Retraites : l’Europe au banc d’essai
La France face à l’Europe. Huit pays, huit systèmes différents.
Ce qui fonctionne, ce qui échoue. Les modes de financement des retraites de la plupart de nos plus proches voisins européens, Royaume-Uni compris, au banc d’essai selon neuf critères. La semaine prochaine, nous étudierons les systèmes de sécurité sociale.
Si comparaison n’est pas raison, le fait que la plupart des pays du continent sont confrontés aux mêmes contraintes démographiques et de vieillissement de leurs populations permet néanmoins de juger de leurs approches respectives en matière de retraite. D’ici 2050, le ratio actifs/retraités dans l’UE devrait passer de 3,3 pour 1 aujourd’hui à moins de 2 pour 1. Face à ce défi commun, chaque pays a fourni des réponses très différentes. La France, elle, patine, et même sa dernière réforme à l’ambition limitée est suspendue sur l’autel des interminables débats budgétaires et de son instabilité politique. Et pourtant, il y aurait urgence à agir tant notre système de retraite se singularise par le poids écrasant qu’il fait peser sur les finances publiques et par un déséquilibre démographique alarmant. Si l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne peinent elles aussi avec des régimes majoritairement par répartition, sans réserves substantielles pour amortir le choc du vieillissement, la France finance presque exclusivement les pensions grâce aux actifs d’aujourd’hui. Le rapport cotisants par retraité, proche de 1,7, se dégrade plus rapidement que chez la plupart de nos voisins, rendant un système apparemment généreux profondément vulnérable à l’horizon des prochaines décennies. En contraste, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont, à des degrés divers, avancé vers des régimes par points ou une capitalisation significative, qui répartissent les risques entre générations et atténuent la charge sur l’État. Même l’Italie, malgré ses faiblesses structurelles persistantes, a introduit des comptes notionnels (soit un mécanisme de retraite par répartition où les cotisations sont capitalisées fictivement puis converties en pension selon l’espérance de vie) pour injecter une dose de flexibilité. C’est dans cette mosaïque de trajectoires – où la France apparaît souvent comme l’exception la plus rigide – que s’impose la valeur d’une comparaison approfondie.

Critères de comparaison
Les neuf critères principaux.
- Structure du système (répartition pure, capitalisation forte ou modèle mixte)
- Âge légal de départ et âge effectif réel
- Taux de remplacement brut et net (pourcentage du dernier salaire – ou revenu d’activité – de la pension de retraite versée à une personne une fois à la retraite)
- Montant moyen mensuel de la pension nette
- Ratio niveau de vie retraités/actifs
- Capital moyen accumulé par les retraités
- Dépenses publiques consacrées aux retraites
- Dette implicite (soit l’ensemble des engagements futurs de l’État — retraites, soins de santé, etc. — qui ne sont pas encore comptabilisés comme dette officielle mais qu’il devra payer)
- Classement Mercer 2025 (le Mercer CFA Institute Global Pension Index évalue 52 systèmes de retraite mondiaux sur plus de 50 indicateurs)
Les pays retenus (France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni) ont été choisis pour leur poids économique et la diversité de leurs modèles, avec une attention particulière aux pressions budgétaires actuelles et futures que font peser les retraites sur les États.
France : une référence généreuse mais intenable
- Structure : Répartition quasi exclusive + régimes complémentaires/spéciaux et légère capitalisation dans la fonction publique → Modèle historiquement protecteur, mais devenu un piège intergénérationnel.
- Âge légal 2025 : 62 ans 6 mois → 64 ans d’ici 2030 → Le plus bas d’Europe continentale : un luxe que peu de pays peuvent encore se permettre. La France non plus.
- Taux de remplacement : ~72 % → Élevé, gage de forte générosité immédiate.
- Pension moyenne nette : ~1 545 €/mois → Correcte en apparence, mais très en retrait des leaders capitalisés.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 94-96 % → Les retraités français comptent parmi les rares en Europe à ne presque rien perdre, voire à gagner légèrement par rapport aux actifs.
- Capital moyen : ~288 000 € (très majoritairement immobilier) → Matelas confortable, mais largement insuffisant pour absorber le choc démographique sans l’État, indiquant une forte proportion liée à l’héritage.
- Dépenses publiques retraites : ~14 % du PIB → Charge écrasante qui plombe les comptes publics.
- Dette implicite : > 300 % du PIB → Passif caché colossal qui hypothèque l’avenir.
- Classement Mercer 2025 : B (score ~70,3 ; ~20e mondial) → Bonne adéquation immédiate, mais durabilité faible.
Allemagne – rigueur et mixité modérée
- Structure : Répartition par points + capitalisation privée modérée → Système pragmatique et maîtrisé.
- Âge légal 2025 : 66 ans 2 mois → 67 ans → Réforme digérée depuis vingt ans, mais susceptible de se durcir.
- Taux de remplacement : ~55 % → Volontairement modéré.
- Pension moyenne nette : ~1 650 €/mois → Décente.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 70-75 % → Baisse notable assumée.
- Capital moyen : ~236 000 € → Épargne prudente.
- Dépenses publiques retraites : ~11 % du PIB → Charge raisonnable.
- Dette implicite : ~200 % du PIB → Élevée, mais contenue.
- Classement Mercer 2025 : B (score ~67,8 ; ~25e mondial) → Équilibre correct, intégrité forte, adéquation limitée.
Italie – générosité à crédit
- Structure : Répartition encore très généreuse malgré les réformes → Cas d’école de la générosité à crédit.
- Âge légal 2025 : 67 ans → Arrivé trop tard pour corriger les excès.
- Taux de remplacement : > 82 % → Extrêmement élevé.
- Pension moyenne nette : ~1 600 €/mois → Confortable, mais financée par la dette.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 90-94 % → Retraités privilégiés.
- Capital moyen : ~204 000 € → Le plus faible, dépendance quasi totale à l’État.
- Dépenses publiques retraites : ~16 % du PIB → Record européen.
- Dette implicite : > 400 % du PIB → Pire situation d’Europe.
- Classement Mercer 2025 : C (score 57 ; ~40e mondial) → Durabilité catastrophique.
Espagne – un virage récent
- Structure : Répartition classique, réformes en cours → Virage tardif mais réel.
- Âge légal 2025 : 66 ans 8 mois → 67 ans.
- Taux de remplacement : ~86 % → Très généreux, mais en baisse forcée.
- Pension moyenne nette : ~1 450 €/mois → Acceptable.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 84-88 % → Élevé, en érosion.
- Capital moyen : ~207 000 € → Faible.
- Dépenses publiques retraites : ~12,5 % du PIB → Lourd mais en correction.
- Dette implicite : ~250 % du PIB → Sérieuse, mais moins que l’Italie.
- Classement Mercer 2025 : C+ (score 63,8 ; ~30e mondial) → Progrès mais risques persistants.
Suède – la capitalisation comme assurance-vie
- Structure : Mixte depuis 1998 (comptes notionnels + fonds obligatoires) → Réforme la plus réussie du continent.
- Âge légal 2025 : 63 ans (flexible), âge effectif > 65 ans → Liberté réelle.
- Taux de remplacement : ~65-70 % → Équilibré.
- Pension moyenne nette : ~2 100 €/mois → Très confortable.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 85-90 % → Équilibre intergénérationnel.
- Capital moyen : ~274 000 € → Correct.
- Dépenses publiques retraites : ~9 % du PIB → Charge maîtrisée.
- Dette implicite : ~100 % du PIB → Faible.
- Classement Mercer 2025 : B+ (score 78,2 ; ~6e mondial) → Très solide.
Danemark – le champion nordique
- Structure : Pension publique universelle + capitalisation massive → Système le plus abouti d’Europe.
- Âge légal 2025 : 67 ans → 68 ans en 2030.
- Taux de remplacement : ~78-80 % → Très bon.
- Pension moyenne nette : ~2 850 €/mois → Plus élevée du panel.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 95-100 % → Parité quasi parfaite.
- Capital moyen : ~378 000 € → Plus forte réserve privée.
- Dépenses publiques retraites : ~8,5 % du PIB → Charge légère.
- Dette implicite : ~50 % du PIB → Très faible.
- Classement Mercer 2025 : A (score 82,3 ; 3e mondial) → Parmi les premiers.
Pays-Bas – numéro 1 mondial
- Structure : Fonds de pension capitalisés (> 190 % du PIB) → Modèle le plus durable.
- Âge légal 2025 : 67 ans.
- Taux de remplacement : ~93 % → Meilleur d’Europe.
- Pension moyenne nette : ~2 500 €/mois → Très élevée.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 98-102 % → Parité, voire léger avantage.
- Capital moyen : ~330 000 € → Réserve importante.
- Dépenses publiques retraites : ~7,5 % du PIB → Plus bas du continent.
- Dette implicite : < 50 % du PIB → Quasi inexistante.
- Classement Mercer 2025 : A (score 85,4 ; 1er mondial) → Benchmark mondial.
Royaume-Uni – l’hybride post-Brexit
- Structure : Pension d’État plate + privé inégalitaire → Système à deux vitesses.
- Âge légal 2025 : 66 ans → 68 ans.
- Taux de remplacement : ~58 % → Faible.
- Pension moyenne nette : ~2 100 €/mois → Variable.
- Ratio niveau de vie retraités/actifs : 75-80 % → Décrochage marqué.
- Capital moyen : ~279 000 € → Bon pour les classes moyennes.
- Dépenses publiques retraites : ~6,5 % du PIB → Charge minimale.
- Dette implicite : ~150 % du PIB → Moyenne, contenue.
- Classement Mercer 2025 : B (score 72,2 ; ~15e mondial) → Durabilité solide, inégalités fortes.
En résumé
Les Pays-Bas et le Danemark offrent tout ce que la France ne peut plus tenir : un niveau de vie retraités/actifs proche ou supérieur à 95 %, des pensions plus élevées, un capital privé gigantesque et une charge publique deux fois plus légère.
La France, l’Italie et l’Espagne sont les derniers pays où les retraités actuels vivent encore comme des privilégiés – au prix d’une facture publique explosive et sans filet privé suffisant pour les générations suivantes.
L’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni ont déjà fait le choix de la responsabilité : un peu moins de confort aujourd’hui pour garantir la dignité demain. Même si, observé à la loupe, le Royaume-Uni présente de très sévères disparités entre catégories sociales.
Quelles leçons pour la France ?
La France offre aujourd’hui l’un des meilleurs niveaux de vie aux retraités actuels, mais elle se situe dans la moyenne basse des classements internationaux quand on intègre la durabilité, et surtout dans le bas du panier pour l’impact budgétaire : ses 14 % du PIB en dépenses et 300 % en dette implicite la placent en première ligne des risques européens. Les modèles danois et néerlandais montrent qu’il est possible de concilier pensions élevées et solidité financière, à condition d’accepter une part massive de capitalisation, un âge de départ plus tardif et une culture du travail prolongé – des leviers qui pourraient diviser par deux la charge publique d’ici 2050. Rester uniquement en répartition tout en maintenant un âge légal parmi les plus bas d’Europe apparaît de plus en plus comme une exception difficilement tenable à long terme, menaçant non seulement les retraites futures mais l’ensemble de l’économie. La prochaine décennie dira si la France saura évoluer vers un modèle hybride pour alléger son fardeau budgétaire ou si elle choisira de défendre jusqu’au bout son exception française au prix d’une dette explosive.
À la semaine prochaine, pour un comparatif des sécurités sociales dans les mêmes pays. La France peut-elle encore s’enorgueillir du meilleur système du monde ? Suspense.
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