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Votre frigo consomme plus d’électricité que 3 milliards de personnes

En 2013, Todd Moss fait ses courses dans un magasin d’électroménager. Sur l’étiquette énergétique de son nouveau réfrigérateur, un chiffre le frappe : 459 kWh par an. Le déclic est immédiat : son frigo familial va consommer plus d’électricité que la plupart des Africains. Pour Todd Moss l’urgence est là : aucun pays n’est jamais sorti de la pauvreté sans avoir accès à une énergie abondante. Plutôt que de faire des leçons de morale aux pays en développement, assurons-nous qu’ils aient accès à suffisamment d’électricité stable et bon marché.

Les chiffres donnent le vertige. 3,3 milliards de personnes vivent encore aujourd’hui dans des régions où la consommation électrique par habitant est inférieure à celle d’un réfrigérateur américain standard. 4 personnes sur 10 sur cette planète appartiennent à ce que l’on pourrait appeler le « monde débranché ». Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, la consommation moyenne n’est que de 172 kWh par personne et par an. Si l’on exclut l’Afrique du Sud, la consommation d’énergie par habitant en Afrique subsaharienne n’est que de 180 kWh par an – la même que celle d’un frigo de nouvelle génération. À titre de comparaison, un Français consomme en moyenne 7 000 kWh par an, un Américain plus de 12 000.

La pauvreté énergétique en Afrique se traduit par des drames humains quotidiens. 3,8 millions de personnes meurent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air intérieur, selon l’Organisation mondiale de la santé. La cause ? Les 2,6 milliards d’individus qui cuisinent encore au bois, au charbon ou aux excréments d’animaux dans des espaces confinés.

L’énergie abondante, clé du développement humain

Hans Rosling, le regretté statisticien suédois, estimait que 5 milliards de personnes portent aujourd’hui des vêtements lavés à la main. Cela signifie que 2,5 milliards de femmes et de filles passent une partie de leur temps à frotter du linge dans des bassines plutôt qu’à étudier ou travailler.

L’impact de l’électrification sur l’éducation féminine est spectaculaire. Au Bangladesh, une étude a montré que le taux d’alphabétisation des femmes était 31% plus élevé dans les villages électrifiés que dans ceux qui ne l’étaient pas. Chaque heure passée au lavoir est une heure perdue en classe.

Au Nigeria, le réseau électrique national ne fonctionne que 7 heures par jour. Les entreprises subissent en moyenne 32 coupures par mois, chacune durant près de 12 heures. Au Ghana les black-outs sont si fréquents que les Ghanéens ont inventé un argot spécial pour désigner les délestages sauvages. Les entreprises sont contraintes de renvoyer leurs employés chez eux, de licencier leur personnel le plus coûteux et de suspendre leur production.

L’instabilité chronique s’enracine aussi dans les manipulations politiques qui transforment l’électricité en outil de pouvoir. Avant certaines échéances électorales, un phénomène troublant se répète : les coupures diminuent miraculeusement et les dirigeants revendiquent leurs “succès” énergétiques. Cette stabilisation artificielle, financée à coups d’investissements de dernière minute et de renflouements d’urgence, s’évapore sitôt les urnes fermées. Au Gabon des coupures massives ont même été dénoncées comme des sabotages politiques visant à discréditer l’opposition.

Résultat ? Dans les rues de Lagos ou d’Abuja, une symphonie assourdissante de générateurs diesel empoisonne l’air jour et nuit. 71% des entreprises nigérianes possèdent un générateur, tout comme près de la moitié des ménages. Les restaurants et hôtels ne peuvent plus garantir la réfrigération de leurs denrées et doivent régulièrement jeter leur stock. Les épiceries ferment boutique dès que l’électricité s’interrompt.

L’engrenage fatal des prix artificiellement bas de l’électricité en Afrique

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Comme le résume Todd Moss : « Il n’existe pas de pays riche avec une faible consommation d’énergie. » L’électricité alimente les cuisines, les hôpitaux, les systèmes d’assainissement, les pompes à eau, les usines, les écoles, les machines des entreprises, la climatisation. Elle est un carburant indispensable du développement humain.

Le colonialisme vert, nouvelle forme d’oppression

Pourtant, au moment où l’Afrique tente de combattre sa pauvreté énergétique, une nouvelle forme de paternalisme émerge : ce que certains appellent le « colonialisme vert ». Cette doctrine consiste pour les pays riches à imposer leurs priorités climatiques aux nations pauvres, reproduisant des schémas coloniaux sous couvert d’écologie. En 2017, la Banque mondiale a annoncé qu’elle cesserait de financer les projets pétroliers et gaziers. 20 pays riches, dont la Norvège, se sont engagés à arrêter tout financement de projets fossiles à l’étranger d’ici 2025.

L’ironie est cruelle. La Norvège, qui tire 41% de ses exportations du pétrole et du gaz, explique aux Africains qu’ils doivent se contenter de panneaux solaires et de « micro-réseaux intelligents ». Comme l’écrit l’économiste Vijaya Ramachandran dans Foreign Policy en 2021, le message implicite est : « Nous resterons riches, nous vous empêcherons de vous développer, et nous vous enverrons un peu de charité tant que vous maintiendrez vos émissions à un niveau bas. »

Cette approche n’est pas seulement hypocrite, elle est mortelle. Quand les institutions internationales découragent l’usage du gaz de pétrole liquéfié (GPL) pour la cuisine sous prétexte qu’il s’agit d’un combustible fossile, elles condamnent de facto des millions de femmes et d’enfants africains à continuer de s’intoxiquer avec la fumée de leurs foyers traditionnels.

Pour les experts en santé publique comme Nigel Bruce de l’Université de Liverpool, la réalité est pourtant limpide : le GPL reste pour les 10 à 20 prochaines années le seul combustible propre qui coche toutes les cases pour l’Afrique. Il est populaire, répond aux besoins des ménages, facile à stocker et transporter, et surtout disponible dès maintenant dans les quantités nécessaires.

Critiquer l’usage du gaz naturel en Afrique au nom du climat relève de l’aveuglement. Si l’Afrique subsaharienne triplait sa production électrique en utilisant uniquement du gaz, cela ne représenterait que 0,6% des émissions mondiales supplémentaires. Et l’énergie domestique au GPL émet 60% de gaz à effet de serre en moins que la cuisson traditionnelle au bois.

L’abondance énergétique pour tous

Todd Moss est catégorique : son graphique du réfrigérateur n’est pas « un graphique d’austérité » mais  « un graphique d’opportunité manquée ». Le problème n’est pas que les Occidentaux consomment trop d’énergie, mais que des milliards d’êtres humains n’en consomment pas assez.

L’objectif ne devrait pas être de réduire la consommation suédoise ou américaine, mais d’amener chaque personne à au moins 1 000 kWh par personne par an à court terme, puis 5 000 à 10 000 kWh à moyen et long terme. Si le Nigeria, le Libéria, le Sénégal ou Haïti atteignaient le niveau de consommation électrique de la Suède, ce ne serait pas un cauchemar climatique mais un succès humanitaire retentissant. Un monde d’égalité énergétique n’est pas un monde de pauvreté forcée, mais un monde d’abondance universelle.

Pour les nations développées, l’enjeu majeur réside dans un double défi énergétique : décarboner leur production électrique tout en l’accroissant substantiellement pour accompagner l’électrification du chauffage et des transports. L’écart demeure saisissant entre les 6 000 kWh largement décarbonés que consomme annuellement un Français et cette même consommation chez un Allemand, où charbon et gaz fossiles conservent une emprise prépondérante sur le mix électrique.

La nécessaire transition énergétique à l’échelle mondiale ne doit toutefois pas faire l’impasse sur le besoin fondamental d’énergie stable et abondante pour tous. Les aides à destination de l’Afrique doivent inclure toutes les technologies disponibles : renouvelables, fossiles et nucléaires. L’objectif est d’offrir à chaque être humain ce que nous tenons pour acquis dans les pays riches : une électricité toujours disponible et à bon marché. N’oublions jamais que l’accès à l’énergie n’est pas qu’une question technique ou climatique, mais avant tout une question de dignité humaine.

Cet article est inspiré de « Why The Fridge Continues to Resonate » de Todd Moss, publié le 23 février 2023 sur Substack.

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Brésil : violence, stop ou encore ?

Dans l’imaginaire collectif, le Brésil, ce sont les plages de Copacabana, le football, le Festival de Rio, mais aussi les favelas et leur violence endémique, immortalisées par le film La cité de Dieu. Tout cela existe bel et bien. Pourtant, certaines parties du pays, dont plusieurs des quartiers les plus dangereux des grandes villes, connaissent un net recul de la criminalité, malgré de nombreuses zones d’ombres dans les chiffres de l’embellie.

Cela fait des décennies que le Brésil se débat avec un nombre d’homicides effrayants, souvent supérieurs à ceux de pays en guerre. Or, en une décennie, il a opéré une lente mais réelle bascule, voyant la violence nettement reculer, même si elle reste très élevée.

Selon les derniers chiffres de l’Atlas da Violência publiés en mai 2025, le Brésil a enregistré en 2023 45 747 homicides, contre 57 396 en 2013, soit une baisse de 20,3 %. Encore plus frappant : depuis le sommet sanglant de 2017, où 65 602 personnes avaient été assassinées, la chute atteint 30,2 %. Le taux national passe à 21,2 homicides pour 100 000 habitants, son plus bas niveau en onze ans. Un chiffre à néanmoins relativiser, si on le compare à celui de la France, autour de 1,2 pour 100 000 habitants.

La géographie de la baisse

Pour comprendre cette transformation, il faut regarder au-delà de la moyenne nationale. Le site du Forum brésilien de la sécurité publique publie des cartes interactives révélant la disparité régionale. D’un côté, l’État de São Paulo affiche un taux d’homicides de 6,4 pour 100 000, comparable à celui de certains pays européens. De l’autre, Bahia, Amapá ou Amazonas atteignent encore plus de 40 voire 50 pour 100 000 habitants, des niveaux qui demeurent critiques.

Carte avec les villes brésiliennes. Plus la couleur est foncée, plus le taux d’homicides dans la ville est élevé. Crédit photo : FBSP. (Source interlira report)

Un visuel mis à jour par l’Igarapé Institute en avril 2025 montre une concentration des violences dans les États du Nord et du Nordeste, précisément là où les politiques publiques sont les plus fragmentées. À l’inverse, les États du Sud, notamment Santa Catarina, Paraná ou Rio Grande do Sul, suivent des trajectoires plus stables, largement grâce à des systèmes éducatifs et policiers mieux financés.

Moins de jeunes, moins de crimes ?

Plusieurs dynamiques expliquent cette décrue. D’abord, la transition démographique. Une donnée qui n’est pas exactement positive. Le Brésil est une nation vieillissante. Alors que dans les années 1960, on enregistrait un taux de plus de 6 enfants par femme, celui-ci s’est littéralement effondré, pour atteindre 1,62 aujourd’hui, signifiant la perspective d’une baisse de la population. Or, logiquement, ce sont les jeunes hommes qui sont statistiquement les plus impliqués dans les violences urbaines. Ce qui justifie une part de la décroissance des faits constatés. Cette évolution, déjà observée dans des pays comme le Mexique, a un impact direct et mécanique sur les taux d’homicides.

Mais ce recul de la criminalité s’explique aussi par un phénomène plus étonnant : la trêve entre factions criminelles. Depuis 2019, les deux grandes organisations du pays, le PCC (Primeiro Comando da Capital), implanté à São Paulo, et le Comando Vermelho, actif à Rio, auraient mis en place un pacte tacite de non-agression. Moins de guerres territoriales, donc moins de morts. Une paix froide, mafieuse, mais efficace pour faire baisser les chiffres et participer à restaurer une certaine paix.

Enfin et surtout, les politiques de sécurité évoluent. Dans l’État de São Paulo, la généralisation des caméras-piétons sur les policiers, les bases de données croisées et les interventions plus ciblées semblent avoir légèrement limité les bavures, tout en augmentant la capacité des forces de l’ordre à réagir avec efficacité.

À Fortaleza, la capitale du Ceará, au nord-est du pays, une étude de l’université fédérale locale montre que les « blitz » policiers (opérations rapides, massives, concentrées dans un temps et un espace réduits) ont fait baisser les violences de 35 % sans effet rebond dans les quartiers voisins. Quant à Rio, où des UPP (Unités de Police de Pacification) ont été introduites en 2008, la violence a sensiblement diminué dans certaines favelas. C’est ce que confirme une analyse de l’Université de Stanford portant sur les données géolocalisées des homicides et des morts imputées à la police entre 2005 et 2014. Grâce à elles, le nombre de confrontations mortelles entre forces de l’ordre et trafiquants a baissé, ainsi que le nombre de morts civils consécutifs à ces violences. Plus précisément, le rapport note qu’entre 2008 et 2012, les UPP ont permis une réduction notable des homicides dans les zones ciblées, souvent beaucoup plus accentuées que dans le reste de Rio. Elles ont également participé à diffuser une plus grande perception de sécurité parmi les habitants et à intégrer progressivement une part des favelas dans le tissu urbain. Hélas, les soubresauts de la politique brésilienne ont participé à les voir s’étioler au fur et à mesure.

UPP : la promesse d’une paix par le haut

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Mais encore trop de violences policières

Certes les homicides reculent, y compris, comme nous l’avons vu, ceux imputables à la police, particulièrement là où les UPP ont été déployées. Mais leur nombre reste encore effrayant. Ainsi, en 2023, plus de 6 000 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre, selon Amnesty International. Sans surprise, la majorité des victimes sont jeunes, noires et pauvres. Le massacre de Jacarezinho et ses 28 morts dont plusieurs civils sans arme, en mai 2021, reste dans toutes les mémoires.

À ce titre, dans un rapport publié en février 2025, Human Rights Watch dénonce une « stratégie d’exécution extrajudiciaire de facto » encore de mise dans certaines favelas de Rio et de Salvador, rarement suivie d’enquêtes et encore moins de poursuites. Le tout sans compter les actions morbides de nombreuses milices. Moins visibles que les gangs, mais tout aussi violentes, elles contrôlent désormais jusqu’à 60 % des quartiers périphériques de Rio, imposant leur loi, leurs taxes, leurs couvre-feux, se substituant dangereusement à l’État.

L’Amazonie : nouvel épicentre de la violence

Si la situation s’améliore progressivement dans certaines villes, hélas, la violence à tendance à se déplacer vers de nouvelles zones, à commencer par celles suivant les rives de l’Amazonie. Un rapport de l’Associated Press, publié en mai 2025, révèle que plus d’un tiers des municipalités de la région (260 sur 772) sont aujourd’hui sous influence de factions criminelles, principalement liées au PCC, au CV, ou à des groupes transfrontaliers opérant aussi au Pérou et en Colombie.

Dans ces zones isolées, la lutte pour le contrôle de l’orpaillage illégal, des pistes clandestines liées au trafic de drogue et des routes fluviales provoquent une montée spectaculaire de la violence, souvent ignorée par les médias du Sud. À Porto Velho, entre le 9 et le 13 janvier 2025, 13 personnes ont été tuées dans des affrontements entre police et groupes armés, rappelle le journal Globo. Le gouverneur de Rondônia a reconnu que son État « n’avait plus les moyens humains de contrôler l’intérieur amazonien ».

L’orpaillage : une criminalité ignorée

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En attendant un vrai contrat social

Au final, la décrue des homicides est indiscutable, mais relative, les raisons y présidant n’étant pas toujours liée à des phénomènes encourageants. Si elle mérite d’être saluée, elle ne saurait masquer les nouvelles formes de violence et leurs déplacements territoriaux, ni l’absence persistante de l’État et de ses prodigalités sociales, souvent remplacées par celles des gangs, dans de vastes territoires. À l’heure actuelle, elle dépend davantage du bon vouloir des cartels et de la performance policière que d’un contrat social restauré. C’est pourtant cette seule condition qui permettra à cette dynamique de prendre un virage structurel…

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A69 : l’autoroute à contresens

Depuis plus de deux ans, le feuilleton du chantier de l’autoroute A69 cristallise les tensions. Ce week-end encore, une “turboteuf” s’est tenue au château de Scopont, lieu de convergence des luttes entre écologistes radicaux, drapeaux palestiniens et châtelain en détresse. L’occasion de faire le point sur les arguments des uns et des autres autour de cette autoroute mal aimée.

Un serpent de mer…

L’autoroute A69, c’est ce tronçon à 2 × 2 voies de 53 km en construction destiné à relier l’A68 (près de Toulouse) à la rocade de Castres. L’idée d’une liaison rapide remonte à la fin des années 1990. Le bassin Castres–Mazamet, qui compte environ 100 000 habitants et 50 000 emplois, est le seul de cette taille à ne bénéficier ni d’une autoroute, ni d’une ligne TGV. La RN126, route nationale étroite et sinueuse, y est régulièrement saturée et accidentogène.

Plusieurs options sont envisagées avant que l’option autoroutière ne soit retenue en 2014. Financé à 77 % par le concessionnaire privé ATOSCA, le projet obtient un avis favorable lors de l’enquête publique (plus de 15 000 pages), puis une Déclaration d’Utilité Publique en 2018. Les travaux, démarrés en 2023, sont suspendus en février 2025 à la suite d’un recours administratif, puis relancés au printemps, au grand dam des opposants.

… devenu symbole à abattre

Car, très vite, l’A69 est devenue la cible privilégiée des écologistes et de leurs relais politiques. En 2023, à peine les travaux lancés, plusieurs associations ont déposé un recours contre les autorisations environnementales, dans l’espoir d’obtenir la suspension du chantier, voire son abandon pur et simple.

Se sont alors enchaînées occupations du chantier, manifestations “festives”, tribunes collectives et actions judiciaires. Avec, en tête de gondole de la contestation, des figures militantes de Paris et Toulouse dénonçant un projet “anachronique”, “écocide” ou “climaticide”.

Usant de leur statut comme argument d’autorité, un aréopage de scientifiques “en rébellion” présente notre autoroute comme  “le symbole de ce qu’il ne faut plus faire” : — une dénonciation plus incantatoire que factuelle, appelant à “changer nos imaginaires fondés sur la vitesse, l’accélération, l’accumulation”, sans jamais chiffrer les enjeux concrets. Même logique chez Cyril Dion : « Si on n’arrête pas un projet comme l’A69, on va arrêter quoi pour faire face au péril climatique ? ». L’enjeu n’est donc plus l’impact réel du projet, mais la portée symbolique de son abandon. Le résultat importe moins que l’ivresse de l’action.

A69 : la fabrique de l’opinion

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Écolos des villes et locaux des champs

De quoi alimenter un vrai feuilleton. La preuve : en février 2025, un coup de théâtre remet tout en cause. Le tribunal administratif de Toulouse annule l’autorisation environnementale. Sensible aux arguments des requérants, il estime qu’il n’existe « pas de nécessité impérieuse » à réaliser le projet, et que les bénéfices invoqués — gain de temps, désenclavement, sécurité — ne justifient pas qu’on déroge aux objectifs de conservation de la biodiversité.

Les écologistes des centres-villes crient victoire, exigeant l’arrêt définitif du projet, et font la fête à Toulouse. Depuis Paris, Laurence Tubiana, figure centrale de la diplomatie climatique française, enfonce le clou : “le bassin de Castres n’est pas enclavé”, “l’autoroute n’a pas d’intérêt pour les entreprises”, et “l’intérêt réel du Tarn, c’est de faire face aux sécheresses et aux inondations qu’il subit”.

De quoi nourrir un ressentiment local bien réel : celui alimenté par des gens extérieurs à un territoire, qu’ils ne connaissent pas, expliquant à ses habitants ce qui est bon pour eux. Mépris de classe et paternalisme s’invitent dans la danse.

Et quelle alternative leur propose-t-on ? Un projet baptisé « Une autre voie », qui pousse le décalage jusqu’à la caricature : 87 km de véloroute, une “centrale des fertilités”, un “hameau des low-techs”, et à Castres… ”La cité du vélo”. Le tout financé par 100 millions d’euros d’argent public, sans étude d’impact sérieuse ni faisabilité démontrée.

Docufiction : cinq ans après l’abandon de l’A69, une vélodéroute 

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L’A69 en questions

Mais au-delà du bruit d’une minorité militante — 8 Français sur 10 soutiennent les grands projets d’aménagement — des questions légitimes continuent de se poser.

Un projet écocide ?

C’est un fait : comme toute infrastructure, l’A69 a un impact écologique. Elle entraîne l’artificialisation de  300 hectares — 1/9000e de la surface agricole utile française. Le projet prévoit cependant 1 000 hectares de compensations, dont 35 sites écologiques, 200 ouvrages de franchissement pour la faune, et des zones humides reconstituées. Des mesures spécifiques  — replantation de haies, déplacements, corridors écologiques — ont été prises pour la préservation des espèces protégées avec un objectif de zéro perte nette. A elles seules, ces mesures environnementales représentent 23 % du coût global.

Un projet anachronique ?

Une des questions qui se posent, concerne la justification d’un projet conçu à la fin du XXe siècle et pensé avant que l’heure de l’urgence écologique sonne de manière aussi assourdissante qu’aujourd’hui. Les opposants dénoncent une infrastructure héritée du temps du “tout-voiture”. Mais ses défenseurs répondent qu’une autoroute bien pensée peut accompagner la transition grâce aux véhicules électriques ou autonomes, au covoiturage, ou à la logistique bas-carbone…

Ils soutiennent que de bonnes routes rendent la mobilité plus fluide, plus sûre, mieux connectée — et donc potentiellement plus sobre. Avec, en toile de fond, un constat souvent oublié : le réseau autoroutier principal français reste, à densité égale de population, l’un des moins développés d’Europe.

Aménager la nationale ?

Comme pour la ligne grande vitesse (LGV) ou le Lyon–Turin, l’alternative mise en avant consiste à moderniser l’existant. Mais les études commandées par les opposants montrent que l’aménagement de la RN126 nécessiterait l’abattage de 1 600 arbres (contre 200 pour l’A69), l’expropriation de 90 habitations (contre 36), pour un niveau d’artificialisation équivalent. Et un financement 100 % public, contre seulement 23 % pour l’autoroute. Une aberration. Car adapter une infrastructure ancienne aux normes actuelles (gabarit, sécurité, bruit, continuité écologique) s’avère souvent plus complexe, plus coûteux et plus destructeur de l’environnement qu’un tracé neuf bien conçu.

Un coût élevé pour un gain minime ?

L’argument revient souvent. Un tel projet supposera un péage élevé pour un gain de temps jugé marginal. Mais cette lecture passe à côté de l’essentiel. L’objectif n’est pas de faire de Castres ou Mazamet des cités-dortoirs de Toulouse, mais de créer les conditions d’un développement économique autonome. En attirant des entreprises. En créant de l’emploi localement. Comme à Albi, où l’arrivée de l’A68 a enclenché une dynamique territoriale.

Désenclaver ou renoncer

Le bassin Castres–Mazamet n’a pas d’autoroute. Pas de TGV. L’aéroport de Castres, mis en avant par le TA de Toulouse, n’est qu’un gros aérodrome régional. Mazamet s’étiole. Castres survit sous perfusion des laboratoires Pierre Fabre.

L’A69 ne réglera pas tout. Mais sans elle, Castres et Mazamet restent structurellement enclavées. Il ne s’agit pas seulement de minutes gagnées, mais d’accessibilité, de connectivité, d’emploi et d’image. Elle n’est sans doute pas une condition suffisante au développement, mais elle en est aujourd’hui une condition nécessaire.

Y renoncer, c’est accepter l’immobilisme. C’est faire primer le symbole sur le réel. C’est laisser une partie du territoire décroître au nom d’une écologie de posture. La question est donc simple : veut-on désenclaver ce territoire… ou le laisser sur le bas-côté ?

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Le temps des robots !

Parler de robotique en 2025, ce n’est plus envisager un possible avenir digne d’un film de science-fiction, mais faire le constat que ce monde est déjà le nôtre. La preuve avec l’IA embarquée de Google et l’automatisation logistique d’Amazon. Une robotique couplée à l’intelligence artificielle (IA) qui ouvre des perspectives fascinantes… et pose des questions.

Alors que la révolution de l’intelligence artificielle n’est toujours pas appréhendée à sa juste valeur, ou plutôt, à son juste pouvoir, par les gouvernements et nombre de citoyens, un autre changement radical est en train de tisser sa toile dans son sillage grâce aux progrès fulgurants de la robotique. Une technologie qui franchit des pas de géants ces derniers mois, boostée par les investissements faramineux des mastodontes de la tech. Pour le meilleur ou pour le pire, à nous de voir ? Une chose est sûre : le monde que nous connaissons est en train d’être balayé en un clin d’œil.

Google et Gemini Robotics : l’IA qui donne des ailes aux robots

Google DeepMind a frappé un grand coup en 2025 avec le lancement de Gemini Robotics, suivi de Gemini Robotics-ER et Gemini Robotics On-Device. Ces modèles d’IA, basés sur Gemini 2.0, ne se contentent pas de faire parler les robots : ils leur donnent une véritable compréhension du monde. Imaginez un bras robotique qui, sur une simple consigne en langage naturel, range un crayon, plie un papier ou saisit délicatement l’anse d’une tasse de café. Avec Gemini Robotics-ER, le raisonnement spatial atteint un niveau bluffant : le robot peut analyser son environnement en 3D, planifier ses mouvements et même refuser une action si elle lui semble risquée. C’est un pas décisif vers des robots capables de s’adapter à l’imprévu, un peu comme des humains apprenant sur le tas.

Mais le vrai tour de force, c’est Gemini Robotics On-Device, dévoilé le mois dernier, qui vient de l’accomplir. Ce modèle fonctionne sans connexion Internet, directement embarqué sur le robot. Résultat ? Des machines qui réagissent en temps réel, avec une latence réduite et une confidentialité renforcée. Que ce soit sur un bras Aloha, un bi-bras Franka FR3 ou l’humanoïde Apollo d’Apptronik, pour citer les ténors du marché, ce système peut apprendre une nouvelle tâche – dézipper un sac, plier des vêtements – après seulement 50 à 100 démonstrations.

Google va plus loin en proposant un SDK (Software Development Kit – ensemble d’outils, de bibliothèques et d’informations conçus pour faciliter l’environnement permettant d’interagir avec un robot) pour que les développeurs personnalisent ces robots. Pour l’instant, l’accès est réservé à une poignée de testeurs, mais l’idée d’une robotique accessible et flexible fait rêver. Et avec le cadre Asimov, inspiré des lois de la robotique d’Isaac Asimov (voir encarts abonnés), Google pose des garde-fous sémantiques et physiques pour limiter les risques. C’est un signal fort : la sécurité n’est pas une option.

Les trois lois de la robotique : Asimov avait tout anticipé

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Amazon : des entrepôts aux trottoirs, la robotique en action

Pendant ce temps, Amazon accélère la cadence. Avec un investissement de 700 millions d’euros en Europe, le géant du e-commerce fait de la robotique une priorité pour révolutionner la logistique. À Vercelli, en Italie, son laboratoire d’innovation teste des bras robotiques et des systèmes autonomes qui optimisent la gestion des entrepôts. Mais Amazon voit plus grand : des robots humanoïdes pour la livraison. En s’associant à des entreprises comme Unitree ou Figure AI, et en soutenant Digit d’Agility Robotics, Amazon imagine des robots qui sortent des camionnettes Rivian électriques pour déposer vos colis à votre porte. C’est une vision futuriste, mais pragmatique, qui pourrait transformer l’expérience client tout en réduisant les coûts. En attendant, dans ses entrepôts, Amazon dispose déjà de presque autant de robots que d’employés humains, avec plus d’un million de machines déployées.

Un écosystème en ébullition

Au-delà des mastodontes, la robotique explose partout. NVIDIA planche sur GR00T, une IA universelle pour robots humanoïdes, tandis que des start-ups comme Skild AI ou Pollen Robotics misent sur des modèles open source pour démocratiser l’accès à la technologie. En Corée du Sud, RLWRLD développe des modèles de fondation pour robots, et des humanoïdes comme Optimus de Tesla ou Phoenix de Sanctuary AI commencent à s’intégrer dans l’industrie, la santé et même les services. Le marché des robots humanoïdes pèse 3,9 milliards de dollars en 2025, avec une croissance annuelle de 52,1 %. On a même vu un robot courir un semi-marathon à Pékin ! C’est dire si la robotique s’invite partout, avec une agilité qui impressionne.

Les promesses d’un monde robotisé

Ces avancées sont une mine d’opportunités. D’abord, l’efficacité : les robots d’Amazon fluidifient la logistique, réduisant les délais et les erreurs. Les modèles comme Gemini Robotics On-Device, capables de s’adapter rapidement, ouvrent la voie à une automatisation accessible même aux petites entreprises. Ensuite, l’impact sociétal : les robots humanoïdes pourraient assister les personnes âgées ou handicapées, améliorant leur autonomie. Dans la recherche, les SDK et modèles open source accélèrent l’innovation, que ce soit pour l’exploration spatiale ou la médecine. Enfin, l’autonomie des robots embarqués garantit leur fonctionnement dans des zones reculées ou sinistrées, avec une confidentialité renforcée grâce à l’absence de dépendance au cloud.

Mais attention aux zones d’ombre

Attention tout de même. L’automatisation galopante, portée par Amazon ou d’autres, menace des emplois, surtout dans la logistique et l’industrie. Certes, l’émulation économique induite par la robotique et son développement promet l’émergence d’un vivier de nouveaux métiers, mais la transition risque d’être brutale pour les travailleurs peu qualifiés. Si les systèmes éducatifs, sociaux et juridiques ne consacrent pas une part majeure dans le temps à préparer ce changement de paradigme, les inégalités, mais surtout les fractures sociales et intellectuelles, risquent de se creuser plus que jamais, en plus de voir l’homme être amené à s’interroger sur sa propre utilité.

Sur les plans éthique et juridique, les robots autonomes soulèvent aussi des questions épineuses : qui est responsable en cas d’accident ? Les modèles d’IA, comme Gemini, pourraient reproduire des biais ou mal interpréter une situation, avec des conséquences imprévisibles. L’usage militaire, illustré par des entreprises comme ARX Robotics, fait craindre une escalade dans les conflits. Enfin, l’accès limité à ces technologies – Google restreint son SDK, Amazon domine le marché – pourrait creuser les inégalités entre grandes entreprises et petites structures, ou entre pays riches et en développement.

Un futur à construire avec prudence

En 2025, la robotique dopée à l’IA en est déjà à un tournant. Google, Amazon et les autres nous propulsent dans un monde où les machines comprennent, agissent et s’adaptent comme jamais. C’est exaltant, mais ça demande de la vigilance. Les cadres réglementaires, encore balbutiants, doivent suivre pour gérer les risques éthiques, sociaux et sécuritaires. À nous de faire en sorte que cette révolution profite à tous. Si ce n’est pas le cas, la responsabilité n’en incombera pas aux robots, mais à la paradoxale incapacité humaine à anticiper les conséquences du monde qu’il construit…

Sources : (Google DeepMind announcements, Amazon robotics investments, NVIDIA GR00T, market reports on humanoid robots).

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Ports, contrôle aérien… comment l’automatisation peut enfin libérer la France de ses blocages chroniques

Et si la France arrêtait de détenir le record d’Europe des grèves du contrôle aérien ? Et si nos ports cessaient de voir 40% des conteneurs destinés à nos entreprises leur passer sous le nez pour accoster à Anvers ou Rotterdam ? L’interminable feuilleton des blocages qui paralysent notre économie n’est pas une fatalité. La solution : l’automatisation.

Elle a déjà fait ses preuves. Une automatisation massive et intelligente. Loin d’être un projet de destruction d’emplois, c’est une formidable machine à créer de la richesse pour tous, en transformant des métiers pénibles en postes qualifiés, et en libérant des gains de productivité qui irrigueront toute l’économie.

Le coût astronomique des paralysies chroniques

La France détient un record peu enviable : 114 à 128 jours de grève pour 1000 salariés par an, soit 4 à 6 fois plus que l’Allemagne. Cette instabilité chronique transforme nos infrastructures stratégiques en points de vulnérabilité dont les blocages pèsent lourdement sur toute l’économie.

Prenez les ports français. D’après l’Union des Entreprises Transport et Logistique de France, les grèves de début 2025 ont provoqué une augmentation de 23% des coûts de transport et une perte de chiffre d’affaires de 21% pour les entreprises touchées. Plus dramatique encore : 40% des conteneurs destinés au marché français transitent déjà par des ports étrangers concurrents comme Anvers, Rotterdam ou Hambourg. Cette hémorragie traduit une perte de confiance durable. Les géants du transport maritime, qui exigent une fiabilité absolue, redessinent leurs routes pour contourner la France. Nos ports perdent progressivement leur statut de portes d’entrée majeures pour devenir de simples escales secondaires.

Dans le ciel, c’est pire encore. La France détient le record peu enviable de « championne d’Europe » des grèves du contrôle aérien, dont le coût pour le secteur aérien européen est estimé à 800 millions d’euros sur la période 2018-2022, dont 624 millions directement imputables à la France, sans compter l’effet domino sur le tourisme et l’économie européenne. Début juillet, moins de 300 contrôleurs en grève ont réussi à paralyser pas moins de 500 000 passagers en 2 jours. Le fait que la France soit le pays le plus survolé d’Europe transforme chaque grève en France en crise internationale.

Ces vulnérabilités ne sont pas une fatalité. Elles sont le symptôme d’infrastructures névralgiques qui refusent de se moderniser.

L’automatisation des ports

Tandis que les ports français s’enlisent, Rotterdam a choisi une autre voie. Premier port d’Europe avec 13,8 millions d’EVP traités en 2024, il a révolutionné ses opérations dès 1993 en ouvrant le premier terminal à conteneurs automatisé au monde. Aujourd’hui, ses terminaux les plus modernes fonctionnent avec seulement 10 à 15 personnes par jour là où un port traditionnel en nécessite des centaines.

Le spectacle est saisissant : d’immenses grues sans pilote soulèvent les conteneurs avec une précision millimétrique, des véhicules autoguidés électriques circulent en silence sur les quais, et tout est orchestré depuis des salles de contrôle confortables et climatisées. Résultat ? Une productivité décuplée par rapport aux ports traditionnels, et un fonctionnement 24h/24 et 7j/7.

Le port de Rotterdam a annoncé son ambition de pouvoir accueillir des navires autonomes à l’horizon 2030. Cette stratégie s’inscrit dans un vaste programme de transformation numérique et d’innovation, avec la création d’un « jumeau numérique » du port, l’installation de milliers de capteurs et le développement d’infrastructures intelligentes pour permettre la navigation autonome et la gestion automatisée du trafic maritime.

Singapour ne demeure pas en reste avec son projet de méga-port à Tuas. La cité-État construit le plus grand terminal à conteneurs entièrement automatisé du monde, d’une capacité colossale de 65 millions d’EVP d’ici les années 2040. Cette performance repose sur une automatisation de pointe, avec une flotte de plus de 200 véhicules autonomes électriques. Le tout est orchestré par une intelligence artificielle qui optimise les flux et la consommation d’énergie, et supervisé via un jumeau numérique – un double virtuel du port qui sera testé à grande échelle dès la seconde moitié de 2025 pour simuler et perfectionner les opérations en temps réel.

Le ciel et le train se réinventent

L’automatisation du contrôle aérien progresse également dans le reste du monde, quoique avec prudence. L’aéroport de London City est devenu en 2021 le premier aéroport international majeur contrôlé entièrement à distance. La Suède pilote 11 aéroports depuis un centre unique, avec 90% d’économies par rapport aux tours traditionnelles.

Sous l’impulsion de programmes majeurs comme SESAR en Europe et NextGen aux États-Unis, le contrôle aérien adopte l’intelligence artificielle qui agit comme un « copilote virtuel » pour les contrôleurs qui peuvent gérer davantage de trafic avec plus de sérénité. Ces systèmes analysent en temps réel des millions de données pour anticiper les conflits de trajectoire, proposer les routes les plus efficaces et automatiser les tâches de routine. À terme, on espère qu’un nombre réduit de contrôleurs, assistés par des IA de plus en plus fiables, suffise à gérer un volume de vols croissant.

Dans le ferroviaire, l’automatisation française existe sous terre. Les lignes 1 et 14 du métro parisien, entièrement automatiques, ont brillamment résisté aux grèves de décembre 2019. Pendant que les autres lignes étaient paralysées, elles assuraient un service normal. 

Fort de ce succès, le Grand Paris Express sera 100% automatique. Et la SNCF teste ses premiers prototypes de trains autonomes, avec l’objectif de faire circuler des convois sans conducteur d’ici quelques années. Le fret ferroviaire européen se modernise également avec l’attelage automatique digital (DAC), qui promet de réduire la formation d’un train de 4 heures à 30 minutes, transformant le fret ferroviaire européen en un réseau intelligent, plus efficace et compétitif.

L’emploi transformé, pas détruit

La principale crainte face à l’automatisation concerne la destruction d’emplois. Pourtant, dans les ports automatisés, les dockers ne disparaissent pas : ils deviennent techniciens en salle de contrôle. Fini le port de charges lourdes sous les intempéries, place à la supervision d’écrans dans des bureaux chauffés et climatisés.

L’automatisation crée aussi de nouveaux métiers : analystes de données logistiques, experts en maintenance prédictive, spécialistes en cybersécurité industrielle. Ces emplois, bien que moins nombreux que ceux qu’ils remplacent, sont mieux rémunérés, moins pénibles et plus qualifiés.

Comment gérer la transition vers des infrastructures automatisées ?

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Au-delà des seuls impacts sur les secteurs progressivement automatisés, il convient de mesurer l’effet d’entraînement. L’amélioration de la productivité des ports, pour ne prendre que cet exemple, génère des effets bénéfiques considérables qui irriguent l’ensemble de l’économie, menant à la création d’innombrables nouveaux emplois. Les études quantifient cet impact spectaculaire : chaque augmentation de 10% du débit d’un port peut générer jusqu’à 0,2% de croissance du PIB régional, et la création de 400 à 600 emplois par million de tonnes de marchandises traitées. En Chine, il a été démontré qu’une hausse de 1% du trafic portuaire pouvait augmenter la croissance du PIB par habitant de 7,6%. Outre qu’elle permet d’éviter les blocages, l’automatisation d’infrastructures critiques enrichit l’ensemble de la société.

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Le capitalisme va-t-il éradiquer le travail des enfants ?

Cela ne va pas assez vite, mais le monde avance vers la fin du travail des enfants. Le capitalisme et la mondialisation, souvent coupables dans l’imaginaire collectif, œuvrent pourtant à sa disparition. Car derrière l’image glaçante des jeunes forçats des mines, se cache une réalité plus vaste et plus ancienne : celle de millions d’enfants courbés dans les champs.

Il y a plusieurs façons de regarder notre monde, au point que des vérités antagonistes coexistent. L’une nous rappelle que le monde peut être terrible. La preuve ? Aujourd’hui encore, 138 millions d’enfants sont astreints au travail. L’autre témoigne de l’amélioration de ce même monde : ils sont 100 millions de moins qu’au début de siècle. Mais ce progrès n’est ni suffisant, ni conforme aux promesses lancées : il y a dix ans, la communauté internationale s’était promis d’éradiquer l’exploitation des enfants en 2025.

Côté pile, le travail des enfants recule à nouveau, après avoir augmenté pour la première fois depuis deux décennies entre 2016 et 2020, selon les chiffres de l’OIT (Organisation internationale du travail) et de l’UNICEF. Un revers historique, lié à l’instabilité politique de certaines régions, notamment en Afrique sub-saharienne. La fermeture des écoles pendant la pandémie a aggravé la situation. Des millions d’enfants ont été renvoyés dans des familles brutalement plongées dans la précarité. Mais cet état de fait n’a pas perduré et le monde a fait preuve d’une résilience qui a surpris tous les observateurs. Côté face, pour que le travail des enfants appartienne définitivement au passé à la fin de la décennie, il faudrait que les progrès aillent onze fois plus vite. 

Réjouie ou affligée, notre vision du monde vaut moins que la compréhension de son fonctionnement et des mécanismes qui permettent de l’améliorer. Et sur ce sujet, il y a comme un malentendu, qui prend sa source dans l’Europe industrielle du XIXe siècle et se jette dans les mines de Cobalt de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui.

Petites mains pour grandes machines

Il y a deux cents ans, lorsqu’au Royaume-Uni les premières usines sortent de terre, les enfants sont partout. Disponibles, bon marché et dociles, ils sont une aubaine pour l’industrie naissante. Leurs salaires, aussi maigres soient-ils, constituent une ressource que la misère familiale ne peut se permettre de refuser. On les emploie dans les filatures et les mines, parfois dès 5 ou 6 ans. Leur petite taille est utile pour ramper sous les métiers à tisser ou dans les boyaux des galeries. Ce n’est pas pour eux un passage de l’oisiveté au travail : ils aidaient déjà leurs parents dans les fermes ou dans les ateliers familiaux.

Il faudra attendre 1833 pour voir les premières restrictions apparaître. Le parti libéral Whig fait adopter le Factory Act, qui interdit le travail des enfants de moins de neuf ans dans les manufactures textiles. Pour les plus âgés, la journée est limitée à huit heures, et deux heures de scolarité deviennent obligatoires.

Anthony Ashley-Cooper, premier abolitionniste

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En 1870, l’Education Act marque un tournant : l’école primaire devient gratuite et obligatoire jusqu’à dix ans (puis jusqu’à quatorze ans en 1918). Peu à peu, les enfants sont écartés du monde du travail. Le phénomène ne disparaîtra pourtant véritablement que dans les années 1930 à 1950. La transformation économique et l’enrichissement qui l’accompagne rendent leur travail tout simplement inutile. La France suivra un chemin similaire, avec quelques années de retard.

Mieux grandir grâce à la croissance

Mais cette prospérité ne s’est-elle pas construite, à son tour, sur l’exploitation des enfants du tiers-monde ? Comme en Europe un siècle plus tôt, ils ont commencé à être employés dans les mines africaines ou les manufactures du Bengale. Pourtant, là aussi, la croissance a fini par changer les choses — et plus vite qu’au XIXe siècle. En 2008, une personne sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté ; elles ne sont plus qu’une sur 26 aujourd’hui. Le travail des enfants a suivi la même voie : un sur 32 est encore exploité, contre près d’un sur 8 à l’époque. 

En Asie, 27 millions d’enfants sont encore obligés de travailler. Au Bangladesh ou au Pakistan, par exemple, dans l’industrie textile et dans la myriade de petits métiers informels qui gravitent autour d’elle. En Inde, dans la récupération de matériaux issus des déchets électroniques. Mais c’est en Afrique subsaharienne où la situation reste la plus préoccupante. Le continent a réduit sa pauvreté ces vingt dernières années, mais sa population a crû plus vite encore. Résultat, de nombreux enfants doivent travailler très tôt : les deux tiers ont moins de 12 ans. Mais, à rebours des images d’Épinal, ces enfants ne sont pas majoritairement employés par l’industrie occidentale ni sur des chantiers asiatiques. En réalité, 70 % d’entre eux travaillent dans l’agriculture, 22 % dans les services. Deux fois sur trois, ils œuvrent directement pour leur famille : dans les champs, à la fabrication d’objets du quotidien, ou pour la construction de leur propre maison. Ces tâches ne sont pas forcément moins éprouvantes ni moins dangereuses. Certains manipulent des objets dangereux ou des produits toxiques, ploient sous des charges lourdes, ou s’épuisent à des corvées harassantes.

Au pays du désespoir, l’enfer est la seule chance 

Deux facteurs majeurs expliquent la persistance du travail des enfants : le faible développement économique et la vacance des États. Plus d’un enfant sur cinq est employé dans des zones de conflit. Traite, enrôlement forcé, exploitation sexuelle… Les pires formes d’exploitation y sont légion, et souvent absentes des statistiques. 

Le Vénézuela, ce pays en paix où les écoles ferment

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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le travail des enfants dans les mines se concentre en République démocratique du Congo. Économie dévastée sous Mobutu, puis théâtre de la guerre la plus meurtrière depuis 1945, la RDC est aujourd’hui l’un des États les plus fragiles du monde. C’est notamment là que des enfants extraient le cobalt, indispensable à nos batteries. Si les grandes entreprises comme Glencore, Umicore ou BHP assurent 80 % de la production, le reste provient d’exploitations artisanales, souvent informelles. Près de 200 000 “creuseurs” y risquent leur vie, sans équipement, avec des outils rudimentaires. Beaucoup souffrent de maladies pulmonaires ou de graves problèmes de peau. Pour soigner leur image, certains grands groupes renoncent à se fournir auprès de ces filières. Mais pour de nombreuses ONG, cela ne ferait qu’aggraver la situation locale. Le travail des enfants est certes interdit en RDC — mais une loi sans moyens d’application reste lettre morte. Et dans ces régions, l’exploitation minière est souvent la seule option de survie.

Là-bas comme ailleurs, ce ne sont ni le capitalisme ni la mondialisation qui ont mis les enfants au travail. La misère l’a fait bien avant eux. Mais en apportant croissance et développement, ils peuvent, dans les États qui respectent les droits fondamentaux, les sortir des usines et des champs. Pour enfin avoir la chance d’aller à l’école et apprendre un métier plus décent. À notre échelle, il est urgent de revoir notre regard sur le monde. Et notamment de ne plus voir les sociétés traditionnelles comme des havres de paix où des enfants s’accomplissent en toute liberté. Car bien souvent, ce sont au contraire les premiers lieux d’exploitation et de coercition silencieuse.

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MAGA : L’Amérique fantasmée de Trump a (presque) vraiment existé.

« Make America Great Again ». Comme souvent en politique, les fausses promesses s’appuient sur un soupçon de réalité. Si l’Amérique rêvée des trumpistes existe surtout au cinéma, elle s’appuie sur des faits historiques qui ont donné aux États-Unis leur forme et leur mentalité actuelles. 

Rendre sa grandeur à l’Amérique. MAGA, le slogan de Trump depuis 2016 (pour la petite histoire, il a déposé ce slogan dès 2012, soit quatre ans avant sa candidature) est devenu un outil de marketing de masse. Comme le “take back control” de Boris Johnson en Angleterre, soufflé par son conseiller Dominic Cummings. Aussi creux qu’il puisse paraître, ce n’est pourtant pas seulement une pub pour des casquettes. En 2016 beaucoup d’Américains y ont cru, et beaucoup y croient encore.

L’Amérique n’a, naturellement, jamais été grande (pas plus que la France, la Grande-Bretagne ou la Papouasie). Elle a sans nul doute eu des moments de grandeur, toujours saupoudrés de bémols suffisamment honteux pour qu’on mette un peu d’eau dans son coca. La déclaration d’Indépendance américaine est certes un texte plein de bonnes intentions, mais elle n’en excluait pas moins des hommes « créés égaux » jouissant du droit à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » : les Noirs réduits en esclavage et les Indiens  en cours d’extermination.

L’Amérique de Trump renvoie toutefois à un jalon de sa si courte et pourtant si foisonnante histoire qui s’inscrit dans le fameux American Dream. Sa « grandeur » supposée évoque un retour vers un siècle et, surtout, une mentalité inscrits dans l’imaginaire américain comme ceux de l’aventure, de l’indépendance et de la liberté. C’est l’Amérique du XIXe siècle, de la conquête de l’Ouest, de l’industrialisation, d’une société traditionnelle très blanche et très pieuse convaincue d’avoir été choisie par Dieu pour imposer ses valeurs à un monde plus ou moins barbare.

Cette période marque le début d’une immigration massive dans un pays neuf et plein de promesses. Des millions d’immigrants pâlichons majoritairement protestants (sans oublier les Mormons, beaucoup de catholiques, notamment irlandais fuyant la famine, et quelques autres minorités), principalement venus d’Europe du Nord-Ouest, arrivent en quête d’une nouvelle vie. 

Certains vont peupler les grandes villes portuaires, d’autres emprunter le tout nouveau chemin de fer et partir coloniser l’intérieur des terres, repoussant sans cesse la fameuse Frontière en recréant, à partir de rien, des communautés villageoises autour de l’église, de l’école et du saloon.

La foi des pionniers est teintée d’un individualisme courageux valorisant le travail, la volonté et l’autosuffisance et sert de cadre moral dans des régions vierges marquées par la précarité et la violence. Pour ces communautés très religieuses, la spoliation de la terre des Indiens n’entre pas dans la catégorie des péchés dignes de susciter des scrupules : cette colonisation est en effet d’inspiration divine, théorie verbalisée dans le principe de « destinée manifeste » mêlant droit divin et expansion géographique et que l’on retrouve, aujourd’hui, dans les prétentions de Trump. À l’époque, il s’agissait de repousser les frontières de l’Amérique vers le sud et vers l’ouest sous prétexte de mission civilisatrice. On peut voir dans la volonté de Donald Trump d’étendre la férule étatsunienne au Canada, au Panama, dont il a menacé de prendre le canal, et au Groenland, qu’il souhaite contrôler, un prolongement de cette destinée d’inspiration divine revendiquée par les Wasps du XIXe siècle.

Car côté religiosité, Trump n’est pas en reste. Si lors de son premier mandat, ses tendances messianiques pointaient déjà leur nez, depuis la tentative d’assassinat à laquelle il a réchappé en juillet 2024 il ne fait plus aucun doute que Dieu est avec lui.

In God they trust

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Ce retour aux valeurs religieuses, proclamé par le mouvement MAGA est particulièrement incarné par le vice-président Vance dont le couple modèle (Usha Vance a interrompu sa carrière d’avocate pour se consacrer à celle de son époux) s’affiche en parangon des valeurs familiales (tout en restant moderne : il est catholique et elle hindoue).

Cette mentalité trouve un prolongement dans le « Projet 2025 », largement influencé par Russel Vought, stratège central du programme trumpien et directeur du bureau de la gestion et du budget. Ce projet lancé par le think tank très conservateur Heritage Foundation, promeut une recentralisation autour d’un exécutif fort, la réduction du rôle des agences fédérales et de leurs dépenses et un retour aux prérogatives des États qui s’inscrit dans l’esprit du républicanisme anti-fédéraliste du XIXe siècle. La création du DOGE, ce département chargé de l’efficacité gouvernementale, créé pour optimiser le fonctionnement du gouvernement fédéral, et le démantèlement partiel des ministères de l’Éducation et de la Santé illustrent cette volonté de réduire la portée de l’État fédéral dans la vie des citoyens au profit des États fédérés.

Le désir de réindustrialisation et la guerre commerciale à laquelle Trump se livre à grands coups de menaces tarifaires en montagnes russes peuvent eux aussi se voir en miroir avec celle du XIXe siècle. À partir de la guerre de Sécession (1860-1865), l’industrialisation rapide du nord du pays conduit à une importante augmentation des exportations de produits transformés. Dans la dernière décennie du siècle, à quelques hoquets près, l’excédent commercial devient structurel.

Trump aspire à revenir à une Amérique en col bleu, industrielle, agricole et exportatrice, image d’Épinal qui ne prend pas en compte des réalités modernes telles que la concurrence de la Chine avec laquelle les échanges commerciaux étaient très secondaires au XIXe siècle.

Les mots pour le dire

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Ces projections idéalisées du mouvement MAGA renvoient à une Amérique qui a vraiment existé – en faisant abstraction de toutes ses facettes économiquement et humainement désastreuses. C’est l’Amérique des westerns, du cow-boy au grand cœur et de l’immigrant (blanc) entouré de sa famille pieuse et laborieuse, isolée des affaires du monde. C’est celle de la communauté rassemblée autour de l’église, qui n’a besoin de rien et de personne et surtout pas d’un « big government » pour s’épanouir et s’enrichir. Comme tous les stéréotypes, elle s’appuie sur une réalité multifacette que le fil du temps a lissée et transformée en légende, en faisant passer à la trappe non seulement ceux qui ont été écrasés au passage, mais aussi les difficultés que ces premiers Américains ont réellement affrontées. Une nation fantasmée où les rôles étaient clairs et où, en partant de rien, on pouvait arriver au sommet à force de travail, de volonté et grâce à Dieu et au tout-puissant dollar. Bien sûr, les millions de morts — colons, esclaves et Indiens, et les innombrables miséreux restés au bord de la route n’ont pas leur place dans cette légende : le pays du  Make America Great Again, c’est, naturellement, celle des vainqueurs. Ou de ceux qui s’imaginent l’être…

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Vive le techno-féminisme !

Dans l’air du temps, monte une petite musique insistante : la science, la technique, la rationalité seraient des trucs d’hommes. Sous-entendu : les femmes auraient mieux à faire que de s’encombrer de froide logique. Quand Sandrine Rousseau affirme préférer « des femmes qui jettent des sorts » à « des hommes qui construisent des EPR », ce n’est même plus une provocation : c’est un symptôme. Celui d’un néo-féminisme qui recycle les vieux clichés en opposant les femmes à la raison.

Cette opposition entre femmes et rationalité n’est pas seulement fausse : elle est dangereuse. Elle réactive une vieille rengaine, longtemps utilisée pour tenir les femmes à l’écart de la vie publique, politique ou scientifique — en les renvoyant à une supposée émotivité incompatible avec l’exercice de la raison. Le mythe d’une pensée féminine « autre », plus intuitive, moins cartésienne, a servi d’argument pour les exclure des universités, des laboratoires, des assemblées. Il a justifié, dans le Code civil napoléonien, leur statut de mineures à vie. Aujourd’hui, au nom d’un féminisme mal inspiré, on rejoue cette partition. Mais il y a plus : en renvoyant les femmes hors du champ de la rationalité, on passe sous silence ce que leur émancipation doit précisément aux sciences et aux techniques. Notamment sur un point décisif — et biologiquement indiscutable : la charge reproductive. Sur ce terrain, la rationalité n’est pas un accessoire. Elle est une condition de la liberté. 

Maîtriser sa fécondité : une condition de l’émancipation féminine

La liberté des femmes passe d’abord par la maîtrise de leur fertilité. Contraception et IVG ne relèvent pas de savoirs ancestraux prétendument perdus, mais de découvertes scientifiques, de protocoles médicaux rigoureux, et de technologies industrialisées qui permettent un accès sûr et massif. L’idée selon laquelle les femmes auraient, de tout temps, su maîtriser leur fécondité repose sur un récit fantasmé, déconnecté des réalités historiques et médicales.

Sans DIU, pilules ou IVG fiables, pas de choix libre sur la maternité : ni sur le fait d’avoir un enfant, ni sur le moment ou la fréquence. Et donc, pas de liberté sexuelle réelle.

Science, industrie et liberté : une histoire matérielle de la contraception et de l’IVG

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Chaque année en France, environ 500 000 dispositifs intra-utérins (DIU) sont posés, et quelque 250 000 interruptions volontaires de grossesse sont pratiquées. Ce n’est pas un sujet marginal : c’est un socle d’autonomie, une condition pour pouvoir choisir ses études, sa carrière, sa vie.

On connaît les avancées juridiques — Neuwirth en 1967, Veil en 1975 — mais on oublie souvent que les outils techniques eux-mêmes, ceux qui rendent ces droits effectifs, sont récents. 

Réduction de la mortalité infantile : un double bienfait

Autre avancée fondamentale : la chute de la mortalité infantile. En un siècle, on est passé de 15 % à 0,4 % de décès. D’un événement courant à une exception. La grossesse et les premiers mois de vie représentent un investissement bien plus lourd pour les femmes. Chaque naissance constitue un handicap sur le plan professionnel. Dès lors, conjuguée à la maîtrise de la fécondité, la baisse de la mortalité périnatale a permis d’alléger la charge reproductive pour celles qui choisissent d’avoir des enfants. 

Du savon à la chirurgie fœtale : deux siècles de lutte contre la mortalité périnatale et infantile

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C’est le principe même de la transition démographique : la fécondité diminue quand la mortalité infantile recule, à condition qu’un accès réel à la contraception accompagne le mouvement — car le risque de perte d’un enfant cesse alors de préoccuper les parents.

Ce que les femmes ont à perdre, à perdre la raison

Les femmes doivent beaucoup aux sciences et aux techniques pour leur émancipation. Et réciproquement, les sciences ont besoin des femmes : pour les questions qu’elles posent, les angles qu’elles ouvrent, qu’elles soient ou non dans la recherche ou l’ingénierie. La formation scientifique des femmes est un enjeu social à part entière.

Or, les courants qui opposent féminisme et rationalité scientifique envoient un message clair : il ne serait plus nécessaire de comprendre la science — ni ses méthodes, ni ses résultats. C’est une régression grave. Car toute décision politique éclairée repose sur une compréhension rationnelle des enjeux. Détourner les femmes de ce champ, c’est risquer de valider — sous un vernis progressiste — l’idée qu’elles en seraient naturellement incapables. Et renouer, sans le dire, avec les vieux présupposés patriarcaux sur leur inaptitude à la raison. Et à la participation aux décisions collectives.

L’émancipation des femmes est une conquête récente — et fragile. Le recul du droit à l’IVG aux États-Unis ou en Pologne le rappelle brutalement. L’idée qu’on pourrait se passer d’une approche rationnelle peut sembler confortable, parce qu’elle exige moins. Mais elle est périlleuse.

Car les femmes ont plus que jamais intérêt à investir le champ scientifique : pour poser les bonnes questions, pour faire progresser la société, et pour démentir, par leur présence même, les vieilles thèses sur leur prétendue inaptitude à la pensée. Quel que soit le masque sous lequel ces idées s’avancent.

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Une décennie pour filmer le cosmos : la révolution Vera Rubin

Imaginez découvrir plus d’astéroïdes en quelques jours que l’humanité en 2 siècles. C’est exactement ce qui s’est passé entre la mi-avril et le début mai 2025, quand le télescope Vera Rubin a capturé ses premières images. Ces clichés révolutionnaires ouvrent la voie à des découvertes qui pourraient bouleverser notre compréhension du cosmos.

Perché à 2 673 mètres sur le Cerro Pachón au Chili, l’observatoire Vera Rubin est le fruit de plus de 20 ans de développement international. Rebaptisé en 2020 en hommage à la pionnière de la matière noire, ce télescope révolutionnaire dispose de la plus grande caméra jamais construite : 3,2 milliards de pixels capables de photographier 45 pleines lunes d’un seul coup.

Vue par drone de l’observatoire Vera C. Rubin.
Credit: RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA/T. Matsopoulos

Les images inaugurales récemment publiées sont spectaculaires. Les nébuleuses Trifide et de la Lagune révèlent des structures gazeuses d’un détail inouï, fruit de 678 prises de vue en 7 heures. L’amas de galaxies de la Vierge dévoile 10 millions d’objets célestes avec une précision jamais atteinte depuis le sol. En quelques heures seulement, Vera Rubin a identifié des milliers de nouveaux astéroïdes.

Composée de plus de 678 prises de vue réalisées par l’observatoire Vera C. Rubin (NSF–DOE) en un peu plus de sept heures d’observation, cette vidéo explore en détail la région contenant la nébuleuse Trifide (en haut) et la nébuleuse de la Lagune, situées à plusieurs milliers d’années-lumière de la Terre.
Crédit : Observatoire Vera C. Rubin (NSF–DOE)

Dès fin 2025, Vera Rubin entamera sa véritable mission : filmer l’Univers entier pendant 10 ans. La mission Legacy Survey of Space and Time va cartographier l’intégralité du ciel austral toutes les 3 nuits pendant cette période. Objectif : créer un véritable « film » de l’évolution cosmique, détecter millions d’astéroïdes, milliards de galaxies et milliers de supernovae. Ce projet promet de révolutionner notre compréhension de la matière noire et de l’énergie noire.

Vera Rubin, chevalière blanche de la matière noire

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Le futur Extremely Large Telescope (ELT), avec ses 39 mètres de diamètre (première lumière en 2028), adoptera la stratégie inverse : résolution extrême sur de petites zones plutôt que cartographie massive. Tandis que Vera Rubin découvre, l’ELT scrutera. L’un balaye le ciel, l’autre plongera dans les détails avec 15 fois la résolution de Hubble.

Les limites de télescopes terrestres

Pourtant, ces télescopes se heurtent aux limites de leur localisation sur Terre. L’atmosphère bloque ou perturbe des pans entiers du spectre visible et invisible, les effets gravitationnels déforment les structures géantes, et les constellations du type Starlink « brûlent » jusqu’à 40 % des images avec leurs traînées lumineuses. 

L’espace s’impose alors comme l’ultime frontière. James Webb l’a prouvé depuis 2022 : positionné à 1,5 million de kilomètres de la Terre, ce télescope spatial de 6,5 mètres de diamètre découvre des galaxies vieilles de 13,57 milliards d’années et analyse les atmosphères d’exoplanètes sans aucune perturbation atmosphérique.

L’écran de calibration de Rubin s’illumine, éclairé par une LED. Les anneaux visibles ? Ce sont des traces d’usinage laissées par le réflecteur façonné avec précision, qui permet de répartir la lumière uniformément sur l’écran.
Crédit : RubinObs/NSF/DOE/NOIRLab/SLAC/AURA/W. O’Mullane

Avec Starship bientôt capable de lancer 150 tonnes dans l’espace à coût dérisoire, l’heure des plus grandes ambitions a sonné. L’entrepreneur Casey Handmer propose de créer le « Monster Scope » : un télescope spatial auto-assemblé de 1km de diamètre. Ce colosse de 10 milliards de dollars – le prix de James Webb mais 22 000 fois plus sensible – examinerait les continents et rivières d’exoplanètes comme on observe la Lune.

Sommes-nous seuls dans l’univers ? Y a-t-il d’autres planètes habitables ? Des télescopes géants spatiaux pourraient nous permettre de répondre enfin à ces questions millénaires.

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Taxe Zucman : prendre aux riches n’est pas donner aux pauvres

Taxer les milliardaires, c’est toujours populaire. Surtout en période de tensions budgétaires. L’idée de les faire payer davantage semble à la fois logique, morale, voire réparatrice. Pourquoi, après tout, un boulanger devrait payer plus d’impôts sur ses revenus (en proportion) qu’un milliardaire ? C’est ce sentiment d’injustice fiscale que la « taxe Zucman » prétend corriger. Au risque d’appauvrir tout le monde ?

Son principe : imposer un minimum de 2 % du patrimoine pour les très grandes fortunes – à partir de 100 millions d’euros. La logique est redoutablement séduisante : si vous avez 1 milliard d’euros de patrimoine, et que vous ne payez qu’un petit million d’impôt sur le revenu et un autre d’IFI, il vous reste trop, beaucoup trop. La taxe Zucman propose de prélever 2 % de ce magot chaque année. En l’occurrence ici : 18 millions de plus à verser à l’État.

Une mesure qui ne concernerait principalement que quelques centaines de foyers, mais qui, selon ses promoteurs, rapporterait beaucoup. De quoi financer une partie des retraites ou sauver quelques services publics en souffrance. Une sorte de contribution républicaine. Ciblée, juste, symbolique. Presque indolore.

Saper les piliers de la prospérité ?

Si l’idée est politiquement irrésistible, économiquement, elle se révèle beaucoup plus fragile. D’une part parce qu’elle repose sur des hypothèses discutables (Cf. encadré), surtout parce que ses effets sur l’investissement, l’innovation et la croissance pourraient se retourner contre l’intérêt général.

Les riches payent-ils trop peu d’impôts ?

J’approfondis

Commençons par l’investissement, car c’est peut-être le point le plus préoccupant de cette taxe. L’économie a besoin de capitaux patients. De personnes qui mettent leur argent dans des projets risqués, innovants, incertains. Ce sont souvent eux — business angels, fondateurs, investisseurs familiaux — qui financent les start-ups, les biotech, les cleantech, etc.

Or la taxe Zucman frappe exactement ce type de capital. Celui qui ne distribue rien, qui mise à long terme, qui accepte de perdre dix fois pour gagner une fois. En imposant ces fortunes sur la simple détention d’actifs, on les contraint à désinvestir ou à externaliser leurs fonds. Un « business angel » qui voit son rendement amputé de 2 % par an peut tout simplement investir ailleurs. Une start-up française à la recherche de financement se retrouvera face à des investisseurs plus frileux, ou à des exigences de rendement plus élevées. C’est le financement de l’innovation qui trinque.

Et cette fragilisation n’est pas théorique. Une fiscalité trop lourde sur le capital a des conséquences concrètes : moins de créations d’entreprises, moins de levées de fonds, moins d’emplois qualifiés créés. Et donc, à terme, moins de croissance.

Le patrimoine est souvent illiquide. Pour payer la taxe, certains contribuables devraient vendre des parts, chaque année. Cela pèse sur les marchés, fait baisser la valeur des actifs, et réduit mécaniquement l’assiette de l’impôt. Un cercle pas très vertueux. On peut accepter une forme de redistribution. Mais encore faut-il qu’il y ait quelque chose à redistribuer.

La morale ne remplit pas les caisses

L’autre grand écueil de la taxe Zucman, c’est l’évasion par le haut. Si la mesure n’est appliquée qu’au niveau national, elle risque tout simplement d’encourager les plus riches à changer de pays, délocaliser leur patrimoine, ou restructurer leurs holdings à l’étranger. Les grands patrimoines sont mobiles, les fiscalistes inventifs, et la concurrence fiscale reste bien réelle. Pour éviter ces effets de fuite, la taxe devrait au moins être européenne.

Mais cette perspective, si elle est théoriquement séduisante, reste hautement improbable à court terme. La récente tentative de mettre en place un impôt mondial sur les multinationales, par exemple, a déjà montré les limites de la coopération internationale. Alors espérer une taxe coordonnée sur les ultra-riches ? Il faudrait un degré d’accord politique inédit.

Du danger des idéaux

Enfin, il faut garder en tête quelques proportions, car, de fait, la taxe Zucman, même dans les scénarios les plus optimistes, ce n’est pas non plus le grand soir. Ses partisans parlent de 20 milliards d’euros par an. En admettant même que cela n’ait aucun effet sur la croissance, on est très loin des 140 milliards d’euros de déficit prévu pour 2025.

La taxe Zucman envoie un signal. Elle incarne un idéal. Mais puisqu’elle s’appuie sur des hypothèses contestables, elle risque surtout d’avoir des effets délétères. La vérité est plus brutale : la soutenabilité budgétaire passe aussi par des choix plus profonds, moins idéalistes, parfois plus impopulaires. C’est une affaire collective, pas seulement morale, car on ne fait pas de la bonne politique avec du ressentiment.

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Antisémitisme, l’éternel retour

Qui aurait imaginé il y a encore quelques années que l’antisémitisme reviendrait en force au cœur de nos sociétés ? Sans doute personne. Pourtant, il est bien de retour. Suralimenté par le terrible conflit post 7 octobre 2023. Mais pas seulement. Il reprend les clichés qui ont traversé les siècles et semblent, hélas, éternels.

En 1945, la découverte de l’horreur des camps nazis avait frappé de tabou l’antisémitisme politique. Mais quatre-vingts ans plus tard, au moment où s’éteignent les derniers survivants de la Shoah, transformant le judéocide en Mémoire, la haine anti-juive submerge à nouveau le monde.

Loin d’emprunter des concepts nouveaux, cet antisémitisme politique ressuscité renouvelle les tropes antisémites déclinés au fil de l’histoire. Sous une apparence originale, les accusations d’endogamie, de double allégeance (entre Israël et le pays de résidence), de pouvoir occulte, de dissolution des sociétés environnantes, de génocide, de vols d’organes, de troubles de la virilité, de perversion sexuelle, font écho à des diffamations anciennes que l’on imaginait (à tort) définitivement disparues.

Les antiques racines du mal

Pour saisir la persistance séculaire de l’antisémitisme, il faut revenir sur l’histoire de cette hostilité protéiforme. Et rappeler la singularité du judaïsme — singularité que l’ethnocentrisme des sociétés occidentales tend à occulter. À la différence du christianisme ou de l’islam, fondés sur la foi des fidèles, le judaïsme est l’ethno-religion d’un peuple. Il repose moins sur la croyance personnelle que sur le respect des rites par ses pratiquants. En conséquence, le judaïsme ignore la vocation universelle qui anime le christianisme et l’islam, et ne renie pas ses apostats : on peut être juif et athée.

La haine anti-juive remonte à l’Antiquité. Dans un monde polythéiste, le monothéisme juif suscite l’incompréhension. L’adoration d’un dieu unique est perçue comme une menace envers les autres cultes mais aussi envers les autorités politiques qui occupent successivement la Judée. La résistance opposée à l’hellénisation (révolte des Maccabées en 167-140 avant notre ère) et à l’Empire romain (révoltes de 66-70 et 132-135) nourrit l’antijudaïsme païen. Trois motifs ressortent des écrits de l’historien grec Hécatée d’Abdère et du prêtre égyptien Manéthon : les Juifs seraient un peuple insociable. Descendants des lépreux, ils seraient frappés d’une souillure héréditaire, biologique. Enfin, alors même que leurs textes sacrés prohibent formellement le sacrifice humain (le sacrifice d’Isaac remplacé par un bélier), les Juifs sont pourtant accusés de pratiquer le meurtre rituel.

A l’antijudaïsme païen succède l’antijudaïsme chrétien antique, qui marque une évolution notable, par sa systématicité et par la nature de ses critiques. L’accusation de « peuple déicide » apparaît au IVe siècle avec Jean Chrysostome, Père de l’Eglise. Le crime rituel imputé aux Juifs change de nature : il ne consiste plus seulement en sacrifices humains, mais dans l’assassinat de Dieu lui-même lors de la Crucifixion. Les Juifs, qui n’ont pas su le reconnaître quand il s’est incarné dans son Fils, sont rejetés par Dieu qui se détourne de son peuple pour former une nouvelle Alliance. La dispersion des Juifs (l’empereur Hadrien renomme en 135 la province de Judée en Syrie-Palestine) est le signe de ce châtiment divin, peu importe l’absence de pertinence historique de ce mythe. Aux V-VIe siècle, les discriminations deviennent systématiques : les Codes Théodosien et Justinien interdisent le mariage mixte avec les chrétiens, prohibent le prosélytisme et excluent les juifs de certaines fonctions publiques. 

De l’antijudaïsme à l’antisémitisme

En Occident, le déclenchement des croisades à partir du XIe siècle enflamme l’antijudaïsme chrétien. Le concile de Latran en 1215 impose des signes visibles de discrimination : rouelle, chapeau spécifique, vêtement de couleur jaune. Ces marques soulignent en creux le degré d’intégration des Juifs à la société médiévale : s’il faut les distinguer, c’est précisément parce qu’ils font jusqu’à présent corps avec la société (le rabbin Rachi de Troyes, Juif le plus célèbre de l’époque, qui a marqué par ses travaux le développement de la langue française, est vigneron de métier). Mais à partir du XIIè siècle, le processus de construction de l’État-nation en France et en Angleterre, puis en Espagne, exige le rejet des corps considérés comme extérieurs : les hérétiques (Cathares, Vaudois, Bogomiles) et les mécréants (Juifs et Maures d’Espagne). L’accusation de crime rituel est l’une des plus fréquentes, sous ses deux formes. Le meurtre d’humains : à partir du XIIe siècle, les Juifs sont accusés de tuer rituellement des chrétiens pour mélanger leur sang à la pâte des matzot, le pain de Pessah. La profanation du sacré : les Juifs sont accusés de poignarder crucifix, icônes et hosties. Les légendes accusant les Juifs d’empoisonner les puits et de propager la peste synthétisent les trois accusations remontant à l’Antiquité : insociabilité, souillures, assassinats. « Peuple à la nuque raide » (selon l’expression d’Augustin, autre Père de l’Eglise), les Juifs manqueraient de reconnaissance envers les peuples qui les accueillent. Ils sont réputés « perfides » : l’usure (qu’en réalité la société les contraint à exercer, leur interdisant de nombreuses professions) leur permet de donner libre cours à leur cupidité cruelle. Le mythe du « Juif errant » qui émerge est un écho à la légende de la dispersion comme châtiment divin. Enfin, le Juif est insociable et souillé parce qu’il n’est pas vraiment humain : on soutient que les hommes juifs ont des mamelles et des menstrues. Juifs et Juives (par ailleurs affectés d’une sexualité animale) sont des démons affublés de cornes, de griffes. Cette insistance sur des traits physiques caractéristiques, se retrouve dans l’antisémitisme moderne.

Léon Poliakov, l’un des grands historiens de l’antisémitisme, auteur du « Bréviaire de la haine », où est fait le décompte des victimes de la Shoah, séparait celui-ci en deux époques :

  • l’ère de la foi, dans les mondes antique et médiéval, quand la haine anti-juive est animée par des considérations religieuses. On parle d’antijudaïsme.
  • l’ère de la science, dans le monde moderne et contemporain, quand la haine anti-juive est animée par des considérations pseudo-scientifiques. On parle d’antisémitisme.

L’antisémitisme moderne naît au XIXe siècle avec le développement de la biologie, de la génétique et des théories de l’évolution, dans un monde en profonde mutation avec la Révolution industrielle qui provoque l’exode rural, le bouleversement des fortunes et du rapport au temps (la vapeur, le gaz et l’électricité transforment la journée de travail jusqu’alors calée sur le rythme solaire). Dans des termes strictement opposés, l’antisémitisme anticapitaliste de gauche et l’antisémitisme anti-socialiste de droite accusent les Juifs de dissoudre la société : c’est le vieux thème du Juif insociable. Les uns accusent le Juif de dominer le monde par l’argent, les autres de fomenter la révolution pour nuire au corps national auquel sa nature même lui interdit d’appartenir. Selon La France juive d’Edouard Drumont et Les Protocoles des Sages de Sion, rédigé par la police tsariste, le Juif perfide recourt aux complots occultes pour dissoudre les sociétés qui l’accueillent.

Les Protocoles des sages de Sion : faux document, vrai moteur de l’antisémitisme

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Le meurtre rituel n’est plus sanglant mais symbolique : le nazisme prétend protéger le peuple allemand contre les manigances des Juifs, par l’exclusion des Juifs hors du corps social (lois de Nuremberg), avant leur extermination physique. Car le Juif serait non seulement insociable mais souillé d’un abâtardissement biologique insurmontable : le nazisme pratique la zoomorphisation, qualifiant les juifs de rats ou de vermines, et les compare à une pieuvre asphyxiant le monde, conformément à l’iconographie antisémite du XIXe siècle à nouveau vivace de nos jours.

De l’antisémitisme à l’antisionisme

Après la Shoah, on a pu croire que la haine anti-juive disparaîtrait. En réalité, si son expression publique a été frappée de tabou en Occident, la haine s’est contentée de se couler sous une nouvelle forme, d’autant plus perverse qu’elle prenait les apparences du progressisme : l’antisionisme. L’opposition à la création en Palestine mandataire d’un État juif fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est bien antérieure à 1948 : dès le XIXe siècle, les élites arabes, habituées à voir les Juifs confinés dans le statut inégalitaire de dhimmi, ont refusé toute perspective de création d’une entité juive souveraine sur le territoire historique des royaumes de Juda et d’Israël. Après avoir initialement soutenu la création de l’État d’Israël, dont les fondateurs suivaient une idéologie socialisante, l’URSS s’est brutalement opposée au sionisme afin de se rapprocher du monde arabo-musulman et son pétrole. L’accusation de « cosmopolitisme » formulée dès 1952 lors des procès de Prague est la forme renouvelée de l’accusation d’insociabilité et de perfidie (onze des quatorze dirigeants accusés sont juifs). On en trouve l’écho dans la résolution 3379 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1975, puis la déclaration finale de la conférence de Durban en 2001, qui qualifient le sionisme de « forme de racisme et de discrimination raciale », transformant un mouvement d’émancipation nationale en entreprise coloniale. De même l’accusation de génocide est la forme renouvelée de l’accusation de crime rituel. Elle apparaît dès la création de l’État d’Israël, donc bien avant le conflit actuel à Gaza qui l’a popularisée. L’élaboration du terme « Nakba » (ou « catastrophe »), décalque du mot « Shoah » utilisé pour désigner l’entreprise génocidaire nazie, en est un indice. On assiste alors à une inversion totale de la perspective et des références historiques. Est forgé le mot « nazisioniste » qui nazifie les descendants des victimes, ainsi transformés en bourreaux. Chaque année à Noël des polémiques présentent Jésus comme palestinien (en niant sa judéité). L’objectif est double : contester la légitimité historique des Juifs sur le territoire d’Israël et revivifier le mythe du peuple déicide. En tuant les Palestiniens aujourd’hui, les Juifs réitèrent le meurtre du palestinien Jésus il y a 2000 ans. Une parlementaire LFI bien connue nourrit son discours antisioniste d’une multiplicité de tropes antisémites : en affirmant que l’armée israélienne vole les organes de Palestiniens qu’elle tuerait pour entretenir son commerce, sont mobilisées à la fois les accusations de crime rituel et les préjugés sur le mercantilisme des Juifs cupides (le personnage de Shylock dans le théâtre de Shakespeare). Peu importe que cette mise en cause soit dépourvue de toute vraisemblance médicale : on ne transfère pas les organes de personnes décédées. L’important est de nourrir les schémas mentaux créés par deux millénaires de haine anti-juive. La même personne, alimentant la rumeur de la perversité sexuelle des Juifs, accuse Israël de pratiquer le viol systématique des détenus palestiniens par des chiens. Même l’accusation absurde affublant les soldats israéliens de couches Pampers correspond à un trope antisémite : le trouble de la virilité qui transforme les Juifs en non-humains.

Si la critique de la politique israélienne, de son gouvernement ou de la façon dont est menée la guerre à Gaza, est parfaitement légitime et nécessaire, les tropes de la haine anti-juive profitent du conflit pour laisser libre cours au même déferlement antisémite qui a traversé les siècles sur des bases fantasmées et mortifères. N’oublions pas quelles en furent les conséquences.

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Doctrine Monroe : le mensonge de l’isolationnisme made in USA

Depuis le président Monroe et sa doctrine isolationniste édictée en 1823, jusqu’à Donald Trump, les États-Unis ne cessent de brandir leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires du monde pour mieux… faire exactement le contraire.                                        

Souvenez-vous : Trump a fait campagne sur la volonté de l’Amérique de ne plus s’impliquer dans des guerres à l’étranger, ou tout au moins de ne pas en déclencher. 

Il a d’ailleurs abondamment reproché à Barack Obama d’être un président belliqueux, notamment pour ses interventions au Moyen-Orient. Ironie, quand tu nous tiens : on se souvient même qu’il l’accusait, en 2011, d’être à la fois faible et inefficace et de vouloir « déclencher une guerre en Iran pour se faire réélire ».

America First

Tant d’un point de vue commercial, stratégique, politique que militaire, pour Trump c’est America First, l’Amérique d’abord. Cette posture, marquée par la défiance envers les alliances traditionnelles, l’a poussé à se retirer de nombre d’entre elles. Si l’on pense, entre autres, à l’accord de Paris sur le climat, à celui sur le nucléaire iranien, à l’OMS (retrait annulé par Joe Biden), à l’UNESCO, comme au Partenariat transpacifique de libre-échange avec une partie de l’Asie et de l’Océanie. Elle est associée à une volonté de voir l’Europe se charger de sa propre défense, marquant une rupture avec le rôle traditionnel de garant de la sécurité du monde que les États-Unis jouaient depuis le dernier conflit mondial.

Ce choix s’inscrit dans la droite ligne d’un principe d’isolationnisme politique datant de la première partie du XIXe siècle, qui énonce que les États-Unis n’interviendraient plus dans les affaires du monde, hormis dans sa propre zone d’influence et si ses intérêts étaient en jeu : la doctrine Monroe. Ce principe théorisé en 1823 par James Monroe, le cinquième président américain, avance que toute intervention européenne dans l’hémisphère occidental serait considérée comme une menace pour la sécurité du pays (qui, on le rappelle, s’était libéré du joug britannique moins d’un demi-siècle auparavant).

On y va, on n’y va pas : de Washington à Roosevelt, l’isolationnisme à géométrie variable

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Les États-Unis n’ayant jamais été à une contradiction près, cet isolationnisme n’entrava en rien ses aspirations expansionnistes. Une stratégie fondée sur l’élargissement  frénétique de ses frontières à grands coups de chemins de fer, de pionniers en chariots bâchés, d’extermination des Indiens et de guerres avec ses voisins – fussent-ils européens. En effet, la doctrine Monroe n’empêcha pas la guerre contre le Mexique (1846-1848) qui déboucha sur l’annexion du Texas et de la Californie, ni celle contre l’Espagne en 1898, qui fit des États-Unis une véritable puissance impériale : Cuba, Porto Rico, les Philippines et Guam passant alors dans le giron américain. C’est d’ailleurs depuis cette victoire que le pays contrôle la fameuse base militaire cubaine de Guantanamo.

Cet isolationnisme à géométrie variable se retrouve maintenant dans la politique de Donald Trump. Il claironne sa fidélité à la doctrine Monroe, tout en lui donnant de grands coups de canif depuis le début de son second mandat : en ordonnant des frappes contre les Houthis au Yémen, en Somalie contre l’État Islamique et contre le régime iranien et ses installations nucléaires. Aujourd’hui comme au XIXe siècle, les grands principes finissent toujours par se heurter à la réalité et à ses impératifs.

En 1904, Theodore Roosevelt énonça ce qui sera nommé le « corollaire Roosevelt » pour justifier l’interventionnisme américain en dépit de la doctrine Monroe : « L’injustice chronique ou l’impuissance conduisant à un relâchement général des règles de la société civilisée peut, au bout du compte, exiger, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, bien qu’à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international », prononça-t-il dans un discours resté célèbre, le 6 décembre 1904, à l’occasion de la troisième session du 58è Congrès des États-Unis. Un changement de paradigme largement reproduit depuis. La preuve par Trump.

Une diplomatie de mâle alpha

Si l’actuel président américain entend officiellement limiter l’interventionnisme, il ne renonce pas pour autant à une diplomatie offensive qui semble un peu saugrenue à notre époque. Elle n’est pas sans rappeler la théorie de « Destinée manifeste » qui prévalait en Amérique au XIXe siècle et servait de justification à l’agrandissement du territoire d’un océan à l’autre. La tentation d’annexer le Groenland pour des raisons aussi stratégiques que minérales en est une bonne illustration. Tout comme l’annonce, lors de son discours d’investiture, de sa volonté de reprendre le contrôle du canal de Panama, ou  l’évocation répétée d’un Canada qui deviendrait le 51e État américain. Toutes ces intentions s’inscrivent symboliquement dans une continuité expansionniste digne de l’Amérique de la conquête de l’Ouest.

Mais l’action trumpiste marque néanmoins une différence avec celle de ses prédécesseurs. Elle exprime davantage une forme de diplomatie de mâle alpha, qui menace beaucoup pour obtenir peu, et dont les visées sont avant tout économiques.

La liberté, une histoire de gros sous ?

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Là où la doctrine Monroe invoquait la non-ingérence européenne pour mieux asseoir une influence américaine naissante, Trump revendique une Amérique forte, indépendante, recentrée sur elle-même et dégagée des contraintes de l’ordre international. Cette Amérique-là, il la veut avant tout commerçante et commerciale ; la guerre n’est pas son affaire. S’il était philosophe, il dirait sans doute qu’il nous faut cultiver notre jardin — mais c’est un businessman, alors c’est, encore et toujours, America First. Mais aussi  Americarmy, avec un budget militaire en hausse de 13% en 2026, dont une grande part de dépenses discrétionnaires. Alors, que vaut la promesse d’un pacifisme menaçant, qui, adepte du  « en même temps », affûte ses armes ?

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Capitalisation vs répartition : victoire par K.O

Vous pensez que la retraite par capitalisation consiste à jouer vos économies en bourse ?  Rassurez-vous. Malgré les vifs débats qu’elle suscite, elle est au cœur des meilleurs systèmes du monde, sans s’exposer aux risques dont on l’accuse.

Dérive française

En France, les retraites sont presque intégralement versées en prélevant directement une portion des revenus des actifs, qui sont ensuite redistribués aux bénéficiaires. Chaque année, sur 100 € de richesse créée, 14 € sont reversés aux retraités. Tous prélèvements confondus, le travailleur moyen abandonne  l’équivalent de 28 % de son salaire dans le système. L’un des taux les plus élevés au monde.

Au total, 330 milliards d’euros sont reversés chaque année  Il s’agit  tout simplement du premier poste de dépenses publiques. Et celui-ci a augmenté en proportion du PIB de 40% depuis les années 1990.

Cette explosion du poids des retraites dans les comptes de la nation et sur les fiches de paie ne doit rien au hasard et résulte de nombreux phénomènes. Parmi eux, l’augmentation de l’espérance de vie, alors même que l’âge de départ a beaucoup moins reculé que chez nos voisins. Mais aussi la baisse de la fécondité, qui a entraîné un papy boom. A ces dangereuses conditions s’ajoutent un ralentissement marqué des gains de productivité au cours des 20 dernières années et un passage aux 35 heures ayant fait baisser l’assiette de prélèvement depuis les années 2000.

En 1990, pour un senior de plus de 65 ans, on dénombrait 4 personnes en âge de travailler. Cette proportion tombe aujourd’hui à 2,5 et les projections nous amèneraient à 1,8 en 2050. Et en prenant en compte le taux d’activité de la population, le taux de cotisants par retraité s’établit désormais à 1,8 . Il s’élevait à 2,0 il y a 20 ans et devrait tomber sous les 1,5 à partir de 2050.

Le poids de la retraite dans les comptes publics n’est donc pas près de diminuer. Mais plusieurs variables peuvent jouer pour infléchir cette réalité : les gains de productivité mais aussi l’innovation, l’immigration, la baisse du chômage, la hausse de la fécondité ou encore le nombre d’heures travaillées. A conditions macro-économiques équivalentes et sans changement de système, trois curseurs peuvent également être ajustés :  le niveau des cotisations, en les augmentant, celui des pensions, hélas en les baissant, et l’âge de départ, contraint à reculer.

Autant de réformes fortement impopulaires et politiquement  coûteuses en des temps où le poids électoral des personnes âgées ne cesse d’augmenter dans les scrutins. Pourtant, dans le système actuel et sauf revirement majeur des conditions économiques ou démographiques, nous sommes condamnés à travailler plus longtemps, à baisser les pensions ou à ponctionner toujours davantage le revenu des actifs ou des contribuables.

La capitalisation : l’arme anti déclin démographique

La retraite par capitalisation, fondée sur l’épargne via des placements réalisés au cours de la vie active, permet de limiter la dépendance vis-à-vis de la démographie domestique. Plutôt que d’être fléchées directement vers la génération précédente, les cotisations sont placées sur les marchés financiers durant la carrière du cotisant. Au moment de sa retraite, cette épargne, si elle a été bien investie, aura bénéficié du rendement du capital fructifiant dans le monde entier.

Capitalisation : spéculation en solo ?

J’approfondis

Pour comparer les performances de la répartition et de la capitalisation, les économistes utilisent comme indicateur le taux de rendement interne (TRI). Lorsqu’un investisseur place ses économies, il espère un retour sur investissement : c’est le rendement du capital. De la même manière, en répartition, un salarié cotise en espérant obtenir des droits à sa retraite. En rapportant l’ensemble de ceux qu’il percevra à l’ensemble des cotisations qu’il aura versées, on peut évaluer le TRI théorique, dit “implicite”, des cotisations.

En régime par répartition, ce TRI implicite suit peu ou prou le taux de croissance du pays, c’est-à-dire la somme des taux de croissance de la population et de la productivité. Plus la fécondité et l’innovation sont élevées, plus les pensions peuvent être généreuses. C’est ce qu’ont connu les générations d’après-guerre en France, qui ont bénéficié d’un TRI implicite supérieur à 2 %. Mais la tendance s’est inversée. Les générations qui partent à la retraite aujourd’hui doivent se contenter de 1 %. Pire, il est probable que celles qui entrent désormais sur le marché du travail se voient opposer un taux inférieur à 0,5 %.

Rapport annuel du COR – Juin 2025

À titre de comparaison, le taux de rendement du livret A, sans risque, s’élève aujourd’hui en réel à 1,5 % (2,4% – 0,9% d’inflation). Autrement dit, dans les conditions actuelles, un jeune actif aurait aujourd’hui beaucoup plus intérêt à verser ses 28 % de prélèvements pour la retraite sur son livret A, plutôt que d’espérer percevoir ses droits lorsqu’il atteindra ses vieux jours.

Le différentiel devient encore plus flagrant lorsqu’on considère des investissements, certes plus risqués, mais bien plus rentables à long terme, comme les obligations, les actions ou l’immobilier. Depuis 1950, en neutralisant l’effet de l’inflation, les actions ont bénéficié d’un rendement réel moyen de 8,3 % par an. A ce taux, et grâce à l’effet des intérêts composés, le capital investi double au bout de 9 ans, contre 48 ans avec un taux de 1,5%. Bien entendu, les performances passées ne préjugent pas de celles à venir. Plus elles sont élevées, plus le risque de perte l’est aussi, les deux étant corrélés. Les fonds de pension prennent donc soin de diversifier leurs investissements sur plusieurs classes d’actifs pour limiter les risques.

Plus le rendement est élevé, moins les cotisations nécessaires pour bénéficier d’une rente confortable à la retraite le sont. Empiriquement, on observe que le taux du rendement du capital reste très supérieur au taux de croissance, que ce soit en France ou ailleurs. D’où l’importance d’investir le plus tôt possible sur les places boursières mondiales pour bénéficier d’un rendement élevé, tout en absorbant les chocs de marché par un investissement régulier et diversifié. A l’approche de la retraite, il conviendra de sécuriser son épargne en transférant progressivement ses investissements en actions vers des investissements moins risqués.

Les meilleurs systèmes de retraite du monde reposent sur la capitalisation

Si la France parvient au prix d’un déficit et d’une dette publique hors de contrôle à maintenir des pensions relativement correctes, elle figure parmi les cancres en matière de viabilité de son système à long terme. Sur l’indice de soutenabilité, elle se classe 43e sur 47 pays étudiés.

Or, dans un Occident en déclin démographique, les pays qui tirent leur épingle du jeu disposent tous d’un solide pilier de capitalisation, qu’il soit public ou privé, obligatoire ou volontaire, géré individuellement, par les syndicats ou par l’Etat.

La capitalisation existe déjà en France, et ça marche !

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Les Pays-Bas ou le Danemark constituent à ce titre des modèles. Par rapport au dernier salaire perçu, ils réussissent à verser des pensions supérieures au système français, sans dégrader leurs perspectives, grâce notamment à des fonds de pension aux rendements moyens réels supérieurs à 3 % sur les 20 dernières années, investis à plus de 20 % en actions. Cette performance est d’autant plus remarquable que la fécondité de nos amis nordiques est plus dégradée qu’en France.

Face à ce constat, durant les dernières décennies, de nombreux pays ont su réformer leur système de retraite pour y introduire un pilier de capitalisation. Au-delà des oppositions politiques récurrentes et virulentes en France sur l’âge de départ ou l’indexation des pensions, ne serait-il pas judicieux d’élargir enfin le débat sur l’introduction d’une part significative de capitalisation dans notre système de retraite ? La réponse est dans la question.

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La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

« Les data centers ont pompé 560 milliards de litres d’eau ! », « Un kilo de bœuf = 15 000 L d’eau ! », « Le maïs irrigué utilise 25 % de l’eau consommée ! ».
Ce genre de chiffres chocs pullule dans la presse. Et à lire les articles, un constat s’impose
 : la gestion de l’eau est mal comprise. Par les journalistes, et sans doute aussi par une bonne partie du public.
Or, dans un monde qui se réchauffe, mal comprendre l’eau, c’est risqué. Alors, retour aux sources !

L’eau, une ressource pas comme les autres

Oubliez les gros chiffres qui font peur. Ils sont parfois impressionnants, mais pas toujours pertinents.

Pourquoi ? Parce que l’eau, ce n’est pas du charbon. Chaque tonne de charbon brûlée part en fumée et disparaît à jamais, contribuant au réchauffement climatique. Et son extraction puise dans un stock limité. L’eau, elle, suit un cycle. Elle revient. Toujours.

Le cycle de l’eau

Raisonner en “stock”, comme pour le charbon ou le pétrole, n’a donc pas beaucoup de sens. Il faut raisonner en flux : ce qui compte, ce n’est pas combien on prélève, mais , quand, et surtout à quelle vitesse l’eau se renouvelle dans le système considéré.

Évidemment, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas manquer d’eau. Si on prélève trop à un endroit ou à un moment où elle se renouvelle lentement, on crée un déséquilibre. Mais si on prélève moins que ce que le système peut absorber : aucun problème.

Les risques causés par les prélèvements d’eau

En réalité, il n’y en a que deux :

-Le conflit d’usage, qui peut mener à des restrictions, voire à des pénuries pour certains usagers.
-Les atteintes aux écosystèmes aquatiques, si on puise dans un milieu déjà fragilisé.

Ces risques peuvent être immédiats ou différés, selon la nature du prélèvement et du milieu concerné.

Pour bien comprendre, passons en revue trois cas concrets.

Le cas des cours d’eau

Prenons une rivière. L’eau y file vers la mer. Un prélèvement dans ce type de milieu n’aura donc que des effets immédiats. Si, au moment du prélèvement, le débit est correct, il n’y a pas de problème, donc aucune raison de s’en priver.

Les centrales nucléaires, un problème pour la ressource en eau ?

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En revanche, si le niveau est bas, chaque litre retiré peut avoir des effets directs sur l’écosystème : dans le lit du cours d’eau lui-même, ou à l’estuaire, où l’eau douce est cruciale pour les espèces côtières.

C’est pourquoi des seuils de gestion sont définis dans les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau). Le débit d’alerte marque le moment où les usages commencent à être limités. Et le débit de crise est le seuil en dessous duquel seuls les usages essentiels (santé, sécurité civile, eau potable, besoins des milieux naturels) sont autorisés.

Ces seuils sont fixés localement, par concertation entre les acteurs du territoire, sur la base d’expertises scientifiques et du Code de l’environnement. On peut donc leur faire confiance.

Exemple des variations de débit dans la Gave d’Oloron (Pyrénées Atlantiques), et seuils associés

Cas d’une nappe inertielle

Les nappes phréatiques sont des volumes d’eau souterrains. On parle de nappes inertielles lorsque leur niveau varie peu au fil des saisons, car elles se rechargent très lentement. C’est par exemple le cas sous le bassin parisien.

De l’eau dans les roches

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Prélever dans une nappe inertielle revient à puiser dans ses économies : il n’y a pas d’effet immédiat sur les écosystèmes (personne ne vit à plusieurs dizaines de mètres sous terre), mais si on puise plus que ce qui se recharge chaque année, on épuise la ressource à long terme.

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait suivre cela. Le BRGM publie régulièrement des bulletins sur l’état de remplissage des nappes. Si elles sont bien remplies, on peut les solliciter. Si elles sont basses, on ralentit les prélèvements. Ce suivi permet d’anticiper les tensions et d’éviter les déséquilibres.

Un exemple de bulletin de suivi des nappes, du 1er juin 2025

Cas d’une nappe réactive

À l’inverse, certaines nappes réagissent très rapidement aux pluies et aux sécheresses. On les appelle nappes réactives. Elles sont souvent très connectées aux rivières et aux zones humides.

C’est le cas typique dans les Deux-Sèvres, où ont été installées les controversées mégabassines (cf. https://lel.media/stockage-de-leau-solution-ou-illusion/). Dans ces nappes, tout prélèvement peut avoir un impact quasi immédiat sur les milieux aquatiques. Mais il peut aussi y avoir des conséquences différées, dont la latence dépendra de la réactivité de la nappe. Pour une nappe très réactive comme dans les Deux-Sèvres, on estime qu’un prélèvement peut avoir des conséquences sur le remplissage de la nappe jusqu’à environ un mois après.

C’est précisément pour cela que les retenues de substitution (alias « mégabassines ») ne se remplissent qu’en hiver, quand l’eau est abondante. Avec une marge de sécurité de quelques semaines pour prendre en compte l’impact différé. Et pour éviter les risques immédiats, les pompages ne sont autorisés que lorsque les niveaux sont suffisants.

Autrement dit : on pompe uniquement quand l’eau est disponible, et sans compromettre les milieux.

Ce qu’il faut retenir

Tous les prélèvements d’eau ne se valent pas.

Pomper dans une rivière en crue ? Aucun souci. Pomper dans une nappe réactive à sec en plein été ? Mauvaise idée.

L’eau n’est pas une ressource à bannir, mais à gérer intelligemment. Contrairement au charbon ou au pétrole, on peut en utiliser sans dommage… si on respecte certaines règles. Et cela, la France le fait déjà plutôt bien, via les SAGE, les seuils de gestion, et le suivi des nappes. Alors non, l’irrigation n’est pas « le mal ». Ce qui compte, c’est quand, et comment on irrigue. Tant que cela reste encadré, raisonné et conforme aux règles collectives, il n’y a aucune raison d’en faire un scandale.

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Diabète de type 1 : Révolution en vue ?

Un traitement expérimental à base de cellules souches à même de permettre aux patients diabétiques de type 1 de se passer d’injections d’insuline ? C’est la promesse du Zimislecel. Mais prudence, néanmoins. Explications.

Des cellules souches pour guérir ?

C’est peut-être un tournant historique pour les millions de personnes vivant avec un diabète de type 1. Cette maladie auto-immune, en général diagnostiquée entre 5 et 20 ans, détruit les cellules du pancréas qui fabriquent l’insuline, l’hormone essentielle pour réguler le sucre dans le sang. 

Sans insuline, impossible de survivre : les patients doivent s’injecter ce médicament à vie, plusieurs fois par jour, et jongler en permanence entre risques d’hyperglycémie (trop de sucre) et d’hypoglycémie (pas assez); cette dernière pouvant avoir des effets immédiats à même de plonger sa victime dans le coma.

Mais pour la première fois, un traitement expérimental permettrait de s’affranchir des injections. Son nom : Zimislecel (Vertex Pharmaceuticals), un concentré d’innovation à base de cellules souches (de 0 .4 x 10^9 cellules à 0.8 x 10^9 cellules) transformées en cellules pancréatiques capables de produire de l’insuline.

Ces cellules sont issues d’un donneur distinct du receveur. Elles ont donc nécessité un traitement immunosuppresseur associé pour éviter le rejet. Initialement sous formes de cellules souches pluripotentes, elles ont été « programmées » pour devenir des îlots pancréatiques entièrement différenciés, comprenant les fameuses cellules bêta productrices d’insuline.

Dans un essai préliminaire publié par le New England Journal of Medicine, 12 patients très atteints (hypoglycémies graves, dépendance totale à l’insuline) ont reçu ce traitement en une seule perfusion de 30 à 60 mn via un cathéter dans la veine porte. Résultat ? Tous ont retrouvé une production naturelle d’insuline. Mieux : 10 d’entre eux n’avaient plus besoin d’injections un an après l’infusion, avec un taux d’hémoglobine glyquée optimal < 7%.

C’est une avancée spectaculaire. La greffe de cellules productrices d’insuline existe déjà, mais elle est limitée par la rareté des donneurs et la qualité variable des greffons. Ici, on parle de produire ces cellules en laboratoire, à partir de cellules souches, et de les rendre fonctionnelles chez l’humain.

Prudence néanmoins…

Prudence. L’étude reste précoce, basée sur un tout petit effectif d’une dizaine de patients. Deux décès sont survenus : l’un lié à une méningite à cryptococcus après chirurgie des sinus, favorisée par l’immunosuppression et la prise de corticoïdes pourtant interdits ; l’autre dû à une démence aggravée par des antécédents de traumatisme crânien. Comme dit plus haut, le traitement impose une immunosuppression : les effets à long terme sont inconnus et restent à établir sur plus de patients. Mais c’est un pas immense vers un objectif longtemps jugé utopique : restaurer l’autonomie métabolique des personnes diabétiques. La médecine régénérative frappe fort… et ce n’est sans doute que le début.

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AmazonIAque

NoHarm ? C’est le nom d’une IA développée par une fratrie brésilienne, qui permet de sauver des vies dans les coins les plus reculés du pays, et particulièrement en Amazonie. Son but ? Éviter les erreurs de prescription pour les médecins locaux, rares et débordés par l’afflux de patients venant des quatre coins de la région.

C’est grâce au média technophile à but non lucratif Rest of World que les informations que nous vous diffusons dans cet article sont arrivées à notre connaissance. Ce site, financé par la fondation Schmidt – créée par l’ancien patron de Google, Eric Schmidt, et sa femme, Sophie – se consacre exclusivement à l’observation du progrès à l’extérieur des pays occidentaux. C’est le premier, grâce au journaliste Pedro Nakamura, à faire le récit de l’impact de l’assistant IA NoHarm (Hospital Pharmacy Enhancing System) dans l’aide qu’il apporte aux pharmaciens des régions reculées d’Amazonie pour éviter les graves erreurs de prescription.

Le défi amazonien

Dans cet immense territoire où cliniques, dispensaires et pharmacies se font rares et doivent prendre en charge un nombre incalculable de patients, les médecins, harassés, peuvent se tromper dans la rédaction de leurs ordonnances, les dosages des médicaments et ne pas avoir le temps de prendre en compte les interactions entre les molécules. D’autant plus que le climat et les conditions de vie locales sont aussi rudes que propices aux très nombreuses maladies endémiques et aux accidents. Cette diversité pathologique nécessite donc des connaissances très larges pour être envisagée avec justesse. Et tous les soignants n’en disposent pas toujours. C’est donc aux pharmaciens locaux d’assurer la pharmacovigilance indispensable pour éviter les drames.

Caracaraí, ville pilote

C’est ce que Samuel Andrade, pharmacien à Caracaraí, 22 000 habitants, en Amazonie brésilienne, vit au quotidien, ainsi que le raconte Pedro Nakamura. « Chaque matin à 8 h, Andrade prend son poste pour traiter des centaines d’ordonnances en provenance des cliniques gratuites de l’État. La plupart du temps, il n’arrive pas à tout gérer. Il passe des heures à vérifier les bases de données de médicaments pour s’assurer que les prescriptions, émises par des médecins des zones rurales, ne présentent pas d’erreurs. Ce travail est extrêmement stressant. Chaque jour, il doit également accueillir des dizaines de patients qui font la queue devant son dispensaire, certains ayant parcouru plusieurs jours de trajet pour y parvenir. Il lui arrive de devoir aller vite, au risque de laisser passer une erreur dangereuse. » Mais depuis avril 2025, sa vie et son travail ont changé, grâce à NoHarm, son nouvel assistant. En réalité, un logiciel dopé à l’intelligence artificielle, capable de signaler les prescriptions problématiques et de lui fournir les données nécessaires pour évaluer leur sécurité. « Résultat : sa capacité de traitement des ordonnances a été multipliée par quatre, confie-t-il à Rest of World. En quelques mois d’utilisation, l’IA a détecté plus de 50 erreurs. »

Rattraper le retard de l’IA médicale

Il n’est pas le seul à bénéficier de l’expertise du logiciel. Comme la France, le Brésil fait partie de ces pays où l’État assure des soins gratuits à l’ensemble de la population, mais également aux étrangers présents sur son territoire. Ce sont 200 millions de personnes qui sont concernées, créant une saturation complète d’un système cruellement impacté par le manque de personnel, particulièrement dans les zones rurales ou isolées, comme le sont nombre de territoires amazoniens. D’où l’importance du déploiement de NoHarm, particulièrement dans une nation dont la médecine a tardé à prendre le virage de l’IA. Depuis l’expérience pilote de Caracaraí, plus de 20 villes des rives de l’Amazonie l’ont rejoint avec des résultats probants.

Une histoire de famille

Le logiciel a été développé par une pharmacienne, Ana Helena, et son frère, informaticien, Henrique Dias, depuis Porto Alegre, la capitale de l’État du Rio Grande do Sul. Une idée reflétant leur volonté de soulager les pharmaciens de la montagne de paperasse qui les empêche de se consacrer pleinement à la réelle pratique de leur métier. Ils ont créé un modèle d’apprentissage automatique open source, entraîné à partir de milliers d’exemples réels. NoHarm a rassemblé des données anonymisées de patients et d’ordonnances. L’algorithme a été nourri de milliers de combinaisons de médicaments, erreurs de dosage et interactions indésirables. « Il a ainsi appris à repérer des schémas que même des professionnels expérimentés peuvent manquer, explique Dias, PDG de l’organisation. » Le logiciel peut traiter des centaines d’ordonnances à la fois, en signalant les cas douteux. Il ne prend pas les décisions à la place des professionnels, mais les aide à les éclairer. « Nous fournissons une série d’alertes, et c’est le professionnel qui les évalue en fonction des besoins du patient », précise Dias à Pedro Nakamura. C’est notamment ce qui a permis à Nailon de Moraes, médecin dans une petite clinique à Caracaraí, d’éviter quatre graves erreurs de prescription, après qu’elles lui ont été signalées par Samuel Andrade, grâce à son usage de NoHarm.

Ne pas halluciner !

Mais tout n’est pas encore parfait. Comme toute IA, NoHarm reste perméable aux hallucinations et autres bugs, qui pourraient avoir des conséquences pires que les simples erreurs médicales. Surtout que son exploitation en Amazonie le confronte à de nombreuses maladies tropicales pour lesquelles il n’est pas encore suffisamment entraîné. Il s’est en effet cantonné dans un premier temps aux pathologies les plus courantes du sud du pays, où se trouve Porto Alegre. Mais le problème est en train d’être corrigé, la phase d’apprentissage restant intense. Une phase, rappelons-le, commune à toute forme d’intelligence – artificielle ou humaine – qui suppose d’apprendre à partir de l’existant. Un principe parfois critiqué pour son manque de respect des droits d’auteur, mais qui prend ici toute sa dimension, dès lors qu’il s’agit d’améliorer un outil qui sauve des vies.

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« Milli-spinner » : le tueur de caillots !

C’est une véritable révolution médicale qui nous vient de Stanford. Le « milli-spinner ». Cette technologie est « deux fois plus efficace »  que toutes les autres pour retirer les caillots sanguins. Une nouvelle ère dans le traitement des AVC, infarctus et embolies pulmonaires.

C’est un tournant majeur dans la lutte contre les maladies liées aux caillots sanguins qui vient d’être franchi par une équipe de Stanford Engineering (soit l’École d’ingénieurs de l’Université de Stanford), qui a mis au point une technologie médicale inédite, baptisée « thrombectomie par milli-spinner », capable de retirer les caillots « 2 fois plus efficacement que les méthodes actuelles ». Publiée le 4 juin dans la revue Nature, cette innovation de rupture pourrait transformer la manière dont sont traités les AVC ischémiques, les crises cardiaques et de nombreuses pathologies potentiellement mortelles.

Une avancée décisive contre l’AVC

Dans le cas d’un AVC ischémique, chaque seconde compte. Plus vite le caillot est éliminé, plus le cerveau est préservé. Aujourd’hui, les techniques de thrombectomie réussissent à extraire un caillot, dès la première tentative, dans seulement 50 % des cas. Pire : elles échouent complètement pour environ 15 % des patients.

Le milli-spinner, qui peut atteindre les caillots par cathéter, bouleverse ces statistiques. Selon Jeremy Heit, neuroradiologue à Stanford et co-auteur de l’étude, cette technologie permettrait d’atteindre « 90 % de réussite du premier coup », y compris pour les caillots les plus résistants. « C’est une technologie révolutionnaire qui améliorera considérablement notre capacité à aider les patients. », affirme-t-il dans le communiqué publié par l’université.

Une approche biomécanique inédite

Le secret du milli-spinner ? Il ne tente pas de casser le caillot, mais de le « reconfigurer » pour l’extraire en douceur. Là où les dispositifs actuels aspirent ou attrapent les caillots, le plus souvent en les fragmentant (ce qui engendre certains risques), le milli-spinner utilise deux forces mécaniques simultanées : la compression et le cisaillement.

Grâce à des ailettes rotatives et à une aspiration, l’appareil agit comme si on frottait un amas de fibres avec ses mains, transformant le caillot en une boule compacte qui peut être retirée sans briser les filaments de fibrine, cette protéine résistante et filiforme piégeant les globules rouges et d’autres substances. Il est ainsi possible de « réduire la taille du caillot jusqu’à 5 % de son volume initial, sans provoquer de rupture ni dispersion », explique la professeure Renee Zhao, ingénieure en mécanique et conceptrice du milli-spinner. 

Résultat : un retrait rapide, propre, et beaucoup moins risqué. La solution fonctionne même sur « des caillots résistants riches en fibrine, impossibles à traiter actuellement ».

D’une idée accidentelle à une invention révolutionnaire

L’histoire de cette technologie est aussi fascinante que son fonctionnement. Initialement développée comme un système de propulsion pour des « milli-robots médicaux », une précédente invention de la même équipe, la structure du milli-spinner a surpris les chercheurs lorsqu’ils ont découvert ses effets inattendus sur les caillots sanguins.

Cet heureux hasard a déclenché une série d’expérimentations, menant à une conception optimisée de l’outil. En ce moment, l’équipe travaille sur un projet encore plus ambitieux : une version autonome de son appareil, qui serait capable de « nager librement dans les vaisseaux sanguins » des patients pour atteindre les caillots les plus inaccessibles.

Trois ans avant le milli-spinner, Stanford créait les milli-robots

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Une course contre la montre vers les blocs opératoires

Face au potentiel immense de cette invention, les chercheurs n’ont pas tardé à lancer une start-up dédiée, avec l’objectif de commercialiser rapidement cette innovation. Des essais cliniques sont en cours de préparation, afin d’obtenir les autorisations réglementaires. Et l’ambition va plus loin : l’équipe explore déjà des applications élargies de son milli-spinner, notamment pour fragmenter des calculs rénaux ou dans d’autres domaines médicaux où l’aspiration localisée pourrait faire une sacrée différence. « Des opportunités très prometteuses s’offrent à nous », s’enthousiasment les scientifiques. 

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La clim n’est pas un crime

En France, on meurt plus de la chaleur qu’au Mexique ou aux Philippines. Notre population, vieillissante, est plus fragile que d’autres. Pourtant, elle a moins accès à la climatisation qu’ailleurs. Une diabolisation meurtrière.

Plus de 10 000 morts en excès pendant l’été 2022, selon Santé publique France. Plus de 5000 en 2023. 47 690 en Europe. Notre continent est celui des étés meurtriers : la chaleur y tue plus qu’en Afrique, qu’en Asie ou qu’en Amérique Latine. 

Pourtant, malgré cette réalité devenue chronique, la climatisation reste chez nous perçue comme un gadget, voire une menace. On en parle du bout des lèvres, comme si admettre son utilité revenait à trahir un certain art de vivre. Résultat, la France est une anomalie : moins d’un ménage sur quatre est équipé. À des années-lumière des 90% d’américains ou de japonais, champions en la matière.

Des conséquences désastreuses…

Dans les Ehpad, la situation est souvent catastrophique. Durant l’été 2022, 60,7 % des établissements ont été thermiquement inconfortables dans les espaces privatifs. Dans les écoles, on apprend à composer avec des salles surchauffées, alors que la chaleur inhibe le développement des capacités d’apprentissage, notamment pour les étudiants à faible revenu, qui bénéficient de moins de confort chez eux. Quand les établissements ne décident pas tout simplement de jeter l’éponge.

Nos services publics suivent parfois la même voie, avec des horaires restreints. Au-delà de 25°C, nos performances chutent drastiquement. La clim, meilleure alliée de notre productivité, devrait mettre tout le monde d’accord, des salariés aux patrons. Pourtant, son absence est si marquante que notre pays est devenu une inépuisable source de moqueries, jusque dans les séries Netflix.

…qui pourraient s’amplifier

A mesure que les étés deviennent plus torrides, ce retard risque de devenir critique. Une étude récente a simulé le Paris de 2100, en pleine vague de chaleur. Le constat est sans appel : sans climatisation, les Parisiens seront exposés à un stress thermique intense pendant 15 heures par jour à l’extérieur, et plus de 7 heures à l’intérieur, chez eux comme sur leur lieu de travail. 

Comment fonctionne une clim’ ?

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Avec des systèmes de climatisation réglés à 23°C, cette exposition chute immédiatement à zéro en intérieur et n’augmente que de 20 minutes en extérieur. L’étude envisage également des alternatives, particulièrement volontaristes : convertir 10 % de la surface de Paris en parcs et isoler massivement les logements. Des dépenses importantes, pour un résultat peu probant : seulement 1h23 de stress thermique en moins à l’intérieur, trente minutes à l’extérieur. Et irréaliste : lors des canicules, toute l’eau potable consommée en région parisienne ne suffirait pas à arroser ces nouveaux espaces verts. Les réseaux collectifs de froid pourraient être une autre piste. Mais leur coût peut-il se justifier pour quelques semaines d’utilisation par an ?

Des reproches climatiques fragiles

Pourtant, la crainte du changement climatique pousse certains à lutter contre la clim plutôt qu’à l’adopter. Les rejets de chaleur en extérieur sont une première critique récurrente. La climatisation rejette effectivement de l’air chaud, mais dans des proportions très limitées, n’entraînant qu’une augmentation de 0,25°C à 0,75°C en moyenne, même lors d’une canicule. Des pics à +2,4°C ont été observés, mais uniquement après neuf jours consécutifs de chaleur extrême, et sur des zones très localisées. Pour compenser, la végétalisation a un vrai rôle à jouer. D’autant qu’une maison bien isolée rejette presque autant de chaleur qu’une maison climatisée. Dans un logement passif, l’énergie solaire est réfléchie ; dans un logement climatisé, elle est évacuée. Dans les deux cas, des kilowatts thermiques sont renvoyés dehors. 

Non, la clim’ ne « donne » pas le rhume

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Les fluides réfrigérants, les HFC, gaz à effet de serre très puissants, sont aussi pointés du doigt. Ils sont pourtant utilisés en circuit fermé, et ne peuvent s’échapper qu’en cas de défaut d’entretien. La réglementation F-gaz de l’Union Européenne prévoit par ailleurs le basculement progressif vers des gaz à Pouvoir de Réchauffement Planétaire (PRP) plus faible.

On lui reproche enfin sa consommation d’énergie. Un argument difficilement audible : l’été, la France produit plus d’électricité bas carbone que nécessaire, grâce à son parc nucléaire et à l’énergie solaire. Et les pompes à chaleur réversibles – qui chauffent l’hiver et refroidissent l’été – sont deux à quatre fois plus efficaces que les chaudières à gaz, trois à cinq fois plus que des radiateurs électriques. 

La climatisation, vecteur de progrès humain

« Elle a été l’invention la plus marquante de l’histoire. Ma première action a été de l’installer dans les bâtiments publics. C’était la clé de l’efficacité de l’administration. » Lee Kuan Yew, fondateur du Singapour moderne, ne s’y est pas trompé. La chaleur emporte les plus âgés, les plus pauvres, les plus fragiles. Face à elle, la clim’ est en train de devenir un outil fondamental de justice climatique. Il est urgent qu’enfin, la France l’adopte sans remords. Grâce à notre électricité bas-carbone, elle sera même la plus vertueuse du monde. 

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Bangladesh : fin de la dèche vaccinale ?

Parmi les cas désespérés en termes de vaccination au moment de son indépendance, en 1971, le Bangladesh est en passe de remporter l’impossible pari d’assurer seul le financement de la couverture vaccinale de sa population. Un miracle qui est parallèle au boum économique que connaît le pays.

Penser le Bangladesh d’aujourd’hui, c’est accepter de mener un intense combat contre ses a priori, longtemps pourtant fondés sur de tristes réalités. C’est tenter d’oublier les macabres coups d’État qui ont émaillé l’histoire de ce jeune pays, né en 1971 sur les cendres de l’improbable Pakistan oriental. Car seul un cerveau distrait ou peu instruit par l’Histoire pouvait penser que deux entités d’une même nation survivraient en ayant entre elles deux mille kilomètres du territoire d’un autre pays, par ailleurs hostile, l’Inde. Ce qui fut pourtant le pari fou et perdant des artisans de la partition de 1947. D’autant plus qu’on ne parle pas la même langue à Islamabad et à Dacca, le Pakistan employant l’ourdou et le Bangladesh, le bengali. Bref.

Penser ce Bangladesh, c’est aussi tourner le dos à une litanie de famines ayant traversé les siècles et charrié leurs millions de morts, jusqu’à celle de 1973-1974. C’est beaucoup se résigner en considérant la lutte implacable et stérile entre deux visions politiques : celle du Parti nationaliste du Bangladesh, allié aux islamistes, et celle de la Ligue Awami, laïque, aux fondamentaux idéologiques variables, mais presque toujours sensibles à une autocratie pourtant contraire à la constitution de cette relative et fragile démocratie parlementaire. C’est faire fi de la topologie d’un État qui partage avec les Pays-Bas d’avoir une large partie de son territoire situé sous le niveau de la mer, mais sans les polders, et se retrouve familier de terribles catastrophes naturelles : inondations sans pareilles, cyclones dévastateurs, comme celui de Bhola, qui, en 1970, fit 500 000 morts.

Bref, penser le Bangladesh en 2025, c’est, sans oublier ses faiblesses et les drames qui émaillent sa courte histoire, regarder avec admiration certains facteurs de sa rédemption, dont un élément particulier est le symbole : son rapport à la vaccination. Et là, miracle, pour un pays qui, à ce sujet, était pourtant jugé désespéré il y a un demi-siècle. Grâce à ses progrès économiques et à une large prise de conscience nationale, il est en train d’autonomiser son programme de vaccination avec des résultats exceptionnels. Or, jusqu’à présent, tout était intégralement pris en main par Gavi, l’Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, fondée en 2000 en partenariat avec l’OMS, la Banque mondiale et l’Unicef. Une organisation internationale dont la mission consiste à participer financièrement et logistiquement aux campagnes de vaccination des États qu’elle soutient.

Du critique au magique

Pour comprendre l’étendue du miracle vaccinal bangladais, il faut se référer aux sources publiées par Gavi. Quand elle appréhende le Bangladesh, sa situation est encore critique. Mais déjà sans commune mesure avec celle des débuts. Comme elle l’explique : « En 1979, l’année où le Bangladesh a lancé son programme national de vaccination, 211 enfants sur 1 000 n’atteignaient pas leur cinquième anniversaire. » Une situation liée au contexte déjà évoqué plus haut, mais également à l’extrême pauvreté du pays et à sa structure densitaire. Avec ses 147 570 km², la surface du Bangladesh ne couvre même pas un quart de celle de la France. Il est pourtant le huitième pays le plus peuplé du monde, avec plus de 170 millions d’habitants et une densité de population dix fois supérieure à la nôtre. Il est également un vivier de maladies, allant de la dengue, en passant par les différentes hépatites, le choléra, la fièvre jaune, la méningite, la diphtérie, la coqueluche, et on en passe. Ce qui nécessite, avant de s’y rendre, d’avoir garni son carnet de vaccination. Raison pour laquelle le pays est devenu une terre pilote pour la mise en place d’ambitieux programmes de développement, notamment en matière de piqûres salvatrices.

Selon Gavi : « Moins d’un demi-siècle plus tard, le pays a fait mentir les pronostics. Un enfant né aujourd’hui au Bangladesh peut espérer une vie plus longue et plus sûre : le taux de mortalité des moins de 5 ans est tombé à 31 pour 1 000 naissances vivantes. » Derrière la réussite du programme, une réalité qui lui échappe : la responsabilisation des mères qui ont compris l’importance du vaccin pour préserver la santé de leurs enfants. Mais aussi, selon Be-Nazir Ahmed, ancien directeur du contrôle des maladies au sein de la Direction générale des services de santé (DGHS), « grâce à diverses actions : plaidoyer, communication, mobilisation sociale, engagement des communautés, volonté politique et soutien constant de partenaires comme Gavi ».

Sans croissance, pas de vaccins

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Ainsi, dès 2010, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a été réduite des deux tiers. Et, en 2018, « la couverture pour la troisième dose du vaccin combiné contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP3) atteignait 98 %, celle de la rougeole 93 %, et le pays était déclaré exempt de polio depuis 2014 », affirme Be-Nazir Ahmed.

Un succès qui tente maintenant de se reproduire dans les couches les plus vulnérables et les moins accessibles de la population, celles qui nichent dans les bidonvilles, les régions rurales reculées et les territoires les plus ancrés dans les zones inondables. Selon Gavi, d’ici 2030, le pays pourra assumer seul le coût des 160 millions de dollars des programmes vaccinaux liés aux femmes et aux enfants, et se passer de leurs services.

Un miracle qui, comme on l’a déjà suggéré, doit beaucoup à l’amélioration sensible et globale de la situation économique du pays, qui a su engager d’importantes réformes d’infrastructures et de diversification, en dépit de son instabilité politique – voir prolongement. Selon Gavi, l’an prochain, le Bangladesh quittera la liste des nations les moins avancées de l’ONU. Logique. Sur les deux dernières décennies, il a enregistré une croissance moyenne se situant entre 6 et 7 %. Une cascade de bonnes nouvelles, qui va de pair avec l’amélioration globale des conditions de vie de la population. Mais tout cela est fragile, tant le pays est instable politiquement et reste parmi les plus sensibles au changement climatique.

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