Le Royaume-Uni développe un programme de prédiction des meurtres
Minority Report

Le ministère de la Justice britannique développe, sans en avoir parlé, un projet de prédiction des meurtres utilisant des données personnelles. L’information a été révélée via des demandes de documents en vertu de la liberté d’information. Le programme serait pour l’instant un projet de recherche.
S’appuyant sur plusieurs documents officiels, l’association StateWatch a révélé le 31 mars dernier un « Projet de prédiction des homicides ». Mis en place par le gouvernement britannique, il utilise les données de certaines polices du pays et du ministère de la Justice pour « prédire » quelle personne a « des risques » de commettre un meurtre.
StateWatch a pu connaître et confirmer l’existence de ce projet en faisant plusieurs requêtes au nom du Freedom of Information Act, la loi britannique qui permet d’accéder à des informations et des documents détenus par l’administration.
« Explorer le pouvoir prédictif des ensembles de données »
Dans l’un de ces documents, au format Excel (xlsx), ce programme est décrit comme « un projet pilote de sciences des données visant à :
- examiner les caractéristiques des délinquants qui augmentent le risque de commettre un homicide
- explorer des techniques alternatives et innovantes de science des données pour la prédiction du risque d’homicide,
- explorer le pouvoir prédictif des ensembles de données Oasys, Delius et Nomis (ensembles de données du ministère de la Justice disponibles sur la plateforme analytique) en ce qui concerne le risque d’homicide,
- explorer le pouvoir prédictif supplémentaire de l’ensemble de données national PNC (ensemble de données du ministère de la Justice hébergé sur un terminal AirGap sécurisé et séparé du système analytique) en ce qui concerne le risque d’homicide,
- explorer le pouvoir prédictif supplémentaire des données de la police locale (Greater Manchester) par rapport au risque d’homicide,
- fournir des preuves pour améliorer la prédiction des crimes graves et, en fin de compte, contribuer à la protection du public grâce à une meilleure analyse ».
Selon le Guardian, le projet a changé de nom en cours de route et est passé de « projet de prédiction des homicides » à « partage des données pour améliorer l’évaluation des risques ».
Des données qui concernent de 100 000 à 500 000 personnes
StateWatch explique que l’accord de partage des données entre le ministère de la Justice britannique et la police locale de Greater Manchester « indique que des données concernant entre 100 000 et 500 000 personnes ont été partagées par les forces de police pour développer l’outil ».
L’association ajoute que les données de cette police locale utilisées « comprennent des informations sur des centaines de milliers de suspects, de victimes, de témoins, de personnes disparues et de personnes pour lesquelles il existe des préoccupations en matière de protection ». Celles-ci incluraient des « marqueurs de santé […] censés avoir un pouvoir prédictif important » et notamment « des données sur la santé mentale,la toxicomanie, l’automutilation, le suicide, la vulnérabilité et le handicap », selon StateWatch.
Interrogées par le Guardian, les autorités responsables nient fermement et insistent sur le fait que seules les données de personnes ayant fait l’objet d’au moins une condamnation pénale ont été utilisées.
Confirmation de l’existence du projet par les autorités
Les autorités confirment donc l’existence du projet, en insistant sur la dimension de recherche. Néanmoins, selon le ministère de la Justice britannique cité par le Guardian, le projet doit bien « examiner les caractéristiques des délinquants qui augmentent le risque de commettre un homicide » et « explorer des techniques alternatives et innovantes de science des données pour l’évaluation du risque d’homicide ». Il ajoute qu’il doit « fournir des éléments permettant d’améliorer l’évaluation des risques de criminalité grave et contribuer en fin de compte à la protection du public grâce à une meilleure analyse ».
« La tentative du ministère de la Justice de mettre en place ce système de prédiction des meurtres est le dernier exemple effrayant et dystopique de l’intention du gouvernement de mettre au point des systèmes de « prédiction » de la criminalité », juge pour sa part Sofia Lyall, chercheuse au sein de StateWatch. Elle ajoute que « ce dernier modèle, qui utilise les données de notre police et de notre ministère de l’Intérieur institutionnellement racistes, renforcera et amplifiera la discrimination structurelle qui sous-tend le système juridique pénal. Comme d’autres systèmes de ce type, il codera les préjugés à l’égard des communautés racialisées et à faibles revenus ». L’association demande au ministère britannique d’arrêter immédiatement tout développement de cet outil.