Pénurie d’organes : l’espoir des xénogreffes
Six mois sans dialyse grâce à un rein de porc génétiquement modifié.
Les xénogreffes peuvent-elles résoudre la pénurie d’organes ? L’an dernier, en France, plus de 850 personnes sont mortes faute de greffon. 22 500 étaient sur liste d’attente.
L’histoire de la transplantation d’organes est marquée par les rêves, les audaces et les échecs de plusieurs générations de médecins : un corps humain vivant grâce à un organe d’une autre espèce. Aux États-Unis, un patient de 67 ans survit depuis plus de six mois sans dialyse grâce à un rein de porc génétiquement modifié, un exploit qui fascine la communauté médicale. C’est la première fois qu’un greffon porcin fonctionne aussi longtemps chez un humain vivant. L’organe provient d’un animal dont le génome a été profondément modifié : plusieurs gènes responsables du rejet hyperaigu ont été supprimés, d’autres gènes humains ajoutés pour limiter l’inflammation et les complications de coagulation, et les rétrovirus endogènes porcins ont été désactivés pour réduire le risque infectieux. Cette réussite ouvre un espoir pour les milliers de patients en attente d’un rein. Elle marque une étape après de nombreuses tentatives moins fructueuses, mais rappelle aussi les obstacles qu’il reste à surmonter.
Les premiers essais de xénogreffes remontent au début du XXᵉ siècle : en 1906, à Lyon, le chirurgien français Mathieu Jaboulay implante un rein de chèvre puis de porc à deux patientes en insuffisance rénale terminale. Les greffons ne survivent que quelques jours, mais ces interventions sont les premières de leur genre. Dans les années 1960, l’Américain Keith Reemtsma, à l’université de Tulane, greffe des reins de chimpanzé à une dizaine de patients. Une femme, institutrice de 23 ans, survit neuf mois, retourne même travailler pour un temps, avant de décéder soudainement. L’autopsie révèlera que les reins de chimpanzé ne présentaient aucun signe de rejet.
La même époque voit des essais de greffes cardiaques animales : en 1968, le Dr Denton Cooley implante un cœur de mouton chez un homme de 48 ans qui décède en deux heures ; l’année suivante, à Lyon, l’équipe du Pr Pierre Marion tente sans succès un cœur de chimpanzé. En 1984, à l’université de Loma Linda en Californie, un cœur de babouin est greffé à une petite fille connue sous le nom de « Baby Fae », qui survit 21 jours et devient l’icône des xénogreffes et des questions éthiques qui en découlent.
En 1992, le Pr Thomas Starzl, pionnier de la transplantation hépatique, greffe un foie de babouin à un patient en insuffisance terminale ; la survie est de 70 jours, record pour une xénogreffe de foie. Plus récemment, en 2022, l’université du Maryland réalise la première transplantation d’un cœur de porc génétiquement modifié chez un patient en phase terminale : le greffon fonctionne deux mois avant un rejet fulminant. Ces expériences ont permis de mieux comprendre l’immunité, la physiologie et les risques infectieux, mais ont aussi montré combien il reste difficile de parvenir à des greffes durables et sûres.
L’ère des porcs « humanisés »
Aujourd’hui, nous entrons peut-être dans une nouvelle ère. Les porcs « humanisés » utilisés pour la transplantation ne ressemblent plus à ceux de l’époque de Jaboulay : leur ADN est édité pour supprimer les principaux antigènes déclenchant un rejet immédiat et massif (le rejet hyperaigu). D’autres modifications rendent leurs organes plus compatibles avec la physiologie humaine.
Malgré ces avancées, plusieurs défis demeurent. Le rejet par les anticorps reste possible, même après ces corrections génétiques, car le système immunitaire peut encore identifier des différences subtiles. À cela s’ajoutent des incompatibilités physiologiques : un rein de porc ne gère pas exactement la coagulation sanguine comme un rein humain, et il ne produit pas l’urine de la même manière, ce qui complique l’intégration. Un autre enjeu majeur est le risque infectieux. Même si l’élevage sous haute surveillance réduit fortement ce danger, il existe toujours la possibilité de transmission de virus porcins ou de rétrovirus intégrés dans le génome du porc, appelés rétrovirus endogènes. Enfin, les immunosuppresseurs modernes — indispensables pour empêcher le rejet — ont rendu ces essais possibles. Mais leur utilisation prolongée fragilise l’organisme : risque accru d’infections, de cancers, et d’effets toxiques sur différents organes. C’est, encore aujourd’hui, l’une des limites majeures de cette approche.
Des organoïdes à la bio-impression 3D
Les xénogreffes ne sont pas la seule piste pour répondre à la pénurie d’organes. Des chercheurs travaillent par exemple sur les organoïdes rénaux, de petits « mini-reins » cultivés à partir de cellules souches pluripotentes, qui pourraient un jour remplacer une partie d’un rein défaillant. D’autres explorent les matrices acellulaires : on retire toutes les cellules d’un organe animal pour ne conserver que son échafaudage biologique, que l’on recolonise ensuite avec des cellules humaines afin d’obtenir un organe plus compatible. La bio-impression 3D, encore au stade expérimental, vise quant à elle à fabriquer couche par couche des tissus vivants capables de remplir certaines fonctions. Enfin, une autre stratégie cherche à induire une tolérance immunologique : plutôt que de bloquer le rejet à coups de médicaments, il s’agit de « rééduquer » le système immunitaire, en combinant une transplantation d’organe avec une greffe de moelle osseuse pour que l’organisme considère l’organe greffé comme le sien.
Prudence néanmoins : l’exemple récent montre que la xénogreffe peut prolonger une vie de manière encore anecdotique lorsqu’aucune autre option n’est disponible, mais elle n’est pas encore prête à remplacer la greffe humaine standard. L’enjeu est de proposer à chaque patient une solution fiable, sûre et durable et, pour cela, la recherche doit se poursuivre sur plusieurs fronts.
En attendant, la pénurie d’organes continue d’interroger notre solidarité. Huit Français sur dix se déclarent favorables au don après leur mort. Mais, en pratique, l’opposition des proches au moment du décès va souvent à l’encontre de cette volonté.
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