Sécurité sociale : l’Europe au banc d’essai
Après les retraites, la sécu.
La France face à ses concurrents, deuxième volet de notre comparatif européen. Huit pays, huit systèmes. Les modes de financement et fonctionnement des sécurités sociales de la plupart de nos plus proches voisins du continent, Royaume-Uni compris, passés au banc d’essai, selon neuf critères. La semaine prochaine, focus sur l’assurance chômage, selon le même processus.
La sécu ! En France, comme ailleurs en Europe, elle représente le pilier de la protection sociale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais partout, elle fait face à des défis croissants dans un contexte de vieillissement, de tensions budgétaires et d’inégalités régionales persistantes. En 2023, les dépenses sociales publiques dans l’Union européenne ont atteint en moyenne 28 % du PIB, avec une hausse notable des investissements en santé et en soins de longue durée pour répondre à l’augmentation de l’espérance de vie qui avoisine désormais 81 ans en moyenne.
Les pays nordiques misent sur un modèle fiscal généreux favorisant les services universels, tandis que les systèmes allemands et français reposent sur des cotisations sociales paritaires, et que le Royaume-Uni opte pour un service public centralisé, hélas sous pression. Cette diversité révèle une tendance commune matérialisée par une augmentation des coûts de 3 à 5 % par an, mais aussi par des disparités en termes d’accès aux soins, avec des co-paiements plus élevés dans le sud de l’Europe comme en Italie ou en Espagne.
Notre pays, souvent mythifié comme disposant du « meilleur système de santé du monde », cache en réalité des fragilités. Il déplore de nombreux déserts médicaux, une lourde dette de la Sécurité sociale, et une efficacité contestée par des classements internationaux comme celui de la Commission européenne, qui le place au milieu du peloton pour la qualité de ses soins primaires. La générosité française pèse sur la compétitivité sans toujours se traduire par la qualité des services, ni en termes d’espérance de vie en bonne santé. D’où notre « étonnement » face à la récente déclaration de Jean-Luc Mélenchon sur LCI : « Nous ne sommes pas le pays le plus taxé du monde : ce n’est pas vrai ! Notre Sécurité sociale coûte 5 fois moins cher que n’importe quel système assurantiel ». Un mensonge lunaire, faisant probablement référence aux modèles privés américains. Nos dépenses totales de protection sociale s’élèvent en réalité à 31,6 % du PIB en 2022, contre une moyenne de 21 % dans l’OCDE. Cette sortie ignore que la générosité française coûte cher précisément parce qu’elle est publique et universelle, contrairement aux États-Unis où 28 millions de personnes restent non assurées. Elle omet aussi que notre système repose sur des cotisations sociales parmi les plus élevées d’Europe, contribuant à un taux de prélèvements obligatoires de 45 % du PIB, deuxième plus haut de l’OCDE.
Ce débat pose finalement la question essentielle sur cette fameuse sécu. Comment concilier protection accrue et soutenabilité budgétaire dans un Europe où les déficits sociaux menacent la croissance ?

Les neuf critères de comparaison et leurs sources principales
- Couverture santé universelle : mesure l’accès à l’assurance maladie pour la population. OCDE Health at a Glance 2023
- Dépenses de santé totale en % du PIB (2023) : évalue l’effort budgétaire public dédié à la santé. Eurostat Healthcare Expenditure 2023
- Part des paiements directs en santé (2023) : indique le poids financier réellement supporté par les ménages. Our World in Data 2023
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie (brut, ouvrier moyen, 2023) : quantifie la générosité pour les arrêts maladie courts. OCDE Health at a Glance 2023
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité (brut, ouvrier moyen, 2023) : mesure le soutien pour les incapacités permanentes. OCDE Pensions at a Glance 2023
- Durée du congé maternité payé (en nombre de semaines, 2023). World Bank Gender Data 2023
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB (2021) : reflète l’investissement pour les personnes dépendantes. OCDE Health at a Glance 2021
- Le déficit ou l’excédent de chaque système. OCDE Health at a Glance Europe 2024 et sources nationales hétérogènes
- Le classement de la qualité des soins. Celui-ci est fondé sur une synthèse de trois index. Le Legatum Prosperity Index, le Commonwealth Fund Mirror Mirror et le Numbeo Health Care Index
France : un universalisme généreux mais sous tension
- Couverture santé universelle : La Sécurité sociale couvre 99 % de la population via la branche maladie, complétée par des mutuelles obligatoires pour 90 % des assurés. Et protection des plus précaires via la CMU-C.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 11,5 %, très élevé. L’État et les cotisations financent massivement hôpitaux et consultations, pesant sur les déficits.
- Part des paiements directs en santé : 9 %, parmi les plus bas. Les Français paient peu de leur poche grâce à des remboursements de 70 à 100 %.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 50 %, modéré après carence. Mais avec un plafond bas, quand il n’est pas compensé par un maintien de salaire à la charge de l’employeur.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 50 %, complété par aides. La pension d’invalidité couvre la moitié du salaire précédent, plus l’AAH pour les plus pauvres.
- Durée du congé maternité payé : 16 semaines à 100 %, incluant les trois semaines prénatales.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 1,5 %, en hausse modérée.
- Déficit du système de santé : -13,8 Milliards d’euros pour la branche maladie en 2024. Le plus important.
- Classement de la qualité des soins : 6ème (sur 8) Note 75/100
Allemagne : un équilibre paritaire robuste
- Couverture santé universelle : via les assurances mutualistes. 90 % des Allemands sont couverts par des caisses maladie publiques, avec choix libre. Mais les complémentaires privées creusent des inégalités pour les hauts revenus.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 11,7 %, le plus important. Les cotisations paritaires financent un système ambulatoire fort, évitant la sur hospitalisation. Mais les hausses de cotisations pèsent sur les salaires.
- Part des paiements directs en santé : 10,7 %, bien maîtrisée. Les franchises annuelles limitent les dépenses personnelles.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 100 %, plein salaire initial. L’employeur paie 100 % les six premières semaines, puis la caisse 70-90 %. Protecteur.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 66 %. Les pensions couvrent deux tiers du salaire, avec rééducation obligatoire.
- Durée du congé maternité payé : 14 semaines à 100 % pour pères et mères.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 1,6 %. L’assurance dépendance couvre domicile et institutions, soulageant les familles.
- Déficit du système de santé : -6,2 Milliards d’euros pour l’assurance maladie statutaire en 2024. Les caisses font face à une hausse des coûts de 6,8 % supérieure à celle des revenus, menant à des cotisations supplémentaires.
- Classement de la qualité des soins : 4ème (sur 8) Note 77/100
Italie : un système public sous pression régionale
- Couverture santé universelle : Via service national. Il couvre tous les résidents pour soins essentiels, mais des disparités Nord-Sud persistent ; cela garantit l’accès, mais les listes d’attente freinent l’efficacité.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 9,0 %. Stable mais tendu. Le financement public priorise les hôpitaux, avec coupes budgétaires récurrentes. Insuffisant face au vieillissement.
- Part des paiements directs en santé : 22,3 %, le plus élevé du groupe. Les Italiens payent cher pour les médicaments et les spécialistes, aggravant les inégalités.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 50-66 %, progressif. Décent pour les courts arrêts, mais la durée limitée (180 jours max) pousse à un retour rapide.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 60 %, moyen avec contrôles. Les fraudes passées ont conduit à durcir les critères.
- Durée du congé maternité payé : 21 semaines à 80 %. Les mères ont cinq mois payés, plus options parentales ; c’est généreux pour booster la natalité basse.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 1,4 %. Les régions gèrent les aides à domicile, complétées par le réseau familial.
- Déficit du système de santé : non spécifié nationalement, mais sous-financement de 43 Milliards d’euros par rapport à la moyenne européenne.
- Classement de la qualité des soins : 8ème (sur 8) Note 70/100
Espagne : en progrès
- Couverture santé universelle : système national décentralisé. Il couvre 99 % de la population via les régions, gratuit pour l’essentiel.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 9,5 %.
- Part des paiements directs en santé : 21 %, en diminution, soulageant un peu les ménages ; même si le coût reste élevé, surtout pour les maladies chroniques.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 60-75 %, par convention. Variable selon les secteurs, souvent 75 % ; c’est flexible, protégeant les travailleurs précaires, courants en Espagne.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 60 %, réformé récemment.
- Durée du congé maternité payé : 16 semaines à 100 %. Égal pour les deux parents depuis 2021.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 0,7 %, le plus bas. Régional et sous-financé, reposant sur les familles.
- Déficit du système de santé : Les régions gèrent les dépenses en hausse (santé +14,9 %), mais le système national reste proche de l’équilibre grâce à un rebond de la croissance.
- Classement de la qualité des soins : 7ème (sur 8) Note 75/100
Suède : exemplaire
- Couverture santé universelle : Les comtés la financent via les impôts. Avec une importante gestion numérique. Gratuité quasi-totale.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 11,2 %, haut et efficient avec un effort de prévention. Une santé publique de premier plan.
- Part des paiements directs en santé : 13,4 %, plafonné annuellement. Co-paiements max 1 200 €/an.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 80 %. Haut niveau.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 64 %, avec rééducation. Excellent pour les handicapés, avec soutien psychosocial.
- Durée du congé maternité payé : 16 semaines (stricte), plus parental. Égalitaire, pour booster la natalité.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 3,4 %, leader nordique. Les services gratuits à domicile dominent.
- Déficit du système de santé : -20 milliards de couronnes suédoises (environ -1,8 milliards d’euros) pour les régions en 2024.
- Classement de la qualité des soins : 3ème (sur 8) Note 80/100
Danemark : la flexisécurité en action
- Couverture santé universelle : Payée par l’impôt et décentralisés via les municipalités.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 10,5 %, équilibré.
- Part des paiements directs en santé : 14 %. Soins majoritairement gratuits ; protège les plus vulnérables, mais avec des plafonds.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 100 %, jusqu’à 22 semaines. Plein salaire et flexisécurité poussant au retour à l’emploi.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 60 %.
- Durée du congé maternité payé : 18 semaines à 100 %. Plus parental partagé.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 2,9 %, avec maintien à domicile fort.
- Déficit du système de santé : non spécifié, mais dépenses en hausse de 4 % sans alerte de déséquilibre.
- Classement de la qualité des soins : 2ème (sur 8) Note 83/100
Pays-Bas : assurance privée obligatoire
- Couverture santé universelle : Privée mais régulée. Assurances obligatoires couvrent tous, choix libre ; compétitif, mais lourdeurs administratives.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 10,2 %. Des subventions assurent l’équité pour une haute qualité de soins.
- Part des paiements directs en santé : 13 %, couvert par les assurances. Franchises modérées ; accessibles, via concurrence.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 70 %, par employeur. Public après deux ans.
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 75 %, haut. Généreux, mais avec contrôles stricts.
- Durée du congé maternité payé : 16 semaines à 100 %. Plus six pour les pères.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 3,5 %.
- Déficit du système de santé : le mix public-privé maintient l’équilibre, malgré l’augmentation des soins de longue durée.
- Classement de la qualité des soins : 1er (sur 8) Note 83/100
Royaume-Uni : un National Health Service (NHS) sous-financé
- Couverture santé universelle : Centralisée. Le NHS couvre tous, gratuitement. Mais files d’attente critiques et soins de qualité inégale.
- Dépenses de santé totales en % du PIB : 10,0 %. Budget NHS tendu post-Brexit et manque de personnel.
- Part des paiements directs en santé : 15 %. Mais dentaire/optique payants ; inéquitable pour bas revenus.
- Taux de remplacement des indemnités journalières de maladie : 20-30 %, très bas
- Taux de remplacement des prestations d’invalidité : 40 %, critique.
- Durée du congé maternité payé : 39 semaines. Favorables aux familles monoparentales.
- Dépenses de soins de longue durée en % du PIB : 1,2 %, sous-financé.
- Déficit du système de santé : -787 livres (-930 millions d’euros)
- Classement de la qualité des soins : 5ème (sur 8) Note 76/100
La France n’est plus un modèle
La France dépense plus que presque tous ses voisins (11,5 % du PIB en santé publique, 31 % au total pour la protection sociale) mais accumule des déficits records (−13,8 milliards d’euros pour la seule branche maladie en 2024), creuse la dette et n’obtient ni l’accès ni la qualité de soins des meilleurs élèves du continent. Au surplus, indépendamment des critères analysés, 9 % de la population vit dans un désert médical, contre moins de 5 % au Danemark, en Suède ou aux Pays-Bas. Les délais explosent, les urgences saturent et les inégalités territoriales s’aggravent, alors que les indemnités maladie et invalidité sont parmi les moins généreuses d’Europe occidentale et l’espérance de vie en bonne santé inférieure à celle des pays nordiques. Bref, nous payons le prix fort pour un système qui protège moins bien les plus vulnérables qu’on ne le prétend, entretient des rigidités coûteuses et refuse les réformes qui ont permis à l’Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark d’allier générosité réelle, accès rapide et bonne gestion. Sans changement profond, notre modèle continuera de s’enfoncer dans une spirale de dépenses incontrôlées et de promesses non tenues.
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