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Soigner en une seule injection ? La révolution CRISPR

Bientôt, plus de cholestérol et même… de VIH ? Après une seule perfusion ? Avec CRISPR, la médecine ne sera plus jamais comme avant.

À l’origine, CRISPR est un mécanisme que les bactéries utilisent pour se défendre contre les virus, en coupant leur ADN. Des chercheurs, dont Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, récompensées par le prix Nobel de chimie en 2020, ont adapté ce système pour modifier notre propre ADN avec une précision incroyable. En seulement dix ans, cette technologie est passée des laboratoires aux hôpitaux, en offrant une formidable perspective : celle qui permet de traiter des maladies graves de manière définitive avec… parfois une seule injection. Et ce, en corrigeant directement leur cause dans nos gènes. C’est un espoir immense pour des maladies jusqu’ici jugées incurables. Ce mécanisme fonctionne comme des ciseaux moléculaires guidés par une carte ultra-précise. Ils peuvent couper, remplacer ou ajuster une partie de l’ADN pour réparer un gène défectueux ou en désactiver un qui pose problème.

Cette technologie suit deux grandes approches. La première, dite édition « ex vivo », où l’on prélève des cellules du patient avant de les modifier en laboratoire et de les réinjecter. La seconde est « in vivo » : tout le processus se déroule directement dans le corps, souvent grâce à de minuscules transporteurs appelés nanoparticules lipidiques. Ils livrent l’outil CRISPR là où il faut, comme dans le foie ou d’autres organes. Des versions plus avancées, comme le « base editing » ou le « prime editing », permettent même de faire des modifications ultra-fines sans abîmer l’ADN, réduisant ainsi les risques d’erreurs.

CRISPR, un kaléidoscope de technologies

J’approfondis

Pour mesurer véritablement la portée de cette révolution, rien de plus éloquent que de jeter un œil sur différents essais cliniques ayant éprouvé le principe.

La foire aux essais cliniques !

Il y a encore quelques années, les premiers essais avec CRISPR faisaient la une des journaux comme des exploits rares. Aujourd’hui, le paysage a changé. Environ 250 essais cliniques sur l’édition génétique ont vu le jour, dont 150 sont en cours. Et près de la moitié utilisent CRISPR ! Depuis le tout premier, en 2016, seulement quatre ans après la découverte majeure de Charpentier et Doudna, la technologie a fait un bond incroyable. Ces essais ciblent des maladies variées : cancers, troubles du sang, pathologies cardiovasculaires, infections comme le VIH et maladies rares. L’objectif commun ? Un traitement en une seule fois qui corrige la cause profonde d’un problème, plutôt que de soigner ses symptômes à répétition.

Mais des questions subsistent. Le mécanisme est-il réellement efficace ? Quelle est la durée de ses effets ? Est-ce sans danger ? Et surtout, pourra-t-on rendre ces traitements accessibles à tous ? Des interrogations qui se dissipent au fur et à mesure que les essais cliniques livrent leurs vérités.

En Verve pour réduire le cholestérol

L’essai VERVE-102, mené par Verve Therapeutics, veut révolutionner la lutte contre le « mauvais » cholestérol (LDL), qui bouche les artères et cause des crises cardiaques. En une seule injection, CRISPR désactive un gène appelé PCSK9 dans le foie, ce qui réduit fortement le problème. Les premiers résultats de 2025 montrent une baisse moyenne de 53 % du LDL, et jusqu’à 69 % pour certains patients, sans effets secondaires graves. Si la durabilité des résultats est au rendez-vous, comme l’espèrent les chercheurs, cela pourrait remplacer les médicaments quotidiens pour les personnes à risque, telles celles ayant un cholestérol élevé héréditaire. Prochaines étapes : confirmer que cela reste sûr et efficace sur le long terme, pour en faire un traitement courant.

VIH caché… dévoilé

Le VIH est un virus malin. Même avec des traitements, il se dissimule dans l’ADN de certaines cellules et peut revenir si l’on arrête les médicaments. L’essai EBT-101 d’Excision BioTherapeutics utilise CRISPR pour couper et éliminer ces morceaux de virus cachés. Les premières données montrent une bonne tolérance au traitement, sans rebond important du virus. Mais le vrai défi est de prouver que les patients peuvent arrêter leurs médicaments sans que le VIH revienne. Si cet essai réussit, ce serait une avancée majeure contre une maladie qui touche des millions de personnes. Les chercheurs planchent déjà sur des moyens de rendre le traitement plus puissant et plus facile à produire à grande échelle.

Sus à la drépanocytose

La drépanocytose est une maladie génétique qui déforme les globules rouges, provoquant des douleurs intenses et des complications graves. Avec BEAM-101, Beam Therapeutics propose une solution : prélever les cellules souches du patient, puis utiliser CRISPR pour réactiver un gène qui produit une hémoglobine saine (comme celle des bébés), avant de réinjecter ces cellules. Les résultats de 2025 sur 17 patients montrent une forte hausse de cette hémoglobine (plus de 60 %), moins de complications et une meilleure qualité de vie, sans crises douloureuses. Mais le traitement est complexe et coûteux, nécessitant des hôpitaux spécialisés. L’objectif à long terme est de simplifier le processus pour le rendre accessible à plus de patients, notamment dans les régions où la maladie est courante.

Dire stop à l’amylose

L’amylose à transthyrétine (ATTR) est une maladie où une protéine toxique s’accumule dans le cœur, les yeux, le système nerveux ou les reins, causant de graves problèmes, notamment cardiaques. L’essai NTLA-2001 d’Intellia Therapeutics utilise CRISPR pour désactiver le gène responsable de cette protéine, avec une seule perfusion. Les résultats montrent une chute durable de l’intrus toxique, et l’essai de phase 3, en cours en 2025, vérifie si cela améliore la vie des patients. Moins d’hospitalisations, une meilleure santé cardiaque, une vie plus longue ? Si les réponses sont positives, ce traitement pourrait devenir une référence pour cette maladie grave.

Une statue pour Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ?

CRISPR ouvre une nouvelle ère pour la médecine, avec des traitements qui semblaient autrefois de la science-fiction. Des maladies du cœur au VIH, en passant par des troubles génétiques rares, cette technologie promet des solutions durables, souvent en une seule intervention. Si les défis de sécurité, d’efficacité et d’accessibilité sont relevés, elle pourrait changer des millions de vies. L’avenir s’écrit aujourd’hui, et CRISPR en est l’une des plumes les plus prometteuses. De quoi bientôt ériger une statue à la gloire d’Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ?

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Pénurie d’organes : l’espoir des xénogreffes

Six mois sans dialyse grâce à un rein de porc génétiquement modifié.
Les xénogreffes peuvent-elles résoudre la pénurie d’organes ? L’an dernier, en France, plus de 850 personnes sont mortes faute de greffon. 22 500 étaient sur liste d’attente.

L’histoire de la transplantation d’organes est marquée par les rêves, les audaces et les échecs de plusieurs générations de médecins : un corps humain vivant grâce à un organe d’une autre espèce. Aux États-Unis, un patient de 67 ans survit depuis plus de six mois sans dialyse grâce à un rein de porc génétiquement modifié, un exploit qui fascine la communauté médicale. C’est la première fois qu’un greffon porcin fonctionne aussi longtemps chez un humain vivant. L’organe provient d’un animal dont le génome a été profondément modifié : plusieurs gènes responsables du rejet hyperaigu ont été supprimés, d’autres gènes humains ajoutés pour limiter l’inflammation et les complications de coagulation, et les rétrovirus endogènes porcins ont été désactivés pour réduire le risque infectieux. Cette réussite ouvre un espoir pour les milliers de patients en attente d’un rein. Elle marque une étape après de nombreuses tentatives moins fructueuses, mais rappelle aussi les obstacles qu’il reste à surmonter.

Les premiers essais de xénogreffes remontent au début du XXᵉ siècle : en 1906, à Lyon, le chirurgien français Mathieu Jaboulay implante un rein de chèvre puis de porc à deux patientes en insuffisance rénale terminale. Les greffons ne survivent que quelques jours, mais ces interventions sont les premières de leur genre. Dans les années 1960, l’Américain Keith Reemtsma, à l’université de Tulane, greffe des reins de chimpanzé à une dizaine de patients. Une femme, institutrice de 23 ans, survit neuf mois, retourne même travailler pour un temps, avant de décéder soudainement. L’autopsie révèlera que les reins de chimpanzé ne présentaient aucun signe de rejet.

La même époque voit des essais de greffes cardiaques animales : en 1968, le Dr Denton Cooley implante un cœur de mouton chez un homme de 48 ans qui décède en deux heures ; l’année suivante, à Lyon, l’équipe du Pr Pierre Marion tente sans succès un cœur de chimpanzé. En 1984, à l’université de Loma Linda en Californie, un cœur de babouin est greffé à une petite fille connue sous le nom de « Baby Fae », qui survit 21 jours et devient l’icône des xénogreffes et des questions éthiques qui en découlent.
En 1992, le Pr Thomas Starzl, pionnier de la transplantation hépatique, greffe un foie de babouin à un patient en insuffisance terminale ; la survie est de 70 jours, record pour une xénogreffe de foie. Plus récemment, en 2022, l’université du Maryland réalise la première transplantation d’un cœur de porc génétiquement modifié chez un patient en phase terminale : le greffon fonctionne deux mois avant un rejet fulminant. Ces expériences ont permis de mieux comprendre l’immunité, la physiologie et les risques infectieux, mais ont aussi montré combien il reste difficile de parvenir à des greffes durables et sûres.

L’ère des porcs « humanisés »

Aujourd’hui, nous entrons peut-être dans une nouvelle ère. Les porcs « humanisés » utilisés pour la transplantation ne ressemblent plus à ceux de l’époque de Jaboulay : leur ADN est édité pour supprimer les principaux antigènes déclenchant un rejet immédiat et massif (le rejet hyperaigu). D’autres modifications rendent leurs organes plus compatibles avec la physiologie humaine.

Malgré ces avancées, plusieurs défis demeurent. Le rejet par les anticorps reste possible, même après ces corrections génétiques, car le système immunitaire peut encore identifier des différences subtiles. À cela s’ajoutent des incompatibilités physiologiques : un rein de porc ne gère pas exactement la coagulation sanguine comme un rein humain, et il ne produit pas l’urine de la même manière, ce qui complique l’intégration. Un autre enjeu majeur est le risque infectieux. Même si l’élevage sous haute surveillance réduit fortement ce danger, il existe toujours la possibilité de transmission de virus porcins ou de rétrovirus intégrés dans le génome du porc, appelés rétrovirus endogènes. Enfin, les immunosuppresseurs modernes — indispensables pour empêcher le rejet — ont rendu ces essais possibles. Mais leur utilisation prolongée fragilise l’organisme : risque accru d’infections, de cancers, et d’effets toxiques sur différents organes. C’est, encore aujourd’hui, l’une des limites majeures de cette approche.

Des organoïdes à la bio-impression 3D

Les xénogreffes ne sont pas la seule piste pour répondre à la pénurie d’organes. Des chercheurs travaillent par exemple sur les organoïdes rénaux, de petits « mini-reins » cultivés à partir de cellules souches pluripotentes, qui pourraient un jour remplacer une partie d’un rein défaillant. D’autres explorent les matrices acellulaires : on retire toutes les cellules d’un organe animal pour ne conserver que son échafaudage biologique, que l’on recolonise ensuite avec des cellules humaines afin d’obtenir un organe plus compatible. La bio-impression 3D, encore au stade expérimental, vise quant à elle à fabriquer couche par couche des tissus vivants capables de remplir certaines fonctions. Enfin, une autre stratégie cherche à induire une tolérance immunologique : plutôt que de bloquer le rejet à coups de médicaments, il s’agit de « rééduquer » le système immunitaire, en combinant une transplantation d’organe avec une greffe de moelle osseuse pour que l’organisme considère l’organe greffé comme le sien.

Prudence néanmoins : l’exemple récent montre que la xénogreffe peut prolonger une vie de manière encore anecdotique lorsqu’aucune autre option n’est disponible, mais elle n’est pas encore prête à remplacer la greffe humaine standard. L’enjeu est de proposer à chaque patient une solution fiable, sûre et durable et, pour cela, la recherche doit se poursuivre sur plusieurs fronts.

En attendant, la pénurie d’organes continue d’interroger notre solidarité. Huit Français sur dix se déclarent favorables au don après leur mort. Mais, en pratique, l’opposition des proches au moment du décès va souvent à l’encontre de cette volonté.

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L’humanité va-t-elle vaincre de justesse les super-bactéries ?

La peste. Et si cette terrible maladie infectieuse revenait, plus résistante que jamais ? Face à cette menace, et à d’autres plus terribles encore, la pandémie de Covid-19 a offert une arme redoutable : l’ARN messager.

Le monde oublie trop souvent certains de ses plus grands héros. En janvier 1897, la peste ravage Byculla, un quartier de Bombay bâti sur d’anciens marécages. Dans un laboratoire de fortune, le docteur ukrainien Waldemar Haffkine s’administre un avant-goût du bacille Yersinia pestis.

Il n’est est pas à son coup d’essai : 4 ans plus tôt, il vaccinait 25 000 indiens contre le choléra, malgré la méfiance des populations locales, qui l’accusent de mener des expérimentations pour le pouvoir colonial. A Calcutta, un fanatique religieux musulman tente même de le poignarder à la gorge. Il s’en sort avec de simples blessures, et refuse de quitter son poste. Affaibli par la malaria, il doit pourtant retourner en France quelques mois plus tard. 

Mais, très vite, il repart affronter cette nouvelle épidémie qui décime la péninsule indienne. Après ses premiers tests sur des lapins et des chevaux, puis, donc, sur lui-même, il inocule son nouveau vaccin à des volontaires de la prison voisine. Tous survivent. Les sept détenus du groupe-contrôle, eux, meurent les uns après les autres.

Pour la première fois dans l’histoire, on apprivoise la « peste ».

La peste, un retour possible ?

Depuis, cette maladie semble reléguée au rang de souvenir, cantonnée à quelques foyers en Afrique et en Asie centrale. Mais la menace persiste. Si les antibiotiques (streptomycine, gentamicine, doxycycline, fluoroquinolones) ont permis de sauver des vies, la découverte en 1995 de souches de Y. pestis multirésistantes a mis en garde contre un possible retour en force du bacille.

Heureusement, un nouvel espoir apparaît. Héritée de la lutte contre la COVID-19, la technologie de l’ARN messager est aujourd’hui exploitée pour neutraliser la forme pulmonaire de la peste. En encapsulant deux protéines clés de la bactérie dans des nanoparticules lipidiques, une équipe israélienne vient d’obtenir 100 % de protection chez l’animal, après seulement deux injections. Cette avancée repose sur la capacité unique de l’ARNm à activer à la fois la réponse humorale et la réponse cellulaire. La première produit des anticorps pour neutraliser les agents pathogènes à distance, dans les liquides du corps (sang, lymphe, etc.). La seconde mobilise des cellules immunitaires, comme les lymphocytes T, qui vont reconnaître et détruire directement les cellules infectées. Cela ouvre la voie à des vaccins « plug-and-play », adaptables en quelques semaines seulement.

Lutter contre les “super-bactéries” résistantes aux antibiotiques

Cette technologie est une révolution. Car si la peste reste un risque, c’est surtout la menace globale des « super-bactéries » qui inquiète. A force d’y être exposées, ces bactéries résistent aux antibiotiques. Un phénomène naturel amplifié par leur usage excessif. Dans le monde, leur consommation continue de croître, malgré un recul dans certains pays comme la France depuis le début du siècle. Aujourd’hui, c’est  l’un des plus grands dangers sanitaires mondiaux.

Ainsi, la typhoïde XDR, résistante à presque tous les antiobiotiques de première ligne, est apparue au Pakistan en 2016. Depuis, elle a été exportée via les voyageurs vers le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, et plusieurs pays d’Europe et d’Asie

En 2022, environ 410 000 personnes ont développé une tuberculose résistante à l’isoniazide et à la rifampicine, notamment en Inde, en Chine, en Russie et en Afrique du Sud, mais aussi dans certaines républiques d’Asie centrale et d’Europe de l’Est.

L’Organisation mondiale de la santé tire la sonnette d’alarme :  l’antibiorésistance est la « peste » du XXIᵉ siècle, responsable de plus d’un million de morts chaque année.

Y mettre un terme pourrait réduire drastiquement la mortalité liée aux infections, alléger la pression sur les hôpitaux et limiter la propagation de clones résistants. La plateforme ARNm offre des perspectives inédites : un ciblage vaccinal plus précis, un moindre recours aux antibiotiques, et la possibilité de freiner l’émergence de nouveaux variants bactériens. 

Sous la présidence de Donald Trump, les vaccins ARNm sont remis en cause par le Ministre de la santé, l’antivax Robert Kennedy Jr.. Leur développement pourrait pourtant permettre de sauver l’humanité de nouvelles pandémies mondiales. Nul doute que Haffkine en aurait rêvé.

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