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Le royaume du bonheur, sauvé par le Bitcoin ?

Ralentir. Se méfier du progrès, sanctuariser l’environnement, pour inventer un nouveau modèle, celui de la post-croissance… un petit état l’a fait. Un autre monde est possible ?

« Le Produit national brut ne nous intéresse pas. Ce qui compte, c’est le Bonheur national brut. » Cette phrase célèbre, Jigme Singye Wangchuck, jeune héritier de tout juste 17 ans, la prononce spontanément lors de son accession au trône du Bhoutan, en 1972. Le concept ne sera sacralisé que 33 ans plus tard, avec la création de la Commission du Bonheur national brut. Mais cet état d’esprit anime depuis lors ce petit pays de 765 000 habitants.

Le dernier pays au monde à accepter la télévision

Le bonheur, au Bhoutan, passe par un grand respect des traditions. Au point de nourrir une méfiance sans égale à l’égard du changement, notamment quand il vient d’Occident. La télévision, accusée de nuire au bien-être collectif, n’est autorisée qu’en 1999. Internet, un an plus tard, pour quelques connexions commerciales. Les premiers téléphones mobiles n’arrivent qu’en 2003, sept ans après les premiers forfaits européens.

Le bouddhisme tibétain, religion de cet État himalayen enclavé entre l’Inde et la Chine, nourrit par ailleurs un immense respect pour la nature qui l’entoure. Toute forme de vie a une valeur spirituelle : tuer un être vivant est censé nuire au karma collectif. Il est interdit de chasser et d’abattre des animaux à des fins commerciales. Les Bhoutanais mangent pourtant de la viande, mais celle-ci est importée d’Inde. On privilégie les grands animaux, car en prélevant une seule âme, on nourrit plus de monde avec une vache qu’avec un poulet.

Cette volonté de limiter son impact environnemental se traduit concrètement en 2007, avec la promulgation du Land Act. Les terres agricoles sont limitées à 10 hectares par famille. Les forêts, les parcs nationaux, les terres de monastères et les corridors écologiques sont déclarés intransférables et inaliénables. Plus de la moitié de la surface du pays est aujourd’hui protégée. Et ce n’est pas encore un aboutissement : en 2008, la nouvelle Constitution bhoutanaise déclare que le pays « doit maintenir au minimum 60 % de couverture forestière pour l’éternité ». Le Bhoutan a une empreinte carbone négative : ses centrales hydroélectriques, construites par le voisin indien, lui fournissent une énergie décarbonée abondante, et les quelques émissions du pays sont largement compensées par les millions d’arbres qui couvrent son territoire.

Une unanimité planétaire

À l’heure où la conscience environnementale pousse le capitalisme dans ses retranchements, le Bonheur national brut (BNB) du royaume interpelle. Pour Joseph Stiglitz, « Le Bhoutan a compris quelque chose que les pays riches ont oublié : la croissance n’est pas tout ». Kate Raworth, à l’origine de la théorie du donut, voit dans le BNB une boussole sociale compatible avec les limites planétaires, qui ne dépend pas d’une croissance infinie. Nicolas Sarkozy, alors président français, va jusqu’à lancer la fameuse commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, pour trouver une alternative au PIB. Elle s’inspire bien entendu du Bhoutan. En 2011, sous l’impulsion de l’économiste américain Jeffrey Sachs, l’ONU intègre même le BNB aux discussions internationales.

Entre-temps, le pays matérialise son concept : la Commission du Bonheur national brut identifie neuf domaines qui définissent la qualité de vie, du bien-être psychologique à la vitalité communautaire, en passant par la santé, l’éducation et le temps disponible. Trois enquêtes, en 2010, 2015 et 2022, sont menées auprès de la population. Des milliers de personnes sont interrogées pendant près de trois heures. À chaque fois, le pays semble baigné dans une félicité un peu plus grande que précédemment.

La grande démission

Pourtant, rien ne va plus au Royaume du Bonheur. Les familles désertent peu à peu les campagnes. Le développement y est âprement contrarié : les projets d’industries sont rejetés les uns après les autres. Même la construction de routes est découragée. Impossible, dans ces conditions, d’envisager un autre avenir que celui d’une vie harassante et misérable de cultivateur, sans aucune aide mécanique. Avec 10 hectares par famille, regrouper les exploitations n’est pas une option, et à ce rythme, les 60 % de nature sauvage seront bientôt atteints.

La vie n’est pas plus rose dans la capitale, où il manque plus de 20 000 logements pour faire face à cet exode rural. Les normes, drastiques, freinent la construction. Pierres, boiseries sculptées… Les bâtiments doivent respecter tous les standards de l’architecture traditionnelle, tant pour les matériaux que pour les ornements, être « éco-responsables », et la densité urbaine est limitée par la loi. Devant la pénurie, les loyers explosent, forçant les ménages à y consacrer souvent plus de 40 % de leurs revenus.

En 2023, 12 000 étudiants fuient le pays. Les jeunes sont bien formés, mais n’ont aucun débouché pour exercer leurs talents. « Il est préférable de travailler comme femme de ménage à l’étranger », témoigne Yangchen, une jeune expatriée, au quotidien The Bhutanese. Dans son pays natal, le salaire moyen pour un jeune diplômé ne dépasse pas les 150 €.

En quelques années, près d’un dixième de la population s’expatrie. Une hémorragie d’autant plus préoccupante que les jeunes, désabusés, renoncent à faire des enfants. Le taux de natalité est aussi faible qu’en Allemagne ! Aujourd’hui, il y a presque deux fois plus de trentenaires que de moins de dix ans au Bhoutan.

Même les fonctionnaires, trop mal payés, quittent le navire. En 2023, plus de 5 000 sur 30 000 ont démissionné.

Le salut par les riches et par le bitcoin

Quelques années plus tôt, Ujjwal Deep Dahal a eu une idée novatrice. PDG de la Druk Holding and Investments (DHI), le bras d’investissement du gouvernement royal, il décide d’attirer les mineurs de bitcoin pour utiliser les excédents de production d’électricité de ses barrages hydroélectriques. En quelques années, le Bhoutan devient le troisième plus grand détenteur de la cryptomonnaie. L’an dernier, ses réserves atteignent 1,3 milliard de dollars, près de 40 % de son PIB. Au point que le pays se découvre de nouvelles ambitions, et veuille ajouter 15 GW aux 3,5 existants. Rien n’est trop beau pour le bitcoin, ni l’électricité que l’on refuse à l’industrie, ni la nature dont l’engloutissement ne fait d’un seul coup plus débat. Car c’est une manne inespérée, dans laquelle le gouvernement puise pour augmenter de 50 % les salaires de ses fonctionnaires, du jour au lendemain, et endiguer leur départ.

Autre projet, une ville entière dédiée à l’écotourisme, la Gelephu Mindfulness City, actuellement en construction. Nature, développement durable, spiritualité… Une initiative à l’intention des riches Occidentaux, qui pourront faire une pause bien-être dans leur vie ultra-connectée. Le positionnement haut de gamme est assumé : en imposant à chaque visiteur une taxe de 100 $ par jour, on interdit le tourisme de masse.

Espaces naturels intacts, villes hors du temps… Les décennies de conservatisme ont créé un « pays-musée », concrétisation idéale pour les visiteurs d’un Orient fantasmé, mais financé par tout ce qu’il refuse à sa propre jeunesse.

Jeunesse à qui on espère que le Bhoutan donnera un jour la chance de forger son propre monde. L’immobilisme ne semblant pas conduire à un bonheur intemporel, mais à un inexorable déclin.

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Aucun impact sur la santé : une étude d’envergure confirme l’innocuité des OGM

C’est l’un des débats les plus inflammables de ces dernières décennies : les OGM sont-ils sûrs ? Ont-ils des effets néfastes à long terme sur la santé ? Il y a treize ans, l’étude Séralini l’affirmait, avant d’être rétractée. Aujourd’hui, une recherche de long terme menée sur deux générations de primates démontre le contraire. Reste à savoir si elle bénéficiera de la même couverture médiatique.

« OGM : l’humanité est en train de se suicider » (Jean-Luc Mélenchon), « La dérégulation des OGM menace la santé des consommateurs » (Marie Toussaint, EELV), « Nous n’avons pas envie de manger des produits OGM » (Marine Le Pen)… Pour de nombreux responsables politiques, et pour une grande partie de l’opinion, la cause semble entendue : consommer des OGM n’est pas sûr.

Pourtant, en trente ans, aucune étude n’a pu démontrer leur nocivité. Mais les plus inquiets réclamaient des preuves plus solides. C’est à cette attente qu’une équipe chinoise tente de répondre, avec une expérimentation d’une ampleur inédite. Pendant plus de sept ans, les chercheurs ont nourri des macaques cynomolgus avec deux variétés de maïs génétiquement modifié : l’une résistante aux insectes, l’autre tolérante aux herbicides. Cet animal, très proche de l’humain, est régulièrement utilisé dans les tests biomédicaux les plus exigeants. La durée de l’expérience, exceptionnelle, dépasse largement celle de toutes les études menées jusque-là.

Le résultat ? Aucun trouble métabolique. Aucun signe d’inflammation. Aucun dérèglement du système immunitaire. Les primates exposés au maïs OGM n’ont présenté aucune différence biologique significative avec le groupe témoin.

L’étude a été financée par plusieurs institutions publiques chinoises, dont l’Académie des sciences médicales et la province du Yunnan. Elle a été publiée dans la revue scientifique Journal of Agricultural and Food Chemistry, publiée par l’American Chemical Society (ACS), une des plus prestigieuses sociétés savantes dans le domaine de la chimie. Contrairement à d’autres travaux controversés, cette recherche ne semble ni orientée par l’industrie, ni portée par une cause militante.

Certes, elle ne porte que sur deux types de maïs transgénique. Mais elle vient ébranler l’idée que les OGM seraient nécessairement nocifs à long terme. Malheureusement, il est probable qu’elle passe inaperçue. Contrairement à l’étude Séralini, qui, a sa sortie, a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Le Nouvel Obs titrait en une, « Oui, les OGM sont des poisons ! », pendant que le documentaire « Tous cobayes ? », exposait des images spectaculaires de rats présentant des tumeurs.

Alors que Bruxelles débat de l’autorisation des NGT, ces nouveaux OGM sans transgénèse, il est regrettable que cette information ne soit plus largement diffusée. Une fois encore, les peurs pourraient être agitées sans que l’on prenne le temps d’écouter ce que dit réellement la science. Pire, elles trouveront, grâce à aux anciens titres alarmistes restés dans l’imaginaire collectif, un terreau fertile sur lequel prospérer.

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Le capitalisme va-t-il éradiquer le travail des enfants ?

Cela ne va pas assez vite, mais le monde avance vers la fin du travail des enfants. Le capitalisme et la mondialisation, souvent coupables dans l’imaginaire collectif, œuvrent pourtant à sa disparition. Car derrière l’image glaçante des jeunes forçats des mines, se cache une réalité plus vaste et plus ancienne : celle de millions d’enfants courbés dans les champs.

Il y a plusieurs façons de regarder notre monde, au point que des vérités antagonistes coexistent. L’une nous rappelle que le monde peut être terrible. La preuve ? Aujourd’hui encore, 138 millions d’enfants sont astreints au travail. L’autre témoigne de l’amélioration de ce même monde : ils sont 100 millions de moins qu’au début de siècle. Mais ce progrès n’est ni suffisant, ni conforme aux promesses lancées : il y a dix ans, la communauté internationale s’était promis d’éradiquer l’exploitation des enfants en 2025.

Côté pile, le travail des enfants recule à nouveau, après avoir augmenté pour la première fois depuis deux décennies entre 2016 et 2020, selon les chiffres de l’OIT (Organisation internationale du travail) et de l’UNICEF. Un revers historique, lié à l’instabilité politique de certaines régions, notamment en Afrique sub-saharienne. La fermeture des écoles pendant la pandémie a aggravé la situation. Des millions d’enfants ont été renvoyés dans des familles brutalement plongées dans la précarité. Mais cet état de fait n’a pas perduré et le monde a fait preuve d’une résilience qui a surpris tous les observateurs. Côté face, pour que le travail des enfants appartienne définitivement au passé à la fin de la décennie, il faudrait que les progrès aillent onze fois plus vite. 

Réjouie ou affligée, notre vision du monde vaut moins que la compréhension de son fonctionnement et des mécanismes qui permettent de l’améliorer. Et sur ce sujet, il y a comme un malentendu, qui prend sa source dans l’Europe industrielle du XIXe siècle et se jette dans les mines de Cobalt de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui.

Petites mains pour grandes machines

Il y a deux cents ans, lorsqu’au Royaume-Uni les premières usines sortent de terre, les enfants sont partout. Disponibles, bon marché et dociles, ils sont une aubaine pour l’industrie naissante. Leurs salaires, aussi maigres soient-ils, constituent une ressource que la misère familiale ne peut se permettre de refuser. On les emploie dans les filatures et les mines, parfois dès 5 ou 6 ans. Leur petite taille est utile pour ramper sous les métiers à tisser ou dans les boyaux des galeries. Ce n’est pas pour eux un passage de l’oisiveté au travail : ils aidaient déjà leurs parents dans les fermes ou dans les ateliers familiaux.

Il faudra attendre 1833 pour voir les premières restrictions apparaître. Le parti libéral Whig fait adopter le Factory Act, qui interdit le travail des enfants de moins de neuf ans dans les manufactures textiles. Pour les plus âgés, la journée est limitée à huit heures, et deux heures de scolarité deviennent obligatoires.

Anthony Ashley-Cooper, premier abolitionniste

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En 1870, l’Education Act marque un tournant : l’école primaire devient gratuite et obligatoire jusqu’à dix ans (puis jusqu’à quatorze ans en 1918). Peu à peu, les enfants sont écartés du monde du travail. Le phénomène ne disparaîtra pourtant véritablement que dans les années 1930 à 1950. La transformation économique et l’enrichissement qui l’accompagne rendent leur travail tout simplement inutile. La France suivra un chemin similaire, avec quelques années de retard.

Mieux grandir grâce à la croissance

Mais cette prospérité ne s’est-elle pas construite, à son tour, sur l’exploitation des enfants du tiers-monde ? Comme en Europe un siècle plus tôt, ils ont commencé à être employés dans les mines africaines ou les manufactures du Bengale. Pourtant, là aussi, la croissance a fini par changer les choses — et plus vite qu’au XIXe siècle. En 2008, une personne sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté ; elles ne sont plus qu’une sur 26 aujourd’hui. Le travail des enfants a suivi la même voie : un sur 32 est encore exploité, contre près d’un sur 8 à l’époque. 

En Asie, 27 millions d’enfants sont encore obligés de travailler. Au Bangladesh ou au Pakistan, par exemple, dans l’industrie textile et dans la myriade de petits métiers informels qui gravitent autour d’elle. En Inde, dans la récupération de matériaux issus des déchets électroniques. Mais c’est en Afrique subsaharienne où la situation reste la plus préoccupante. Le continent a réduit sa pauvreté ces vingt dernières années, mais sa population a crû plus vite encore. Résultat, de nombreux enfants doivent travailler très tôt : les deux tiers ont moins de 12 ans. Mais, à rebours des images d’Épinal, ces enfants ne sont pas majoritairement employés par l’industrie occidentale ni sur des chantiers asiatiques. En réalité, 70 % d’entre eux travaillent dans l’agriculture, 22 % dans les services. Deux fois sur trois, ils œuvrent directement pour leur famille : dans les champs, à la fabrication d’objets du quotidien, ou pour la construction de leur propre maison. Ces tâches ne sont pas forcément moins éprouvantes ni moins dangereuses. Certains manipulent des objets dangereux ou des produits toxiques, ploient sous des charges lourdes, ou s’épuisent à des corvées harassantes.

Au pays du désespoir, l’enfer est la seule chance 

Deux facteurs majeurs expliquent la persistance du travail des enfants : le faible développement économique et la vacance des États. Plus d’un enfant sur cinq est employé dans des zones de conflit. Traite, enrôlement forcé, exploitation sexuelle… Les pires formes d’exploitation y sont légion, et souvent absentes des statistiques. 

Le Vénézuela, ce pays en paix où les écoles ferment

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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le travail des enfants dans les mines se concentre en République démocratique du Congo. Économie dévastée sous Mobutu, puis théâtre de la guerre la plus meurtrière depuis 1945, la RDC est aujourd’hui l’un des États les plus fragiles du monde. C’est notamment là que des enfants extraient le cobalt, indispensable à nos batteries. Si les grandes entreprises comme Glencore, Umicore ou BHP assurent 80 % de la production, le reste provient d’exploitations artisanales, souvent informelles. Près de 200 000 “creuseurs” y risquent leur vie, sans équipement, avec des outils rudimentaires. Beaucoup souffrent de maladies pulmonaires ou de graves problèmes de peau. Pour soigner leur image, certains grands groupes renoncent à se fournir auprès de ces filières. Mais pour de nombreuses ONG, cela ne ferait qu’aggraver la situation locale. Le travail des enfants est certes interdit en RDC — mais une loi sans moyens d’application reste lettre morte. Et dans ces régions, l’exploitation minière est souvent la seule option de survie.

Là-bas comme ailleurs, ce ne sont ni le capitalisme ni la mondialisation qui ont mis les enfants au travail. La misère l’a fait bien avant eux. Mais en apportant croissance et développement, ils peuvent, dans les États qui respectent les droits fondamentaux, les sortir des usines et des champs. Pour enfin avoir la chance d’aller à l’école et apprendre un métier plus décent. À notre échelle, il est urgent de revoir notre regard sur le monde. Et notamment de ne plus voir les sociétés traditionnelles comme des havres de paix où des enfants s’accomplissent en toute liberté. Car bien souvent, ce sont au contraire les premiers lieux d’exploitation et de coercition silencieuse.

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La clim n’est pas un crime

En France, on meurt plus de la chaleur qu’au Mexique ou aux Philippines. Notre population, vieillissante, est plus fragile que d’autres. Pourtant, elle a moins accès à la climatisation qu’ailleurs. Une diabolisation meurtrière.

Plus de 10 000 morts en excès pendant l’été 2022, selon Santé publique France. Plus de 5000 en 2023. 47 690 en Europe. Notre continent est celui des étés meurtriers : la chaleur y tue plus qu’en Afrique, qu’en Asie ou qu’en Amérique Latine. 

Pourtant, malgré cette réalité devenue chronique, la climatisation reste chez nous perçue comme un gadget, voire une menace. On en parle du bout des lèvres, comme si admettre son utilité revenait à trahir un certain art de vivre. Résultat, la France est une anomalie : moins d’un ménage sur quatre est équipé. À des années-lumière des 90% d’américains ou de japonais, champions en la matière.

Des conséquences désastreuses…

Dans les Ehpad, la situation est souvent catastrophique. Durant l’été 2022, 60,7 % des établissements ont été thermiquement inconfortables dans les espaces privatifs. Dans les écoles, on apprend à composer avec des salles surchauffées, alors que la chaleur inhibe le développement des capacités d’apprentissage, notamment pour les étudiants à faible revenu, qui bénéficient de moins de confort chez eux. Quand les établissements ne décident pas tout simplement de jeter l’éponge.

Nos services publics suivent parfois la même voie, avec des horaires restreints. Au-delà de 25°C, nos performances chutent drastiquement. La clim, meilleure alliée de notre productivité, devrait mettre tout le monde d’accord, des salariés aux patrons. Pourtant, son absence est si marquante que notre pays est devenu une inépuisable source de moqueries, jusque dans les séries Netflix.

…qui pourraient s’amplifier

A mesure que les étés deviennent plus torrides, ce retard risque de devenir critique. Une étude récente a simulé le Paris de 2100, en pleine vague de chaleur. Le constat est sans appel : sans climatisation, les Parisiens seront exposés à un stress thermique intense pendant 15 heures par jour à l’extérieur, et plus de 7 heures à l’intérieur, chez eux comme sur leur lieu de travail. 

Comment fonctionne une clim’ ?

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Avec des systèmes de climatisation réglés à 23°C, cette exposition chute immédiatement à zéro en intérieur et n’augmente que de 20 minutes en extérieur. L’étude envisage également des alternatives, particulièrement volontaristes : convertir 10 % de la surface de Paris en parcs et isoler massivement les logements. Des dépenses importantes, pour un résultat peu probant : seulement 1h23 de stress thermique en moins à l’intérieur, trente minutes à l’extérieur. Et irréaliste : lors des canicules, toute l’eau potable consommée en région parisienne ne suffirait pas à arroser ces nouveaux espaces verts. Les réseaux collectifs de froid pourraient être une autre piste. Mais leur coût peut-il se justifier pour quelques semaines d’utilisation par an ?

Des reproches climatiques fragiles

Pourtant, la crainte du changement climatique pousse certains à lutter contre la clim plutôt qu’à l’adopter. Les rejets de chaleur en extérieur sont une première critique récurrente. La climatisation rejette effectivement de l’air chaud, mais dans des proportions très limitées, n’entraînant qu’une augmentation de 0,25°C à 0,75°C en moyenne, même lors d’une canicule. Des pics à +2,4°C ont été observés, mais uniquement après neuf jours consécutifs de chaleur extrême, et sur des zones très localisées. Pour compenser, la végétalisation a un vrai rôle à jouer. D’autant qu’une maison bien isolée rejette presque autant de chaleur qu’une maison climatisée. Dans un logement passif, l’énergie solaire est réfléchie ; dans un logement climatisé, elle est évacuée. Dans les deux cas, des kilowatts thermiques sont renvoyés dehors. 

Non, la clim’ ne « donne » pas le rhume

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Les fluides réfrigérants, les HFC, gaz à effet de serre très puissants, sont aussi pointés du doigt. Ils sont pourtant utilisés en circuit fermé, et ne peuvent s’échapper qu’en cas de défaut d’entretien. La réglementation F-gaz de l’Union Européenne prévoit par ailleurs le basculement progressif vers des gaz à Pouvoir de Réchauffement Planétaire (PRP) plus faible.

On lui reproche enfin sa consommation d’énergie. Un argument difficilement audible : l’été, la France produit plus d’électricité bas carbone que nécessaire, grâce à son parc nucléaire et à l’énergie solaire. Et les pompes à chaleur réversibles – qui chauffent l’hiver et refroidissent l’été – sont deux à quatre fois plus efficaces que les chaudières à gaz, trois à cinq fois plus que des radiateurs électriques. 

La climatisation, vecteur de progrès humain

« Elle a été l’invention la plus marquante de l’histoire. Ma première action a été de l’installer dans les bâtiments publics. C’était la clé de l’efficacité de l’administration. » Lee Kuan Yew, fondateur du Singapour moderne, ne s’y est pas trompé. La chaleur emporte les plus âgés, les plus pauvres, les plus fragiles. Face à elle, la clim’ est en train de devenir un outil fondamental de justice climatique. Il est urgent qu’enfin, la France l’adopte sans remords. Grâce à notre électricité bas-carbone, elle sera même la plus vertueuse du monde. 

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