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Taxe Zucman : prendre aux riches n’est pas donner aux pauvres

1 juillet 2025 à 04:21

Taxer les milliardaires, c’est toujours populaire. Surtout en période de tensions budgétaires. L’idée de les faire payer davantage semble à la fois logique, morale, voire réparatrice. Pourquoi, après tout, un boulanger devrait payer plus d’impôts sur ses revenus (en proportion) qu’un milliardaire ? C’est ce sentiment d’injustice fiscale que la « taxe Zucman » prétend corriger. Au risque d’appauvrir tout le monde ?

Son principe : imposer un minimum de 2 % du patrimoine pour les très grandes fortunes – à partir de 100 millions d’euros. La logique est redoutablement séduisante : si vous avez 1 milliard d’euros de patrimoine, et que vous ne payez qu’un petit million d’impôt sur le revenu et un autre d’IFI, il vous reste trop, beaucoup trop. La taxe Zucman propose de prélever 2 % de ce magot chaque année. En l’occurrence ici : 18 millions de plus à verser à l’État.

Une mesure qui ne concernerait principalement que quelques centaines de foyers, mais qui, selon ses promoteurs, rapporterait beaucoup. De quoi financer une partie des retraites ou sauver quelques services publics en souffrance. Une sorte de contribution républicaine. Ciblée, juste, symbolique. Presque indolore.

Saper les piliers de la prospérité ?

Si l’idée est politiquement irrésistible, économiquement, elle se révèle beaucoup plus fragile. D’une part parce qu’elle repose sur des hypothèses discutables (Cf. encadré), surtout parce que ses effets sur l’investissement, l’innovation et la croissance pourraient se retourner contre l’intérêt général.

Les riches payent-ils trop peu d’impôts ?

J’approfondis

Commençons par l’investissement, car c’est peut-être le point le plus préoccupant de cette taxe. L’économie a besoin de capitaux patients. De personnes qui mettent leur argent dans des projets risqués, innovants, incertains. Ce sont souvent eux — business angels, fondateurs, investisseurs familiaux — qui financent les start-ups, les biotech, les cleantech, etc.

Or la taxe Zucman frappe exactement ce type de capital. Celui qui ne distribue rien, qui mise à long terme, qui accepte de perdre dix fois pour gagner une fois. En imposant ces fortunes sur la simple détention d’actifs, on les contraint à désinvestir ou à externaliser leurs fonds. Un « business angel » qui voit son rendement amputé de 2 % par an peut tout simplement investir ailleurs. Une start-up française à la recherche de financement se retrouvera face à des investisseurs plus frileux, ou à des exigences de rendement plus élevées. C’est le financement de l’innovation qui trinque.

Et cette fragilisation n’est pas théorique. Une fiscalité trop lourde sur le capital a des conséquences concrètes : moins de créations d’entreprises, moins de levées de fonds, moins d’emplois qualifiés créés. Et donc, à terme, moins de croissance.

Le patrimoine est souvent illiquide. Pour payer la taxe, certains contribuables devraient vendre des parts, chaque année. Cela pèse sur les marchés, fait baisser la valeur des actifs, et réduit mécaniquement l’assiette de l’impôt. Un cercle pas très vertueux. On peut accepter une forme de redistribution. Mais encore faut-il qu’il y ait quelque chose à redistribuer.

La morale ne remplit pas les caisses

L’autre grand écueil de la taxe Zucman, c’est l’évasion par le haut. Si la mesure n’est appliquée qu’au niveau national, elle risque tout simplement d’encourager les plus riches à changer de pays, délocaliser leur patrimoine, ou restructurer leurs holdings à l’étranger. Les grands patrimoines sont mobiles, les fiscalistes inventifs, et la concurrence fiscale reste bien réelle. Pour éviter ces effets de fuite, la taxe devrait au moins être européenne.

Mais cette perspective, si elle est théoriquement séduisante, reste hautement improbable à court terme. La récente tentative de mettre en place un impôt mondial sur les multinationales, par exemple, a déjà montré les limites de la coopération internationale. Alors espérer une taxe coordonnée sur les ultra-riches ? Il faudrait un degré d’accord politique inédit.

Du danger des idéaux

Enfin, il faut garder en tête quelques proportions, car, de fait, la taxe Zucman, même dans les scénarios les plus optimistes, ce n’est pas non plus le grand soir. Ses partisans parlent de 20 milliards d’euros par an. En admettant même que cela n’ait aucun effet sur la croissance, on est très loin des 140 milliards d’euros de déficit prévu pour 2025.

La taxe Zucman envoie un signal. Elle incarne un idéal. Mais puisqu’elle s’appuie sur des hypothèses contestables, elle risque surtout d’avoir des effets délétères. La vérité est plus brutale : la soutenabilité budgétaire passe aussi par des choix plus profonds, moins idéalistes, parfois plus impopulaires. C’est une affaire collective, pas seulement morale, car on ne fait pas de la bonne politique avec du ressentiment.

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Retraites : le piège de la dette

13 juin 2025 à 03:37

“L’âge de départ doit être relevé”.
Alors que le conclave sur les retraites patine, le Comité d’Orientation des Retraites (COR) jette un pavé dans la mare. Mais peut-il en être autrement ?

Le constat est simple, les retraites pèsent trop lourd dans les prélèvements et les dépenses. Une situation sans espoir de rémission et destinée à empirer. De fait, notre système a réussi le tour de force d’accroître le déficit, d’alourdir la dette, de nuire à la productivité et de réduire le pouvoir d’achat des travailleurs. Pour s’en convaincre, rien de mieux que les comparaisons internationales, même si cela est un peu douloureux.

Premièrement, la part des revenus consacrée aux retraites est de 14 % du PIB, une des plus fortes de l’OCDE, soit 25 % des dépenses publiques. Et alors me direz-vous ? Le problème tient à l’inefficacité économique et sociale de ces dépenses. D’une part, la France est le pays où l’on vit le plus longtemps à la retraite (y compris chez les ouvriers). D’autre part, nous sommes l’une des rares nations où le niveau de vie des retraités est aussi (voire plus) élevé que celui des actifs. Il n’est donc pas surprenant que ce poste soit la première cause de l’augmentation des dépenses des administrations publiques depuis 30 ans. 

Les retraités français 
ont les mêmes revenus
que les actifs
Source : OECD, Pensions at a glance 2023.
Lecture : En France le revenu des 65 ans et plus correspond à 99.8% du revenu de la population totale. Autrement dit, le revenu des 65+ est équivalent à celui du reste de la population.

Quid des impôts ? La France est sur le podium en matière de taxation du travail. Logique, il faut bien financer ce système où les individus partent à la retraite plus tôt malgré des pensions plus généreuses qu’ailleurs, même si elles sont loin d’être faramineuses. Cela pèse logiquement sur la fiche de paie, notamment pour les travailleurs les mieux rémunérés. En conséquence, le coût du travail est plus élevé en France, notamment pour les actifs les plus qualifiés, c’est-à-dire les plus productifs.

Des salaires parmi
les plus taxés de l’OCDE
Source : OCDE, Les impôts sur les salaires 2025
Note : couple marié ayant deux enfants et disposant de deux salaires, dont l’un est égal à 100 % et l’autre à 67 % du salaire moyen. Les taxes sur les salaires sont incluses si elles s’appliquent.
Lecture : le coin fiscal en France est de 41% pour les couples mariés avec deux enfants dont les revenus correspondent à la classe moyenne. Autrement dit, le salaire net des impôts de ce couple représente 59% des coûts totaux de main-d’œuvre pour son employeur.

La logique la plus élémentaire – et surtout la démagogie – inclinerait à davantage taxer les entreprises. Hélas, leurs marges ne sont pas aussi larges que certains l’affirment. Même si ces dernières reçoivent nombre de subventions et crédits d’impôt, ne nous y trompons pas, le taux de taxation net des subventions des entreprises françaises est parmi les plus élevés de l’OCDE. Pourquoi ? Parce que les cotisations patronales servant au financement des retraites pèsent lourd, très lourd même. En conséquence, ce qui aurait pu être mobilisé pour l’investissement et l’innovation d’une part et la rémunération nette des travailleurs, d’autre part, s’en trouve réduit. Ce qui, ici encore, nuit aux gains de productivité.

Des cotisations qui pèsent 
lourd sur les entreprises
Source : OCDE, comptes nationaux, tableau 14B
Note : le taux de taxation net des entreprises correspond à la somme des contributions sociales patronales, taxes nettes des subventions sur la production et impôts sur les bénéfices, le tout rapporté sur la valeur ajoutée nette.
Lecture : En France le taux de taxation des entreprises en 2019 est de 28%, soit 17.9% pour les contributions patronales, 4.2% pour les impôts sur la production et 5.9% pour les impôts sur les bénéfices.

En conséquence, travail et capital, les deux facteurs de production principaux, sont beaucoup plus taxés chez nous qu’ailleurs. À tel point que de nouvelles taxes risquent même de réduire les recettes, les effets négatifs sur la production faisant plus que compenser l’augmentation du taux de taxation. Il n’y a donc plus de marges de manœuvre, à moins que l’objectif soit de nuire à la croissance tout en augmentant le fardeau de la dette.

La bonne nouvelle est que, contrairement à nombre d’idées reçues, les inégalités de niveau de vie n’ont jamais été aussi faibles que depuis ces 10 dernières années. Autrement dit, ce point occupe une place médiatique et politique inversement proportionnelle à son coût social effectif. Dès lors, une bonne réforme des retraites devrait surtout s’attacher à ne pas réduire le niveau de vie des générations de travailleurs présentes et futures.

Source : WID
Note : Part des revenus des 10% les plus aisés dans le revenu disponible total.
Lecture : En France, le revenu disponible des 10% les plus aisés représente 23% du revenu disponible total en 2022.

La mauvaise nouvelle est que notre productivité stagne, voire décroît en tendance, ce qui vient rompre avec 70 ans de croissance, cas plutôt rare parmi les pays occidentaux. Seule la Grèce a fait pire depuis 2015… Rien de surprenant compte tenu du poids du système social (et notamment des retraites) sur la taxation du travail productif et l’investissement des entreprises. Tant pis si les gains de productivité sont essentiels pour accroître les revenus et réduire le poids des dettes et déficits. Les coûts politiques de court terme passent avant les coûts économiques et sociaux de long terme. Un classique délétère. D’ailleurs, un cercle vicieux s’est déjà enclenché, voyant le poids de notre système social porter atteinte à la croissance, accroître le déficit et conduire à imaginer davantage de taxes qui en retour affectent la productivité et la croissance.

Source : OCDE
Note : La productivité du travail est mesurée par le rapport du PIB au nombre d’heures travaillées.
Lecture : La productivité du travail a baissé de 0.2% depuis 2015 en France.

Quelles solutions alors ? Tout d’abord, l’abattement à 10 % des ménages retraités assujettis à l’impôt sur le revenu n’a pas de sens. Il favorise les retraités les plus aisés alors que l’objectif de celui-ci est de compenser les coûts associés au travail. Autre piste, la non-indexation des pensions les plus élevées (il ne s’agit bien évidemment pas de toucher aux retraités pauvres). Pour les plus craintifs (mais sincères), notez que cela n’augmentera ni les inégalités de revenu ni le taux de pauvreté. En revanche, cela redonnera un peu d’air aux finances publiques et au pouvoir d’achat des travailleurs. Et si l’on croit cela infaisable, la meilleure preuve du contraire demeure la non-revalorisation du point d’indice des fonctionnaires qui, depuis de nombreuses années, ne semble préoccuper que les principaux concernés (dont je fais partie). 

 Il y a enfin la question que tout le monde se pose, faut-il repousser l’âge de départ à la retraite ? De fait, la pyramide des âges est sans appel, le déséquilibre est structurel, large et persistant. Or, puisque le levier de la taxation du travail a déjà atteint ses limites économiques et politiques, et à défaut de gains de productivité, il ne reste que la réduction des dépenses et l’augmentation de la durée de cotisation. L’usage de ces deux leviers est nécessaire, chose que nos voisins ont comprise depuis bien longtemps.

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