Kafka dans la machine
Un Français sur deux parvient à réaliser ses démarches administratives en ligne sans chercher d’aide, selon un rapport de la Défenseure des droits.
En 2014, la France se classait première au classement des pays disposant des meilleurs services publics en ligne. Onze ans plus tard, l’expansion de ce mode de relation entre la population et les services publics se traduit par de vrais casse-têtes, et un accès variable aux droits, alerte la Défenseure des droits.
Le nombre de difficultés signalées par les internautes a même augmenté entre 2016 et 2024, selon un rapport publié ce 13 octobre par l’institution. L’an dernier, près de deux répondants sur trois (61 % des interrogés) témoignaient avoir rencontré des difficultés dans leurs relations aux administrations, contre 39 % en 2016. Surtout, moins d’un sur deux parvient à effectuer ses démarches administratives en ligne sans se faire aider.
Difficultés en augmentation pour tous les publics
Pour mener cette nouvelle édition de son enquête sur l’accès aux droits (la première remonte à 2016), les services de la Défenseure de droits ont réalisé avec des équipes du CNRS 5 030 entretiens, auprès d’un panel représentatif de la population âgée de 18 à 79 ans habitant en France métropolitaine.
Le but : comprendre les difficultés rencontrées lors de la réalisation de démarches administratives, celles rencontrées au moment de résoudre un problème avec une administration ou un service public, et les cas dans lesquels les personnes renoncent à faire valoir un droit.
Constat principal : les échanges avec les services publics sont complexes, notamment lorsqu’ils sont réalisés en ligne, et le problème concerne tous les publics. Cadres, diplômés de master ou plus, personnes de nationalité française depuis la naissance, tous ces profils qui rencontrent habituellement moins de problèmes dans leurs échanges avec l’administration rapportent davantage de difficultés en 2024 qu’en 2016.
Pour autant, 31 % des ouvriers et employés et 33 % des personnes en difficultés financières rencontrent fréquemment des difficultés, ce qui en fait des populations plus exposées aux problèmes de relation avec les services publics que les autres. Pour les échanges spécifiquement réalisés en ligne, 36 % des interrogés cherchent de l’aide, 8 % déclarent avoir besoin d’être accompagnés et 7 % évitent de réaliser des démarches en ligne, par choix.
Ces enjeux de facilité d’usage des démarches numériques se traduisent par une forte corrélation avec la facilité à réaliser des démarches administratives de manière générale.
Tentatives de contournement de l’outil numérique
Pour ce qui est de la gestion de problèmes spécifiques rencontrés avec l’administration, la Défenseure des droits constate que le nombre de difficultés déclarées a baissé, de 54 % en 2016 à 42 % en 2024. Cela dit, en 2024, quatre usagers interrogés sur dix déclarent tout de même avoir rencontré au moins un problème avec un service public.
Parmi ces enjeux sont cités, par ordre de fréquence, la difficulté à contacter quelqu’un pour échanger ou obtenir un rendez-vous ; à obtenir des informations fiables ; la demande répétée de pièces justificatives ; l’absence de réponse ou les réponses tardives. Près de 2 personnes sur 5 citent aussi des problématiques (39 %) d’erreur de traitement.
Face à un ou plusieurs des cas tout juste cités, l’essentiel des répondants (88 %) tente de re-contacter le service public concerné. Dans ces cas-là, les deux tactiques les plus plébiscités consistent à éviter l’outil numérique : 55 % essaient d’appeler et 33 % de se déplacer directement dans les bureaux de l’administration concernée. Les taux de résolution de problème varient selon la méthode employée – le déplacement permet une résolution dans 72 % des cas, quand le courrier le permet dans seulement 56 % des cas. Il varie aussi, entre autres, selon la facilité d’usage des services numériques : 68 % de ceux qui savent y recourir parviennent à résoudre leurs problèmes, contre 58 % de ceux qui ne le savent pas.
Conséquence de ces diverses embûches, près d’une personne sur quatre déclarent avoir déjà renoncé à un droit auquel elle aurait pu prétendre, devant la complexité de la démarche pour l’obtenir. Les personnes qui rencontrent des difficultés ont deux fois plus de chances de renoncer à leur démarche administrative que celles qui n’en rencontrent pas.
La Défenseure des droits souligne l’ambivalence de la dématérialisation des services publics qui, s’ils facilitent certaines interactions, se transforment aussi en obstacle pour celles et ceux qui préfèrent les interactions directes avec l’administration.
Pour leur apporter à de l’aide, la France a lancé en 2021 le dispositif des « conseillers numériques », 4 000 personnes employées partout sur le territoire pour aider celles et ceux qui en ont besoin à réaliser leurs diverses démarches en ligne. Mais le budget 2025 avait déjà conduit à une réduction du nombre de postes, une tendance qui pourrait se poursuivre.