâintĂ©gritĂ© du PC. Celle-ci permet de vĂ©rifier certains aspects du systĂšme, mais surtout dâindiquer si la machine utilisĂ©e peut passer Ă Windows 11. ParallĂšlement, au CES, Microsoft a dĂ©clarĂ© que le renouvellement dâun ancien PC Windows 10 Ă©tait plus important cette annĂ©e quâune nouvelle tĂ©lĂ© ou quâun nouveau smartphone.
JusquâĂ lâĂ©cĆurement
Il y a quelques jours, la sociĂ©tĂ© publiait un autre billet, cette fois pour indiquer que la mise Ă jour vers Windows 11 Ă©tait gratuite pour un temps limitĂ©, comme sâil sâagissait dâune nouveautĂ©. Ăa nâen Ă©tait pas une, et le billet a dâailleurs Ă©tĂ© supprimĂ©. Microsoft y indiquait notamment que lâopĂ©ration ne serait plus proposĂ©e sitĂŽt la date de fin de support de Windows 10 atteinte. Peut-ĂȘtre quelquâun chez Microsoft sâest-il rendu compte du peu dâintelligence dans la proposition, entrainant la suppression.
En revanche, Microsoft a bel et bien dĂ©clarĂ© que sa suite 365 ne serait plus supportĂ©e sur Windows 10 une fois le 14 octobre atteint. LĂ encore, le billet nâexiste plus, mais lâĂ©diteur y prĂ©cisait que le fonctionnement de la suite bureautique ne serait plus garanti. En dâautres termes, sâil y a des problĂšmes, dĂ©brouillez-vous. Une attitude logique face Ă une fin de support, la problĂ©matique ayant Ă©tĂ© la mĂȘme avec Windows XP et 7 en leur temps.
La dĂ©cision est dâautant plus troublante que Microsoft propose au grand public une annĂ©e supplĂ©mentaire de support technique contre un paiement de 30 dollars. Pour les entreprises, ce sont mĂȘme trois ans de plus, avec un prix croissant chaque annĂ©e.
Et pendant ce temps, Microsoft rĂ©pĂšte Ă longueur de temps que son systĂšme est celui de toutes les nouveautĂ©s, entre explosion de lâIA, offre croissante de PC Copilot+ et plateforme idĂ©ale pour les jeux. Des affirmations tenant surtout du marketing et qui ne se vĂ©rifient pas forcĂ©ment dans la pratique, comme lâont montrĂ© TechSpot en aoĂ»t dernier sur les performances des jeux.
La route du désastre
La radicalitĂ© de Microsoft ne peut mener quâĂ une catastrophe. Si lâentreprise reste droite dans ses bottes et assume sa dĂ©cision, des centaines de millions de machines se retrouveront sans support technique du jour au lendemain.
Si lâon se souvient des Ă©vĂšnements autour de Windows XP et 7, il est impossible que les gouvernements ne rĂ©agissent pas, tout du moins une partie dâentre eux. Pour les deux systĂšmes (particuliĂšrement XP), Microsoft avait repoussĂ© la date plusieurs fois, Ă cause dâune trop grande part de marchĂ© rĂ©siduelle et de gouvernements mĂ©contents. Entre temps, certains cadres lĂ©gislatifs ont Ă©voluĂ© et lâentreprise pourrait ĂȘtre tenue responsable dâun vaste dĂ©faut de sĂ©curisation sur le systĂšme le plus utilisĂ© au monde.
Microsoft rĂ©pĂšte pour lâinstant quâelle ne pliera pas. Si elle devait le faire, cela mettrait Ă mal toute sa stratĂ©gie, en plus de reconnaitre implicitement quâelle a eu tort jusquâici. Et nâen dĂ©plaise Ă lâentreprise et Ă ses prises de position obstinĂ©es, la question va rester ouverte tous les prochains mois.
En lâĂ©tat, il est peu probable que Microsoft change son fusil dâĂ©paule. Maintenir la situation actuelle est virtuellement impossible, tant elle enverrait au casse-pipe une montagne de PC. Au point dâassouplir les conditions dâaccĂšs Ă Windows 11 ? Probablement pas. En revanche, repousser la date serait la solution toute trouvĂ©e, au risque de crĂ©er un nouveau sursaut sur la souverainetĂ© numĂ©rique, particuliĂšrement en Europe.