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Environnement, le vert à moitié plein

Des intrants ? Oui, mais « naturels » ! Dans l’imaginaire collectif, bio rime avec « sans intrants ». En réalité, c’est faux. L’agriculture biologique autorise engrais et pesticides d’origine naturelle. Or, « naturel » ne veut pas dire « inoffensif »

Pour fertiliser, le bio utilise surtout des effluents d’élevage (fumier, lisier), qui peuvent, eux aussi, occasionner des pollutions azotées dans les milieux aquatiques. Côté protection des cultures, certains produits autorisés posent question. Le plus connu : le sulfate de cuivre, ou « bouillie bordelaise », ce fongicide persistant qui s’accumule dans les sols et nuit à la vie souterraine et aquatique. Et il n’est pas seul : huile de neem, pyrèthres naturels, spinosad ou soufre – tous ces biopesticides font l’objet de controverses scientifiques, notamment pour leurs effets négatifs sur la biodiversité. Ils soulèvent aussi des enjeux à l’autre bout de la chaîne. Produits à partir de végétaux cultivés spécifiquement (neem en Inde, pyrèthre au Kenya…) — et souvent à grand renfort de pesticides —, ces intrants mobilisent des surfaces agricoles dédiées, parfois au détriment des écosystèmes locaux, surtout si la demande explose. C’est donc un paradoxe du bio : vouloir « préserver la nature ici » peut conduire à délocaliser les impacts plutôt que de les supprimer.

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Un vrai bonus pour la biodiversité locale

Faut-il pour autant mettre les intrants bio et conventionnels dans le même sac ? Pas tout à fait. Les études convergent sur un point : à l’échelle des parcelles, l’agriculture biologique favorise une biodiversité plus riche. Les sols y sont globalement de meilleure qualité, avec davantage de micro-organismes et de petits animaux comme les vers de terre. Cela s’explique en grande partie par l’usage de fertilisants organiques, et ce malgré un recours plus fréquent au labour pour contrôler la prolifération des adventices (en gros, les mauvaises herbes et autres plantes poussant spontanément et pouvant avoir un rôle néfaste et étouffant pour les cultures), en l’absence de glyphosate. Et ce n’est pas tout : autour des parcelles en bio, on observe aussi une plus grande diversité d’oiseaux et d’insectes, notamment parmi les pollinisateurs. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, comme une moindre disponibilité de substances actives, ce qui pourrait limiter le nombre de produits utilisés, ou encore le fait que les agriculteurs en bio adoptent plus souvent certaines pratiques vertueuses non exigées par le cahier des charges, comme les rotations longues ou la préservation de zones refuges pour la biodiversité.

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Moins de gaz à effet de serre… par hectare

Autre atout souvent mis en avant : les émissions de gaz à effet de serre. Par hectare, une exploitation en bio en émet en moyenne moins qu’une ferme conventionnelle. Pourquoi ?

D’une part, parce que les engrais de synthèse – très gourmands en énergie lors de leur fabrication – sont interdits en agriculture biologique. D’autre part, parce que l’épandage de fumier ou de lisier génère globalement moins de protoxyde d’azote (N₂O) que les engrais chimiques. Or, ce N₂O est un gaz à effet de serre redoutable, environ 300 fois plus puissant que le CO₂.

Un bon point pour le climat, donc ? Pas si vite. Ce raisonnement tient à l’hectare… mais pas au kilo produit.

Le problème de fond : les rendements

En raison des contraintes du cahier des charges, la productivité de l’agriculture biologique prend, c’est la loi du label, du plomb dans l’aile. En moyenne, les rendements y sont 20 à 30 % plus faibles qu’en conventionnel, et parfois beaucoup plus dans certaines cultures (jusqu’à -60 % pour les céréales, par exemple). Ce déficit de rendement pose un double problème : économique, bien sûr, mais aussi écologique.

Pourquoi ? Parce que la principale cause d’érosion de la biodiversité, ne provient pas de l’agriculture en soi, mais de l’extension des terres qu’elle exploite. Or, à production constante, moins l’hectare est efficient, plus on a besoin de surface. Résultat : une généralisation du bio pourrait conduire, paradoxalement, à grignoter davantage d’espaces naturels.

C’est d’ailleurs l’un des principaux avertissements de l’IPBES (le « GIEC de la biodiversité ») dans ses rapports. L’agriculture biologique y est peu citée comme levier majeur, car ses effets bénéfiques sont annulés — voire retournés — par la perte de productivité qu’elle induit.

Climat : même constat

Le GIEC, de son côté, tient un discours assez similaire. Si l’on regarde les émissions par hectare, avantage au bio. Mais si l’on raisonne en émissions par unité de production – ce qui est la logique – alors l’écart se réduit, voire s’inverse dans la majorité des cas.

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Enfin, les bénéfices du bio sur les gaz à effet de serre reposent en grande partie sur l’utilisation d’effluents d’élevage — une ressource à la fois limitée et convoitée. Une généralisation du bio poserait donc problème : il n’y en aurait pas pour tout le monde. Et déjà aujourd’hui, leur captation par le bio prive parfois le conventionnel, contraint de recourir à des engrais de synthèse pour compenser.

Une piste parmi d’autres, pas la panacée

Les baisses de rendement de l’agriculture biologique sont, sauf exceptions, comme dans le maraîchage ou la viticulture, un handicap rédhibitoire. Elles conduisent, en réalité, à des performances environnementales inférieures par kilogramme de nourriture produite, comparées à l’agriculture conventionnelle, et à un besoin en surface cultivée plus important.

Certaines pratiques issues du bio peuvent toutefois contribuer à une transition vers une alimentation plus durable, à condition de ne pas sacraliser le label.

Car à force de tout miser sur le bio, on en oublie d’autres leviers, parfois plus efficaces mais moins « sexy » médiatiquement : agriculture de conservation, sélection variétale, outils de précision, techniques culturales simplifiées, agroforesterie, amélioration génomique… 

La vérité, c’est que l’agriculture de demain ne sera ni 100 % bio, ni 100 % conventionnelle. Elle sera — espérons-le — 100 % pragmatique.

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

« Les data centers ont pompé 560 milliards de litres d’eau ! », « Un kilo de bœuf = 15 000 L d’eau ! », « Le maïs irrigué utilise 25 % de l’eau consommée ! ».
Ce genre de chiffres chocs pullule dans la presse. Et à lire les articles, un constat s’impose
 : la gestion de l’eau est mal comprise. Par les journalistes, et sans doute aussi par une bonne partie du public.
Or, dans un monde qui se réchauffe, mal comprendre l’eau, c’est risqué. Alors, retour aux sources !

L’eau, une ressource pas comme les autres

Oubliez les gros chiffres qui font peur. Ils sont parfois impressionnants, mais pas toujours pertinents.

Pourquoi ? Parce que l’eau, ce n’est pas du charbon. Chaque tonne de charbon brûlée part en fumée et disparaît à jamais, contribuant au réchauffement climatique. Et son extraction puise dans un stock limité. L’eau, elle, suit un cycle. Elle revient. Toujours.

Le cycle de l’eau

Raisonner en “stock”, comme pour le charbon ou le pétrole, n’a donc pas beaucoup de sens. Il faut raisonner en flux : ce qui compte, ce n’est pas combien on prélève, mais , quand, et surtout à quelle vitesse l’eau se renouvelle dans le système considéré.

Évidemment, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas manquer d’eau. Si on prélève trop à un endroit ou à un moment où elle se renouvelle lentement, on crée un déséquilibre. Mais si on prélève moins que ce que le système peut absorber : aucun problème.

Les risques causés par les prélèvements d’eau

En réalité, il n’y en a que deux :

-Le conflit d’usage, qui peut mener à des restrictions, voire à des pénuries pour certains usagers.
-Les atteintes aux écosystèmes aquatiques, si on puise dans un milieu déjà fragilisé.

Ces risques peuvent être immédiats ou différés, selon la nature du prélèvement et du milieu concerné.

Pour bien comprendre, passons en revue trois cas concrets.

Le cas des cours d’eau

Prenons une rivière. L’eau y file vers la mer. Un prélèvement dans ce type de milieu n’aura donc que des effets immédiats. Si, au moment du prélèvement, le débit est correct, il n’y a pas de problème, donc aucune raison de s’en priver.

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En revanche, si le niveau est bas, chaque litre retiré peut avoir des effets directs sur l’écosystème : dans le lit du cours d’eau lui-même, ou à l’estuaire, où l’eau douce est cruciale pour les espèces côtières.

C’est pourquoi des seuils de gestion sont définis dans les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau). Le débit d’alerte marque le moment où les usages commencent à être limités. Et le débit de crise est le seuil en dessous duquel seuls les usages essentiels (santé, sécurité civile, eau potable, besoins des milieux naturels) sont autorisés.

Ces seuils sont fixés localement, par concertation entre les acteurs du territoire, sur la base d’expertises scientifiques et du Code de l’environnement. On peut donc leur faire confiance.

Exemple des variations de débit dans la Gave d’Oloron (Pyrénées Atlantiques), et seuils associés

Cas d’une nappe inertielle

Les nappes phréatiques sont des volumes d’eau souterrains. On parle de nappes inertielles lorsque leur niveau varie peu au fil des saisons, car elles se rechargent très lentement. C’est par exemple le cas sous le bassin parisien.

De l’eau dans les roches

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Prélever dans une nappe inertielle revient à puiser dans ses économies : il n’y a pas d’effet immédiat sur les écosystèmes (personne ne vit à plusieurs dizaines de mètres sous terre), mais si on puise plus que ce qui se recharge chaque année, on épuise la ressource à long terme.

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait suivre cela. Le BRGM publie régulièrement des bulletins sur l’état de remplissage des nappes. Si elles sont bien remplies, on peut les solliciter. Si elles sont basses, on ralentit les prélèvements. Ce suivi permet d’anticiper les tensions et d’éviter les déséquilibres.

Un exemple de bulletin de suivi des nappes, du 1er juin 2025

Cas d’une nappe réactive

À l’inverse, certaines nappes réagissent très rapidement aux pluies et aux sécheresses. On les appelle nappes réactives. Elles sont souvent très connectées aux rivières et aux zones humides.

C’est le cas typique dans les Deux-Sèvres, où ont été installées les controversées mégabassines (cf. https://lel.media/stockage-de-leau-solution-ou-illusion/). Dans ces nappes, tout prélèvement peut avoir un impact quasi immédiat sur les milieux aquatiques. Mais il peut aussi y avoir des conséquences différées, dont la latence dépendra de la réactivité de la nappe. Pour une nappe très réactive comme dans les Deux-Sèvres, on estime qu’un prélèvement peut avoir des conséquences sur le remplissage de la nappe jusqu’à environ un mois après.

C’est précisément pour cela que les retenues de substitution (alias « mégabassines ») ne se remplissent qu’en hiver, quand l’eau est abondante. Avec une marge de sécurité de quelques semaines pour prendre en compte l’impact différé. Et pour éviter les risques immédiats, les pompages ne sont autorisés que lorsque les niveaux sont suffisants.

Autrement dit : on pompe uniquement quand l’eau est disponible, et sans compromettre les milieux.

Ce qu’il faut retenir

Tous les prélèvements d’eau ne se valent pas.

Pomper dans une rivière en crue ? Aucun souci. Pomper dans une nappe réactive à sec en plein été ? Mauvaise idée.

L’eau n’est pas une ressource à bannir, mais à gérer intelligemment. Contrairement au charbon ou au pétrole, on peut en utiliser sans dommage… si on respecte certaines règles. Et cela, la France le fait déjà plutôt bien, via les SAGE, les seuils de gestion, et le suivi des nappes. Alors non, l’irrigation n’est pas « le mal ». Ce qui compte, c’est quand, et comment on irrigue. Tant que cela reste encadré, raisonné et conforme aux règles collectives, il n’y a aucune raison d’en faire un scandale.

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Le maïs, une culture controversée

Pour certains, c’est la culture du diable.
Le symbole de l’agriculture intensive et destructrice de son environnement.
Pénurie d’eau ? Pollution ? Monoculture ? Sols morts ? Enquête sur un coupable idéal : le maïs.

Très médiatisée, la culture du maïs fait partie des totems de l’écologie politique, au même titre que le glyphosate ou les OGM. Pourtant, cette plante étonnante est mal connue du grand public. Au point que quantité d’idées reçues, et même de fake news, circulent à son sujet.

Commençons par l’eau.

Qui n’a pas été marqué par ces impressionnants systèmes d’arrosage qui semblent déverser, en plein soleil, des milliers de litres dans nos campagnes ? Oui, à lui seul, le maïs pourrait être responsable de 18% de la consommation d’eau hexagonale. Quasiment un cinquième ! Car le maïs, c’est un tiers des surfaces concernées par l’irrigation. Irrigation responsable de plus de la moitié de l’eau consommée en France…

Le taux d’irrigation du maïs n’est pourtant pas excessif : en 2020, seules 34% des cultures de maïs grain étaient irriguées (6% pour le maïs fourrage). C’est moins que le soja (51%), les légumes frais (59%), les agrumes (100%), les vergers (60%) et les pommes de terre (40%)

Et à production constante, le maïs n’est pas plus gourmand en eau que d’autres céréales : pour produire 1kg de maïs grain, il faut environ 454L d’eau, contre 590L pour 1kg de blé… C’est encore moins pour le maïs fourrage : seulement 238L d’eau par kg. Alors pourquoi une telle consommation totale ? Car le maïs est une culture d’été. Et à cette saison, les précipitations sont souvent insuffisantes pour assurer le développement de la plante.

Un point fort : la productivité.

Avec 91 q/ha pour le maïs grain, et 124 q/ha pour le maïs fourrage, les cultures de maïs présentent les plus hauts rendements céréaliers de France. Deux fois plus que le blé dur ou l’orge ! Cette forte productivité permet une meilleure rentabilité économique, mais pas seulement : elle permet aussi des gains écologiques.

Une meilleure efficience des terres agricoles permet en effet de limiter les impacts liés à l’usage des sols. Et ce n’est pas tout ! Une forte productivité permet aussi de stocker du carbone dans les sols, donc de limiter le réchauffement climatique.

Le maïs est capable de fixer jusqu’à 22 tonnes de CO2 par hectare et par an, soit plus qu’une forêt tropicale (environ 15 tCO2/ha/an) ! Et même s’il n’y a qu’une petite partie de ces 22 tonnes qui sera réellement fixée de manière durable dans le sol, la culture de maïs séquestrerait tout de même de manière pérenne 3.7 tonnes de carbone par hectare et par an, ce qui est mieux que n’importe quelle autre culture.

Une culture dédiée à l’élevage ?

Globalement, oui, à hauteur de 75%. Pour le maïs grain, on peut estimer à environ 40% la part du maïs grain dédié à l’élevage. C’est beaucoup, mais ne doivent pas invisibiliser les 60% qui servent pour d’autres usages : alimentation humaine, biocarburant, amidonnerie, etc.

Mais n’oublions pas le maïs fourrage, dédié uniquement à l’alimentation du bétail, et qui concerne des surfaces comparables au maïs grain. Le maïs fourrage est cependant moins exigeant en eau et ne nécessite généralement pas d’irrigation : son impact écologique est donc plus limité. Ainsi, « seulement » 50% des surfaces irriguées de maïs sont dédiées à l’alimentation animale.

Quelles perspectives ?

La culture du maïs est étroitement liée à l’élevage, qui a un mauvais bilan sur le plan écologique. Mais il est naïf de penser qu’une diminution de la production de maïs français diminuerait les impacts de l’élevage. On importera juste plus de maïs. Ou plus de viande. Ou peut-être produirons-nous d’autres types de fourrages qui ne seront pas forcément plus écologiques… Bref, pas sûr qu’on y gagne. Mais il est vrai que cultiver du maïs risque de devenir de plus en plus compliqué dans certaines régions, faute d’eau disponible pendant l’été pour irriguer.

Alors que faire ? Abandonner les cultures d’été ? L’efficience de nos terres agricoles risquerait d’en pâtir, ce qui ne serait profitable pour personne. Le remplacer par d’autres cultures d’été moins exigeantes en eau ? Il n’en existe pas tant que ça. On entend beaucoup parler du sorgho, mais ses rendements sont largement inférieurs à ceux du maïs, et il nécessite lui aussi souvent de l’irrigation. Le remplacer par des prairies ? Il s’agit sûrement de la meilleure option, car celles-ci présentent des atouts indéniables en termes de performances écologiques et patrimoniales. Mais elles présentent aussi des inconvénients d’ordre pratique, ainsi qu’une vulnérabilité à la sécheresse supérieure au maïs…

Ou peut-être est-il possible de continuer à cultiver le maïs… À condition d’exploiter toutes les solutions d’adaptation dont on dispose : réserves d’eau, techniques de conservation des sols… Et pourquoi pas compter sur les apports du génie génétique, capable aujourd’hui de produire des variétés résistantes à la pénurie d’eau.

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