Voitures autonomes : le monde d’après
Demain, pourrons-nous filer à près de 200 km/h en toute sécurité ? Traverser des villes sans parkings ? Faire la sieste, regarder une série ou travailler au volant ? La révolution des véhicules autonomes approche, et avec elle la promesse d’une nouvelle liberté accessible à tous.
La phase d’expérimentation de la voiture autonome est terminée. Après des décennies de tests, son industrie se déploie à grande échelle. Ce qui était hier une curiosité technologique devient un marché en pleine expansion qui pose des questions de société.
Filiale d’Alphabet, Waymo s’affirme comme le leader mondial incontesté du secteur, avec plus de 161 millions de kilomètres parcourus sans conducteur et plus de 10 millions de trajets commerciaux effectués, soit une progression vertigineuse de 51 % depuis février 2025.
En plus de prévoir d’ajouter neuf nouvelles villes aux cinq où circulent ses véhicules (Phoenix, Los Angeles, San Francisco, Atlanta et Austin), Waymo s’attaque à l’un des marchés les plus complexes et convoités : New York. En juin, l’entreprise a annoncé son retour dans la « Big Apple » après l’obtention d’un permis l’autorisant à conduire de manière autonome avec un « conducteur de sécurité » derrière le volant.
Mais son expansion ne s’arrête pas aux frontières américaines. Après avoir démarré des tests à Tokyo, l’entreprise a révélé en octobre qu’elle commencerait à offrir des trajets entièrement autonomes à Londres dès 2026.
Sur la base d’une analyse de 155 millions de kilomètres, ses données révèlent une sécurité spectaculairement supérieure à celle des conducteurs humains, avec 91 % de collisions graves, 80 % d’accidents corporels et 92 % de piétons blessés en moins.

Les principaux concurrents de Waymo : Zoox, Tesla et… Nvidia
Dans le même registre, Zoox, la discrète mais puissante filiale d’Amazon, a aussi ouvert son service de taxis autonomes à Las Vegas en septembre dernier. Elle est devenue la première entreprise au monde à lancer un tel service payant dans un véhicule conçu spécifiquement à cet effet.
Souvent à la pointe de l’innovation, Tesla affiche en revanche un décalage entre ambitions et réalité. Malgré des capacités prometteuses en conditions difficiles, son offre, lancée à Austin en juin 2025, nécessite toujours un superviseur de sécurité. L’objectif de « couvrir la moitié de la population américaine d’ici fin 2025 » se limite à une vingtaine de véhicules sur 635 km² dans la ville texane.
Enfin, Uber a orchestré une alliance stratégique réunissant Nvidia pour son intelligence artificielle, Lucid pour ses SUV électriques et Nuro pour le logiciel de conduite autonome. Ce partenariat nourrit de grandes ambitions : déployer 20 000 robotaxis sur six ans, intégrés dans une flotte totale de 100 000 véhicules d’ici 2027.
La Chine au taquet, l’Europe à la traîne
À l’automne 2025, le géant chinois Baidu égale désormais Waymo avec 250 000 courses autonomes hebdomadaires. Cette percée illustre la stratégie gouvernementale de Pékin, qui s’imagine en leader mondial d’ici 2035. Après avoir gelé les permis à la suite des protestations de taxis, les régulateurs ont repris leur délivrance, privilégiant l’intérêt stratégique face à la concurrence américaine.
Mais l’Empire du Milieu a d’autres cartes en main : Pony AI, soutenue par Toyota, qui vise 1 000 robotaxis et s’internationalise ; ou WeRide, présente dans trente villes réparties sur dix pays, qui a signé avec Uber pour quinze villes mondiales, avec déjà un service opérationnel en Arabie Saoudite.
Face à cette offensive, l’Europe ne compte qu’un seul champion : la startup britannique Wayve. Fondée en 2017, elle développe une IA qui apprend à conduire comme un humain, sans cartes en haute définition. Soutenue par Nvidia et Microsoft, elle cherche à devenir fournisseur de logiciels pour les constructeurs (Nissan dès 2027) et plateformes (Uber à Londres en 2026). Son approche promet aux constructeurs d’intégrer des systèmes avancés de conduite autonome sans surcoûts matériels.
Hélas, cette société incarne les limites et le malaise du vieux continent. Le fait qu’une seule entreprise européenne porte ses couleurs dans le domaine de l’IA automobile révèle l’ampleur du retard accumulé.
Des millions de vies sauvées et des villes sans parkings
Quels sont les impacts attendus de la généralisation des voitures autonomes ? D’abord, rappelons que l’erreur humaine est à l’origine de 94 % des accidents mortels. Les systèmes autonomes ne boivent pas, ne se fatiguent pas, ne regardent pas leur téléphone et réagissent quasi instantanément.
Si les promesses se réalisent, les accidents pourraient baisser de 80 à 90 % avec une flotte entièrement automatisée. À l’échelle mondiale, cela représenterait potentiellement 1,25 million de vies sauvées chaque année. Concernant l’urbanisme, la demande de parkings en centre-ville pourrait s’effondrer de 90 %, puisqu’une voiture autonome vous dépose et repart.
Résultat : 20 à 30 % de l’espace urbain libéré. C’est la plus grande « banque foncière » du XXIᵉ siècle. À Chandler, en Arizona, on remplace déjà 40 % des places de parking obligatoires par des zones de dépose pour véhicules autonomes.
Des transports bouleversés
La vraie révolution se jouera peut-être loin des métropoles. Dans les zones rurales, le véhicule autonome résout une équation impossible : comment offrir des transports publics de qualité là où la densité de population est trop faible pour rentabiliser bus et trains ?
Dans certains pays comme le Japon, le coût d’exploitation du transport rural est trois fois supérieur aux recettes, essentiellement à cause des salaires des chauffeurs. En supprimant ce coût, les navettes autonomes rendent viable un transport à la demande, flexible, venant vous chercher à domicile.
Fini les lignes de bus désertes à horaires fixes, fini l’isolement des personnes âgées en zone rurale. Imaginez une flotte de véhicules autonomes assurant le « dernier kilomètre », se coordonnant avec des navettes plus grandes sur les axes principaux. C’est le droit à la mobilité pour tous, à faible coût.
Le bouleversement sera particulièrement fort pour celles et ceux qui ne peuvent pas conduire : les personnes âgées, les malvoyants, les personnes handicapées, les jeunes en dessous de l’âge légal. Pour toutes ces personnes, le véhicule autonome, c’est l’indépendance retrouvée. C’est une révolution d’inclusion, qui redonne de la mobilité à ceux qui en étaient privés.
Pour tous les autres, outre les immenses gains de sécurité, la promesse de la voiture autonome, c’est celle du confort : ce temps passé au volant, concentré et stressé, devient un moment de détente ou de productivité. Un trajet de 90 minutes n’est plus une contrainte insupportable s’il permet de travailler ou de se reposer. C’est votre bureau mobile, votre salon roulant, votre salle de sieste.
Le temps de trajet pourrait être grandement raccourci. Grâce au « platooning » — cette capacité des véhicules autonomes à rouler en convoi serré en communiquant entre eux —, l’occupation d’une voie pourrait être multipliée par six. Cela permettrait d’éliminer les embouteillages et ralentissements. Des expérimentations ont montré qu’on peut maintenir seulement quatre mètres entre chaque voiture à 120 km/h, en toute sécurité.
Cette coordination ouvre aussi la voie à une augmentation des vitesses limites sur autoroute. Si tous les véhicules d’une voie sont autonomes et synchronisés, on peut imaginer relever progressivement la vitesse autorisée bien au-delà des 130 km/h actuels, tout en maintenant un très haut niveau de sécurité.
La fin de la conduite humaine ?
Qui sera responsable en cas d’accident ? Il est probable que la responsabilité bascule du conducteur vers le constructeur et l’opérateur. En France, un décret de 2021 dispose que, lorsque le système de conduite automatisée est activé, le conducteur ne peut plus être tenu pour responsable s’il a respecté les conditions d’utilisation.
La conduite manuelle ne sera probablement pas immédiatement interdite par la loi. Quand les véhicules autonomes auront prouvé qu’ils sont cent fois plus sûrs que les humains, il est toutefois probable que votre prime d’assurance pour conduire manuellement devienne prohibitive, ou tout simplement que cette pratique soit interdite pour minimiser les risques.
Résistances syndicales et législatives
L’expansion des robotaxis se heurte cependant à une opposition politique croissante. À Seattle, des manifestants ont protesté contre l’arrivée de Waymo, craignant pour les emplois des chauffeurs Uber et Lyft. Les puissants syndicats Teamsters poussent pour des législations restrictives dans plusieurs États : Washington, le Massachusetts et la Californie, où le gouverneur Newsom a opposé son veto à deux reprises à des projets exigeant un conducteur humain dans les véhicules autonomes lourds.
Pourtant, l’histoire technologique montre que l’emploi se transforme plus qu’il ne disparaît. Les tracteurs ou les distributeurs automatiques n’ont pas créé de chômage massif, mais ont permis aux travailleurs d’évoluer vers des postes moins pénibles. Les emplois liés aux véhicules autonomes — maintenance technique, supervision de flotte — offrent généralement de meilleures conditions qu’un métier de conducteur aux revenus précaires et aux longues heures assises. L’enjeu n’est pas de freiner le progrès, mais d’accompagner cette transition professionnelle.
Cette révolution ne se résume pas au confort de pouvoir se détendre en roulant. Elle ouvre une transformation industrielle, urbaine et sociale majeure, qui va modifier en profondeur notre rapport à la voiture, à la ville et au déplacement. Un bouleversement, mais aussi un champ d’opportunités que citoyens, entreprises et décideurs devront s’approprier sans attendre.
L’article Voitures autonomes : le monde d’après est apparu en premier sur Les Électrons Libres.
















