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Sur les traces de la légende du canard d’or – Épisode II

Bon, les amis, comment ça va vous ? Parce que moi, franchement… pas terrible. Je suis toujours à la recherche de mon canard d’or, que le chef Antoine a caché je ne sais où. J’ai pourtant rendu à temps ma copie pour le livre sur le bio. On est même toujours n°1 des ventes sur Amazon dans la catégorie “Agriculture Biologique”… Alors pourquoi ne me le rend-il pas ?

— Tu te ramollis, Fred, fais marcher ton cerveau. Cette énigmounette est largement à ta portée, et à celle de nos lecteurs, m’a-t-il même répondu quand je lui ai posé la question. Impossible n’est pas électrons, souviens-toi, a-t-il ajouté, l’air satisfait.

Alors j’ai crié, crié, pour qu’il revienne. Puis j’ai cherché. Partout. J’ai même commencé par les Pays-Bas. Fausse piste. (Mais bonne nouvelle : j’ai ramené une idée d’article.)

— Arrête de courir, Fred, et réfléchis, m’a dit Antoine quand je suis rentré, bredouille.

Alors j’ai réfléchi… 

…et je pense avoir trouvé un truc. J’ai repensé à mon premier article. Je l’avais intitulé : À la recherche du canard d’or, clin d’œil assumé à l’histoire de la chouette d’or. Mais quand il est paru, le titre avait changé : À la recherche de la légende du canard d’or. Et là je me suis dit : ce n’est sûrement pas un hasard. Antoine a dû le modifier pour une bonne raison.

J’ai même essayé de placer le mot rajouté dans la grille trouvée sur son bureau… Et vous savez quoi ? Il rentre parfaitement en sixième ligne.

Je pense que je tiens quelque chose… Nager dans les rhododendrons… Mais bien sûr, Antoine…

Plus que dix mots à trouver pour reconstituer l’énigme et la grille. Et ces chiffres… On dirait que… Vous m’aidez ? Je suis prêt à distribuer les abonnements VIP et Quark comme s’il en pleuvait, si on trouve.

— Même pas en rêve, a rajouté Antoine en publiant l’article…

À suivre…

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Solaire : l’éclipse espagnole

Le 28 avril 2025, l’Espagne et le Portugal ont basculé dans l’obscurité. En quelques secondes, près de 60 millions d’habitants ont été plongés dans un black-out massif. Transports figés, communications coupées, hôpitaux sous tension : une panne d’une ampleur inédite, qui a mis en lumière les fragilités de réseaux électriques de plus en plus dépendants des énergies renouvelables.

Alors que l’Espagne est un pionnier dans l’adoption des énergies vertes, cet incident a relancé une interrogation brûlante : le photovoltaïque, jadis célébré comme une solution miracle pour la transition énergétique, est-il en train de perdre de son éclat ?

Le black-out ibérique : une crise révélatrice

Ce 28 avril 2025, à 12 h 33, le réseau ibérique s’effondre. Selon Red Eléctrica de España (REE), le gestionnaire du réseau espagnol, une perte soudaine de 15 GW de production, principalement d’origine solaire, a été enregistrée, représentant environ 60 % de la demande nationale à ce moment précis. Elle fait chuter la fréquence à 49,2 hertz (au lieu de 50 hertz). Une série d’arrêts automatiques se déclenche, les interconnexions avec la France et le Maroc se coupent. L’Espagne et le Portugal entrent alors dans une nuit artificielle qui durera de dix à vingt heures selon les régions.

Très vite, une suspicion se porte sur la centrale solaire Nuñez de Balboa, exploitée par Iberdrola. Selon plusieurs fuites relayées par la presse, des anomalies auraient déstabilisé le réseau, provoquant une réaction en chaîne, amplifiée par la forte proportion de sources renouvelables (70 % de l’électricité provenait du solaire et de l’éolien au moment de l’incident). Mais la ministre de la Transition écologique, Sara Aagesen, tempère. Ce ne serait pas un site isolé qui aurait plongé le pays dans le noir, mais bien un enchaînement de défaillances – erreurs de pilotage de Red Eléctrica de España (REE), manque de capacités de secours disponibles, fragilité structurelle d’un réseau saturé d’énergies intermittentes.

Ce black-out a révélé une réalité technique fondamentale : les énergies renouvelables, bien qu’essentielles à la transition énergétique, posent des défis majeurs en termes de stabilité. Contrairement aux centrales thermiques ou nucléaires, les installations solaires et éoliennes n’apportent pas l’inertie électromécanique indispensable au réseau. Dans un système classique, cette inertie vient des masses en rotation – turbines, alternateurs – qui, comme la roue d’un vélo, permettent de continuer à avancer malgré une secousse ou une variation de cadence. Sans elle, la moindre oscillation de fréquence se transforme en choc violent.

Les panneaux solaires produisent du courant continu à partir de la lumière du soleil, ensuite converti en courant alternatif par des onduleurs. Or, ces équipements électroniques n’apportent aucune inertie. Les éoliennes modernes, pour la plupart connectées via des convertisseurs, ne transmettent pas non plus directement l’énergie cinétique de leurs pales au réseau. Résultat : au moment où l’Espagne fonctionnait avec près de 70 % de renouvelables, la moindre anomalie locale a suffi à faire vaciller l’ensemble du système.

Photovoltaïque : de l’euphorie au désenchantement

L’Espagne s’est longtemps enorgueillie d’être championne européenne du solaire. En 2024, les renouvelables représentaient déjà 56 % de son mix électrique, et le pays vise 81 % en 2030. À certaines heures, le photovoltaïque couvre plus de 60 % de la demande nationale. Mais cette réussite est aussi une fragilité.

Le 28 avril, la surproduction solaire atteignait 32 000 MW pour une demande limitée à 25 000 MW. Face à ce déséquilibre, les systèmes automatiques ont déconnecté en cascade des centrales entières, dès que la fréquence sortait de la plage tolérée. Ce n’est pas tant le solaire lui-même qui est en cause que l’incapacité du réseau à absorber des flux aussi massifs et variables. Sans stockage suffisant, sans mécanismes de régulation modernes, la solution du photovoltaïque se mue en problème.

Une panne aussitôt instrumentalisée

À peine les lumières revenues sur la péninsule ibérique, le débat politique s’est enflammé. En Europe, des figures de l’extrême droite comme l’Allemande Alice Weidel (AfD) ou l’Italien Antonio Tajani (Fratelli d’Italia) ont saisi l’occasion pour accuser le Pacte vert d’affaiblir la sécurité énergétique. En Espagne, l’opposition a réclamé le retour du nucléaire comme garantie de stabilité. Le Premier ministre Pedro Sánchez a répondu que les centrales nucléaires s’étaient elles-mêmes arrêtées lors du black-out, et que seules les centrales hydroélectriques et à gaz avaient permis le redémarrage.

Sur le terrain industriel, le jeu des responsabilités a vite tourné à la passe d’armes en mode renvoi de la patate chaude. Iberdrola s’est exemptée de toute faute, REE a incriminé la proportion excessive de renouvelables, tandis que la fédération patronale Aelec a dénoncé l’absence de centrales synchrones pour assurer la stabilité du réseau. La panne a ainsi révélé une évidence. La transition énergétique n’est pas qu’un enjeu technique, c’est aussi un champ de bataille politique et économique.

Le solaire : un pilier indispensable des ENR

Malgré ce désenchantement, nul ne peut se passer du photovoltaïque. Son association avec les batteries lui confère un rôle potentiel dans le lissage de la demande, dont ne peut se targuer l’éolien, à l’intermittence bien moins cyclique et plus imprévisible. Il s’installe vite, nécessite peu d’investissements lourds, ne présente pas de risque industriel majeur et affiche des progrès constants en matière de rendement et de recyclage. Aujourd’hui, les taux de récupération des matériaux (verre, aluminium, silicium) peuvent aller jusqu’à 95 %. Quant aux batteries, elles gagnent en compacité et en durabilité, en plus d’être moins onéreuses et de voir leurs matériaux (lithium, cobalt, nickel) être recyclables à près de 90 % contre moins de 50 % il y a encore dix ans.

Solaire : la France contre-attaque

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Mais l’intégration efficace et sûre du photovoltaïque aux réseaux exige une transformation profonde de ces derniers. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra ajouter ou remplacer 80 millions de kilomètres de lignes électriques dans le monde d’ici 2040 pour atteindre les objectifs climatiques. Et l’Espagne, enclavée derrière les Pyrénées, doit renforcer ses interconnexions avec le reste de l’Europe pour éviter que de futures perturbations locales ne tournent au désastre continental.

Les pistes existent, comme le développement du stockage hydraulique par stations de pompage-turbinage, la production de batteries de grande capacité, mais aussi les innovations technologiques comme l’inertie virtuelle. Ces convertisseurs électroniques de nouvelle génération permettraient aux installations solaires d’imiter le comportement stabilisateur des centrales conventionnelles. Des équipes de recherche, notamment à l’IMDEA Energía, travaillent déjà sur ces solutions, qui nécessiteront des incitations économiques et des réformes réglementaires pour se déployer à grande échelle.

L’Europe en première ligne

L’Union européenne a lancé une enquête indépendante, confiée à l’ENTSO-E et à l’ACER, pour tirer toutes les leçons du black-out ibérique. Les priorités relevées pointent la nécessité de renforcer la résilience des réseaux, d’améliorer la coordination transfrontalière et d’intégrer les renouvelables dans une architecture plus robuste.

Pour l’instant, la France, protégée par son parc nucléaire et ses dispositifs de protection réseau, a échappé à ce genre de pannes. Mais ce répit ne doit pas masquer une tendance de fond : l’Europe entière est confrontée au défi d’une intégration massive des renouvelables sans fragiliser ses systèmes. Le solaire, par son ampleur et son développement rapide, est au cœur de cette équation.

L’avenir de l’énergie française au cœur d’une guerre de chapelles

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Une transition sous tension

L’éclipse espagnole ne signe pas l’échec du photovoltaïque. Elle rappelle que la transition énergétique ne peut se résumer à déployer toujours plus de panneaux ou d’éoliennes sans investissements massifs sur les réseaux, ses mécanismes de régulation et l’innovation technologique.

Si le solaire reste une pièce maîtresse du mix énergétique, il n’a rien d’un miracle au maniement aisé. Le 28 avril en a témoigné. À l’heure actuelle, un simple excès de production peut plonger une large partie d’un continent dans la nuit.

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Lobby et marchands de (ci)trouilles bio 

Après deux décennies de croissance, le bio marque le pas. Les ventes stagnent, et les surfaces cultivées reculent. Pourtant, l’État continue de miser sur lui, à coups de subventions et d’objectifs toujours plus ambitieux. Le secteur, en crise, fonde sa survie sur le lobbying et la fabrique de la peur.

Trou d’air passager ou marché mature ? Après un plongeon en 2021 et deux années dans le rouge, l’agriculture biologique se stabilise. Son chiffre d’affaires s’est maintenu l’an dernier à 12,2 milliards d’euros (+0,8 %), certes loin de son pic de 2020 (12,8 milliards), et sa part de marché reste de 5,7 % des achats alimentaires des Français selon les chiffres de l’Agence Bio. Une situation liée au net rebond en circuits spécialisés et en vente directe (+7 % par rapport à 2023), alors que les ventes en grande distribution, qui représentent encore près de la moitié du total, poursuivent leur dégringolade pour la quatrième année consécutive (-5 %). L’inflation a en effet conduit les grandes enseignes classiques à sabrer dans leur offre de produits bio qui, 30 à 50 % plus chers, ne trouvaient plus preneurs. Et le retour des prix à la normale n’a pas suffi à inverser la tendance. Quant à la restauration hors domicile, elle reste marginale (8 % du marché).

Le marché bio tient donc essentiellement grâce aux consommateurs « purs et durs », à fort pouvoir d’achat, qui fréquentent les magasins spécialisés comme La Vie Claire, Naturalia (Monoprix), Bio C Bon (Carrefour) ou, surtout, Biocoop, leader incontesté du secteur avec 742 magasins et 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Un créneau certes en voie de rétablissement, mais loin des croissances à deux chiffres des années 2010.

Dans ces conditions, l’acharnement des pouvoirs publics à subventionner toujours plus le développement de l’agriculture biologique laisse perplexe. Surtout, en constatant que les surfaces agricoles bio ont encore reculé en 2024, leur part stagnant autour de 10 % du total. Pourtant, la loi d’orientation agricole votée en mars dernier prévoit de doubler ce pourcentage d’ici 2030, en l’amenant à 21. Soit, dans quatre ans et demi ! Qui peut y croire ?

Sécurité Sociale de l’alimentation : le bio joue sa carte vitale

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Étranglés entre la baisse de la demande et les surcoûts de production (rendements plus faibles qu’en agriculture conventionnelle, besoins en main-d’œuvre), bon nombre d’agriculteurs bio ne parviennent plus à garder la tête hors de l’eau, malgré les aides européennes et les plans d’urgence de l’État – 104 millions d’euros en 2023, 105 millions en 2025. S’y ajoute une série d’aides à la filière, notamment via le fonds Avenir Bio, créé en 2008 : 18 millions d’euros de budget l’an dernier, sans compter les 5 millions de financement de la campagne de promotion lancée cette année à l’occasion des 40 ans du label AB.

La récente décision de réduire de plus de moitié le budget 2025 du fonds Avenir Bio (au nom de la quête d’économies) a logiquement mis la filière en émoi. Mais est-il réaliste de vouloir à tout prix, à coup de subventions et de dirigisme, doper les surfaces et les volumes d’un modèle coûteux, dont les bénéfices sur la santé et l’environnement sont loin d’être avérés ? La loi Egalim impose ainsi depuis 2022 au moins 20 % d’aliments bio dans les repas des cantines scolaires. On en est loin : trop cher pour les collectivités, ou trop compliqué (ou contre-productif si les produits bio sont importés). Autre initiative, émanant cette fois de la mairie écologiste de Strasbourg : la distribution gratuite, sur simple ordonnance du médecin (dispositif Ordonnance Verte), de paniers de fruits et légumes bio à 2 000 femmes enceintes.

Biocoop : fils de pub

En fait, la filière bio a surtout construit son succès foudroyant du milieu des années 2000 à 2020, grâce à un discours agressif, axé autour du bashing systématique de l’agriculture conventionnelle. Ou plutôt du « lobby agro-industriel » et, surtout, des pesticides. À ce jeu, Biocoop a fait très fort. En 2014, le réseau coopératif lance une campagne d’affichage s’attaquant aux produits alimentaires classiques. Une affiche montrant une pomme dont sort un tas de ferraille, avec ce slogan : « n’achetez pas de pommes (traitées chimiquement) », lui vaudra deux ans plus tard une condamnation pour dénigrement. Sans aucun dommage pour son image, puisque les ventes ont progressé et que l’enseigne a récidivé en 2017, à l’occasion d’Halloween, avec une affiche de citrouille et cette annonce en gros caractères : « Vous devriez en avoir peur toute l’année ». En guise de légende : « la citrouille est l’un des aliments contenant le plus de pesticides. Chez Biocoop, tous nos produits sont garantis bio, zéro pesticide et zéro OGM ».

Un marketing de la peur qui s’est avéré très payant dans l’opinion, même s’il repose sur un double mensonge, au moins par omission. Car l’agriculture bio utilise, elle aussi, des pesticides, certes dits « naturels » (non issus de la chimie de synthèse), mais parfois tout aussi néfastes pour l’environnement, tels que les traitements à base de cuivre, toxiques pour les micro-organismes du sol, ou le spinosad, insecticide tueur d’abeilles avéré. Par ailleurs, le bio cultive de nombreuses plantes classées OGM car issues de mutagenèse in vitro, même si, grâce à la relative ancienneté de cette technique (une cinquantaine d’années), elles ne sont pas soumises aux règles de la directive européenne de 2001, notamment en matière d’étiquetage.

Spinosad : l’autre tueur d’abeilles ?

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Il n’empêche, la diabolisation de ces deux totems fonctionne, d’autant mieux qu’elle est attisée depuis des années par une nébuleuse d’ONG, d’activistes écologistes, collectifs et scientifiques militants, allant de Greenpeace à Pan Europe en passant par Nature et Progrès, Secrets Toxiques, les Faucheurs volontaires, la Confédération paysanne ou le CRIIGEN. Au centre se trouve l’influente association Générations futures (741 500 € de budget), sponsorisée par le biobusiness et l’État français. Elle multiplie les campagnes anxiogènes et les rapports ou études, biaisés mais très médiatisés, sur les résidus de pesticides. Cet écosystème, qui possède des relais de poids dans la presse et au Parlement européen (entre autres, l’eurodéputé Claude Gruffat, qui fut président de Biocoop pendant 15 ans), présente toutes les caractéristiques d’un lobby puissant. L’an dernier, la mouvance anti-pesticides s’est même élargie aux mutuelles, comme le démontre le journaliste Gil Rivière-Wekstein dans sa revue en ligne Agriculture et environnement.

Générations futures, un lobby peu discret

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Cancers : peur sur la métropole

L’outrance et l’hystérie ont atteint des sommets le 8 juillet dernier lors du vote à l’Assemblée nationale de la loi dite Duplomb, qui réintroduit ponctuellement et sous conditions très strictes l’acétamipride, un néonicotinoïde autorisé partout en Europe mais interdit en France depuis 2018. Les députés écologistes Benoît Biteau et Delphine Batho ont fait venir dans l’hémicycle des malades du cancer et des parents d’enfants qui en sont morts. Ils ont accusé les députés d’être « les alliés du cancer ». Des élus de gauche ont même prédit une hausse de ces pathologies chez les enfants, sans fournir d’arguments réels pouvant le laisser penser. Quant au journaliste-activiste Hugo Clément, il s’est offert cette indigne sortie sur tous les réseaux sociaux : « la majorité des députés a voté POUR des produits qui causent le cancer, tuent des enfants et détruisent la vie sauvage »… Une instrumentalisation cynique de la souffrance des malades, relayée sans recul par bon nombre de médias. Dénonçant « une soumission aux intérêts de l’agrobusiness », Générations futures a même annoncé sa volonté de contester le texte devant les tribunaux.

Peu importe que l’Agence sanitaire européenne EFSA, censée s’appuyer sur le consensus scientifique, après avoir passé en revue toutes les études les plus récentes, considère l’usage de cette molécule sans danger pour la santé humaine et pour l’environnement, si les conditions d’utilisation sont bien respectées (idem pour son homologue française l’Anses). Peu importe, pour les promoteurs du bio, qu’en 20 ans, l’agriculture française ait fait d’énormes progrès, grâce à la réduction des intrants, à l’interdiction de la quasi-totalité des molécules au risque cancérogène, mutagène ou reprotoxique avéré (les CMR 1), à l’amélioration constante des pratiques culturales et du recours à l’irrigation. À ce sujet, rappelons que lors de l’examen de la loi Duplomb, la commission du développement durable, présidée par une agricultrice en bio, Sandrine Le Feur, avait voté sans honte plusieurs amendements (effacés dans la version finale) interdisant la construction de nouvelles retenues d’eau et réservant aux seules exploitations en bio le droit d’utiliser celles existant déjà !

Ce déni a peut-être une explication : en 2021, le Synabio (syndicat regroupant industriels et distributeurs bio) reconnaissait être « challengé » par d’autres signes de qualité comme le Label Rouge, le « zéro résidu de pesticides » ou la certification HVE (Haute valeur environnementale). En d’autres termes, tout effort alternatif en faveur d’une agriculture plus exigeante et plus durable serait perçu comme une compétition menaçante pour le bio. Le syndicat du biobusiness, allié à d’autres acteurs dont UFC-Que Choisir, la FNAB et son incontournable bras armé, Générations futures, avait d’ailleurs engagé un recours contre la certification HVE, qualifiée de « greenwashing ». Il a été débouté en mars dernier par le Conseil d’État.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre V : Le bio qui cache la forêt

Épisode précédent : Environnement, le vert à moitié plein

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Micro-plastiques, maxi-peurs

« Microplastiques, mégapollution » (Sciences et avenir), « à la maison ou en voiture, vous êtes cernés » (Libération)… Dès qu’une nouvelle étude paraît sur les microplastiques, les titres de presse anxiogènes fleurissent. Pourtant, aujourd’hui, nos connaissances sur le sujet sont bien plus limitées que ne le suggèrent nos confrères.

Ces derniers mois, deux publications parues dans les plus prestigieuses revues médicales mondiales — le New England Journal of Medicine et Nature Medicine — ont relancé les débats. Elles suggèrent que les micros (de 1 µm à 5 mm) et nanoplastiques (< 1 µm) peuvent s’accumuler dans les tissus humains, de nos artères à notre cerveau, et être associés à un excès d’événements cardiovasculaires ou à des atteintes neurologiques. Elles s’ajoutent aux études évoquant des risques au niveau respiratoire en raison d’un possible stress oxydatif, une inflammation chronique, des déséquilibres du microbiote respiratoire et ainsi une possible aggravation de pathologies telles que l’asthme, la bronchite chronique, la fibrose pulmonaire. En France, une étude de l’Université de Toulouse alerte sur la pollution de nos voitures et de nos intérieurs. Idem pour certaines eaux en bouteille, selon l’Office français de la biodiversité (OFB). Qu’en est-il réellement ?

Microplastiques : l’échec politique face à une pollution invisible

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Les microplastiques causent-ils des AVC ?

Dans le New England Journal of Medicine (NEJM), des chirurgiens vasculaires ont analysé des plaques carotidiennes prélevées chez des patients opérés. Ces dépôts, généralement composés d’un mélange de graisses (cholestérol), de cellules inflammatoires, de tissus fibreux et de calcaire, se forment à l’intérieur des deux grosses artères situées de chaque côté du cou. Avec le temps, ils peuvent les rétrécir, réduisant le flux sanguin vers le cerveau, ou se rompre, provoquant un accident vasculaire cérébral.

En analysant ces plaques, les scientifiques ont parfois détecté des micros et nanoplastiques, surtout du polyéthylène et, plus rarement, du PVC. Quand c’était le cas, les patients présentaient, sur trente-quatre mois de suivi, un excès marqué d’événements cardiovasculaires majeurs, avec un risque relatif environ 4,5 fois plus élevé. Mais il s’agit d’une étude observationnelle, qui ne prouve pas la causalité. Surtout, comme le rappellent les auteurs, l’absence de groupe témoin empêche toute conclusion définitive. Les particules observées, de même type, quel que soit le sujet, peuvent aussi provenir de la salle d’opération ou du matériel chirurgical lui-même, souvent en plastique.

Nos cerveaux infiltrés ?

Dans Nature Medicine, des neuropathologistes de l’Université du Nouveau-Mexique ont, pour la première fois, détecté des nanoplastiques dans le cerveau humain post-mortem. Du polyéthylène, dans les trois quarts des cas, mais aussi du polypropylène, du PVC et du polystyrène. Les concentrations mesurées y sont très élevées, 7 à 30 fois plus que dans le foie ou les reins, et elles auraient augmenté de 50 % entre 2016 et 2024 ! Pire, chez les personnes atteintes de démence (Alzheimer ou démence vasculaire), les niveaux cérébraux sont cinq fois supérieurs aux autres !

Mais l’étude présente aussi des limites majeures. Les contrôles destinés à repérer d’éventuelles contaminations sont incomplets : l’eau et les planches à découper en polyéthylène utilisées pourraient constituer des sources de particules, tout comme les lavages des tissus — réalisés différemment pour les cerveaux sains et ceux atteints de démence. La forte proportion de polyéthylène pourrait ainsi refléter une contamination liée à l’utilisation d’une planche à découper en plastique plutôt qu’une accumulation réelle. L’uniformité des types de polymères détectés, quel que soit l’âge ou l’exposition supposée, ne plaide pas non plus en faveur d’une bioaccumulation progressive.

En résumé, si cette étude met en évidence la possible présence de microplastiques dans le cerveau, elle ne permet pas de confirmer ni leur origine, ni un lien causal avec la démence ou d’autres pathologies. Les auteurs eux-mêmes rappellent qu’il faudra des protocoles plus robustes pour lever ces incertitudes.

L’eau en bouteille, la source du mal ?

Reste à comprendre d’où viennent ces particules et dans quelle mesure elles franchissent nos barrières de protection. Début janvier, Le Monde accusait sans nuance l’eau en bouteille, « massivement polluée par des nanoparticules de plastique ». Problème, l’étude à laquelle le journal se réfère, si elle constitue une nouvelle approche prometteuse pour identifier et quantifier les nanoplastiques, est loin d’être sans faille. L’eau de référence utilisée comme témoin contenait d’ailleurs plus de particules que l’eau en bouteille testée !

Le nettoyage du matériel avec cette eau de laboratoire contaminée pouvait par ailleurs augmenter artificiellement la concentration mesurée dans l’eau en bouteille… Difficile, dans ces conditions, de savoir quelle part des particules en proviennent… et de ne pas s’interroger sur la proportionnalité de l’emballement médiatique.

Emballement qui refait surface ces derniers jours avec la mise en cause de Contrex et Hépar par Médiapart, qui dénonce la contamination aux microplastiques de leurs eaux par les décharges sauvages de Nestlé. Laisser du plastique se dégrader dans l’environnement peut effectivement polluer les sols et la nappe phréatique, même si ce processus, très lent, a peu de chances d’avoir lieu en quelques décennies seulement. Il faudra attendre la parution du rapport de l’OFB, sur lequel se fonde l’article, pour en juger.

D’autres sources bien identifiées

Souligner les limites des articles scientifiques et la façon dont ils sont relayés dans les médias ne remet pas en cause la réalité de la présence de ces microparticules dans l’environnement. Un rapport de référence de l’institut néerlandais RIVM pointe trois contributeurs majeurs : l’usure des pneus sur la route (pour le moment augmentée par les voitures électriques, au poids moyen supérieur à celui des voitures thermiques), les granulés industriels qui servent de matière première, et la fragmentation des déchets plastiques. Viennent ensuite les peintures, les textiles et quelques autres usages. Réduire ces flux en amont a des bénéfices documentés pour l’environnement et, possiblement, pour la santé, même si cela reste à prouver. Ces mesures peuvent guider l’action publique, en attendant une évaluation plus précise des risques pour la santé humaine, même si les coûts inhérents à ces décisions doivent être évalués.

Comment freiner les émissions des pneus ?

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Moins médiatisée que l’eau en bouteille, l’inhalation est pourtant une voie d’exposition probable. Les particules et fibres issues des textiles, des matériaux domestiques et des poussières intérieures composent un cocktail auquel nous sommes exposés en continu, notamment dans les espaces clos. Une « revue systématique » parue en 2024 — et plus récemment un article publié en juillet 2025 par une équipe de recherche française —, souligne les larges incertitudes sur les doses réellement inhalées et déposées dans les voies respiratoires, mais confirme que la pollution de l’air intérieur n’est pas à négliger. Là encore, la priorité est de standardiser les méthodes et d’évaluer les risques associés à cette exposition, en fonction des sources de contamination.

C’est également ce que souligne l’OMS dans son dernier rapport sur les expositions par inhalation et par l’alimentation, estimant que les données actuelles sont trop limitées et disparates pour évaluer clairement les risques. Elle appelle à mieux mesurer les expositions réelles, à harmoniser les méthodes d’analyse et à poursuivre l’amélioration des procédés de production d’eau potable, où les enjeux microbiologiques restent prioritaires. Une position de prudence : l’incertitude ne signifie pas l’innocuité, mais elle invite à éviter les conclusions hâtives et alarmistes.

Un air de moins en moins pollué ?

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Des gestes simples, plutôt que des discours alarmistes

Informer sans jouer sur la peur, c’est rappeler qu’un contaminant détecté dans un tissu ne prouve pas qu’il provoque une maladie. Mais aussi qu’on ne peut pas déduire d’un simple comptage de particules dans une bouteille d’eau qu’elles finiront dans notre cerveau. C’est aussi hiérarchiser les priorités. Oui, la pollution plastique exige des mesures fortes pour l’environnement et l’industrie ; oui, les soupçons d’impact sur la santé justifient d’accélérer la recherche et le suivi médical ; mais non, on ne peut pas, à ce stade, établir un lien avec la démence ou donner des conseils médicaux précis. 

Aujourd’hui, hormis une norme « d’attente » trop généraliste et peu pertinente, il n’existe toujours pas de méthode standardisée pour extraire, mesurer et identifier les microplastiques, ce qui rend les études difficilement comparables entre elles. Ce travail est en cours au niveau européen et international, mais il prendra du temps. Or pour informer, il faut s’appuyer sur des études solides, capables de détecter les microplastiques avec rigueur et de limiter les erreurs. Puis expliquer clairement ce que l’on ne sait pas encore — comme la relation dose-effet chez l’humain, l’importance des nanoplastiques par rapport aux microplastiques, ou le rôle des additifs et des autres polluants présents dans le matériau. 

Enfin, mettre en avant les actions qui font consensus. En avril, l’Europe a ainsi adopté un accord pour réduire les fuites de granulés industriels. Elle a également imposé des restrictions dans l’utilisation de microplastiques intentionnellement ajoutés. Reste à essayer de réduire les particules liées à l’usure des pneus et à faire la promotion de gestes simples du quotidien, comme éviter de chauffer des aliments dans des plastiques non prévus à cet usage, privilégier la réutilisation plutôt que le jetable, et si c’est le cas, trier ses déchets. Par contre, privilégier l’eau du robinet ne limite pas forcément l’exposition aux microplastiques, puisqu’elle passe dans des tuyaux qui en sont constitués. 

Tout ceci est moins spectaculaire qu’un titre alarmiste, plus utile pour la santé publique, et plus fidèle à l’état réel des connaissances. Malheureusement, nous assistons à un cercle vicieux. Les médias mettent en lumière les études les plus anxiogènes, au risque d’influencer négativement le comportement des consommateurs et d’alimenter la défiance envers la science, en entretenant la confusion entre hypothèse et certitude. Pour avancer, celle-ci a besoin de temps, de transparence et de sérénité. Surtout pas de frénésie médiatique.

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Incendies : l’imprévoyance à l’épreuve du feu

Si gouverner, c’est prévoir, il est tristement envisageable que la France ne soit pas au mieux en termes de commandement. C’est en tout cas l’idée qui se dégage de la politique de lutte contre les incendies menée par notre pays depuis plusieurs années, dans un contexte de réchauffement climatique, pourtant propice à la propagation de méga-feux, comme celui qui vient de ravager le massif des Corbières

On connaît la chanson, déjà rapportée par nombre de nos confrères. Le combat contre les flammes dépend en grande partie de la flotte d’avions bombardiers d’eau, dont les fameux Canadair CL-415 et autres Dash 8 Q400. Or, non seulement nous en manquons cruellement, mais une partie de notre parc, très ancien (plus de 30 ans), n’est pas en état de servir, faute d’un nombre suffisant de pièces de rechange.

À ce jour, sur les 12 CL-415 (capables de stocker 6 000 litres d’eau en à peine plus de 10 secondes), seuls 9 sont utilisables. Quant aux Dash 8 Q400 (capacité 10 000 litres, mais remplissage lent depuis les aéroports), deux doivent rester à terre. Pire, l’incendie dans l’Aude, qui a décimé plus de 17 000 hectares, a mobilisé la quasi-totalité des moyens aériens dont le pays dispose. Or, d’autres foyers se sont déclenchés dans la même période. Si l’un d’eux, dans l’Ardèche — donc proche du massif des Corbières — a pu bénéficier des CL-415 utilisés pour éteindre le feu voisin, il n’en est pas de même d’autres sinistres plus éloignés.

Par bonheur, contrairement à ce que vivent actuellement nos voisins espagnols et portugais, aux prises avec plusieurs méga-feux, aucun des autres allumés en France n’est de l’ampleur de celui de l’Aude. Cela pourrait pourtant arriver et déstabiliser profondément notre capacité de lutte.

Les raisons, multiples, de notre impréparation sont pourtant connues, certaines ne dépendant pas uniquement des gouvernements successifs ayant eu à gérer la lutte contre le feu. La première est une question industrielle. D’abord développé par Bombardier, le CL-415 est revendu en 2016 à Viking Air, puis intégré à De Havilland Canada, toutes deux appartenant au groupe Longview. Faute de commandes, Bombardier avait cessé la production dès 2015 et le repreneur a d’abord recentré l’activité sur le MRO (maintenance, réparation, révision) plus rentable à court terme. On ne compte aujourd’hui qu’environ 95 appareils dans le monde. Une paille. Pour répondre à ce parc limité et en fin de vie, De Havilland Canada a lancé le développement d’un successeur modernisé : le DHC-515.

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Mais relancer la production d’un avion spécialisé des années après l’arrêt de celle de son prédécesseur est un défi logistique, industriel, financier et réglementaire colossal. Le cas du DHC-515 en est l’illustration. Initialement attendu au milieu des années 2020, il ne devrait entrer en service qu’en 2030, voire 2032. Le Covid en est en partie la cause, mais pas seulement. Pour des raisons financières, d’autant que De Havilland n’est pas tendre en affaires, le lancement de la production de cet appareil, envisagé entre 50 et 60 millions d’euros pièce à la vente, a été différé, ayant été conditionné à l’obtention de 25 commandes préalables.

Celles-ci ont été atteintes grâce au plan européen rescEU de 22 unités et à une commande de l’Indonésie. Mais ces marchés n’ont été conclus qu’en 2023, retardant considérablement les dates potentielles de livraisons. Et 22 avions, à l’échelle d’un continent européen si souvent la proie des flammes dans un contexte d’aggravation du changement climatique, reste assez négligeable. Quant à la France, elle n’est concernée que par deux appareils…

Cette parcimonie dans les commandes françaises, constatée au moment où le monde a été effaré par les gigantesques feux qui ont ravagé l’ouest du Canada et plusieurs comtés de Los Angeles, tranche cruellement avec la volonté affichée par Emmanuel Macron en 2022. En juillet et août de cette année-là, la Gironde avait été frappée par des incendies majeurs dans le massif des Landes de Gascogne. Les plus importants depuis 1949, détruisant environ 32 000 hectares de forêt. Déclenchés par des causes humaines, ces feux ont été exacerbés par une sécheresse record, des températures dépassant 40 °C et des vents forts. 

Mauvais calcul

La politique surfant de plus en plus souvent sur l’émotion et une succession d’annonces rarement suivies d’effets, le président de la République s’était immédiatement saisi du sujet, assurant que le pays allait commander 14 nouveaux Canadairs. Les débats budgétaires serrés, conduisant à des recherches frénétiques d’économies, ont vite vu la promesse tomber dans l’oubli, avant que Gabriel Attal n’envisage deux nouvelles commandes de DHC-515, en plus du plan rescEU. Là encore, une annonce à l’improbable concrétisation.

Pourtant, un tel calcul s’avère absurde économiquement, écologiquement et humainement. Si les avions coûtent cher, le montant de leur achat ne représente rien comparé à celui des flammes et de leurs conséquences. On estime ainsi, feu de l’Aude compris, le coût total des incendies français depuis 2022 à près de 8 milliards d’euros, avec une contribution très majoritaire des assureurs, mais également importante des collectivités locales, 80 % des forêts françaises n’étant pas assurées.

Certes, l’État peut prétendre n’avoir pas à assumer directement ces dépenses, sa part directe étant estimée à environ 150 millions d’euros par an — soit l’équivalent de 3 Canadairs tout de même — entre la lutte contre les incendies et le fonds DSEC (Dotation de solidarité au titre des événements climatiques ou géologiques), mais elles pèsent directement sur la collectivité.

Dès lors, l’investissement dans de nouveaux bombardiers d’eau coule de source, en dépit des restrictions budgétaires. D’autant plus que le secteur privé français est à la pointe des solutions alternatives aux Canadairs. Entre la transformation potentielle d’Airbus A400M — surtout pour le largage de produits retenant le feu — et les innovations proposées par les startups Hynareo et son biréacteur amphibie Frégate-F100, ou Positive Aviation, prévoyant la conversion d’avions régionaux ATR-72 en bombardiers d’eau amphibies, notre pays fourmille d’idées. Elles sont certes onéreuses et demanderont du temps avant leur réalisation, mais le jeu en vaut la chandelle.

Les start up françaises montent au feu

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L’IA joue les pompiers

Lorsque les Canadairs interviennent, cela signifie que le feu a déjà pris de l’ampleur. Or, la meilleure façon de lutter contre les incendies consiste à les prévenir ou à les circonscrire au plus près de leur déclenchement. Un domaine dans lequel des innovations importantes sont apparues ces dernières années, même si nombre de défis restent à relever.

Les systèmes d’intelligence artificielle, comme FireAId ou Pano AI, jouent un rôle croissant en analysant des données issues de satellites, de stations météo et de capteurs pour prédire les zones à risque avec une précision atteignant 80 à 90 %. Ces outils permettent de détecter les départs de feu en temps réel, comme testé en Turquie, en Californie ou dans certains pays européens. Parallèlement, les drones équipés de capteurs thermiques et de caméras haute résolution sont de plus en plus utilisés pour surveiller les forêts, cartographier les feux et repérer les points chauds. Les réseaux de capteurs IoT, installés au sol, mesurent en continu des paramètres comme la température, l’humidité ou la qualité de l’air, envoyant des alertes instantanées en cas de danger, avec des déploiements notables en Australie et en Californie.

Les satellites, comme ceux du projet FireSat de Google prévu pour 2026, promettent aussi une détection ultra-précise des feux, avec des mises à jour toutes les 20 minutes. Enfin, des stratégies proactives, telles que les brûlages contrôlés guidés par l’IA, la réduction ciblée de la végétation ou l’utilisation de matériaux ignifuges pour les infrastructures, sont en cours d’adoption, notamment en Europe et aux États-Unis. Ces technologies réduisent les temps de réponse de 20 à 30 minutes dans les cas les plus avancés, mais elles se heurtent à des obstacles comme les défis d’interopérabilité entre systèmes. Les efforts se concentrent désormais sur l’intégration de ces solutions dans des cadres comme rescEU pour une réponse coordonnée à l’échelle européenne.

Moins de feux… mais plus violents

Hélas, en dépit du plan, somme toute assez modeste, de l’Union, une grande part des actions utiles dépendent de la volonté politique individuelle des États. Or, la prospective et la prévoyance ne sont pas leurs principaux atouts, dans une période où le populisme privilégie les réponses manichéennes, simplistes et court-termistes.

Mais nul besoin de céder à l’alarmisme. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le nombre d’incendies est en baisse constante, ainsi que l’importance des surfaces brûlées. C’est particulièrement vrai en France.

Dans les années 1970, environ 496 feux de plus de 30 hectares étaient enregistrés annuellement, avec 45 000 hectares brûlés en moyenne. En 2024, ce chiffre est tombé à 236 foyers, et la surface brûlée autour de 15 000 hectares. Le chiffre remontera en 2025, à cause de l’incendie de l’Aude, mais la tendance baissière est indiscutable. Elle s’explique par une meilleure prévention (débroussaillage, sensibilisation), des interventions plus rapides et une détection avancée via satellites et drones. Cependant, le changement climatique augmente l’intensité des feux, avec des conditions plus sèches et chaudes favorisant des incendies plus violents.

Ce phénomène est aussi observable à l’échelle mondiale, bien que moins nettement qu’en France. Dans les années 1970, les estimations suggèrent environ 4,5 à 5 millions de km² brûlés annuellement, principalement dans les savanes africaines. En 2025, selon le Global Fire Emissions Database, la surface brûlée globale est d’environ 3,5 à 4 millions de km² par an, avec 102 millions d’hectares (1 million de km²) enregistrés à mi-2025, dont la moitié en Afrique.

Cette inflexion, observée surtout depuis les années 2000, est attribuable à l’intensification de l’agriculture, qui réduit les prairies et savanes inflammables, à une meilleure gestion des feux, mais aussi à l’urbanisation limitant la végétation combustible. Cependant, le changement climatique accroît l’intensité et la fréquence des méga-feux dans des régions comme l’Amérique du Nord, l’Amazonie et l’Australie, ainsi que dans les forêts boréales et tempérées, où la surface brûlée augmente localement. Les conditions climatiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur) et l’accumulation de biomasse contribuent à cette intensification, malgré une baisse globale qui pourrait n’être désormais plus que de courte durée. Raison de plus pour revoir, particulièrement en France, les politiques budgétaires en faveur des moyens de lutte : des dépenses indispensables à court terme, pour éviter de bien plus onéreuses destructions à moyen terme, également infiniment conséquentes écologiquement et humainement.

Qu’on y pense…

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Environnement, le vert à moitié plein

Des intrants ? Oui, mais « naturels » ! Dans l’imaginaire collectif, bio rime avec « sans intrants ». En réalité, c’est faux. L’agriculture biologique autorise engrais et pesticides d’origine naturelle. Or, « naturel » ne veut pas dire « inoffensif »

Pour fertiliser, le bio utilise surtout des effluents d’élevage (fumier, lisier), qui peuvent, eux aussi, occasionner des pollutions azotées dans les milieux aquatiques. Côté protection des cultures, certains produits autorisés posent question. Le plus connu : le sulfate de cuivre, ou « bouillie bordelaise », ce fongicide persistant qui s’accumule dans les sols et nuit à la vie souterraine et aquatique. Et il n’est pas seul : huile de neem, pyrèthres naturels, spinosad ou soufre – tous ces biopesticides font l’objet de controverses scientifiques, notamment pour leurs effets négatifs sur la biodiversité. Ils soulèvent aussi des enjeux à l’autre bout de la chaîne. Produits à partir de végétaux cultivés spécifiquement (neem en Inde, pyrèthre au Kenya…) — et souvent à grand renfort de pesticides —, ces intrants mobilisent des surfaces agricoles dédiées, parfois au détriment des écosystèmes locaux, surtout si la demande explose. C’est donc un paradoxe du bio : vouloir « préserver la nature ici » peut conduire à délocaliser les impacts plutôt que de les supprimer.

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Un vrai bonus pour la biodiversité locale

Faut-il pour autant mettre les intrants bio et conventionnels dans le même sac ? Pas tout à fait. Les études convergent sur un point : à l’échelle des parcelles, l’agriculture biologique favorise une biodiversité plus riche. Les sols y sont globalement de meilleure qualité, avec davantage de micro-organismes et de petits animaux comme les vers de terre. Cela s’explique en grande partie par l’usage de fertilisants organiques, et ce malgré un recours plus fréquent au labour pour contrôler la prolifération des adventices (en gros, les mauvaises herbes et autres plantes poussant spontanément et pouvant avoir un rôle néfaste et étouffant pour les cultures), en l’absence de glyphosate. Et ce n’est pas tout : autour des parcelles en bio, on observe aussi une plus grande diversité d’oiseaux et d’insectes, notamment parmi les pollinisateurs. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, comme une moindre disponibilité de substances actives, ce qui pourrait limiter le nombre de produits utilisés, ou encore le fait que les agriculteurs en bio adoptent plus souvent certaines pratiques vertueuses non exigées par le cahier des charges, comme les rotations longues ou la préservation de zones refuges pour la biodiversité.

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Moins de gaz à effet de serre… par hectare

Autre atout souvent mis en avant : les émissions de gaz à effet de serre. Par hectare, une exploitation en bio en émet en moyenne moins qu’une ferme conventionnelle. Pourquoi ?

D’une part, parce que les engrais de synthèse – très gourmands en énergie lors de leur fabrication – sont interdits en agriculture biologique. D’autre part, parce que l’épandage de fumier ou de lisier génère globalement moins de protoxyde d’azote (N₂O) que les engrais chimiques. Or, ce N₂O est un gaz à effet de serre redoutable, environ 300 fois plus puissant que le CO₂.

Un bon point pour le climat, donc ? Pas si vite. Ce raisonnement tient à l’hectare… mais pas au kilo produit.

Le problème de fond : les rendements

En raison des contraintes du cahier des charges, la productivité de l’agriculture biologique prend, c’est la loi du label, du plomb dans l’aile. En moyenne, les rendements y sont 20 à 30 % plus faibles qu’en conventionnel, et parfois beaucoup plus dans certaines cultures (jusqu’à -60 % pour les céréales, par exemple). Ce déficit de rendement pose un double problème : économique, bien sûr, mais aussi écologique.

Pourquoi ? Parce que la principale cause d’érosion de la biodiversité, ne provient pas de l’agriculture en soi, mais de l’extension des terres qu’elle exploite. Or, à production constante, moins l’hectare est efficient, plus on a besoin de surface. Résultat : une généralisation du bio pourrait conduire, paradoxalement, à grignoter davantage d’espaces naturels.

C’est d’ailleurs l’un des principaux avertissements de l’IPBES (le « GIEC de la biodiversité ») dans ses rapports. L’agriculture biologique y est peu citée comme levier majeur, car ses effets bénéfiques sont annulés — voire retournés — par la perte de productivité qu’elle induit.

Climat : même constat

Le GIEC, de son côté, tient un discours assez similaire. Si l’on regarde les émissions par hectare, avantage au bio. Mais si l’on raisonne en émissions par unité de production – ce qui est la logique – alors l’écart se réduit, voire s’inverse dans la majorité des cas.

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Enfin, les bénéfices du bio sur les gaz à effet de serre reposent en grande partie sur l’utilisation d’effluents d’élevage — une ressource à la fois limitée et convoitée. Une généralisation du bio poserait donc problème : il n’y en aurait pas pour tout le monde. Et déjà aujourd’hui, leur captation par le bio prive parfois le conventionnel, contraint de recourir à des engrais de synthèse pour compenser.

Une piste parmi d’autres, pas la panacée

Les baisses de rendement de l’agriculture biologique sont, sauf exceptions, comme dans le maraîchage ou la viticulture, un handicap rédhibitoire. Elles conduisent, en réalité, à des performances environnementales inférieures par kilogramme de nourriture produite, comparées à l’agriculture conventionnelle, et à un besoin en surface cultivée plus important.

Certaines pratiques issues du bio peuvent toutefois contribuer à une transition vers une alimentation plus durable, à condition de ne pas sacraliser le label.

Car à force de tout miser sur le bio, on en oublie d’autres leviers, parfois plus efficaces mais moins « sexy » médiatiquement : agriculture de conservation, sélection variétale, outils de précision, techniques culturales simplifiées, agroforesterie, amélioration génomique… 

La vérité, c’est que l’agriculture de demain ne sera ni 100 % bio, ni 100 % conventionnelle. Elle sera — espérons-le — 100 % pragmatique.

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Le royaume du bonheur, sauvé par le Bitcoin ?

Ralentir. Se méfier du progrès, sanctuariser l’environnement, pour inventer un nouveau modèle, celui de la post-croissance… un petit état l’a fait. Un autre monde est possible ?

« Le Produit national brut ne nous intéresse pas. Ce qui compte, c’est le Bonheur national brut. » Cette phrase célèbre, Jigme Singye Wangchuck, jeune héritier de tout juste 17 ans, la prononce spontanément lors de son accession au trône du Bhoutan, en 1972. Le concept ne sera sacralisé que 33 ans plus tard, avec la création de la Commission du Bonheur national brut. Mais cet état d’esprit anime depuis lors ce petit pays de 765 000 habitants.

Le dernier pays au monde à accepter la télévision

Le bonheur, au Bhoutan, passe par un grand respect des traditions. Au point de nourrir une méfiance sans égale à l’égard du changement, notamment quand il vient d’Occident. La télévision, accusée de nuire au bien-être collectif, n’est autorisée qu’en 1999. Internet, un an plus tard, pour quelques connexions commerciales. Les premiers téléphones mobiles n’arrivent qu’en 2003, sept ans après les premiers forfaits européens.

Le bouddhisme tibétain, religion de cet État himalayen enclavé entre l’Inde et la Chine, nourrit par ailleurs un immense respect pour la nature qui l’entoure. Toute forme de vie a une valeur spirituelle : tuer un être vivant est censé nuire au karma collectif. Il est interdit de chasser et d’abattre des animaux à des fins commerciales. Les Bhoutanais mangent pourtant de la viande, mais celle-ci est importée d’Inde. On privilégie les grands animaux, car en prélevant une seule âme, on nourrit plus de monde avec une vache qu’avec un poulet.

Cette volonté de limiter son impact environnemental se traduit concrètement en 2007, avec la promulgation du Land Act. Les terres agricoles sont limitées à 10 hectares par famille. Les forêts, les parcs nationaux, les terres de monastères et les corridors écologiques sont déclarés intransférables et inaliénables. Plus de la moitié de la surface du pays est aujourd’hui protégée. Et ce n’est pas encore un aboutissement : en 2008, la nouvelle Constitution bhoutanaise déclare que le pays « doit maintenir au minimum 60 % de couverture forestière pour l’éternité ». Le Bhoutan a une empreinte carbone négative : ses centrales hydroélectriques, construites par le voisin indien, lui fournissent une énergie décarbonée abondante, et les quelques émissions du pays sont largement compensées par les millions d’arbres qui couvrent son territoire.

Une unanimité planétaire

À l’heure où la conscience environnementale pousse le capitalisme dans ses retranchements, le Bonheur national brut (BNB) du royaume interpelle. Pour Joseph Stiglitz, « Le Bhoutan a compris quelque chose que les pays riches ont oublié : la croissance n’est pas tout ». Kate Raworth, à l’origine de la théorie du donut, voit dans le BNB une boussole sociale compatible avec les limites planétaires, qui ne dépend pas d’une croissance infinie. Nicolas Sarkozy, alors président français, va jusqu’à lancer la fameuse commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, pour trouver une alternative au PIB. Elle s’inspire bien entendu du Bhoutan. En 2011, sous l’impulsion de l’économiste américain Jeffrey Sachs, l’ONU intègre même le BNB aux discussions internationales.

Entre-temps, le pays matérialise son concept : la Commission du Bonheur national brut identifie neuf domaines qui définissent la qualité de vie, du bien-être psychologique à la vitalité communautaire, en passant par la santé, l’éducation et le temps disponible. Trois enquêtes, en 2010, 2015 et 2022, sont menées auprès de la population. Des milliers de personnes sont interrogées pendant près de trois heures. À chaque fois, le pays semble baigné dans une félicité un peu plus grande que précédemment.

La grande démission

Pourtant, rien ne va plus au Royaume du Bonheur. Les familles désertent peu à peu les campagnes. Le développement y est âprement contrarié : les projets d’industries sont rejetés les uns après les autres. Même la construction de routes est découragée. Impossible, dans ces conditions, d’envisager un autre avenir que celui d’une vie harassante et misérable de cultivateur, sans aucune aide mécanique. Avec 10 hectares par famille, regrouper les exploitations n’est pas une option, et à ce rythme, les 60 % de nature sauvage seront bientôt atteints.

La vie n’est pas plus rose dans la capitale, où il manque plus de 20 000 logements pour faire face à cet exode rural. Les normes, drastiques, freinent la construction. Pierres, boiseries sculptées… Les bâtiments doivent respecter tous les standards de l’architecture traditionnelle, tant pour les matériaux que pour les ornements, être « éco-responsables », et la densité urbaine est limitée par la loi. Devant la pénurie, les loyers explosent, forçant les ménages à y consacrer souvent plus de 40 % de leurs revenus.

En 2023, 12 000 étudiants fuient le pays. Les jeunes sont bien formés, mais n’ont aucun débouché pour exercer leurs talents. « Il est préférable de travailler comme femme de ménage à l’étranger », témoigne Yangchen, une jeune expatriée, au quotidien The Bhutanese. Dans son pays natal, le salaire moyen pour un jeune diplômé ne dépasse pas les 150 €.

En quelques années, près d’un dixième de la population s’expatrie. Une hémorragie d’autant plus préoccupante que les jeunes, désabusés, renoncent à faire des enfants. Le taux de natalité est aussi faible qu’en Allemagne ! Aujourd’hui, il y a presque deux fois plus de trentenaires que de moins de dix ans au Bhoutan.

Même les fonctionnaires, trop mal payés, quittent le navire. En 2023, plus de 5 000 sur 30 000 ont démissionné.

Le salut par les riches et par le bitcoin

Quelques années plus tôt, Ujjwal Deep Dahal a eu une idée novatrice. PDG de la Druk Holding and Investments (DHI), le bras d’investissement du gouvernement royal, il décide d’attirer les mineurs de bitcoin pour utiliser les excédents de production d’électricité de ses barrages hydroélectriques. En quelques années, le Bhoutan devient le troisième plus grand détenteur de la cryptomonnaie. L’an dernier, ses réserves atteignent 1,3 milliard de dollars, près de 40 % de son PIB. Au point que le pays se découvre de nouvelles ambitions, et veuille ajouter 15 GW aux 3,5 existants. Rien n’est trop beau pour le bitcoin, ni l’électricité que l’on refuse à l’industrie, ni la nature dont l’engloutissement ne fait d’un seul coup plus débat. Car c’est une manne inespérée, dans laquelle le gouvernement puise pour augmenter de 50 % les salaires de ses fonctionnaires, du jour au lendemain, et endiguer leur départ.

Autre projet, une ville entière dédiée à l’écotourisme, la Gelephu Mindfulness City, actuellement en construction. Nature, développement durable, spiritualité… Une initiative à l’intention des riches Occidentaux, qui pourront faire une pause bien-être dans leur vie ultra-connectée. Le positionnement haut de gamme est assumé : en imposant à chaque visiteur une taxe de 100 $ par jour, on interdit le tourisme de masse.

Espaces naturels intacts, villes hors du temps… Les décennies de conservatisme ont créé un « pays-musée », concrétisation idéale pour les visiteurs d’un Orient fantasmé, mais financé par tout ce qu’il refuse à sa propre jeunesse.

Jeunesse à qui on espère que le Bhoutan donnera un jour la chance de forger son propre monde. L’immobilisme ne semblant pas conduire à un bonheur intemporel, mais à un inexorable déclin.

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Duplomb : la raison plombée

La décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Duplomb était attendue avec fébrilité, autant par les défenseurs du texte que par ses contempteurs. Elle est tombée le jeudi 7 août et ne semble contenter personne, tout en posant des questions dont la portée dépasse son contenu. Validée dans ses grandes lignes, son article le plus polémique a néanmoins été censuré, non dans son principe — la possibilité de réintroduction partielle d’un néonicotinoïde (NNI), l’acétamipride —, mais dans les modalités jugées trop lâches d’encadrement des licences pouvant être accordées à cette fin.

Selon le camp d’où vient l’analyse, le verdict des Sages de la rue de Montpensier donne lieu à des interprétations aussi variées que parfois fantaisistes. Pour certains de ses adversaires, comme les Insoumis, il s’agirait d’une « victoire » obtenue « grâce à une mobilisation populaire extraordinaire », ainsi que l’a posté sur X Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Une conception assez étrange du travail des constitutionnalistes, censés se fonder sur la seule vérification de la conformité juridique des textes qui leur sont soumis. Mais pas forcément inexacte, hélas. Nous y reviendrons. Mais, pour la plupart à gauche, la confirmation de l’essentiel du texte reste une source de colère ; Marine Tondelier allant jusqu’à qualifier la loi — pourtant votée par le Parlement après une vague d’obstruction de l’opposition, à laquelle elle a pris part — d’« illégitime ». Même alarmisme du côté de certaines associations, comme la Fondation Terre de Liens, qui voient d’un mauvais œil la possibilité offerte aux agriculteurs « de renouer avec la compétitivité en agrandissant leurs exploitations » (sic) — une version polie du « J’en ai rien à péter de la rentabilité [des agriculteurs] » de Sandrine Rousseau. Preuve que, pour ce camp, le combat ne fait que commencer, en dépit de la volonté d’Emmanuel Macron de promulguer rapidement la loi expurgée des articles censurés.

À droite, et parmi les plus fervents défenseurs du texte, l’analyse de cette censure très relative ne s’embarrasse pas davantage de rigueur. Entre un Laurent Wauquiez qui dénonce « l’ingérence du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb ! », tout en ayant voté pour la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement justifiant la décision des Sages, et une Marine Le Pen accusant la juridiction suprême de se comporter « comme un législateur alors qu’[elle] n’en détient pas la légitimité démocratique », l’approximation est à la fête. Le mot « illégitime » utilisé par Marine Tondelier pour qualifier la loi est également repris à droite, cette fois pour désigner la censure. Et pourtant, il y aurait tant à dire de cette décision.

La charte de la précaution

Elle s’appuie sur la Charte de l’environnement (et son principe de précaution), annoncée par Jacques Chirac en 2001, puis intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Ce qui se tient en droit. Même si, dans la loi, l’usage de l’acétamipride avait été très largement limité, les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par […] la Charte… ». Il est notamment question de la largesse d’interprétation laissée aux préfets pour octroyer les autorisations permettant d’utiliser le NNI en question, ainsi que de la temporalité de cet usage. Même si les syndicats agricoles, comme la FNSEA — qui prend acte de la décision avec une certaine retenue —, ou l’Association nationale pommes poires (ANPP), critiquent sévèrement la censure, ils y voient aussi quelques motifs d’espoir pour l’avenir. Ce qui est également – de manière relative – notre cas, ainsi que celui du spécialiste des questions agricoles et environnementales Gil Rivière-Wekstein. Car, finalement, le Conseil constitutionnel ne remet pas tant en cause l’usage dérogatoire de l’acétamipride que la rédaction approximative d’une loi conçue dans l’urgence pour répondre à la colère légitime des agriculteurs, en particulier ceux dont les filières ont été largement impactées par l’interdiction des NNI : betteraves (sucre), noisettes, poires, etc. On notera qu’il aurait été plus judicieux d’éviter, auparavant, de recourir à une loi — difficile à modifier une fois adoptée — pour interdire l’acétamipride, alors que la voie réglementaire l’autorisait. Le Conseil « fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture », comme le note Gil Rivière-Wekstein. Une nuance bien comprise par Laurent Duplomb, l’artisan du texte, mais aussi par nombre de ses détracteurs. Rien n’empêche en effet les parlementaires — comme le souhaitent le sénateur Duplomb, la FNSEA et les autres acteurs des filières concernées — de reprendre le travail législatif en s’appuyant sur les recommandations de l’institution de la rue de Montpensier afin de permettre la réintroduction très encadrée du NNI.

Quand le droit plie face aux influenceurs

Hélas, en théorie seulement. Car la violence du débat militant qui accompagne cette possibilité — entre pétition populaire mal informée, raids d’intimidation sur les réseaux, menaces plus ou moins directes contre les élus et messages médiatiques ignorants de la science — la rend risquée pour ceux qui voudraient la défendre. Et cela, le Conseil constitutionnel ne pouvait l’ignorer.

On peut alors revenir à la déclaration déjà citée de Manuel Bompard se félicitant du rôle joué par la « mobilisation populaire ». Car cette mobilisation a clairement participé à la décision de censurer l’article sur l’acétamipride, indexant en partie le droit sur l’influence de ceux qui le contestent, et faisant fléchir le pouvoir législatif face à celui des followers. Une définition chimiquement pure du populisme. D’autant que le Conseil s’est appuyé sur un grand nombre de contributions extérieures (19) au fort poids médiatique pour fonder son avis, allant de la Ligue des droits de l’homme aux militants de Générations futures, en passant par des associations d’apiculteurs et de médecins, mais sans consultation scientifique. Or il convient de rappeler qu’aucune étude ne valide le caractère cancérogène de l’acétamipride, contrairement à ce qu’affirment nombre des intervenants consultés — même si, comme tout néonicotinoïde, le produit est toxique, mais relativement sûr lorsqu’il est utilisé conformément aux recommandations d’usage. Le Conseil parle pourtant d’un « consensus scientifique » censé montrer les capacités tumorales du produit pour appuyer son jugement, alors, qu’encore une fois, cette assertion est une pure fable, ce qui interroge, pour ne pas dire plus. Mais la cerise sur le gâteau, témoignant de l’absurdité de la censure du CC, est livrée par… lui-même. Celui qui a validé la loi du 14 décembre 2020, qui autorisait, à titre dérogatoire, l’usage de semences de betteraves sucrières traitées avec certains néonicotinoïdes alors interdits à peu près partout dans cette Europe où l’acétamipride est en revanche autorisée. Ce qui témoigne de l’aspect populiste et politique de la décision. 

Au final, en plus de son incohérence, celle-ci ouvre un boulevard aux produits agricoles de nos voisins européens, tous traités avec le NNI honni, et parfois avec d’autres plus contestés (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, thiaclopride, ayant obtenus des dérogations pour des usages précis), ne préservant pas la santé des consommateurs et soumettant nos agriculteurs à une concurrence déloyale pouvant menacer leur survie. Qu’importe pour des écologistes peu soucieux du réel. Les agriculteurs ne doivent pas être dupes : interdire les produits étrangers qui les utiliseraient, comme le demande Marine Tondelier, est tout simplement impossible, sauf à sortir de l’UE, puisque cela contreviendrait à la libre circulation des biens, qui en est l‘un de ses fondements.

Même si la raison l’emportera peut-être lors de prochains travaux législatifs — sans doute largement retardés par la vigueur de l’obstruction des adversaires de la loi et de leurs relais d’influence, nombreux et bien organisés —, les agriculteurs concernés vont continuer de voir leurs rendements diminuer… et nos voisins en profiter.

Est-ce bien raisonnable ?

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L’humanité va-t-elle vaincre de justesse les super-bactéries ?

La peste. Et si cette terrible maladie infectieuse revenait, plus résistante que jamais ? Face à cette menace, et à d’autres plus terribles encore, la pandémie de Covid-19 a offert une arme redoutable : l’ARN messager.

Le monde oublie trop souvent certains de ses plus grands héros. En janvier 1897, la peste ravage Byculla, un quartier de Bombay bâti sur d’anciens marécages. Dans un laboratoire de fortune, le docteur ukrainien Waldemar Haffkine s’administre un avant-goût du bacille Yersinia pestis.

Il n’est est pas à son coup d’essai : 4 ans plus tôt, il vaccinait 25 000 indiens contre le choléra, malgré la méfiance des populations locales, qui l’accusent de mener des expérimentations pour le pouvoir colonial. A Calcutta, un fanatique religieux musulman tente même de le poignarder à la gorge. Il s’en sort avec de simples blessures, et refuse de quitter son poste. Affaibli par la malaria, il doit pourtant retourner en France quelques mois plus tard. 

Mais, très vite, il repart affronter cette nouvelle épidémie qui décime la péninsule indienne. Après ses premiers tests sur des lapins et des chevaux, puis, donc, sur lui-même, il inocule son nouveau vaccin à des volontaires de la prison voisine. Tous survivent. Les sept détenus du groupe-contrôle, eux, meurent les uns après les autres.

Pour la première fois dans l’histoire, on apprivoise la « peste ».

La peste, un retour possible ?

Depuis, cette maladie semble reléguée au rang de souvenir, cantonnée à quelques foyers en Afrique et en Asie centrale. Mais la menace persiste. Si les antibiotiques (streptomycine, gentamicine, doxycycline, fluoroquinolones) ont permis de sauver des vies, la découverte en 1995 de souches de Y. pestis multirésistantes a mis en garde contre un possible retour en force du bacille.

Heureusement, un nouvel espoir apparaît. Héritée de la lutte contre la COVID-19, la technologie de l’ARN messager est aujourd’hui exploitée pour neutraliser la forme pulmonaire de la peste. En encapsulant deux protéines clés de la bactérie dans des nanoparticules lipidiques, une équipe israélienne vient d’obtenir 100 % de protection chez l’animal, après seulement deux injections. Cette avancée repose sur la capacité unique de l’ARNm à activer à la fois la réponse humorale et la réponse cellulaire. La première produit des anticorps pour neutraliser les agents pathogènes à distance, dans les liquides du corps (sang, lymphe, etc.). La seconde mobilise des cellules immunitaires, comme les lymphocytes T, qui vont reconnaître et détruire directement les cellules infectées. Cela ouvre la voie à des vaccins « plug-and-play », adaptables en quelques semaines seulement.

Lutter contre les “super-bactéries” résistantes aux antibiotiques

Cette technologie est une révolution. Car si la peste reste un risque, c’est surtout la menace globale des « super-bactéries » qui inquiète. A force d’y être exposées, ces bactéries résistent aux antibiotiques. Un phénomène naturel amplifié par leur usage excessif. Dans le monde, leur consommation continue de croître, malgré un recul dans certains pays comme la France depuis le début du siècle. Aujourd’hui, c’est  l’un des plus grands dangers sanitaires mondiaux.

Ainsi, la typhoïde XDR, résistante à presque tous les antiobiotiques de première ligne, est apparue au Pakistan en 2016. Depuis, elle a été exportée via les voyageurs vers le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, et plusieurs pays d’Europe et d’Asie

En 2022, environ 410 000 personnes ont développé une tuberculose résistante à l’isoniazide et à la rifampicine, notamment en Inde, en Chine, en Russie et en Afrique du Sud, mais aussi dans certaines républiques d’Asie centrale et d’Europe de l’Est.

L’Organisation mondiale de la santé tire la sonnette d’alarme :  l’antibiorésistance est la « peste » du XXIᵉ siècle, responsable de plus d’un million de morts chaque année.

Y mettre un terme pourrait réduire drastiquement la mortalité liée aux infections, alléger la pression sur les hôpitaux et limiter la propagation de clones résistants. La plateforme ARNm offre des perspectives inédites : un ciblage vaccinal plus précis, un moindre recours aux antibiotiques, et la possibilité de freiner l’émergence de nouveaux variants bactériens. 

Sous la présidence de Donald Trump, les vaccins ARNm sont remis en cause par le Ministre de la santé, l’antivax Robert Kennedy Jr.. Leur développement pourrait pourtant permettre de sauver l’humanité de nouvelles pandémies mondiales. Nul doute que Haffkine en aurait rêvé.

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Santé, l’effet placeb(i)o

Laquelle choisir ? C’est la question que chacun s’est déjà posée devant son rayon fruits et légumes au moment de choisir entre une laitue conventionnelle et son alternative bio, presque deux fois plus chère. La santé serait-elle à ce prix ?

Dans l’imaginaire collectif, le logo AB agit comme un talisman. Il suggère une assiette plus saine, censée protéger des cancers et autres maladies chroniques. Ce récit est nourri par un marketing agressif, largement relayé par une communication médiatique et politique très alarmiste sur les « pesticides chimiques ».

Les salades bio de Benoît Biteau

J’approfondis

Mais que dit vraiment la littérature scientifique ?

Les promesses santé du bio : des corrélations, mais pas de preuves

L’une des études épidémiologiques les plus commentées est celle de NutriNet-Santé, publiée en 2018. Elle a suivi près de 70 000 volontaires pendant quatre ans, dont 78 % de femmes, d’un âge moyen de 44 ans. Au total, 1 340 cancers ont été diagnostiqués. Résultat : les consommateurs réguliers de produits bio affichaient un taux de cancers de 1,6 %, contre 2,2 % chez les non-consommateurs — soit une différence relative d’environ 25 %.

De quoi nourrir un battage médiatique sans nuance… mais trompeur. Car il s’agit d’une étude observationnelle de cohorte, sans répartition aléatoire entre groupes « bio » et « non bio ». Or, avec cette méthode, les différences constatées peuvent résulter de biais de confusion (habitudes alimentaires globales, niveau d’études, activité physique, tabagisme…), plutôt que d’un effet direct du mode de production. Dit autrement : les amateurs de bio ne sont pas en meilleure santé parce qu’ils mangent bio, mais mangent bio parce qu’ils prennent soin de leur santé et sont donc sensibles aux messages prétendant cette agriculture plus vertueuse sanitairement.  .

Pourtant, l’Institut national du cancer le rappelle explicitement : « Il n’y a pas de preuve scientifique qui indique qu’une alimentation bio réduit le risque de cancer ».

Même prudence dans une étude norvégienne (MoBa) portant sur 28 000 femmes enceintes. Elle suggère une association entre consommation fréquente de légumes bio et réduction du risque de prééclampsie (une hypertension artérielle pouvant survenir après 20 semaines de grossesse). Mais là encore, ce lien statistique pourrait s’expliquer par d’autres paramètres liés au mode de vie, indépendamment du bio lui-même.

Enfin, une revue systématique de Stanford, publiée en 2012, n’a identifié aucun bénéfice clair du bio sur la santé, ni de différence notable en valeur nutritionnelle, et pas davantage en morbidité, malgré une exposition réduite aux résidus de pesticides.

Pesticides dangereux : la décrue silencieuse

De son côté, l’agriculture conventionnelle ne reste pas figée dans ses pratiques et progresse continuellement. Depuis 2009, les quantités de substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) qu’elle utilise ont fortement diminué en France. Les CMR1 (les plus préoccupantes) ont été quasiment éliminées à partir de 2021, tandis que les CMR2 ont chuté de près de moitié en dix ans. Ces évolutions traduisent les améliorations continues de la régulation européenne et des pratiques agricoles, qui tendent à éliminer les molécules les plus dangereuses. 

Risques de résidus et contaminations naturelles : pas de blanc-seing pour le bio

La question des résidus de pesticides illustre bien cette autre nuance. Les enquêtes officielles montrent qu’environ 10 % des fruits et légumes bio contiennent des traces mesurables, contre près de 50 % en conventionnel. Mais toutes filières confondues, plus de 95 % des échantillons restent entre 50 et 100 fois en dessous des limites maximales de résidus fixées avec une large marge de sécurité. Autrement dit, même si la salade conventionnelle a plus de chances de contenir un résidu, celui-ci reste très inférieur aux seuils jugés préoccupants. À moins de consommer plusieurs dizaines de salades par jour, l’impact sanitaire est négligeable. Pas de quoi — vous en conviendrez — en faire toute une salade.

Précisons aussi que la méthode la plus efficace pour éliminer la grande majorité des résidus présents en surface reste… de laver ses fruits et légumes.

Mais tout ne peut pas se nettoyer. C’est le cas de la bière. Or, une étude récente portant sur 45 d’entre elles, a détecté des traces de glyphosate dans plus de la moitié des échantillons — y compris deux productions bio — à des niveaux si faibles qu’il faudrait boire près de 2 000 bouteilles par jour pour atteindre la dose maximale admissible. On vous a pourtant martelé (à raison) que l’alcool devait être consommé avec modération !

Ces résidus, même dans les produits bio, sont généralement dus à des contaminations fortuites : dérives de pulvérisation, pollution environnementale ou fraudes ponctuelles. Preuve en est, que le bio est régulièrement l’objet de rappels de ses produits. Ainsi, en 2025, un lot de potimarrons bio français a été retiré du marché pour dépassement des seuils réglementaires en pesticides, tout comme un autre, de poivre noir bio importé, contaminé par de l’anthraquinone, une substance non autorisée.

Quand une ferme bio déclenche une épidémie

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Cela ne signifie pas que le label soit trompeur. Seulement qu’il ne donne en rien un blanc seing sanitaire sur la seule base de sa revendication.

D’autant que les agriculteurs bio utilisent notamment le sulfate de cuivre pour lutter contre les maladies fongiques. Ce métal lourd, « naturel » certes, s’accumule dans les sols et peut être toxique pour la faune… comme pour l’être humain, s’il est soumis à de fortes doses du produit.

Bouillie bordelaise : une image de naturel vraiment fondée ?

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Autre exemple souvent ignoré : les alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP), toxines naturelles produites par certaines plantes sauvages (séneçon, datura…). On en a retrouvé dans des herbes aromatiques bio, entraînant des rappels de produits. Des vaches en pâture peuvent aussi en ingérer si leur pré est infesté : des traces d’AP peuvent alors se retrouver dans le lait, y compris bio.

Même logique pour l’aflatoxine M1, une mycotoxine cancérogène issue de fourrages moisis, détectable dans le lait — bio ou non — en cas de mauvaises conditions de stockage. Mais, rassurons-nous, ces contaminations restent exceptionnelles, grâce à la rigueur des contrôles européens.

Enfin, des enquêtes ont mis en lumière la présence de polluants persistants (PCB, dioxines) parfois plus élevée dans des produits animaux bio, ou encore des taux de phtalates surprenants dans certaines huiles d’olive bio, parfois supérieurs à ceux mesurés en conventionnel.

Autant de signaux qui rappellent que « bio » ne rime pas automatiquement avec « pureté », et que, quels que soient les labels, la vigilance et les contrôles sanitaires restent essentiels.

Nutrition et équilibre : le vrai levier santé

La plupart des méta-analyses convergent vers un même constat : les grands déterminants nutritionnels de notre santé sont la surconsommation de sucre, de sel, d’alcool, de produits ultra-transformés et la sédentarité — bien plus que l’exposition résiduelle à des substances déjà très encadrées.

Ainsi, passer de deux à cinq portions quotidiennes de fruits et légumes, bio ou non, diminue la mortalité toutes causes confondues de l’ordre de 13 %. Inversement, un burger-frites bio reste de la malbouffe bio, tandis qu’une assiette de brocolis surgelés conventionnels constitue un véritable atout pour le cœur et les artères.

Et puis, il y a le coût — un facteur décisif. Le surcoût du bio varie de +30 % à +80 % selon les filières et les enseignes le commercialisant. Pour un foyer modeste, cette surtaxe peut réduire la consommation totale de végétaux. Or, la première priorité de santé publique est d’augmenter la part de fruits et légumes dans l’assiette, pas de sélectionner un label ni de privilégier les plus chers. Et le constat est préoccupant : seulement un Français sur cinq atteint les cinq portions recommandées par jour, une part encore plus faible chez les jeunes.

Le marketing de la peur, qui laisse entendre qu’« hors du bio, point de salut », risque aussi de détourner les budgets des ménages de produits sains mais accessibles. 

C’est que conclut une thèse soutenue en 2018 : « À l’échelle individuelle, nous devons continuer à encourager nos patients à manger des fruits et légumes conventionnels s’ils ne peuvent avoir accès au bio. En effet, des études confirment qu’il est préférable de consommer des légumes avec pesticides que de ne pas en manger du tout. »

Alors, quelle salade choisir ?

Une laitue conventionnelle bien lavée ne mettra pas votre santé en danger, même consommée quotidiennement. Si réduire légèrement votre exposition aux résidus vous semble important — et si votre budget le permet — alors la salade bio peut être une option.

Mais l’essentiel est ailleurs : manger plus de végétaux variés, choisir des produits frais, éviter la malbouffe et les produits ultra-transformés, cuisiner davantage, bouger plus. Le bio est un choix possible, pas un passage obligé. Ce qui compte, c’est ce que vous mettez dans votre assiette… pas le logo sur l’étal.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre III : Environnement, le vert à moitié plein.

Épisode précédent : La bio du bio

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Aéronautique : l’étoffe du net zéro ?

Longtemps admirée, aujourd’hui sous le feu des critiques, l’aviation commerciale incarne mieux que tout autre secteur le dilemme entre liberté de mouvement et urgence climatique. Elle doit se réinventer pour continuer à relier le monde sans le réchauffer. Le secteur s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 : promesse crédible ou techno-solutionnisme inconséquent ?

1 000 entreprises, 300 000 emplois (directs et induits), 77,7 milliards € de chiffre d’affaires… si la France représente moins de 4 % du trafic aérien mondial, elle concentre à elle seule 15,6 % des exportations mondiales de l’aérospatial. Pendant que les débats se focalisent sur les voyages personnels ou les jets privés, le pays dispose d’un levier bien plus stratégique : celui de sa capacité industrielle à décarboner l’aéronautique mondiale. Un enjeu économique majeur, puisque le secteur est le premier contributeur à la balance commerciale française, avec un excédent de 23,5 milliards d’euros en 2022, soit l’équivalent de 4,3 % du PIB.

Twingo vole

Imaginez : vous partez pour Le Caire en ne consommant que 2,35 litres de carburant et en émettant 59 g de CO₂ aux 100 km. L’équivalent d’un road trip à deux en Twingo… mais à 900 km/h et 10 000 mètres d’altitude.

Science-fiction ? Non. C’est déjà ce que permet un Boeing 787, en conditions optimales.

Entre 1990 et 2019 — date à laquelle le secteur aérien a été intégré aux objectifs climatiques européens — les émissions par passager-kilomètre ont chuté de plus de 50 %, grâce à des avions plus sobres, des motorisations plus efficaces et des vols mieux remplis.

Résultat : si les émissions de CO₂ de l’aviation ont doublé depuis 1990, atteignant environ 1 milliard de tonnes juste avant la crise Covid, elles ne représentent toujours que 2,5 % des émissions mondiales. En incluant les effets non-CO₂ — comme les NOx, la vapeur d’eau ou les traînées de condensation —, son impact climatique total est estimé à environ 4 % du réchauffement global.

Contrails : et si le ciel se dégageait pour l’aérien ?

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CO2 : Objectif nul

Le secteur aérien s’est collectivement engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Cet objectif, désormais partagé par l’ensemble des grandes organisations aéronautiques internationales constitue le cap structurant de la stratégie industrielle du secteur pour les 25 prochaines années.

Pour y parvenir, l’aviation mise sur trois leviers complémentaires : le déploiement des carburants durables (SAF), l’émergence de technologies de rupture, et l’optimisation des opérations au sol comme en vol. Aucun ne suffit à lui seul ; c’est leur combinaison qui rend la trajectoire crédible.

Les SAF y occupent une place centrale. Mais leur coût reste aujourd’hui très élevé et les obstacles à franchir pour leur montée en puissance demeurent considérables.

SAF : Tintin au pays de l’or vert ?

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En parallèle, les industriels remettent plein gaz sur les ruptures technologiques. Les efforts portent sur les turboréacteurs compatibles SAF, les avions hybrides-électriques, les structures allégées ou encore les ailes morphing, capables de modifier leur forme en vol pour gagner en efficacité énergétique. Mais c’est surtout du côté des moteurs ultra-efficients que les gains les plus rapides sont attendus. 

Le successeur de l’A320, présenté par Airbus en mars dernier, intègre la plupart de ces innovations. Cet appareil, jusqu’à 30 % plus efficient que l’A320neo, est conçu dès l’origine pour opérer à 100 % au SAF. Il doit être construit en matériaux composites allégés, avec des ailes longues et repliables supportant des moteurs sans carénage révolutionnaires. Sa mise en service est prévue à la fin des années 2030.

Le successeur de l’A320 devrait être équipé de moteurs RISE de CFM dépourvus de carénage. © CFM International

L’hydrogène liquide reste étudié comme une solution de rupture à plus long terme mais les annonces récentes d’Airbus laissent entrevoir un décalage du calendrier, avec une mise en service probablement repoussée à 2040 ou au-delà.

Le troisième levier repose sur une optimisation opérationnelle systématique : amélioration des trajectoires en vol, réduction du roulage, gestion au sol plus efficiente, avec, de plus en plus, recours à l’intelligence artificielle pour optimiser l’ensemble des opérations. 

Malgré les incertitudes — sur la disponibilité des SAF ou les percées technologiques —, l’IATA réaffirme fermement son engagement à atteindre la neutralité carbone en 2050. Le coût estimé de cette transition est colossal : 4 700 milliards de dollars, soit en moyenne 174 milliards par an. Mais dans 20 ans, les trois quarts de la flotte actuelle auront probablement été remplacés.

Cet effort s’inscrit dans le cadre plus large du scénario Net Zéro porté par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui vise à contenir les émissions de l’aviation sous 1 000 Mt de CO₂ dès 2030. Un cap ambitieux, mais atteignable à condition d’agir vite — car le trafic, lui, continue de croître : 8,2 milliards de passagers sont attendus à cette échéance.

Report moral, report modal

Reste une question sensible : faut-il freiner cette croissance ? L’idée d’imposer interdictions, quotas ou fiscalité punitive revient régulièrement dans le débat. Pourtant, l’aviation commerciale profite à tous.

Depuis les années 1960, le nombre de passagers a été multiplié par 45 — de 100 millions à plus de 4,5 milliards. Ce ne sont pas « les mêmes qui voyagent plus », ce sont davantage de personnes qui accèdent au ciel. Et c’est justement ce succès que certains lui reprochent.

Ceux qui dénoncent le tourisme de masse — dont les impacts, bien réels, méritent d’être régulés — ou qui prônent la sobriété pour les autres, tout en affichant le bilan carbone d’une centrale à charbon allemande, sont souvent les premiers à s’exempter des efforts qu’ils prétendent imposer à tous. Pour aller voir pousser un arbre en Guyane. Ou pour assister à une conférence… sur le climat. Le tout en s’estimant exemplaires, car, n’est-ce pas, ils ne prennent plus l’avion… entre deux vols.

Faut-il au moins renoncer à l’avion sur les trajets courts ? Pas forcément. Le train peut être une excellente alternative — à condition d’être abordable, ponctuel et rapide. Mais il ne capte pas toujours les passagers de l’avion : une étude Carbone 4 pour le SNPL montre que, faute d’offre compétitive, beaucoup se rabattent sur la voiture… au risque d’aggraver le bilan carbone. 

Un turbo pour l’économie

L’aéronautique est d’abord un puissant vecteur d’émancipation. Elle relie les familles, les cultures, incarne la liberté, le progrès, le lien humain — et, pour beaucoup, elle fait encore rêver. On insiste souvent sur ses externalités négatives, en oubliant que sa balance globale reste très positive, par tout ce qu’elle rend possible.

Le transport aérien est notamment un moteur essentiel de l’économie mondiale. En 2019, l’aérien représentait près de 35 % de la valeur des échanges mondiaux, tout en ne transportant que moins de 1 % des volumes. Les marchandises acheminées par avion — pour une valeur estimée entre 6 000 et 7 000 milliards de dollars par an — concernent principalement des produits à forte valeur ajoutée ou sensibles au délai : médicaments, électronique, luxe, composants industriels. Par ailleurs, la moitié des touristes internationaux voyagent par avion, générant chaque année plus de 1 000 milliards dollars de recettes. De nombreuses économies émergentes ou insulaires en dépendent fortement.

Le Covid a été un stress test grandeur nature de ce que représente l’aviation. En 2020, le trafic passager s’est effondré de 66 %, provoquant des pertes massives pour l’ensemble de la filière (‑244 milliards de dollars cette année-là, ‑146 milliards en 2021). Pour le tourisme mondial, le choc a été brutal : les arrivées internationales ont chuté de 65 à 70 %, entraînant jusqu’à 1 200 milliards de dollars de pertes de recettes. Dans certaines régions, les revenus liés au transport aérien se sont effondrés de 90 %. Reconfiner volontairement ce secteur, ce serait non seulement renoncer à ses services rendus, mais aussi l’empêcher de financer sa propre transition.

Rêves de gosse

L’aéronautique n’est pas parfaite. Mais elle agit, elle innove et progresse vite. La saborder au nom d’une idéologie punitive serait une erreur historique. Car la véritable écologie, c’est celle qui améliore, et qui rend les progrès accessibles à tous.

Rien n’est gagné pour autant. Les défis sont immenses. La trajectoire Net Zéro exige des investissements massifs, des ruptures technologiques et industrielles profondes, et une mobilisation sans faille de tout un écosystème. Mais la feuille de route est claire.

“L’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui” affirmait Léonore Moncond’huy, maire écologiste de Poitiers, en supprimant les aides municipales aux aéroclubs locaux. Pourtant, c’est ainsi que la France peut faire sa part pour le monde : en permettant aux enfants de continuer à rêver. Pour que demain, ces rêves de gosses se transforment en solutions d’ingénieurs.

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Aucun impact sur la santé : une étude d’envergure confirme l’innocuité des OGM

C’est l’un des débats les plus inflammables de ces dernières décennies : les OGM sont-ils sûrs ? Ont-ils des effets néfastes à long terme sur la santé ? Il y a treize ans, l’étude Séralini l’affirmait, avant d’être rétractée. Aujourd’hui, une recherche de long terme menée sur deux générations de primates démontre le contraire. Reste à savoir si elle bénéficiera de la même couverture médiatique.

« OGM : l’humanité est en train de se suicider » (Jean-Luc Mélenchon), « La dérégulation des OGM menace la santé des consommateurs » (Marie Toussaint, EELV), « Nous n’avons pas envie de manger des produits OGM » (Marine Le Pen)… Pour de nombreux responsables politiques, et pour une grande partie de l’opinion, la cause semble entendue : consommer des OGM n’est pas sûr.

Pourtant, en trente ans, aucune étude n’a pu démontrer leur nocivité. Mais les plus inquiets réclamaient des preuves plus solides. C’est à cette attente qu’une équipe chinoise tente de répondre, avec une expérimentation d’une ampleur inédite. Pendant plus de sept ans, les chercheurs ont nourri des macaques cynomolgus avec deux variétés de maïs génétiquement modifié : l’une résistante aux insectes, l’autre tolérante aux herbicides. Cet animal, très proche de l’humain, est régulièrement utilisé dans les tests biomédicaux les plus exigeants. La durée de l’expérience, exceptionnelle, dépasse largement celle de toutes les études menées jusque-là.

Le résultat ? Aucun trouble métabolique. Aucun signe d’inflammation. Aucun dérèglement du système immunitaire. Les primates exposés au maïs OGM n’ont présenté aucune différence biologique significative avec le groupe témoin.

L’étude a été financée par plusieurs institutions publiques chinoises, dont l’Académie des sciences médicales et la province du Yunnan. Elle a été publiée dans la revue scientifique Journal of Agricultural and Food Chemistry, publiée par l’American Chemical Society (ACS), une des plus prestigieuses sociétés savantes dans le domaine de la chimie. Contrairement à d’autres travaux controversés, cette recherche ne semble ni orientée par l’industrie, ni portée par une cause militante.

Certes, elle ne porte que sur deux types de maïs transgénique. Mais elle vient ébranler l’idée que les OGM seraient nécessairement nocifs à long terme. Malheureusement, il est probable qu’elle passe inaperçue. Contrairement à l’étude Séralini, qui, a sa sortie, a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Le Nouvel Obs titrait en une, « Oui, les OGM sont des poisons ! », pendant que le documentaire « Tous cobayes ? », exposait des images spectaculaires de rats présentant des tumeurs.

Alors que Bruxelles débat de l’autorisation des NGT, ces nouveaux OGM sans transgénèse, il est regrettable que cette information ne soit plus largement diffusée. Une fois encore, les peurs pourraient être agitées sans que l’on prenne le temps d’écouter ce que dit réellement la science. Pire, elles trouveront, grâce à aux anciens titres alarmistes restés dans l’imaginaire collectif, un terreau fertile sur lequel prospérer.

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Le bio selon les faits : mirage ou miracle ? 

Toujours au top dans l’actualité, l’agriculture biologique remporte pourtant un succès… décroissant. Alors, nécessaire purification par le marché pour une filière très subventionnée qui réclame toujours plus de débouchés imposés ? Ou injustice faite à un mode de production vertueux, censé nous nourrir sainement et préserver la planète ?

Longtemps promue comme une solution miracle – pour les sols, l’eau, la biodiversité, la santé et même le climat – l’agriculture biologique bénéficie d’un soutien politique rarement démenti. En 2025 encore, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, y voit un « pilier essentiel de notre souveraineté alimentaire » et lui réaffirme son soutien « indéfectible ». Un engagement sonnant et trébuchant : plus de 350 millions d’euros d’aides par an, et un objectif de 21 % de surface agricole utile en bio d’ici à 2030 – deux fois plus qu’aujourd’hui.

Pourtant, la dynamique s’essouffle. Les surfaces stagnent, la consommation recule, les conversions s’arrêtent voire s’inversent. Et les soutiens du bio en viennent à hystériser le débat, parfois jusqu’à l’indignité. Le jour du vote de la loi de simplification agricole, Marine Tondelier publiait : « Tous les députés qui voteront pour la loi Duplomb voteront pour l’empoisonnement de vos enfants et la destruction de la biodiversité ». Y a-t-il urgence qui justifie l’outrance ?

Alors : que promettait vraiment le bio ? Qu’a-t-il tenu ? Et est-il vraiment la meilleure – voire la seule – voie pour conjuguer santé, climat, biodiversité et souveraineté alimentaire ?

C’est ce débat que Les Électrons Libres ouvrent ici, en cinq chapitres. Sans parti pris, mais avec nuance, en restant attachés aux faits permettant d’explorer en profondeur les dessous de notre assiette.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement une partie de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? » – mais une partie seulement.

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Épisode suivant : I. La bio du bio

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La bio du bio

Au XIXᵉ siècle, Thomas Malthus écrivait que « le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire la subsistance de l’homme ». Cette vision profondément pessimiste – devenue un nom commun, le malthusianisme – de la croissance démographique l’amenait à penser que la planète ne pourrait nourrir durablement plus d’un milliard d’humains — un seuil franchi dès 1804, soit, ironiquement, à peine quelques années après la parution de son Essai sur le principe de population (1798).

Depuis 1927, date à laquelle l’humanité a atteint deux milliards d’habitants, la population mondiale a quadruplé. Pourtant, le nombre de fermes dans le monde est resté relativement stable — autour de 600 millions — tandis que la main-d’œuvre agricole a chuté drastiquement dans les pays industrialisés. Dans le même temps, la surface agricole mondiale s’est accrue jusqu’à représenter environ 37 % des terres émergées, avant de se stabiliser.

Agriculture vivrière : le grand bond en arrière

J’approfondis

Cet exploit a été rendu possible par des transformations radicales de l’agriculture : semences hybrides à haut rendement, engrais de synthèse, produits phytosanitaires, mécanisation, irrigation massive… Ce bouleversement, amorcé dans les années 1950-60, a pris le nom de « révolution verte ».

Les résultats se sont avérés spectaculaires : en Inde, les rendements du riz ont été multipliés par cinq entre 1960 et 2000. L’apport énergétique moyen par habitant a fortement augmenté, la malnutrition infantile a reculé et les grandes famines ont quasiment disparu, en dehors des contextes de guerre et des moments où l’idéologie a pris le pas sur la science. On pense à l’URSS et aux délires pseudo-scientifiques de Lyssenko qui ont ravagé l’agriculture soviétique. Mais aussi à la Chine maoïste où les politiques agricoles de collectivisation forcée ont provoqué la mort de dizaines de millions de personnes, et, bien entendu, au Cambodge, quand les Khmers rouges ont tenté de supprimer la propriété privée et l’agriculture moderne, éradiquant plus de 25% de la population locale, un sinistre record dans l’Histoire.

Trofim Lyssenko, jardinier et idéologue redouté

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L’agriculture moderne est l’un des plus grands succès de l’humanité. Elle a permis d’éviter des famines massives et, sous l’impulsion de pionniers comme Norman Borlaug, sauvé plus d’un milliard de vies. Mais ces avancées décisives ont aussi eu leur revers. L’intensification agricole a entraîné pollutions, perte de biodiversité, émissions accrues de gaz à effet de serre et appauvrissement des sols. La spécialisation des cultures, la disparition des haies et le recours massif aux intrants ont fragilisé la résilience des agrosystèmes..

Norman Borlaug, l’homme qui en sauva un milliard

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La France illustre bien ces évolutions. À partir des années 1960, son agriculture s’est modernisée à marche forcée : mécanisation, structuration des filières, limitation des importations et prix d’achats garantis via la PAC. Résultat : la production a doublé depuis 1960 — et même plus que triplé pour les céréales — sans extension des surfaces cultivées.

Mais cette modernisation s’est accompagnée d’un exode rural massif. Le nombre d’exploitations est passé de 1,26 million en 1979 à moins de 400 000 en 2020. Il pourrait chuter à 275 000 d’ici 2035. Dans le même temps, la taille moyenne des exploitations a augmenté de 25 % entre 2010 et 2020. Beaucoup d’exploitants ont quitté la profession, d’autres sont devenus dépendants des aides publiques.Mais les chiffres les plus éloquents sont ceux-là.  En 1960, l’agriculture au sens large (incluant la sylviculture et la pêche) représentait 21% de l’emploi total en France. En 2023, selon les dernières données disponibles de l’INSEE, elle ne pèse plus que 2,51%… 

Et les crises se sont accumulées : chlordécone, dioxines, hormones, vache folle… Des scandales sanitaires et environnementaux ont profondément ébranlé la confiance des citoyens dans le modèle productiviste.

C’est dans ce contexte, et souvent en réaction à ces dérives, qu’un premier mouvement en faveur d’une agriculture plus « naturelle » a émergé dès le début du XXᵉ siècle.

L’agriculture biologique contemporaine émerge ensuite dans les années 1940, en Europe et en Inde, comme réaction à la montée en puissance de l’agriculture industrielle et à sa dépendance croissante aux intrants chimiques. Les premiers pionniers insistent alors sur une idée a priori simple : la fertilité d’un sol ne peut être durablement maintenue qu’en respectant ses cycles biologiques, par l’usage de composts, de rotations longues et d’engrais organiques, et non par le recours exclusif aux fertilisants de synthèse.

Deux figures marquent les débuts de ce courant. En Angleterre, Albert Howard, envoyé en Inde comme agronome impérial, observe les méthodes agricoles locales et défend une approche holistique du sol, de la plante et de l’animal. Il développe l’idée de sol vivant et met l’accent sur le recyclage de la matière organique. En Allemagne, Rudolf Steiner, gourou sulfureux sans la moindre compétence agricole, pose en 1924 les bases de la biodynamie : un mélange de techniques agronomiques, de pratiques lunaires — au sens propre comme au figuré — et de rituels ésotériques, comme l’enfouissement d’une corne de vache remplie de bouse à l’équinoxe.

Biodynamie : quand l’agriculture sent le soufre

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Dans les années 1960-70, à la faveur d’une prise de conscience écologique (pollutions, marées noires) et d’inquiétudes sanitaires, le bio gagne en visibilité. En France, l’AFAB (Association française pour l’agriculture biologique) est créée dès 1962. D’autres réseaux militants ou coopératifs suivent. L’État ne reconnaîtra officiellement le label « AB » qu’en 1985, puis adoptera la réglementation européenne dans les années 1990-2000. Le règlement UE 2018/848 fixe aujourd’hui les règles précises de l’agriculture biologique.

Les grands principes du bio

Les exigences légales du règlement (UE) 2018/848 sont :

  • Interdiction formelle des OGM, engrais minéraux, pesticides de synthèse ; les antibiotiques ne sont utilisés qu’en dernier recours pour santé animale 
  • Rotation pluriannuelle des cultures, intégrant légumineuses ou engrais verts pour préserver la fertilité des sols 
  • Gestion des sols avec priorité donnée à la matière organique (compost, fumier), réduction du labour, lutte contre l’érosion et maintien de la vie microbienne du sol
  • Protection des plantes basée sur des variétés résistantes, la lutte biologique, et un recours limité à des substances autorisées uniquement si les méthodes alternatives sont insuffisantes
  • Élevage biologique exigeant : densité maîtrisée, plein air, alimentation biologique dès la naissance, races adaptées et bien-être animal renforcé.

Contrairement à une idée reçue, le bio n’est pas nécessairement local, ni sans mécanisation, ni sans intrants, ni même sans chauffage de serre : un produit bio peut venir de très loin, voyager en camion frigorifique, et avoir une empreinte carbone importante.

Le mot d’ordre affiché est simple : « nourrir sans nuire ». Mais derrière cette formule, le bio porte une dimension idéologique assumée : rejet du productivisme et de la mondialisation, culte du « naturel », et préemption du « manger sainement ».

Longtemps porté par des pionniers sincères, ce modèle s’est institutionnalisé. Aujourd’hui, environ 10 % des terres agricoles françaises sont cultivées en bio. Le marché s’est structuré, la grande distribution s’est emparée du label, et la consommation a explosé jusqu’en 2021.

Mais cette croissance s’accompagne de tensions. Et plus le modèle s’étend, plus ses prétentions hégémoniques se heurtent à ses propres limites économiques et agronomiques.

Les défis du XXIème siècle : les travaux d’Hercule de l’agriculture

Surtout, une question de fond s’impose : l’agriculture biologique est-elle vraiment le contre-modèle vertueux qui nous est présenté ? Ou masque-t-elle, sous couvert d’évidence morale, un débat plus vaste sur les compromis à faire ?

Car les défis auxquels l’agriculture est confrontée sont considérables. Même si la croissance démographique ralentit, la première question – et la plus cruciale – reste celle de notre capacité à produire assez pour nourrir une population mondiale toujours en augmentation. Mais aussi d’y parvenir en assurant une qualité sanitaire élevée et des produits diversifiés à un coût acceptable pour le consommateur. Ce qui introduit logiquement le problème de la rémunération équitable des producteurs et de l’amélioration de leurs conditions de travail, dans un contexte de pénurie récurrente de main-d’œuvre dans les filières agricoles. Le tout devant se réaliser dans le souci constant de la réduction de l’empreinte environnementale globale (eau, sols, climat, biodiversité) et de la minimisation de la surface agricole. Des questions qui, pour la plupart, s’apparentent à des dilemmes.

Face à eux, le bio est-il alors la solution  ? Tient-il ses promesses ? Ou son omniprésence médiatique et politique occulte-t-elle d’autres solutions, plus efficaces, voire plus réalistes ?

Ce sont ces questions que nous aborderons dans les chapitres suivants de cette série et du livre qui en découle.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre II : Santé, l’effet placeb(i)o

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Grand jeu d’été : sur les traces de la légende du canard d’or

L’autre jour, alors que j’étais tranquillement dans mon bain en train de jouer avec ma collection de canards en plastique, Antoine, notre lider maximo à tous, a soudain débarqué dans la salle de bains.

— Dis donc Fred, ça commence à bien faire, on attend encore ton chapitre pour le bouquin sur le bio. Tu sais qu’il sort dans deux semaines ?
— Mais on a seulement décidé de l’écrire hier, c’est impossible…
— Impossible n’est pas Électrons, affirma-t-il. On disrupte, oui ou non ?
— Oui, mais…
— Pas de mais qui tienne. Tiens, pour te motiver, je t’ai emprunté cette petite chose sur ton bureau.
— Mon canard d’or ?
— Oui, ton canard d’or. Celui que tu prétends avoir rapporté d’une expédition au temple perdu, ou je ne sais quoi.
— Mais…
— Tu le retrouveras quand les articles sortiront, un point c’est tout. Toi qui aimes tant distribuer des abonnements VIP, tu n’as qu’à te faire aider de nos lecteurs.

Nager dans les rhododendrons

Chers amis lecteurs, voilà ce que j’ai compris du défi que m’a lancé Antoine : il a enterré le canard d’or, mon canard d’or, dans un lieu secret, connu de lui seul. Et il ne me le rendra que si je suis capable de découvrir le lieu dont il s’agit.

D’après ce que j’ai compris, il y a une énigme à résoudre. Et il a l’intention de cacher les mots composant cette énigme dans les titres et sous-titres des articles de notre dossier sur le bio, qui paraîtra à partir de demain. Je pense qu’on pourra les repérer… mais ce ne sera pas si facile.

Alors voilà ce que je vous propose :
Vous m’aidez à retrouver mon canard d’or, et j’offre un abonnement VIP au premier qui trouve l’endroit.
J’offre aussi des abonnements Quark à ceux qui feront avancer le décodage de l’énigme.

On échangera sur mon compte X @sjowall69 pour poser vos questions et partager les découvertes.

Bien sûr qu’on va la résoudre, cette énigme. « Impossible n’est pas Électrons », n’est-ce pas ?

PS : j’ai quand même un peu fouillé son bureau… et dans un tiroir, j’ai trouvé ça.
Je ne sais pas trop si ça peut aider.
Je publie cet article un peu comme une bouteille à la mer. J’espère qu’il ne va pas trop le caviarder…

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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Cette norme qui pourrait rendre nos logements invivables

Pensée en contradiction avec la réalité du changement climatique et du développement du télétravail, la RE2020 illustre les travers normatifs français. En voulant réduire l’impact énergétique et climatique des bâtiments, elle pourrait rendre nos logements… invivables.

La Réglementation environnementale 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, s’applique à toutes les constructions neuves, en remplacement d’une autre norme, la RT2012. Son ambition est triple : diminuer la consommation d’énergie primaire (soit celle consommée par nos équipements), prendre en compte les émissions de carbone sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments et garantir un niveau acceptable de confort intérieur en période estivale, dans le contexte du réchauffement climatique. Présentée comme l’un des cadres réglementaires les plus exigeants au monde, cette RE2020 concerne un pan colossal de l’économie. En 2023, la construction neuve représentait près de la moitié du chiffre d’affaires du bâtiment, soit environ 100 milliards d’euros sur les 215 que pèse le secteur.

Contrairement à une loi débattue et votée au Parlement, la RE2020 n’est pas un texte législatif, mais un règlement technique, élaboré sous forme de décret et d’arrêtés. C’est une nuance essentielle, d’abord parce que le pouvoir réglementaire dépend du gouvernement, contrairement au pouvoir législatif, ensuite parce qu’elle repose sur une immense mécanique administrative peu lisible pour le grand public comme pour les élus. À elle seule, la documentation du moteur de calcul thermique – qui sert de base à l’évaluation de conformité – dépasse les 1800 pages. Ce sont ces modèles, d’une extrême précision, qui déterminent si un bâtiment respecte ou non la réglementation. Or, dans un tel système, le moindre paramètre peut faire basculer un projet du bon ou du mauvais côté de la norme.

Une norme déjà obsolète…

Parmi les nouveautés introduites, l’indicateur de confort d’été est l’un des plus discutés. Il mesure, pour chaque logement, le nombre d’heures durant lesquelles la température intérieure dépasse les 26 °C, pondérées en fonction de l’intensité de ce dépassement. Les seuils de tolérance varient selon les zones géographiques, l’orientation des logements et leur configuration (traversante ou non). Le choix du terme « confort d’été » est toutefois trompeur. Il laisse entendre qu’il s’agit d’un simple agrément, alors qu’il est en réalité question d’un enjeu vital face à des canicules qui deviennent plus longues, plus fréquentes et plus sévères. Derrière cette appellation presque légère se cache tout simplement la question centrale de l’habitabilité des logements.

Loi contre les « bouilloires thermiques » : demain, attaquer son propriétaire alors qu’on a la clim ?

J’approfondis

Pour modéliser ce confort d’été, la RE2020 utilise des jeux de données météorologiques couvrant la période 2000-2018, auxquels est ajoutée une seule séquence de canicule basée sur le terrible épisode d’août 2003. Cette approche statistique est déjà en décalage avec la réalité actuelle, et encore plus avec celle qui s’annonce dans le futur. Autre biais majeur : le scénario de vie sur lequel repose la simulation. Par convention, un logement est supposé être inoccupé de 10 h à 18 h, au moins pendant quatre jours chaque semaine, comme le mercredi après-midi, et fermé durant une semaine en décembre. Seules les heures dites « d’occupation » sont prises en compte dans le calcul. En d’autres termes, si la température dépasse les seuils en journée, mais que le logement est censé être vide, cela n’a aucun impact sur l’indicateur. Cette hypothèse, acceptable il y a dix ans, est aujourd’hui largement obsolète. Avec l’essor considérable du télétravail introduit par la pandémie de Covid – qui concerne près d’un salarié sur cinq –, sans compter les retraités, les étudiants ou les jeunes enfants, un grand nombre de logements sont désormais occupés en permanence, donc aussi aux moments où la chaleur devient la plus difficile à supporter.

…qui diabolise la clim

Un autre point de friction se situe dans la manière dont la RE2020 traite la climatisation. Spoiler : très mal. En théorie, cette réglementation ne l’interdit pas. En pratique, elle la dissuade fortement. Le cœur du problème réside dans le mode de calcul du besoin bioclimatique, ou Bbio, un indice théorique qui agrège les déperditions thermiques, les apports solaires et les besoins d’éclairage. Depuis l’entrée en vigueur de la RE2020, le seuil de ce Bbio a été abaissé d’environ 30 %. Pour rester dans les clous, les constructeurs sont donc incités à renforcer l’isolation, optimiser l’orientation, limiter les surfaces vitrées exposées… Jusque-là, tout va bien. Mais il sont surtout contraints de ne pas déclarer de système de refroidissement, si jamais ils en ont implanté un. Car déclarer une climatisation devient très pénalisant. Le logiciel de calcul considère alors que le logement devra maintenir une température de 26 °C en continu, jour et nuit, en supprimant toute forme de rafraîchissement naturel, comme la ventilation nocturne ou l’ouverture des fenêtres.

Pour compenser cette consommation mécanique, il faut alourdir considérablement les performances de l’enveloppe thermique, ce qui entraîne une hausse significative des coûts. Résultat : nombre de promoteurs ou constructeurs font le choix de ne pas déclarer de système de froid dans les documents, même si celui-ci est prévu ou facilement activable. Dans les logements collectifs, notamment sociaux, cela peut se traduire par une désactivation complète du mode froid. Dans certains cas, on n’installe même pas le module de réversibilité sur les pompes à chaleur, alors même qu’il pourrait s’avérer salvateur en période de forte chaleur.

Ce paradoxe réglementaire amène à une situation absurde où l’on interdit de fait aux habitants d’utiliser la fonction de rafraîchissement de leur équipement sur l’autel de la conformité énergétique. Or, si les pompes à chaleur, en particulier les modèles air-eau, ne sont pas très efficaces pour produire du froid, elles le font à un coût carbone relativement modeste. De plus, les nouveaux fluides frigorigènes utilisés sont bien moins nocifs pour le climat que les anciens. Le propane (R290), par exemple, a un potentiel de réchauffement global de 3, contre plus de 2000 pour certains fluides encore en usage il y a peu.

Jeter de l’énergie décarbonée plutôt que rafraîchir

Autre verrou : le coefficient de conversion de l’électricité dans le calcul de l’énergie primaire. Aujourd’hui, l’électricité utilisée pour produire du froid est pénalisée par un coefficient de 2,3, pour 1 kWh réellement consommé. Ce taux est censé refléter la consommation d’énergie nécessaire à sa production. Pertinent pour comparer les sources d’énergie pour le chauffage, il n’a pas beaucoup de sens dans le contexte du rafraîchissement, avec une électricité décarbonée. En 2024, l’intensité carbone moyenne de l’électricité française était de 21,3 g de CO₂ par kilowattheure, contre 64 g retenus officiellement dans les calculs pour le froid par notre règlement. En été, cette intensité est encore plus faible, descendant à 15 g/kWh sur les mois de juillet et août. Le réseau connaît même des périodes d’excédent de production, avec des heures où les prix deviennent négatifs, ce qui signifie que de l’électricité est perdue faute de demande. On a ainsi jeté, au sens énergétique du terme, environ 1,7 térawattheure de production renouvelable en 2024, soit presque trois fois plus qu’en 2023.

Enfin, reste la question des effets de la climatisation sur les îlots de chaleur urbains. Il est vrai que les unités extérieures peuvent réchauffer l’air ambiant, notamment dans les centres-villes denses comme Paris, où la température nocturne à deux mètres du sol peut augmenter de deux degrés. Mais cet effet est bien moindre dans les zones pavillonnaires ou peu denses, qui concentrent aujourd’hui la majorité des constructions neuves. Et il peut être atténué par des choix d’implantation, en installant les unités sur les toits plutôt qu’en façade, afin de favoriser la dissipation de chaleur en hauteur.

Ce que révèle l’ensemble de ces paradoxes, c’est un décalage croissant entre la logique réglementaire et la réalité climatique. Alors que les canicules se multiplient et s’intensifient, la RE2020, en voulant bien faire, risque de produire des logements théoriquement performants mais pratiquement invivables en été. Car, on l’a vu, refroidir passivement un logement est tout simplement impossible. Un aveuglement absurde, et même dangereux : depuis le début du XXIe siècle, les canicules ont fait 32 000 morts en France.

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Pétition Duplomb : quand l’émotion prend le pas sur la raison

Plus d’un million et demi de signatures pour la dénoncer en quelques jours. Tout juste votée, la loi Duplomb devient le symbole des divisions qui traversent notre pays, autant qu’elle traduit notre malaise démocratique. « Loi poison », « Mange, t’es mort », « Le cancer vote à droite »… Les slogans caricaturaux la dénonçant fleurissent, repris par certains journalistes et politiques. Mais que peut bien contenir cette loi pour justifier ces outrances ? Notre agriculture met-elle vraiment les Français en danger ? A moins qu’un péril plus grand ne les guette, celui du populisme.

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, ne s’attendait sans doute pas à passer à la postérité de la contestation en présentant sa proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». C’est pourtant le cas avec son texte, envisagé en réaction aux vives manifestations des agriculteurs du printemps 2024, réclamant une simplification de certaines normes régissant leur profession et un alignement des très sévères réglementations françaises sur celles dictées par l’Europe, pourtant assez rigoureuses.

Que change la loi Duplomb ?

Elle s’articule autour de quatre axes et huit (longs) articles.
En premier lieu et par ordre croissant d’importance ou de capacité à enflammer les débats.

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), sera amenée à traiter en priorité les demandes de mise sur le marché de produits phytosanitaires répondant à un besoin urgent. Une demande partiellement retoquée par le Parlement et réintroduite par décret, ce qui peut être contesté, et le sera. Notamment par Corinne Lepage au nom de l’association Agir pour l’environnement. Une question purement juridique, mais légitime, n’ayant cependant rien à voir, contrairement à ce qui est prétendu, avec une mise sous tutelle de l’Agence, puisque celle-ci reste parfaitement indépendante quant aux avis qu’elle émet.

La loi prévoit ensuite la simplification de l’installation, de la modernisation et de l’agrandissement des bâtiments destinés à l’élevage. S’ils seront toujours soumis aux mêmes normes environnementales, le seuil déclenchant la réalisation d’une étude d’impact va être aligné sur les standards européens. Une mesure qui n’a rien d’un changement de paradigme.

Les deux sujets suivants, les retenues d’eau (les fameuses « mégabassines ») et la réintroduction partielle d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), l’acétamipride, sont en revanche les mèches qui ont déclenché l’incendie politique et sociétal actuel.

Le premier d’entre eux a failli connaître un destin funeste. Issu de l’article 5 de la loi et de son titre III, « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource », il a été labouré dans les grandes largeurs en Commission Développement durable par les écologistes et sa présidente, Renaissance, Sandrine Le Feur, afin d’arriver à un résultat contredisant la volonté du législateur. Le but ? Suivre la doxa des Verts visant à interdire les retenues d’eau, ou les réserver aux seuls agriculteurs bio, dont Sandrine Le Feur est… une des représentantes. Le subterfuge n’a heureusement pas été validé. Pour le reste et pour mieux comprendre les enjeux de ces retenues et particulièrement de leur utilité dépendant des sols sur lesquelles elles sont installées, nous vous renvoyons aux trois articles que nous avons déjà consacrés à la question :
Stockage de l’eau : solution ou illusion ?
Quand les députés inventent… l’agriculture sèche
La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

Reste la pièce maîtresse, l’acétamipride.

Il s’agit d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), partiellement ré-autorisé par la loi. Il faut insister sur le mot « partiellement ». L’usage de notre accusé ne pourra être accepté qu’en cas de problème majeur, par voie de dérogation, de façon limitée dans le temps, et à la seule condition de l’absence de solution alternative. Rien à voir donc avec une ouverture massive des vannes en faveur de tous les pesticides, ni de celui-ci, comme ce que les contempteurs opportunistes de la loi, et beaucoup de citoyens manipulés mais sincères, prétendent. Et là est toute la question. Encore fallait-il lire la loi.

Autorisé jusqu’en 2033 dans l’Union Européenne (et presque partout ailleurs dans le monde), il a été interdit en France en 2018, comme tous les NNI. Ce ne fut pas sans conséquences. La production de cerises, liée à un autre NNI, s’est effondrée de 25%, sonnant le glas d’un tiers des exploitations. La filière noisettes a perdu l’an dernier, en raison d’un été pluvieux favorisant les ravageurs, 30% d’une récolte… déjà moitié moins importante qu’à l’accoutumée. La filière sucrière française, jusque-là leader européen, a vécu une catastrophe. Avec pour conséquence de regarder impuissante la concurrence allemande prendre sa place avec… ses champs pulvérisés à l’acétamipride. Ainsi, depuis 2019, 6 des 20 sucreries hexagonales ont fermé. Mais c’est toute la filière, qui représente environ 25 000 emplois directs, et 45 000 indirects ou induits, qui est menacée. Sandrine Rousseau a beau dire scandaleusement « La rentabilité [des agriculteurs], je n’en ai rien à péter », c’est de leur survie qu’il s’agit, non de leurs profits. Est-ce aussi négligeable pour les écologistes ? Une réalité sociale qui ne pourra que nourrir la colère paysanne, sans garantir le sucre consommé en France d’être exempt de pesticides dans sa production étrangère. Pour la simple et bonne raison… que c’est aujourd’hui impossible.

Un tueur d’abeilles cancérogène ?

Selon la plupart des agences sanitaires, dont l’EFSA (l’agence sanitaire européenne), la toxicité de l’acétamipride pour les abeilles est nettement plus faible que celle des autres NNI. Sa persistance dans l’environnement est notamment beaucoup plus courte, avec une demi-vie (durée nécessaire à la disparition de 50 % du produit) inférieure à 8 jours, au lieu de plusieurs mois. Sans compter que les abeilles ne butinent pas la betterave, puisqu’elle ne produit… pas de fleurs.

Et pour notre santé ? Malgré certaines déclarations, le lien entre cancer du pancréas et acétamipride n’a été démontré par aucune étude. Les réelles craintes ne portent pas sur son aspect cancérogène mais sur son rôle de potentiel perturbateur endocrinien et sur le développement des enfants. Dit comme cela, c’est effectivement inquiétant. Mais ces risques ne peuvent subvenir qu’en cas d’exposition aiguë – la dose fait le poison. Pour plus de sûreté, dans l’attente d’études complémentaires, l’ANSES a recommandé l’an dernier d’abaisser la dose journalière admissible de résidus (DJA). Et l’exposition chronique des populations est très inférieure à ces seuils. Rappelons par ailleurs l’hypocrisie qui préside à cette soudaine indignation nationale à l’égard de l’acétamipride, alors que personne ne semble s’en offusquer pour ce qui est de sa très large utilisation domestique à des doses non négligeables, dans les insecticides contre les blattes, les fourmis, mais également dans les sprays anti-puces. Quant aux colliers voulant préserver chiens et chats des mêmes parasites, ils sont bourrés d’un autre NNI, l’imidoclapride, bien plus dangereux que l’acétamipride.

Et sinon, nourrir les Français ?

A chercher une solution parfaite, on en oublie les bases de notre sécurité alimentaire. Une agriculture « sans pesticides » ? Aujourd’hui, elle n’existe tout simplement pas, en tous cas pas à des prix raisonnables. En évitant de perdre des récoltes, les pesticides ont mis fin aux famines et sauvé des centaines de millions de vies. Le bio en utilise d’ailleurs aussi, comme le spinosad, redoutable contre les pollinisateurs, mais étonnamment absent des débats. Car non, les agriculteurs sérieux, bio ou non, ne comptent pas sur les couples de mésanges pour régler le problème des insectes, contrairement aux prétentions du député écologiste Benoît Biteau.

Derrière cette hystérie, deux modèles s’affrontent. Le premier, productiviste, qualifié d’intensif, s’améliore en termes sanitaires. Depuis le début du XXIe siècle, les pesticides CMR1, les plus suspectés d’être cancérogènes, ont en France été définitivement interdits les uns après les autres. Par ailleurs, avec l’IA et la génétique, ce modèle est probablement à l’aube de bouleversements plus grands encore, que nous présentons dans notre livre « Trop bio pour être vrai », qui sort le 29 juillet. Le second, que ses partisans aiment appeler « paysan », envisage un retour fantasmé aux traditions, au travail manuel, à l’usage d’intrants naturels, parfois peu efficaces et qui ne sont pas exonérés de risques. Ses promoteurs ferment les yeux sur ses faibles rendements –  20 à 30 % inférieurs – qui rendent impossible sa généralisation sans un recours à une augmentation massive des surfaces, et à la déforestation qui l’accompagne. Mais surtout à une explosion des prix à l’achat dans les commerces. Qu’importe, puisque cette confrontation n’a plus rien de scientifique, elle n’est que politique et irrationnelle.

Dérapage médiatique et politique

Car, au final, de quoi s’agit-il avec l’acétamipride. D’un NNI moins toxique que les autres, dont la réintroduction minimale est indispensable pour la survie de plusieurs filières agricoles, et qui se trouve très encadré… On est très loin d’une atroce « loi pesticides ». Mais les arguments rationnels ont peu de poids face aux slogans anxiogènes qui inondent les médias et aux luttes manichéennes sur les réseaux sociaux ou sur les bancs de l’Assemblée nationale. L’heure est à la politique de l’émotion, toujours victorieuse de la raison, portée par l’infotainment et une communication omniprésente qui détourne le regard de ses promesses de vérité. Ses tenants prétendent alors prendre à témoin le peuple de leur sincérité, l’encourageant à tomber dans le piège du populisme qui leur est tendu. Alors, qu’importe sa qualité ou ses compétences, chacun se jette sans pudeur au cœur de l’agora numérique pour avilir les débats, sans crainte du ridicule, opposant la croyance à la science, les on dit aux faits, la puissance de la voix à la discrétion de l’évidence. Du pain bénit pour ceux, instruits des leçons de Gramsci et de la guerre culturelle, pour lesquels l’instrumentalisation des peurs ne semble avoir aucune limite. Surtout quand elle leur offre tant de profits. N’oublions pas qu’une motion de censure menace le gouvernement à la rentrée et que les prochaines municipales se profilent. La loi Duplomb n’est qu’une variable d’ajustement de ces luttes où chacun se place, sans considération pour le réel… ni pour la décence. Comme en témoigne la manière dont Fleur Breteau, pasionaria du combat contre la loi et ambassadrice de ses porteurs, se met en scène pour témoigner des prétendues horreurs que le texte contient. Styliste, fondatrice d’une chaîne de sex-shop et militante de Greenpeace, elle n’a jamais travaillé dans l’agriculture. Hélas atteinte d’un cancer du sein, comme bien trop de femmes, cette quinquagénaire sert de caution immorale à un combat dont le rapport avec sa maladie reste mystérieux. On rappellera à ce titre que, notamment, contrairement aux cancers de la peau liés à l’exposition au soleil, ceux qui touchent le sein sont 18% moins fréquents chez les agricultrices que dans le reste de la population. Comme l’extrême droite se repaît des faits divers violents pour faire croître son électorat, une partie de la  gauche et d’un centre déboussolé exploite la crainte de la maladie dans le même but.

Et c’est bien leur rencontre que ces deux camps espèrent, in fine, quand « la poudre de perlimpinpin » de ce débat sera retombée, et qu’ils auront éliminé les fauteurs de trouble de la raison et de la science. Escortés, à cette fin, par tous leurs idiots utiles, dont un certain nombre de médecins, qui n’ont, ni lu la loi, ni regardé les études la justifiant, mais veulent à tout prix, comme nombre de citoyens égarés – on les comprend – rester dans ce qu’ils imaginent être « le camp du bien ». Drôle, quand on pense qu’ils livrent ainsi la France à des aliments produits dans de bien plus suspectes conditions que les nôtres, en plus d’attiser des colères dont seuls les populistes profiteront à leurs dépends.

Et après ?

La pétition lancée contre la loi Duplomb continue d’engranger les signatures. Elle a au moins l’avantage de témoigner de l’intérêt croissant (mais pas encore informé) des Français pour les questions écologiques. Elle est le fruit d’une jeune fille de 23 ans, Éléonore Pattery, une étudiante bordelaise en master QSE et RSE (Qualité, Sécurité, Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises). Elle aussi, dont nous ne doutons pas de la sincérité de l’engagement, connaît, sans doute malgré elle, le même quart d’heure de célébrité poisseux qui atteint le Sénateur Laurent Duplomb. Son texte, (que vous pouvez retrouver ici), hélas exempt de toute donnée scientifique, va continuer à attiser le feu d’un débat délétère qui tendra à s’étioler durant un mois d’août propre aux vacances, avant de voir ses braises raviver le feu de la contestation à la rentrée. Une rentrée à hauts risques. Car, derrière les signatures et l’agitation militante, c’est bien l’extrême droite qui gagne (encore) des points en se mettant en soutien d’un monde agricole lassé du mépris qui lui est témoigné, alors qu’il tente de nourrir le pays. Et ce, avant une motion de censure automnale de tous les dangers. Car, comme l’a rappelé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, la pétition ne pourra en rien contrarier la loi votée. Elle provoquera un nouveau débat à l’Assemblée, si sa conférence des présidents le souhaite – ce qui sera sans doute le cas. Mais sans projet de loi d’abrogation, ou nouvelle proposition, le texte restera en l’état. A moins que, comme après les manifestations du CPE d’un Dominique de Villepin qui vient de s’inviter dans le débat avec ses mots creux habituels, le chef de l’État use de la même ruse que Jacques Chirac à l’époque. Promulguer la loi, mais demander au gouvernement de ne pas en signer les décrets d’application. Dans ce cas, plus furieux que jamais, les agriculteurs réinvestiront les rues, tandis que leurs filières continueront à s’amenuiser au profit de nations concurrentes et moins contrariées. Si, en revanche, la loi était appliquée, la gauche urbaine et calculatrice, embrigadant dans son sillage une jeunesse pleine de bonne intention et vide de connaissances sur les questions agricoles et scientifiques, viendra battre le pavé du déni en attendant les prochains scrutins qu’elle espère et figureront pourtant son dernier tombeau. 

Imaginez-vous que nous en sommes là. Avec pour bouc émissaire, une loi limitant au possible les licences qu’elle octroie à l’usage d’un pesticide parmi les moins nocifs – ils le sont tous plus ou moins, c’est leur principe – mais prévenant la mort de plusieurs filières agricoles et l’envoi au chômage de dizaines de milliers de Français, sans résoudre aucun problème. Viendra-t-il le jour où ceux, doués de raison, mais mollement imperméables à la violence des débats, (soit, souvent la majorité), auront le courage de prendre parti avant de tout perdre ? La question n’a pas fini de se poser…

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Trop bio pour être vrai ? Le livre !

Il peine à se faire une place dans nos assiettes, mais doit pourtant, pour le législateur, représenter 21 % de notre agriculture dans 4 ans. Derrière ce volontarisme, la promesse d’une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement. Mais manger bio est-il vraiment bon pour la santé et pour la planète ?

Un livre compact, direct et ludique, coloré et richement illustré ! Nos spécialistes Stéphane Varaire, Jérôme Barrière, Anne Denis & Frédéric Halbran, soutenus par Antoine Copra et Benjamin Sire, font le point sur l’état de la science, sans a priori et sans faux-semblants.

À grignoter sans modération !

Disponible dès aujourd’hui, sur Amazon pour les versions broché et Kindle et directement sur notre site au format epub.

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Peut-on réellement se passer de la clim ?

Peut-on construire, sans clim, des bâtiments frais en toute circonstance ? C’est ce que semblent croire architectes, constructeurs et pouvoirs publics, qui, des gares aux hôpitaux, multiplient les projets climophobes. Mais est-ce au moins physiquement possible ?

15 000 morts en 2003. Près de 17 000 depuis, selon Santé publique France et l’INSEE. La chaleur, comme le froid, tuent. Dans une France encore mal préparée au réchauffement climatique et à la multiplication des canicules, la climatisation apparaît de plus en plus comme un outil essentiel pour préserver la santé et le confort des populations.

D’autant que notre architecture s’est historiquement — et logiquement — concentrée sur la conservation de la chaleur, pour faire face aux longs hivers qui ont rythmé notre histoire. Créer du froid est, de toute façon, bien plus complexe : les cycles frigorifiques ne datent que de 1834 (brevet de Perkins), et les premiers climatiseurs n’ont vu le jour qu’au début du XXe siècle en Occident.

Aujourd’hui, s’ils fleurissent un peu partout dans le monde, ils restent encore peu répandus chez nous. Et sont souvent méprisés, au motif que des solutions plus « vertueuses », souvent inspirées par un passé marqué du sceau du bon sens, suffiraient. Mais est-ce vraiment le cas ?

Des maisons passives pas si passives que ça

Les maisons dites « passives » sont souvent les premières pistes évoquées. Plus haut standard thermique des bâtiments, leur principe repose sur deux piliers : une isolation importante, pour limiter au maximum les pertes de chaleur comme de fraîcheur, et une captation optimale des apports solaires gratuits, notamment grâce à de larges vitrages orientés plein sud. Ces gains substantiels (plusieurs kW) s’additionnent à la chaleur dégagée par les occupants et les appareils ménagers, permettant ainsi de réduire drastiquement le besoin de chauffage, voire de s’en passer complètement (d’où le terme passif).

Mais ces maisons ont des jokers, honteusement cachés dans leur manche : sèche-serviettes, petits radiateurs soufflants, poêle à bois. Autant de chauffages d’appoint, tout sauf passifs, qui prennent le relais lors des grands froids. Mais, si ces maisons ont besoin de chauffage d’appoint lors des épisodes frigorifiants, pourquoi n’en serait-il pas de même pour contrer la chaleur à l’occasion des canicules ? Comment, à fortiori, des logements standards – près de 99 % du parc immobilier – pourraient-ils se passer de systèmes de refroidissement ponctuels dans de telles circonstances? Car il est, en vérité, bien plus simple de se protéger du froid que de résister à une canicule.

Éviter la chaleur ? Une affaire complexe.

On l’a vu, les conceptions passives reposent sur l’isolation et l’exploitation du soleil hivernal. Or si une bonne isolation contribue indéniablement à conserver la fraîcheur en été, un problème fondamental demeure : le soleil ne peut en aucun cas apporter de la fraîcheur. Et si les protections solaires — casquettes, volets, stores — permettent de limiter la casse, elles ne produisent aucune fraîcheur. Pire : même occultées, nos fenêtres restent des points faibles sur le plan thermique. Enfin, les apports de chaleur internes, si précieux en hiver, deviennent des ennemis qui font grimper le thermomètre …

Hors rénovation, une seule solution, la surventilation !

En dehors de lourds travaux de rénovation, la seule stratégie passive de refroidissement reste la surventilation nocturne. Elle consiste à ouvrir toutes les fenêtres quand l’air est plus frais. Or, cette méthode présente aussi des limites. Lors d’une véritable canicule, les températures nocturnes ne chutent pas suffisamment pour permettre un refroidissement efficace. C’est d’ailleurs l’une des définitions mêmes du phénomène : des nuits chaudes, souvent accompagnées de vents faibles liés à l’anticyclone qui les provoque.

Elle bute également sur des détails pratiques : qui a envie de se réveiller au milieu de la nuit pour tout ouvrir… et laisser entrer des visiteurs indésirables — chauves-souris, moustiques, rats, cambrioleurs — ou des nuisances aussi pénibles, comme le bruit, la lumière ou la pollution ? D’autant que dans de nombreux logements non traversants, la ventilation naturelle est assez peu efficace.

D’autres alternatives ? Oui, mais… coûteuses ou non exportables.

J’approfondis

L’électricité, c’est mal…

Malgré toutes ces limites, les solutions passives sont promues par le législateur au détriment de la climatisation. Celle-ci est en effet perçue comme problématique en raison de sa consommation d’électricité. « L’énergie est notre avenir, économisons-la ! » : la sobriété énergétique est depuis longtemps un objectif central des politiques publiques, au point d’imposer un slogan à tous les fournisseurs d’énergie, décarbonée ou non.

Ainsi, les calculs réglementaires affublent toute consommation d’électricité d’un coefficient 2,3 (1 kWh d’électricité consommé est comptabilisé comme 2,3 kWh) et reposent sur des fichiers météo obsolètes qui sous-estiment les futures canicules, en plus d’idéaliser le comportement des usagers, chez qui les volets ne sont pas toujours fermés, et la surventilation nocturne pas systématique…

Conséquence : même les bâtiments neufs, censés répondre aux exigences du futur, sont mal préparés à des pics de chaleur qui deviennent pourtant la norme.

Quand le réel rattrape la théorie

Les exemples de bâtiments modernes, conçus ou rénovés selon les normes passives, qui deviennent des étuves en été, sont malheureusement légion : les locaux du journal Libération atteignent les 34°C, la mezzanine de la gare de Nantes est fermée à plus de 40°C… Et on peut craindre le pire pour le futur CHU de la métropole ligérienne, où la clim est réservée à une poignée de salles critiques.

Vaut-il mieux investir 100 000 euros dans l’isolation complète d’une maison, sans réelle garantie de confort en cas de canicule, ou installer une climatisation ciblée — par exemple dans les chambres — pour moins de 10 000 euros, afin d’assurer un sommeil réparateur et un refuge efficace contre les chaleurs extrêmes ? 

Car la chaleur tue. Depuis la terrible canicule de 2003, on sait qu’elle peut provoquer des hécatombes. 32 000 vies qui auraient pu être épargnées avec des bâtiments adaptés, même si ce décompte macabre concerne aussi certains travailleurs exposés à d’indécentes chaleurs sur des chantiers. 

La clim n’est pas un luxe

Se protéger d’une chaleur potentiellement mortelle est bien plus difficile que de faire face aux rigueurs de l’hiver. Et les solutions passives, souvent coûteuses et complexes à mettre en œuvre, ne suffisent pas.

Dans la France d’hier, où les canicules restaient rares et brèves, il pouvait sembler acceptable de se passer de systèmes de refroidissement. Mais le réchauffement climatique change complètement la donne. Il impose un nouveau paradigme : celui où la climatisation devient une nécessité.

Aussi imparfaite soit-elle, elle reste aujourd’hui la solution la plus efficace. Loin d’être l’horreur écologique dénoncée par certains, elle constitue un outil de santé publique face à l’augmentation des températures extrêmes.

Dans un pays où la production d’électricité est en grande partie décarbonée, surtout en été grâce au solaire et au nucléaire, considérer la climatisation comme un tabou est une posture qui ne résiste plus à la réalité. C’est un progrès technique devenu indispensable.

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