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L’effet Laffer : taxer plus pour gagner moins

6 octobre 2025 à 04:42

En Norvège, la taxe façon Zucman vire au fiasco. Au Royaume-Uni, la chasse aux riches déclenche un exode massif. Pourtant, la classe politique française s’obstine à croire qu’augmenter l’impôt sauvera les finances publiques. Dans un pays déjà asphyxié par les prélèvements, taxer plus, c’est récolter moins — et hypothéquer l’avenir.

1974, dans un restaurant de Washington. L’économiste Arthur Laffer griffonne une courbe sur une serviette en papier pour convaincre deux conseillers du président Gerald Ford d’une idée simple : taxer à 0 % rapporte 0, taxer à 100 % rapporte 0. Entre les deux existe une nuance efficace pour l’État. Franchissez-la, et chaque micron d’impôt supplémentaire détruit plus de richesse qu’il n’en collecte.

Cinquante et un ans après ce repas, cette idée n’a jamais été aussi centrale, tandis qu’en France, de la taxe Zucman à celle sur le patrimoine financier, l’offensive politico-médiatique pousse à instaurer des prélèvements toujours plus lourds sur les plus fortunés qui n’ont pas encore quitté le pays.

Des expériences récentes doivent pourtant nous alerter. Elles se sont toutes avérées désastreuses.

La faillite du “Zucman norvégien”

En 2022, la Norvège a décidé de taxer davantage les patrimoines les plus élevés en durcissant son impôt sur la fortune (formuesskatt) et en alourdissant la taxation des dividendes. Le taux marginal de l’impôt sur la fortune est ainsi passé à 1,1 % pour les patrimoines dépassant 20 millions de couronnes (environ 1,7 million d’euros), avec une particularité redoutable : cet impôt s’applique sur la valeur de marché des actifs, imposant ainsi les plus-values latentes — c’est-à-dire avant même leur réalisation.

Pire encore, voilà un piège fiscal redoutable : l’État norvégien taxe désormais 75 % de la valeur des entreprises (contre 55 % avant), même si cette valeur n’existe que sur le papier. Et pour payer cet impôt sur des gains non réalisés, les propriétaires doivent verser des dividendes… eux-mêmes taxés à 37,84 %. Un cercle vicieux où l’impôt s’auto-alimente. Le gouvernement de centre gauche tablait sur un gain annuel de 1,5 milliard de couronnes norvégiennes (environ 128 millions d’euros).

En réaction, plus de 30 milliardaires et multimillionnaires ont quitté le pays en 2022 — plus que durant les treize années précédentes réunies. La Suisse, avec son impôt sur la fortune plafonné à 0,3 % dans certains cantons et l’absence d’imposition des plus-values mobilières privées, est devenue la terre promise de cet exode fiscal. Un cas illustre l’ampleur des dégâts : le départ de l’industriel Kjell Inge Røkke représenterait à lui seul une perte annuelle de 175 millions de couronnes pour le fisc norvégien (environ 15 millions d’euros).

Au total, entre septembre 2022 et avril 2023, 315 foyers norvégiens fortunés, dont 80 classés comme « très riches », se sont installés en Suisse, emportant avec eux leur contribution globale aux finances publiques : impôt sur le revenu, cotisations sociales, TVA sur leur consommation, etc.

Une analyse du média Citizen X a estimé la perte nette de revenus fiscaux à environ 381 millions d’euros, soit trois fois le gain initialement projeté pour les hausses d’impôt. La prévision gouvernementale reposait sur une analyse statique, supposant que la base imposable resterait inchangée.

Au-delà des recettes fiscales perdues, c’est toute l’économie productive qui souffre. En imposant chaque année la valeur latente des actions d’entreprise, le système contraint les entrepreneurs à puiser dans les réserves ou la trésorerie de leur société pour régler l’impôt, au détriment de l’investissement ou de l’emploi. Cette décapitalisation récurrente ampute leur capacité à investir, innover ou embaucher — en plus d’être vexante.

Une étude du National Bureau of Economic Research (NBER), menée sur des données scandinaves, en quantifie l’impact : dans les années suivant le départ d’un propriétaire pour raisons fiscales, l’emploi dans son entreprise chute de 33 %, la valeur ajoutée de 34 % et les investissements de 22 %.

Bien loin de nuire aux seuls riches qu’ils visent, les nouveaux impôts norvégiens touchent l’ensemble de la population par un affaiblissement des ressources de l’État et une dégradation de l’économie.

« Wexit » britannique : quand la chasse aux riches tourne au fiasco

En avril 2025, le Royaume-Uni a mis fin à l’un des plus anciens privilèges fiscaux au monde : le statut « non-dom ». Vieux de 225 ans, ce régime permettait aux résidents britanniques dont le domicile permanent était à l’étranger de ne payer l’impôt que sur leurs revenus au Royaume-Uni, laissant leur fortune offshore intouchée. Environ 69 000 personnes en bénéficiaient, versant 12,4 milliards de livres au fisc de Sa Gracieuse Majesté en 2022.

Le nouveau système, baptisé Foreign Income and Gains (FIG), n’offre plus qu’une exemption de quatre ans aux nouveaux arrivants, contre un régime quasi permanent auparavant. Surtout, il introduit une « queue fiscale » redoutable : quiconque a vécu dix ans au Royaume-Uni voit ses actifs mondiaux soumis aux droits de succession britanniques (40 %) pendant trois à dix ans après son départ. Le gouvernement travailliste projetait 33,8 milliards de livres de recettes sur cinq ans.

L’hémorragie a commencé avant même l’entrée en vigueur de la loi. Dès l’annonce de la réforme en mars 2024, la fuite massive a démarré : 10 800 millionnaires ont quitté le pays dans l’année, soit une hausse de 157 % par rapport à 2023. Pour 2025, où le texte sera effectivement appliqué, les projections anticipent 16 500 départs supplémentaires, ce qui ferait du Royaume-Uni le champion mondial de l’exode des fortunes.

Le pari budgétaire pourrait même virer au cauchemar. Des analyses indépendantes du Centre for Economics and Business Research (CEBR) ont identifié un seuil critique : si plus de 25 % des non-doms partent, le gain fiscal se transformera en perte nette. À 33 %, le trou atteindrait 700 millions de livres la première année et 3,5 milliards sur la législature. Or, 60 % des conseillers fiscaux prévoient que plus de 40 % de leurs clients non-doms partiront dans les deux ans — bien au-delà du seuil fatal.

L’impact économique observé dès 2024 dépasse largement les seules recettes fiscales. Le marché immobilier de luxe londonien s’est effondré : aucune transaction supérieure à 100 millions de livres en 2024 ; 70 % des vendeurs de propriétés haut de gamme sont des non-doms en partance vers Miami, Dubaï ou Monaco. Le secteur du commerce de détail a perdu 169 000 emplois en 2024, le pire résultat depuis la pandémie. Les services financiers ont vu leurs offres d’emploi chuter de 28 %.

Ce fiasco britannique rappelle le cas norvégien : la taxation des plus riches finit souvent par appauvrir bien au-delà de sa cible initiale et aggrave les déficits de l’État.

La taxe yachts française : entre 200 et 500 euros perdus pour chaque euro taxé

En 2018, la France a instauré une surtaxe sur les grands yachts de plus de 30 mètres, censée rapporter 10 millions d’euros par an. L’objectif affiché ? Compenser symboliquement la suppression de l’ISF et faire contribuer les « signes extérieurs de richesse » jugés « improductifs ».

En sept ans, le total des recettes atteint péniblement 682 000 euros, soit moins de 1 % des 70 millions espérés. En 2025, seuls cinq navires sont taxés, contre une cinquantaine attendue. Les coûts de gestion de la taxe excèdent vraisemblablement déjà les maigres recettes perçues.

Mais le véritable gouffre se situe ailleurs. On peut estimer les pertes fiscales indirectes dues à la fuite des yachts (TVA sur l’avitaillement, charges sociales des équipages, taxes sur le carburant, impôts sur les sociétés de services) à un montant annuel compris entre 20 et 50 millions d’euros, sur la base des baisses d’activité constatées dans les principaux ports azuréens. Ainsi, pour chaque euro collecté par la taxe, l’État en perd entre 200 et 500 en recettes indirectes chaque année. Bien joué.

Outre les recettes fiscales, le désastre est également économique. Face à cette taxation de 30 000 à 200 000 euros annuels, les propriétaires ont massivement changé de pavillon vers la Belgique, les Pays-Bas ou le Panama.

Le résultat est terrible pour la Côte d’Azur. Le Port Vauban d’Antibes, le plus grand d’Europe dédié au yachting, a vu son activité chuter de 33 % et ses ventes de carburant de 50 %. Le « Quai des Milliardaires » s’est vidé par anticipation dès l’été 2017. À Saint-Tropez et Toulon, les pertes de chiffre d’affaires en escale ont atteint 30 à 40 %.

L’onde de choc a fini par toucher tout l’écosystème productif : commerces de luxe, avitailleurs, équipages, etc. Le secteur du yachting génère 1 à 2,1 milliards d’euros de retombées annuelles en région PACA et soutient 10 000 emplois directs.

La France possède le deuxième espace maritime mondial, est leader sur les voiliers, et 36 % de la flotte mondiale de yachts fréquente la Méditerranée. Pourtant, en 2025, le Port Vauban n’accueille aucun yacht sous pavillon français, et la surtaxe sur les yachts n’a ni disparu, ni même fait l’objet d’une évaluation rigoureuse par le législateur.

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Des taxes qui coûtent cher à l’État et à toute la société

L’histoire fiscale moderne regorge d’exemples frappants de taxes conçues pour punir les riches, mais qui finissent par nuire aux finances publiques et à l’ensemble de l’économie.

En France, la « mise au barème » des revenus du capital par François Hollande en 2013 était censée rapporter 400 millions d’euros. D’après une note de l’Institut des politiques publiques, elle a entraîné une perte fiscale de 500 millions d’euros, en provoquant un effondrement des dividendes de 14 milliards d’euros.

Aux États-Unis, la proposition de taxe Warren de 2019 — 2 % au-dessus de 50 millions de dollars, 6 % au-dessus d’un milliard — a été évaluée par l’Université de Pennsylvanie. Verdict : même en utilisant les recettes pour exclusivement réduire le déficit, l’effet sur 30 ans était estimé à –0,9 % de PIB et –0,8 % de salaires.

L’économiste Gabriel Zucman lui-même a publié une étude sur l’impôt sur la fortune danois des années 1980. Elle montre que pour chaque couronne prélevée, les contribuables réduisaient leur patrimoine de cinq couronnes supplémentaires en modifiant leurs comportements d’épargne et d’investissement. Il s’agissait donc d’un outil redoutablement efficace pour détruire la richesse, pas pour combler les déficits de l’État. Le Danemark l’a d’ailleurs abrogé en 1997.

Quid de la « taxe Zucman » elle-même ? L’économiste Antoine Levy a décortiqué la note du Conseil d’analyse économique (CAE) — que Zucman cite lui-même comme référence — et révèle que cette taxe, loin de rapporter 20 milliards comme annoncé, impliquerait une perte nette pour l’État. La note du CAE montre que l’exil fiscal ne représente que 27 % des recettes perdues ; la réponse comportementale totale (réduction des dividendes, ventes d’actifs, restructurations patrimoniales, etc.) ferait grimper les pertes fiscales à près de 30 milliards d’euros.

Les prévisions optimistes des législateurs reposent sur une erreur fatale : croire que les contribuables resteront immobiles face aux prédations fiscales. Dans les faits, ils fuient, réduisent leur production ou leurs investissements, ou encore déploient des stratégies d’évitement. Les politiques fiscales ont un pouvoir immense sur ce que chacun fait de sa vie. Avec des taxes excessives, l’État perd plus d’argent qu’il n’en gagne, tout en appauvrissant tout le monde au passage.

Quand baisser les impôts remplit les caisses de l’État

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Le 23 septembre dernier, l’économiste Thomas Piketty a livré une réponse glaçante aux critiques de la « taxe Zucman ». Face aux objections sur le risque d’exil fiscal, il rétorque sans trembler : « Vos actifs sont gelés, vous pouvez être arrêtés à l’aéroport. »

Au-delà de son inefficacité évidente — les contribuables trouveront mille autres façons d’adapter leurs comportements —, cette proposition est extrêmement dangereuse. Quel type de régime interdit à ses ressortissants de quitter le territoire national ? On ne le sait que trop bien. Que reste-t-il de la liberté inscrite dans notre devise quand des agents de l’État contrôlent les départs sur des critères patrimoniaux ? Rien. Les velléités autoritaires d’économistes tels que M. Piketty doivent être dénoncées sans ambiguïté, car l’histoire a déjà montré jusqu’à quelles atrocités mènent de telles illusions.

À moins que la destruction de l’assiette fiscale soit voulue ? Gabriel Zucman lui-même l’assume avec une franchise déconcertante dans son ouvrage Le Triomphe de l’injustice : « Dans ce chapitre, nous allons expliquer pourquoi des gouvernements démocratiques peuvent raisonnablement choisir d’appliquer aux riches des taux supérieurs à ceux qui maximisent les recettes fiscales — c’est-à-dire pourquoi détruire une partie de l’assiette fiscale peut être dans l’intérêt de la collectivité. » (nous soulignons)

Est-il vraiment dans l’intérêt de la collectivité d’aggraver les déficits qui nourrissent la dette léguée aux jeunes, de réduire les financements de l’école, de la santé et de la transition énergétique ? A-t-on bien réfléchi à l’intérêt de la société quand on promeut des mesures qui violent le droit de propriété inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout en appauvrissant le pays ?

Les expériences récentes convergent toutes vers une même conclusion : La satisfaction tirée de la volonté de « faire mal aux riches » ne saurait justifier de nuire gravement à l’avenir du pays.

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Nucléariser le monde !

29 septembre 2025 à 04:36

En finir avec la grande pauvreté ? Réduire d’un tiers nos émissions de CO2 ? Le tout pour seulement 0,5 % de notre PIB ? C’est possible, en nucléarisant la planète. Plongée dans le « Projet Messmer 2.0 ».

Voici une vérité qui dérange : la pauvreté n’est pas un problème parmi d’autres. C’est le problème fondamental de l’humanité, celui qui condamne des milliards d’êtres humains à une existence précaire, marquée par la maladie, l’ignorance et la mort prématurée. Et au cœur de cette pauvreté se trouve un dénominateur commun, simple et implacable : l’absence d’accès à une énergie abordable et fiable.

Près de 3,7 milliards de personnes — environ 47% de la population mondiale — vivent dans ce qu’on peut appeler le « monde débranché », où la consommation électrique annuelle par habitant est inférieure à 1 200 kWh. Un précédent papier mettait déjà en valeur cette comparaison frappante : c’est à peine plus que la consommation annuelle d’un réfrigérateur américain standard. Pendant qu’un Français moyen consomme 7 000 kWh par an et un Américain plus de 12 000, des pays comme le Pakistan, l’Indonésie et l’Inde — qui abritent ensemble 1,9 milliard de personnes — restent dramatiquement sous-électrifiés.

Cette pauvreté énergétique n’est pas qu’une statistique abstraite. Elle se traduit par des drames humains quotidiens d’une effrayante ampleur. Selon l’Institute for Health Metrics and Evaluation, plus de 3 millions de personnes meurent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air intérieur liée à l’utilisation de combustibles solides pour cuisiner. Plus de 50% des décès d’enfants de moins de 5 ans sont dus à des pneumonies causées par l’inhalation de particules fines provenant de la pollution domestique.

Environ 40% de la population mondiale dépend encore principalement de la combustion de biomasse — bois, bouses séchées, résidus agricoles — pour leurs besoins énergétiques. Cette réalité condamne des milliards de personnes, principalement des femmes et des enfants, à passer des heures chaque jour à chercher du combustible, à le transporter sur des kilomètres, puis à respirer sa fumée toxique. Ces heures perdues sont autant d’heures volées à l’éducation, au travail productif, au développement personnel. C’est un révoltant gâchis humain.

Le double impératif : climat ET prospérité

La corrélation entre consommation énergétique et développement humain n’est pas une simple coïncidence statistique — c’est une loi de fer du progrès humain. Une règle empirique approximative pour les économies en développement est que chaque kWh par habitant consommé vaut environ 5 dollars de PIB par personne. Ce lien s’observe dans tous les indicateurs de bien-être : espérance de vie, mortalité infantile, éducation, accès à l’eau potable.

Voici la réalité brutale que certains refusent d’admettre. Nous ne résoudrons pas le réchauffement climatique en condamnant des milliards d’êtres humains à rester dans la pauvreté. Ce serait moralement intolérable et, de toute façon, politiquement impossible. La transition énergétique à l’échelle mondiale doit s’accompagner d’une élévation généralisée du niveau de vie, donc d’une augmentation massive de la production d’énergie mondiale. Le nécessaire et urgent combat pour limiter le réchauffement climatique ne doit pas nous faire oublier que le pire ennemi de l’humanité est la pauvreté elle-même.

En 2023, la production mondiale d’électricité a atteint un niveau record de 29 471 TWh. Malgré les progrès significatifs, le mix électrique reste dominé par les combustibles fossiles carbonés qui représentent encore 61% du total Le charbon constitue la plus grande source unique avec 35% (10 434 TWh), suivi du gaz naturel à 23% (6 634 TWh). Les sources d’énergie propre ne représentent que 39% du total : l’hydroélectricité fournit 14% (4 210 TWh), le nucléaire 9,1% (2 686 TWh), et l’éolien et le solaire combinés 13,4% (3 935 TWh). 

Face au défi climatique, tous les investissements ne se valent pas. Il est indispensable d’agir de manière rationnelle et d’investir dans des programmes ayant le coût par tonne de CO₂ évitée le plus faible possible. C’est précisément l’ambition de cette analyse.

Répondre à la demande et éradiquer la pauvreté énergétique d’ici 2050

Pour 2050, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) projette dans son scénario des Engagements Annoncés (APS) que la demande électrique mondiale augmentera de 120% par rapport à 2023, atteignant environ 65 000 TWh. Cette croissance est portée par l’électrification des transports, du chauffage, et par de nouvelles industries comme les centres de données et l’IA.

Pour éradiquer la pauvreté énergétique dans le monde, il est nécessaire de s’assurer qu’aucun pays ne reste sous le seuil de 1 500 kWh par personne et par an. Y conduire en 2050 les 666 millions de personnes encore sous ce seuil nécessiterait environ 2 000 TWh supplémentaires de production électrique annuelle.

La demande totale projetée pour un monde prospère et équitable en 2050 est donc de 67 000 TWh (65 000 + 2 000). Appliquons maintenant le modèle français de mix électrique bas-carbone avec une cible de 70% de nucléaire. Il faudrait alors produire 46 900 TWh d’électricité nucléaire par an — plus de 17 fois la production nucléaire mondiale actuelle (2 686 TWh).

Avec un facteur de capacité de 90%, tel qu’on l’observe aujourd’hui dans les meilleurs parcs nucléaires comme celui des États-Unis, cela se traduit par un besoin d’environ 5 950 GW de capacité nucléaire installée. En termes concrets ? Ce serait l’équivalent d’environ 5 000 nouveaux grands réacteurs nucléaires d’ici 2050.

Quel serait le coût de cet immense programme nucléaire à l’échelle mondiale ? En tirant les leçons des meilleurs exemples du passé que sont la Corée du Sud et le plan Messmer français (1974-1986), le nucléaire peut atteindre un coût de 2 000 $/kW. Pour construire les 5 950 GW de capacité nucléaire nécessaires d’ici 2050 la facture s’élèverait alors à 11 900 milliards de dollars.Ce chiffre peut sembler vertigineux, mettons-le donc en perspective. Répartis sur 2 décennies (2030–2050), les 11 900 milliards de dollars représentent en moyenne environ 600 milliards par an, soit moins de 0,5 % du PIB annuel mondial attendu sur cette période, alors même que celui-ci devrait plus que doubler pour dépasser 200 000 milliards de dollars en 2050. C’est un effort du même ordre de grandeur que les flux d’investissements déjà engagés dans les énergies renouvelables chaque année. Loin d’être un fardeau insoutenable, un tel programme constituerait un investissement clé pour garantir une électricité à la fois abondante et propre, ainsi que la fin de la pauvreté énergétique dans le monde.

Le nucléaire est-il trop long à construire ou trop cher ?

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Chute des émissions de CO₂  mondiales à coût record

L’impact climatique d’un tel projet Messmer 2.0 serait titanesque. Nos calculs révèlent que ce programme électronucléaire massif éviterait :

  • 20,4 gigatonnes (Gt) de CO₂ par an comparé à un scénario 2050 maintenant le mix électrique actuel avec 60% de sources fossiles — soit l’équivalent de 35,7% des émissions mondiales totales actuelles de gaz à effet de serre
  • 12,8 Gt de CO₂ par an comparé à un investissement équivalent de 11 900 milliards de dollars dans les énergies renouvelables — et ce malgré les baisses spectaculaires des coûts de ces technologies sur les 3 dernières décennies

Il est possible que ces chiffres soient sous-estimés. La projection de 67 000 TWh pour 2050 intègre en effet l’électrification massive des transports et le déploiement généralisé de pompes à chaleur réversibles pour la régulation thermique des bâtiments. L’impact réel sur les émissions de CO₂ totales serait donc encore supérieur de ce point de vue là.

Sur la base d’une durée de vie opérationnelle conservatrice de 60 ans (certaines centrales nucléaires américaines ayant déjà obtenu l’autorisation d’opérer 80 ans), le coût d’abattement atteint :

  • 9,7 $/tonne de CO₂ évitée comparé au scénario fossile (60%)
  • 15,5 $/tonne de CO₂ évitée comparé au scénario renouvelable équivalent

Même en doublant ou triplant ces estimations pour tenir compte d’éventuels biais optimistes, le programme nucléaire demeurerait exceptionnellement efficace.

Des milliers de centrales nucléaires flottantes pour un avenir radieux

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Mettons ces chiffres en perspective : les sources universitaires et industrielles estiment que le coût effectif de l’Energiewende allemande a atteint 90-100 €/tCO₂ pour l’éolien et plus de 500 €/tCO₂ pour le PV solaire. Les programmes allemands de rénovation de bâtiments aux normes d’efficacité les plus élevées peuvent atteindre un coût d’abattement de plus de 900 €/tCO₂.

Cette révolution nucléaire n’exclut pas des investissements dans d’autres énergies prometteuses. Pour compléter les 70% de nucléaire dans notre vision 2050, misons sur les énergies propres avec les meilleurs coûts d’abattement. Privilégions en particulier le solaire photovoltaïque dont les prix sont en chute libre, ou encore la géothermie dont les progrès pourraient nous permettre de tirer de l’énergie en grande quantité toujours plus loin sous terre. L’objectif ? Fermer autant que possible le robinet des énergies fossiles.

En fin de compte, face à nous se dresse un triple défi d’une urgence absolue pour les décennies à venir : limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, alimenter la croissance des économies modernes qui consomment toujours plus d’électricité, et arracher enfin des milliards d’êtres humains au piège mortel de la pauvreté énergétique. Ces 3 impératifs ne sont pas négociables — ils doivent être réalisés simultanément. Un monde qui combat le climat en condamnant les pauvres à leur misère échouera sur les 2 fronts. Un monde qui priorise la croissance économique sans décarboner massivement condamne ses propres fondations.

L’expansion nucléaire massive que nous proposons est la stratégie qui semble la plus efficace pour relever ce triple défi. Elle seule peut décarboner à la vitesse et l’échelle requises tout en fournissant l’énergie abondante et fiable qu’exigent à la fois les économies avancées et les milliards d’humains qui aspirent légitimement à un niveau de vie décent. Ce qui fait défaut, c’est la volonté de traiter cette crise avec l’urgence et l’ambition qu’elle mérite, et en s’inspirant des succès du passé. Chaque jour d’inaction est un jour de plus où des millions meurent dans la fumée intérieure ou la pollution extérieure, où le climat se réchauffe, où des économies entières stagnent faute d’énergie abondante.

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Plus jamais perdus ?

10 septembre 2025 à 04:56

“Pas de réseau” – cette angoisse de la zone blanche va-t-elle bientôt disparaître ?
Car la panne ou l’urgence surgit toujours quand les barres de connexion s’éteignent. La liaison directe entre nos smartphones et les constellations de satellites, dont Starlink est le précurseur, est sur le point d’y mettre fin.

C’est une acquisition qui annonce des bouleversements majeurs. Avec le rachat du portefeuille spectral d’EchoStar pour 17 milliards de dollars, SpaceX acquiert une large bande de fréquences aux États-Unis (50 MHz de spectre S-band) ainsi que des autorisations d’exploitation pour fournir des services mobiles par satellite dans le monde entier (licences globales MSS). Une étape décisive vers l’objectif d’une élimination complète des zones blanches dans le monde, c’est-à-dire des zones sans aucun réseau téléphonique mobile.

Une connectivité téléphonique 5G sur l’ensemble du territoire américain

Si les licences MSS permettront d’offrir des services téléphoniques basiques (SMS, appels, données limitées) à l’échelle planétaire, c’est le spectre S-band américain qui constitue la base de la véritable prouesse technique à venir.

Une nouvelle génération de satellites, optimisée pour exploiter ce spectre exclusif, promet en effet une multiplication par 100 de la capacité du système de connectivité directe des téléphones portables aux satellites Starlink aux États-Unis. Concrètement, cela signifie une connectivité équivalente à la 5G des réseaux terrestres actuels. Imaginez : de la vidéoconférence fluide depuis les parcs nationaux, ou encore du streaming haute définition en plein désert du Nevada, directement depuis votre smartphone.

L’enjeu crucial de l’adoption par les géants du mobile

Cette révolution nécessitera toutefois une adaptation : les bandes de fréquences S-band acquises (AWS-4 et PCS-H) ne sont actuellement acceptées par aucun téléphone existant. Apple, Samsung et les autres constructeurs devront intégrer ces nouvelles fréquences dans leurs futurs appareils.

Le géant de Cupertino, déjà engagé avec Globalstar pour sa propre solution satellitaire, se trouve maintenant dans une position délicate : continuer son partenariat actuel ou céder aux pressions d’Elon Musk, qui n’hésite pas à brandir la menace d’un « téléphone Starlink » propriétaire.

Les implications de cette technologie dépassent le simple confort. Lors de récentes catastrophes naturelles aux États-Unis, 1,5 million de personnes ont pu communiquer via Starlink Direct to Cell quand les réseaux cellulaires terrestres étaient détruits. En Nouvelle-Zélande, une automobiliste a pu alerter les secours via satellite après un accident, permettant aux secours d’arriver en quelques minutes alors qu’elle se trouvait en zone blanche.

Les risques d’un monopole spatial

Cette nouvelle acquisition révèle la stratégie agressive de SpaceX et Starlink : dominer par des investissements massifs sans préoccupation de rentabilité à court terme. La concurrence du projet Kuiper d’Amazon demeure essentielle pour préserver un écosystème sain. Si la promesse d’une connectivité universelle est enthousiasmante, elle ne doit pas faire oublier l’importance d’un paysage concurrentiel équilibré dans ce secteur télécom stratégique de demain.

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