La biodiversité, arme d’obstruction massive ?
Connaissez-vous l’outarde, cet oiseau péteur, mascotte des anti-bassines ?
Depuis que la justice a suspendu plusieurs projets — dont celui de Sainte-Soline — pour sa protection, elle est devenue la star des activistes… et le symbole d’une stratégie de blocage bien rodée.
« Victoire, merci l’outarde ! » s’écrie même Vakita, fanzine écolo porté par Hugo Clément. Merci l’outarde, et non pour l’outarde : car en réalité, elle est un instrument, pas une finalité.
Et ce volatile étrange n’est pas seul à être envoyé au front dans la guérilla juridique contre des projets d’infrastructures ou de développement industriel…

Drôles de petites bêtes
Le vison d’Europe a longtemps mené aux points face à l’usine de Flying Whales, malgré son projet innovant de transport cargo décarboné par dirigeable, et s’attaque maintenant à la LGV du Sud-Ouest. Le crapaud de Fessenheim compromet la création d’une zone d’activité destinée à relancer l’économie locale après la fermeture de la centrale. Le Grand Hamster d’Alsace a obtenu d’importantes contreparties à l’autorisation du contournement ouest de Strasbourg. Le timide escargot de Quimper, à lui tout seul, a mis en échec un projet de déchetterie et une extension de ligne de tramway.
Une redoutable patrouille d’aigles bottés s’attaque au projet d’usine toulousaine d’avions électriques du constructeur Aura Aéro. Et tout industriel s’engageant imprudemment dans un projet de construction d’usine redoute qu’une grenouille facétieuse vienne pondre dans les flaques d’eau de son chantier, entraînant l’interruption des travaux pour toute la saison de reproduction.

Un piège juridique et politique
It’s not a bug, it’s a feature : tous ces cas révèlent la puissance d’un arsenal juridique que le législateur, sans bien en mesurer les conséquences, a bâti pour sanctuariser la nature. Les études d’impact environnemental et social, obligatoires en Europe pour tout projet d’envergure, imposent de scruter chaque recoin des écosystèmes affectés. Les diagnostics de biodiversité peuvent durer jusqu’à deux ans, pour suivre les cycles saisonniers. C’est lors de l’un d’eux qu’a été détectée, via son ADN, la présence du fameux crapaud de Fessenheim sur la zone d’EcoRhona. Une espèce protégée ? Le couperet tombe. La directive « Habitats » (92/43/CEE) et la loi française sur la biodiversité (2016) imposent des mesures d’évitement, de réduction ou, en dernier recours, de compensation, souvent assorties d’un facteur multiplicatif.
Les instances environnementales, telles que l’Autorité environnementale ou le Conseil National de Protection de la Nature, sont largement composées de professionnels de la biodiversité, souvent très investis dans la défense de leurs sujets d’étude. On imagine mal le président de la commission « espèces et communautés biologiques » du CNPN — ornithologue et spécialiste de la restauration des milieux naturels — donner un avis favorable à un projet d’autoroute. Bien que consultatifs, les avis de ces instances, une fois négatifs, deviennent difficiles et politiquement coûteux à ignorer. Et pour boucler la boucle, ces avis s’appuient fréquemment sur des Plans Nationaux d’Action maximalistes. Celui de notre amie l’outarde, par exemple, compte pas moins de 124 pages, rédigées par la LPO.
Les possibilités de recours sont multiples, faisant peser un risque juridique permanent sur les projets. Les tribunaux administratifs, saisis en rafale, tranchent de plus en plus souvent en faveur des espèces menacées. Une seule manche remportée galvanise les opposants et leur permet de revendiquer la victoire totale. La décision récente du tribunal administratif de Toulouse, ordonnant l’arrêt du chantier de l’autoroute A69 au motif de l’absence de « raison impérative d’intérêt public majeur », résonne comme un coup de tonnerre. Elle ouvre une ère d’insécurité juridique aiguë — et dissuadera sans doute nombre d’investisseurs, notamment étrangers.
Le « vivant », nouveau mantra militant
Ajoutez à cela les enquêtes publiques, où des militants très motivés se font entendre, parfois par l’intimidation, le mensonge ou l’action violente. Ils ont compris que le climat, trop lointain et global, mobilise de moins en moins ; alors que le castor ou la chauve-souris, eux, sont locaux, concrets, et parlent à tout le monde. Comme le dit Olivier Hamant : « Le climat est le pire levier, il faut commencer par la biodiversité ».
C’est ainsi que les deux auteurs de Rendre l’eau à la terre décrivent sans ciller, à propos du castor, un « rongeur, dont la puissance créatrice a été effacée de nos mémoires par des siècles d’extermination ». Et ce alors même que les politiques françaises de conservation sont un succès : la population du castor d’Europe est en expansion, et plus de 18 000 km de cours d’eau sont aujourd’hui concernés par sa présence.
C’est ainsi qu’Étienne, ornithologue, confie benoîtement à Reporterre : « Aux yeux de la loi, une outarde vaut beaucoup plus que mille alouettes. Une seule outarde repérée sur le terrain peut justifier qu’on attaque en justice et même permettre de gagner contre un projet de bassine. »
C’est ainsi que des citadins-militants creusent des « mares » dans une forêt dans l’espoir que des tritons s’y installent.

C’est ainsi que de gentils « écureuils » grimpent dans les arbres pour les « protéger », en espérant qu’un allié providentiel vienne y nicher, rendant tout abattage impossible pour plusieurs mois.

Une impasse écologique
Derrière la façade des gentils défenseurs du « vivant » se cache souvent un agenda anticapitaliste et décroissant. Ces activistes ne veulent pas seulement préserver une espèce : ils veulent renverser un modèle. Leur succès symboliserait une reprise de pouvoir de la biodiversité sur un développement jugé arrogant… Mais à quel prix ?
Bloquer des projets au nom d’un oiseau ou d’un rongeur peut certes donner l’illusion de sauver des espèces, mais freine aussi des solutions face à une crise plus vaste. Cela entrave nos libertés, favorise le déclin démographique, freine l’activité économique — et nous prive des moyens de mener des politiques de conservation ambitieuses. Cela alimente aussi le ressentiment d’une partie de la population, qui se sent abandonnée et méprisée.
En voulant tout préserver, on risque de ne rien construire. La transition écologique, qui exige innovation et infrastructures, se retrouve piégée par ses propres principes. La sanctuarisation d’une nature fantasmée est une impasse.
Il est temps de revenir aux fondamentaux du développement durable : un développement humain en harmonie avec son environnement, sans sacrifier le Mazamétain au moineau soulcie.

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