Taxe Zucman : prendre aux riches n’est pas donner aux pauvres
Taxer les milliardaires, c’est toujours populaire. Surtout en période de tensions budgétaires. L’idée de les faire payer davantage semble à la fois logique, morale, voire réparatrice. Pourquoi, après tout, un boulanger devrait payer plus d’impôts sur ses revenus (en proportion) qu’un milliardaire ? C’est ce sentiment d’injustice fiscale que la « taxe Zucman » prétend corriger. Au risque d’appauvrir tout le monde ?
Son principe : imposer un minimum de 2 % du patrimoine pour les très grandes fortunes – à partir de 100 millions d’euros. La logique est redoutablement séduisante : si vous avez 1 milliard d’euros de patrimoine, et que vous ne payez qu’un petit million d’impôt sur le revenu et un autre d’IFI, il vous reste trop, beaucoup trop. La taxe Zucman propose de prélever 2 % de ce magot chaque année. En l’occurrence ici : 18 millions de plus à verser à l’État.
Une mesure qui ne concernerait principalement que quelques centaines de foyers, mais qui, selon ses promoteurs, rapporterait beaucoup. De quoi financer une partie des retraites ou sauver quelques services publics en souffrance. Une sorte de contribution républicaine. Ciblée, juste, symbolique. Presque indolore.
Saper les piliers de la prospérité ?
Si l’idée est politiquement irrésistible, économiquement, elle se révèle beaucoup plus fragile. D’une part parce qu’elle repose sur des hypothèses discutables (Cf. encadré), surtout parce que ses effets sur l’investissement, l’innovation et la croissance pourraient se retourner contre l’intérêt général.
Commençons par l’investissement, car c’est peut-être le point le plus préoccupant de cette taxe. L’économie a besoin de capitaux patients. De personnes qui mettent leur argent dans des projets risqués, innovants, incertains. Ce sont souvent eux — business angels, fondateurs, investisseurs familiaux — qui financent les start-ups, les biotech, les cleantech, etc.
Or la taxe Zucman frappe exactement ce type de capital. Celui qui ne distribue rien, qui mise à long terme, qui accepte de perdre dix fois pour gagner une fois. En imposant ces fortunes sur la simple détention d’actifs, on les contraint à désinvestir ou à externaliser leurs fonds. Un « business angel » qui voit son rendement amputé de 2 % par an peut tout simplement investir ailleurs. Une start-up française à la recherche de financement se retrouvera face à des investisseurs plus frileux, ou à des exigences de rendement plus élevées. C’est le financement de l’innovation qui trinque.
Et cette fragilisation n’est pas théorique. Une fiscalité trop lourde sur le capital a des conséquences concrètes : moins de créations d’entreprises, moins de levées de fonds, moins d’emplois qualifiés créés. Et donc, à terme, moins de croissance.
Le patrimoine est souvent illiquide. Pour payer la taxe, certains contribuables devraient vendre des parts, chaque année. Cela pèse sur les marchés, fait baisser la valeur des actifs, et réduit mécaniquement l’assiette de l’impôt. Un cercle pas très vertueux. On peut accepter une forme de redistribution. Mais encore faut-il qu’il y ait quelque chose à redistribuer.
La morale ne remplit pas les caisses
L’autre grand écueil de la taxe Zucman, c’est l’évasion par le haut. Si la mesure n’est appliquée qu’au niveau national, elle risque tout simplement d’encourager les plus riches à changer de pays, délocaliser leur patrimoine, ou restructurer leurs holdings à l’étranger. Les grands patrimoines sont mobiles, les fiscalistes inventifs, et la concurrence fiscale reste bien réelle. Pour éviter ces effets de fuite, la taxe devrait au moins être européenne.
Mais cette perspective, si elle est théoriquement séduisante, reste hautement improbable à court terme. La récente tentative de mettre en place un impôt mondial sur les multinationales, par exemple, a déjà montré les limites de la coopération internationale. Alors espérer une taxe coordonnée sur les ultra-riches ? Il faudrait un degré d’accord politique inédit.
Du danger des idéaux
Enfin, il faut garder en tête quelques proportions, car, de fait, la taxe Zucman, même dans les scénarios les plus optimistes, ce n’est pas non plus le grand soir. Ses partisans parlent de 20 milliards d’euros par an. En admettant même que cela n’ait aucun effet sur la croissance, on est très loin des 140 milliards d’euros de déficit prévu pour 2025.
La taxe Zucman envoie un signal. Elle incarne un idéal. Mais puisqu’elle s’appuie sur des hypothèses contestables, elle risque surtout d’avoir des effets délétères. La vérité est plus brutale : la soutenabilité budgétaire passe aussi par des choix plus profonds, moins idéalistes, parfois plus impopulaires. C’est une affaire collective, pas seulement morale, car on ne fait pas de la bonne politique avec du ressentiment.
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