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La guerre des terres rares

Le 9 octobre, la Chine a lancé une bombe qui pourrait couper l’accès du monde aux technologies dépendantes de ses terres rares. La conséquence d’un conflit sans merci entre Xi Jinping et Donald Trump, dans lequel Europe et Russie cherchent à exister sur fond de guerre en Ukraine et de convoitises du Groenland. Qui en sortira vainqueur ?

Le coup de semonce chinois

L’annonce en provenance de Pékin a provoqué une véritable déflagration dans l’industrie mondiale de la tech et de la décarbonation. Pour répondre aux droits de douanes sans cesse croissants imposés par Washington, la Chine a franchi une étape supplémentaire en imposant des contrôles renforcés sur l’exportation des technologies liées aux terres rares.

Ces mesures, entrées en vigueur immédiatement, visent l’extraction, la séparation et le raffinage de ces métaux essentiels, dont l’Empire du Milieu domine la production mondiale à hauteur de 70 % (et non 60 % comme on le lit souvent sur la base de données obsolètes). Désormais, tout transfert de ces technologies vers l’étranger requiert une autorisation préalable du ministère du Commerce chinois, avec des demandes détaillées imposées aux entreprises étrangères sous peine de sanctions. L’extraterritorialité de ces règles s’étend loin. Les produits contenant ne serait-ce que 0,1 % de ces terres issues de Chine, même assemblés ailleurs, tombent sous le coup d’une licence d’exportation. Plus qu’une simple formalité administrative, il s’agit d’une entrave aux flux vitaux de l’économie. Et une escalade dans le modus operandi de Pékin, comme nous le confirme le géopoliticien Aurélien Duchêne* : « Si la Chine maintient cette politique, ce sera un nouveau pas dans l’affirmation de son hard power économique : tout en se présentant encore comme un « hégémon bienveillant », elle n’hésite plus à manier la contrainte en usant de ses leviers de pression économiques et financiers ».

Les métaux qui inventent demain

Les terres rares, en réalité des métaux (voir encart 1), ne sont pas des matériaux anodins. Elles irriguent l’électronique grand public, dans les aimants permanents des disques durs de nos ordinateurs, des haut-parleurs et des smartphones, mais aussi les turbines éoliennes et les batteries de véhicules électriques. La défense n’est pas en reste. Plusieurs d’entre elles sont indispensables aux systèmes de guidage, aux lasers et aux radars. Tout comme pour les industries pétrochimiques, du verre et de la céramique. Ces éléments, au nombre de dix-sept, sont les invisibles piliers de notre modernité connectée et décarbonée.

Les terres rares ? Le pourquoi du comment

J’approfondis

Et l’avenir en demandera bien davantage. Au-delà de 2035, selon IEA/McKinsey, la transition énergétique propulsera la demande pour les batteries d’au moins 200 %, tandis que l’hydrogène vert en exigera 150 % supplémentaires pour les électrolyseurs. Les semi-conducteurs quantiques, l’intelligence artificielle, la défense et la robotique amplifieront encore ce phénomène de manière incontinente. Bref, sans dresser la liste exhaustive des futurs usages, nul besoin d’être un génie pour comprendre à quel point ces terres rares sont un enjeu majeur et la décision de Pékin, un sale tour joué au reste du monde, États-Unis et Europe en tête.

Si les quotas chinois d’exportation pour les minerais eux-mêmes demeurent inchangés pour 2025, en revanche le blocage des technologies entrave les investissements étrangers en recherche et développement, freinant le transfert de savoir-faire essentiel à toute alternative. Raison pour laquelle l’Union européenne a exprimé sa préoccupation et prépare des contre-mesures, tandis que des firmes comme Apple ou Tesla, rivées à ces métaux pour l’électronique et les batteries, affrontent des risques de ruptures logistiques. Pendant ce temps, Pékin, qui raffine plus de 90 % de la production mondiale, consolide ainsi son monopole stratégique, transformant une ressource en levier géopolitique.

Réponse à l’envoyeur Trump

Cette offensive s’inscrit dans une escalade plus large marquée par la guerre commerciale intercontinentale, déjà vivace de longue date, et amplifiée de manière démesurée par Donald Trump depuis le début de son second mandat. En avril 2025, l’Amérique avait imposé des tarifs douaniers de 145 % sur les importations chinoises, déclenchant une riposte initiale de Pékin avec des contrôles sur sept éléments de terres rares. Une trêve fragile avait suivi en mai, ramenant les droits à 30 % pour Washington et 10 % pour Beijing, prolongée en août. Mais les mesures du 9 octobre élargissent le spectre. Cinq éléments supplémentaires – holmium, erbium, thulium, europium et ytterbium – tombent sous contrôle, avec une extraterritorialité accrue. Pékin se justifie en brandissant des motifs de sécurité nationale, mais les observateurs y décèlent une contre-attaque directe à la surenchère tarifaire trumpienne visant à exploiter la dépendance occidentale aux métaux critiques, avant la rencontre Xi Jinping – Trump prévue fin octobre au sommet de l’APEC, en Corée du Sud.

La réponse américaine ne s’est pas faite attendre. Le 10 octobre, Trump a menacé d’ajouter 100 % de tarifs sur tous les produits chinois dès le 1er novembre, qualifiant les limitations fixées « d’hostiles » et envisageant d’annuler la rencontre coréenne. « Les restrictions à l’exportation des terres rares par la Chine prennent le monde en otage », a-t-il déclaré. Historiquement, Pékin utilise les terres rares comme arme depuis 2019, mais l’intensité actuelle du conflit a transformé une rivalité sectorielle en spirale protectionniste globale, laissant planer le spectre d’une rupture plus profonde. « Les États-Unis ont banni l’exportation de circuits intégrés de haute performance en Chine dès 2022. Celle-ci a réagi de la même manière avec les composants informatiques américains exclus de ses administrations. Ce découplage sino-américain est une tendance de fond qui devrait se renforcer », ajoute Aurélien Duchêne.

Ukraine, Groenland, hypocrites conflits

Au milieu de ces échanges transpacifiques, d’autres théâtres émergent, où les terres rares deviennent des pions dans des conflits aux enjeux plus immédiats. En Ukraine, les gisements riches en néodyme et dysprosium, notamment sous la mer d’Azov, attirent les regards alors que la Russie occupe ces zones potentielles d’exploitation depuis son invasion de 2022. Pékin observe, prêt à nouer des partenariats post-conflit, mais c’est Washington qui a pris l’avantage avec un accord bilatéral signé fin avril 2025. Cet engagement accorde aux États-Unis un accès prioritaire aux réserves ukrainiennes, estimées à 5 % des gisements mondiaux, en échange d’un soutien militaire (très) conditionnel et sans cesse évolutif… Cela prive Kiev de revenus autonomes et marginalise l’Europe, dont les négociations pour un partage équitable piétinent, avec des clauses extraterritoriales favorisant les firmes américaines.

Quant au Groenland, la plus grande île du monde, sous tutelle danoise, elle cristallise une course trilatérale encore plus acharnée. Ses réserves estimées à 1,5 million de tonnes, dont 20 % des stocks mondiaux en dysprosium, attisent les appétits. D’où les menaces d’invasion incessantes d’un Trump peu soucieux de souveraineté quand le business est en jeu. Bien que revenu légèrement à la raison après ses propos martiaux, son administration négocie un investissement direct dans Critical Metals Corp – une entreprise de développement minier spécialisée dans les terres rares – pour la mine de Tanbreez – l’un des plus grands gisements au monde, situé dans le sud du Groenland. Une manière de contrecarrer les avances du géant chinois Shenghe Resources qui, lui, tente d’en acquérir 25 % des parts. L’Union européenne, via un partenariat avec le Royaume-Uni en cours de confirmation, tente de s’insérer dans la partie, mais elle reste subordonnée aux pressions diplomatiques américaines et à son regard sur le champ de bataille. De quoi nous tenter de lancer les paris sur l’issue de la guerre en considérant l’apport de l’Ukraine et du Groenland et d’estimer les probabilités de reconquête du marché de chaque camp dans un exercice incertain de politique fiction.

Le Groenland, terre de convoitises

J’approfondis

Calcul de probabilités

Si l’exploitation conjointe des gisements ukrainiens et groenlandais par les États-Unis et l’Europe aboutissait, elle pourrait éroder la domination chinoise de 10 à 15 % sur la production mondiale d’ici 2035, en diversifiant 20 % des approvisionnements critiques pour l’électronique et la défense. Cela ajouterait potentiellement 100 000 tonnes annuelles, avec l’Ukraine fournissant néodyme et dysprosium, et le Groenland 85 000 tonnes à Tanbreez, forçant Pékin à baisser ses prix de 20 à 30 % et à céder des parts de marché, sans pour autant ébranler son emprise sur le raffinage. Encore faut-il rêver pour cela à un adoucissement des relations entre Washington et Bruxelles, sur l’autel de leurs intérêts communs… Ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.

Une initiative américaine solitaire, elle, limiterait l’effet à 8 à 12 % de réduction du rôle de Pékin, priorisant la sécurité nationale via des fonds comme le Reconstruction Investment Fund, mais fragmenterait les chaînes européennes, générant des surcoûts de 15 % et une pression bilatérale accrue dans les pourparlers commerciaux. Quant à l’Europe seule, appuyée sur son partenariat avec l’Ukraine de 2021, elle n’aurait pas plus de 5 à 8 % d’impact, favorisant une autonomie verte, demandant un hypothétique investissement de 500 milliards d’euros, laissant la Chine intacte sur le raffinage et exposant Kiev à une dépendance redoublée. Sur un horizon de dix ans, les probabilités penchent plutôt en faveur d’un scénario conjoint américano-européen grâce aux synergies existantes malgré la concurrence. Les autres, avance unilatérale américaine, dopée par l’agressivité trumpienne mais risquant des frictions transatlantiques, et voie européenne isolée, plombée par les contraintes budgétaires et la viabilité incertaine des gisements en zones occupées, tiennent presque de la science-fiction.

Quand l’Europe se tire une balle dans le pied

C’est dans ce contexte que l’Europe, en visant 100 % de véhicules électriques d’ici 2035, se trouve particulièrement exposée. Cette ambition, inscrite dans l’European Green Deal présenté en 2019 et visant à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, amplifie sa vulnérabilité dans la guerre commerciale et face aux nouvelles restrictions de Pékin. Et ce, alors que des fermetures d’usines fournisseurs balaient déjà le continent, avec des surcoûts de 20 à 30 % pour les constructeurs, et des pertes estimées à 190 000 emplois en Allemagne d’ici 2035. Une crise également alimentée par la concurrence déloyale induite par les subventions massives accordées aux véhicules électriques chinois et par l’inflation du prix des batteries. Raisons pour lesquelles les constructeurs allemands, Volkswagen, BMW et Mercedes en tête, sont entrés en résistance, même si ce braquage est aussi lié à des conservatismes peu en adéquation avec le principe de l’évolution et des choix stratégiques discutables. Seulement voilà, en prenant la situation à l’instant T, la transition forcée qu’il leur est imposée, outre ses menaces sur l’emploi, semble exiger 500 milliards d’euros d’investissements sans retour immédiat, face à une Chine dominante et n’ayant pas les mêmes soucis. D’où le plaidoyer germanique en faveur de véhicules hybrides ou e-fuels après 2035, invoquant des infrastructures de recharge couvrant à peine 20 % des besoins, des ventes de voitures électriques stagnantes à 15 % du marché européen en 2025, et une dépendance aux importations chinoises. Peut-être hélas déjà un combat d’arrière-garde qui laissera des traces sur l’emploi et la capacité industrielle du continent. À moins que d’autres formes d’innovations ne regardant pas dans le rétroviseur participent à changer la donne et offrent à notre vieux continent et à la France de nouvelles perspectives pour gagner des points dans cette lutte impitoyable.

Les moteurs sans aimants, l’Europe contre-attaque

Cette lueur d’espoir pourrait être figurée par certaines ressources propres à l’Europe. Comme nous l’explique Aurélien Duchêne : « Outre son capital financier, technique et humain, notre continent a d’autres atouts. L’un des plus grands gisements de lithium du monde a été découvert cet automne en Allemagne, la France en possédant aussi de gigantesques réserves dans l’Allier. Le plancher océanique sous souveraineté française recèle aussi un vaste potentiel minier, incluant des terres rares. Mais les considérations environnementales risquent évidemment d’entraver, voire d’empêcher une extraction à grande échelle ».

Comptons alors surtout sur les progrès réalisés dans la production des moteurs électriques sans aimants, portés par des acteurs comme Valeo en France et Mahle en Allemagne. Leur système iBEE, à induction sans balais, élimine 80 % de la dépendance aux terres rares chinoises pour les aimants permanents, délivrant une puissance pouvant atteindre 475 chevaux DIN avec une efficacité maximale, et une réduction de 40 % des émissions carbone sur leur cycle de vie (comprenant donc leur production). Déjà impliqué dans le moteur de la Renault Zoé et dans certains modèles de BMW, le plus large déploiement de cette technologie est prévu dès l’an prochain, pour le moment dans la production de véhicules premium. Ce procédé pourrait renforcer l’autonomie européenne, abaisser les coûts de production de 15 à 20 %, et neutraliser en partie les restrictions chinoises. Il requiert toutefois 200 milliards d’euros en recherche et développement. Pas tout à fait une paille sur un continent qui a du mal à ouvrir son portefeuille en grand et manque de fonds souverains dédiés à l’innovation. Toujours est-il que, dans le contexte de cette impitoyable guerre mondiale des terres rares, l’Europe, souvent reléguée au rôle de spectateur, pourrait par ce biais forger son propre chemin, où l’innovation supplée la rareté. En sera-t-elle capable ?

* Auteur de La Russie de Poutine contre l’Occident, Eyrolles, 2024.

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Trump Admits: “We Took The Freedom Of Speech Away” | Techdirt

Trump pendant sa campagne : "Nous allons rétablir la liberté d'expression".
Trump aujourd'hui : "Nous avons confisqué la liberté d'expression."
Oui oui, il l'a vraiment dit.

C'est *TOUJOURS* comme ça avec le facisme : Il ne doit pas être toléré, car si on tolère le facisme le facisme tue la tolérance. Et la liberté d'expression avec.
https://sebsauvage.net/galerie/photos/Bordel/mili/tolerance.jpg
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Apple removes ICE tracking app after pressure from Bondi DOJ | Fox Business

Comme les agents de l'immigration (ICE) de Trump enlèvent des personnes en pleine rue (et on ne les revoit jamais) et que ces agents ne portent pas de matricule, une application avait été créée pour tenter de les identifier.
Le gouvernement est venu toquer à la porte d'Apple pour lui demande de supprimer cette application. Apple s'est plié.

La Big Tech collabore avec les régimes fascistes.
Ce n'est pas nouveau (Chine, Egypte, Russie, etc.) mais c'est un exemple de plus.

EDIT: Article en Français : https://next.ink/202884/etats-unis-apple-retire-de-son-store-iceblock-qui-signale-la-presence-des-services-dimmigration/

Edit : Google aussi l'a retirée du magasin GooglePlay.
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F-Droid and Google's Developer Registration Decree | F-Droid - Free and Open Source Android App Repository

À propos du verrouillage prochain d'Android (https://sebsauvage.net/links/?yihP6A), voici la déclaration de F-Droid.
TLDR: Google ment en disant qu'enregistrer l'identité de chaque développeur est la seule manière d'assurer la sécurité, et que si Google passe vraiment à ça, c'est la fin du projet F-Droid.
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Le Mercosur, ce bouc émissaire de nos politiques agricoles

Déforestation, bœuf aux hormones, trahison de nos agriculteurs. Le Mercosur, accusé de tous les maux, fait l’unanimité contre lui. Pourtant, cet accord pourrait être une opportunité pour notre industrie, sans pour autant sacrifier notre souveraineté alimentaire.

Le Mercosur, c’est en quelque sorte la version sud-américaine de notre marché commun, un espace de libre circulation des biens et des services. Il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et, depuis l’an dernier, la Bolivie. Le Venezuela en a été exclu en 2016. Après deux décennies de négociations, l’Union européenne et le Mercosur ont conclu, en juin 2019, un traité instaurant une zone de libre-échange. Ou plutôt un accord commercial, car le terme, qui suggère une libéralisation sans contraintes, est trompeur : les règles restent nombreuses et certaines importations limitées. Aujourd’hui, il demeure suspendu à la ratification des 27 États européens. La France est l’un des rares pays à avoir des réserves. À tort ou à raison ?

Concrètement, la suppression de 4 milliards de droits de douane rendrait nos exportations beaucoup plus compétitives. Le prix des voitures et des vêtements pourrait baisser de 35 %, celui des machines-outils, produits chimiques et pharmaceutiques de 14 à 20 %. Les fournisseurs de services — télécommunications, transports, numérique — accéderaient aux marchés publics locaux. L’industrie automobile européenne, en grande difficulté, appelle évidemment l’accord de ses vœux : il relancerait ses ventes de véhicules thermiques, au moins pour un temps. Au total, Bruxelles projette près de 50 milliards d’euros d’exportations supplémentaires vers le Mercosur, pour seulement 9 milliards d’importations en plus. Des importations qui pourraient bien profiter aux industries européennes. Le Brésil, en particulier, est un important fournisseur de matières premières critiques comme le nickel, le cuivre, l’aluminium, l’acier ou le titane.

L’erreur est en effet de réduire exportations et importations à une lecture comptable. On croit trop souvent que seule la production locale enrichit, quand les importations appauvrissent. L’exemple du CETA, l’accord entre l’Europe et le Canada, montre l’inverse : les entreprises françaises ont pu importer hydrocarbures et minerais à des prix plus avantageux. Si ces flux semblent peser négativement sur la balance commerciale, ils sont économiquement bénéfiques. Des matières premières moins chères permettent à nos entreprises de réduire leurs coûts et de gagner en compétitivité. Aujourd’hui, qu’importe-t-on majoritairement depuis l’Amérique latine ? Des hydrocarbures, des produits miniers… et des produits agricoles.

Les agriculteurs européens sont-ils vraiment sacrifiés sur l’autel du commerce ?

L’agriculture des pays du Mercosur fait peur. Avec 238 millions de bovins, le Brésil possède le plus grand cheptel au monde et assure à lui seul près d’un quart des exportations mondiales. L’Argentine n’est pas en reste, avec 54 millions de bêtes et des troupeaux en moyenne quatre fois plus grands qu’en France. En Amazonie ou dans le Cerrado brésilien, certaines exploitations dépassent même les 100 000 têtes de bétail. À titre de comparaison, la « ferme des mille vaches » picarde, fugace symbole tricolore de l’élevage intensif, n’a jamais compté plus de 900 bovins. Mais le gigantisme ne s’arrête pas à l’élevage. Au Brésil, SLC Agrícola exploite plus de 460 000 hectares de céréales. Deux cents fois plus que la plus grande exploitation française. Les vergers sont quatre fois plus étendus de l’autre côté de l’Atlantique. Sucre, maïs, soja… les agriculteurs européens font face à un géant. Sans jouer avec les mêmes cartes : si les produits importés devront répondre aux normes de consommation européennes, les règles de production ne sont pas identiques. Notamment concernant l’utilisation des pesticides, qui fait tant débat en Europe. Pour les agriculteurs français, difficile de se départir de l’impression de concourir face à des V12 avec un 3 cylindres.

Heureusement, l’Union européenne a prévu des garde-fous. Les importations de bœuf, notamment, sont limitées à 99 000 tonnes par an, soit l’équivalent d’un gros steak par habitant. Cela ne représente, comme pour la volaille ou le sucre, que moins de 1,5 % de la production du continent. Aucune chance, dans ces conditions, d’être submergé par l’afflux de produits agricoles sud-américains. Et si jamais c’était le cas, une procédure de sauvegarde, qui stopperait net les importations, pourrait être enclenchée.

« En France comme en Europe, les cheptels bovins ont reculé d’environ 10 % en dix ans, et cette concurrence n’y est pour rien », souligne Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Inrae. Selon lui, les pays du Mercosur disposent déjà d’un client de poids avec la Chine, beaucoup plus simple à approvisionner. L’Europe, au contraire, impose des normes strictes et chaque exploitation doit être agréée individuellement. « On l’a vu avec le CETA : dans ces conditions, rien ne garantit même que les quotas soient atteints », ajoute-t-il.

Café, oranges, soja… À l’heure actuelle, le Mercosur vend surtout à l’Europe des produits qu’elle ne cultive pas. La seule filière réellement exposée semble être celle du maïs. Massivement OGM, la production brésilienne échappe à tout quota. Elle représente bien la schizophrénie des normes : un maïs impossible à cultiver en Europe peut nourrir nos animaux d’élevage.

L’accord pourrait même ouvrir de nouvelles perspectives à certains agriculteurs européens. Bruxelles table sur 1,2 milliard d’euros d’exportations supplémentaires. Les viticulteurs seraient les premiers bénéficiaires : leurs vins gagneraient en compétitivité et leurs appellations, comme celles de plusieurs fromages, seraient enfin reconnues outre-Atlantique. Exit le « Champagne » argentin ou le camembert brésilien. Dans une moindre mesure, les fruits et légumes, les huiles végétales et les produits laitiers devraient eux aussi profiter de nouveaux débouchés commerciaux.

Quand l’écologie gagne à commercer avec le bout du monde

Pour beaucoup, faciliter le commerce transatlantique est vu comme une aberration environnementale. Pourtant, les accords commerciaux sont des outils puissants pour convertir le reste du monde à la vision européenne du mieux-disant écologique et social. Ils permettent de façonner les règles du commerce mondial conformément aux normes européennes les plus élevées, de projeter nos valeurs à travers des obligations détaillées en matière de commerce, d’emploi et de développement durable. Les signer, c’est ratifier les conventions de l’Organisation internationale du travail et les accords multilatéraux sur l’environnement, de l’Accord de Paris aux conventions biodiversité. Toute violation pouvant justifier une suspension, totale ou partielle. Ainsi, en 2020, le Cambodge a perdu ses privilèges unilatéraux, du fait des dérives autoritaires du Premier ministre Hun Sen.

La culture du soja, importante cause de déforestation, est souvent évoquée. Pourtant, l’accord avec le Mercosur ne change rien à l’affaire, les importations de tourteaux étant déjà exemptes de toute taxation douanière. Le rôle de l’Union européenne, qui n’importe que 14 millions de tonnes par an, contre 112 millions pour la Chine, est de toute façon minime. L’accord entraîne par ailleurs la ratification du Protocole de Glasgow, qui prohibe toute déforestation à partir de 2030. Pour la transition énergétique, c’est aussi un enjeu majeur : le Brésil détient 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel et de manganèse. L’Argentine regorge de lithium. De quoi nourrir notre industrie verte…

Reste la question du contrôle. Croire que les contrôleurs de l’Union puissent éviter toute entorse aux règles est évidemment illusoire. Mais croire qu’ils sont aveugles n’est pas moins excessif. L’an dernier, une enquête a dévoilé la présence d’hormones dans le régime alimentaire des bœufs au Brésil. Pas à des fins d’engraissement, comme on l’a souvent suggéré, mais à des fins thérapeutiques… ce qui est aussi possible en Europe. Les mêmes craintes étaient brandies lors de la signature du CETA. Huit ans plus tard, aucun bœuf aux hormones n’est importé du Canada.

En creux, l’amertume du deux poids, deux mesures

Alors que toutes les pratiques agricoles sont remises en question, que des militants n’hésitent pas à les accuser d’empoisonnement, ni à fantasmer sur une chimérique agriculture sans intrants, l’opposition au Mercosur semble bien dérisoire. Nos agriculteurs ont-ils baissé les bras face aux ennemis de l’intérieur, au point de ne plus s’autoriser d’autre combat que celui contre leurs concurrents étrangers ? Pensent-ils trouver dans la mondialisation un ennemi commun leur assurant la miséricorde des gardiens du dogme ?

Signer l’accord avec le Mercosur serait un signal puissant, un acte de confiance et de détermination, à contre-courant du repli américain. Mais après des années d’agri-bashing, de surtransposition des normes, on comprend que les agriculteurs se sentent fragilisés face à la concurrence — même si, dans les faits, elle vient bien plus de l’Ukraine ou des autres pays européens que du Mercosur. Après le raz-de-marée médiatique contre la loi Duplomb cet été, difficile de ne pas comprendre non plus leur sentiment d’impuissance. C’est pourtant là que sont les vrais enjeux : redonner aux agriculteurs le goût du possible. Qu’ils puissent à nouveau se projeter dans un avenir à la fois serein et conquérant. Nous en sommes loin. Mais ne baissons pas les bras : la souveraineté se construit plus solidement dans la compétitivité que dans le repli sur soi.

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Assassinat de Charlie Kirk : pourquoi la compagnie Walt Disney se retrouve-t-elle mêlée à des appels au boycott ? - ladepeche.fr

Des nouvelles de la liberté d'expression aux USA: Tout ceux qui critiquent Trump se font virer. L'article parle d'animateur de chaînes de télé, mais ça se produit également par exemple pour les professeurs.

EDIT: Et il y a aussi ça : https://information.tv5monde.com/international/liberte-de-la-presse-aux-etats-unis-le-pentagone-impose-de-nouvelles-restrictions-aux-medias-2791685
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« ChatControl », la perquisition numérique systématique de nos conversations

Demain, l’Europe va-t-elle lire tous vos messages ? C’est le principe de « ChatControl », projet relancé aujourd’hui au nom de la lutte contre la pédocriminalité. Une surveillance de masse qui pourrait mettre fin au secret des correspondances, saturer les services de police et offrir une porte d’entrée aux ingérences étrangères. Alors, tous suspects ?

Depuis quelques années, la Commission européenne planche sur des mesures fortes pour lutter contre la pédocriminalité sur Internet. L’une d’entre elles, partant de bonnes intentions, a été surnommée « ChatControl » par Patrick Breyer, député européen allemand Pirate jusqu’en 2024, qui a été le premier à en dénoncer les dangers. Mise au placard en décembre 2024, sous la présidence hongroise, par une étroite minorité de blocage, la proposition a été relancée par la présidence danoise en ce 2ᵉ semestre 2025.

De quoi s’agit-il ?

ChatControl consiste à obliger légalement les opérateurs de messagerie à scanner l’intégralité de nos échanges privés en ligne, afin d’identifier de potentielles images pédopornographiques.
Les signalements seraient ensuite transmis automatiquement aux autorités de police pour archivage et enquête. Deux procédés sont prévus :

  • détection d’images déjà connues des services de police ;
  • reconnaissance par IA d’images inédites.

Pourquoi c’est un problème ?

Le projet met fin à la confidentialité des échanges. En France, ce principe est garanti par le Code des postes et télécommunications. L’article 8 de la Convention européenne des droits humains consacre également « le droit au respect de la correspondance ».

Cette disposition n’empêche pas les États de placer des citoyens sous surveillance, mais seulement dans des cas précis, sur présomption et sous contrôle judiciaire. ChatControl inverse ce principe : il ne s’agit plus d’écoutes ciblées, mais d’un contrôle généralisé de toute la population. En somme : tous perquisitionnés par principe, parce que tous suspects.

La Commission a fait valoir que personne ne serait obligé de consentir à ce scan massif… à condition de ne pas pouvoir échanger de photos avec ses amis. Il s’agirait donc d’un « consentement forcé ».

Fiabilité contestée

Les procédés de repérage d’images connues présentent de fortes limites. Des études récentes ont montré qu’ils pouvaient être contournés facilement, soit par recompression de l’image ciblée, soit en provoquant la détection incorrecte d’une image ciblée.

Les algorithmes d’IA posent encore plus de problèmes. Même avec une précision théorique de 99,99 % – bien au-delà de leurs performances réelles –, 1 image sur 10 000 serait signalée à tort. À l’échelle des centaines de millions d’images échangées chaque jour, cela noierait la police sous des masses de faux positifs et rendrait le système inopérant. On peut citer le cas d’un père dénoncé à tort pour pédocriminalité par Google après avoir envoyé une photo de son fils à un médecin.

Une faille de sécurité structurelle

Introduire un « mouchard » dans les applications revient à créer un trou dans la confidentialité de bout en bout, multipliant les possibilités d’attaque par des tiers : d’abord dans notre téléphone, ensuite chez l’opérateur de l’application, enfin dans les systèmes de police.

Il ne s’agit pas d’un fantasme : les fuites de données personnelles sensibles, que ce soit dans des entreprises, des administrations ou des services de police, adviennent quotidiennement. Les tiers indiscrets peuvent même être des services de renseignement étrangers qui coopéreraient avec les opérateurs de messagerie de leur pays. Voulons-nous nous mettre à la merci des services russes ou iraniens ?

L’éditeur de l’application Signal, emblématique en matière de protection des communications, a annoncé qu’il se retirerait de l’Union européenne si ChatControl était adopté, jugeant impossible de maintenir son niveau de sécurité tout en respectant les nouvelles obligations.

Enfin, last but not least, les technologies de surveillance voient systématiquement leur périmètre étendu au fil du temps, bien au-delà des prétentions initiales qui ont permis leur adoption. C’est pourquoi protéger le secret de la correspondance doit rester la règle de principe.

Où en est-on ?

Ce 12 septembre, les États doivent faire part à la Commission européenne de leurs positions. Certains ont reculé, comme la Belgique, la Finlande ou la Tchéquie. D’autres restent indécis : Allemagne, Roumanie, Estonie ou Grèce. La France, quant à elle, a – hélas ! – toujours soutenu le projet.

Le projet, s’il est validé par les États, doit ensuite passer au vote le 14 octobre au Parlement européen.


Plus d’informations sur ChatControl :

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We live in a fascist nation. What now?

Sous le coude pour lecture ultérieure.

« Chaque fois, ça se passe de la même manière : Les conservateurs paniquent à propos du socialisme ou des progressistes ou peu importe. Ils s'allient avec les fascistes en tant que « moindre mal ». Les fascistes prennent le pouvoir. Les fascistes purgent immédiatement quiconque se met en travers de leur chemin. Ensuite, c'est 30 à 50 ans de dictature. Cela s'est produit en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Chili, en Argentine, au Brésil, en Grèce, au Portugal, en Croatie, en Roumanie et en Hongrie. »

« Une fois que les fascistes accèdent au pouvoir de manière démocratique, ils n'ont jamais été évincés de manière démocratique. Pas une seule fois. Jamais. »
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