En 1975, produire un watt d’électricité grâce à des panneaux solaires photovoltaïques coûtait 125 $. En 2022, produire un watt d’électricité grâce à des panneaux solaires photovoltaïques ne coûtait plus que 0.25 $. En quasiment cinquante ans, le prix a été divisé par 500.
Une diminution par un facteur de 500 équivaut à une diminution de 99.8 % du prix. Aujourd’hui, produire un watt d’électricité grâce à des panneaux solaires photovoltaïques ne coûte plus que 0.2 % de ce qu’il en coûtait il y a cinquante ans.
La Figure 1 montre que l’essentiel des gains ont eu lieu avant les années 1990, avec un prix divisé par environ 11 entre 1975 (125 $) et 1990 (11.5 $).
Pour autant, le prix a continué à substantiellement diminuer après 1990. La Figure 1 peut donner l’impression d’une stagnation, mais il s’agit d’une impression trompeuse.
Cet article est le second article de ma série dans lequel je vous emmène dans une exploration de données économiques et démographiques de long terme.
Dans le premier article (Décryptage #1a), je m’étais intéressé aux données mondiales.
Parmi les multiples phénomènes mis en évidence dans le Décryptage #1a, j’aimerais m’attarder sur deux phénomènes en particulier.
Le premier phénomène sur lequel je veux m’attarder est l’augmentation continue du PIB par habitant mondial depuis le 19ᵉ siècle.
En utilisant l’estimateur statistique BEAST, représenté sur la Figure 1 par les lignes verticales, j’identifie deux ruptures structurelles : une première rupture dans les années 1950, et une seconde au début des années 2000. Une rupture structurelle correspond à un changement du rythme d’évolution d’un indicateur statistique dans le temps. Dans la Figure 1, ces deux ruptures structurelles correspondent à des accélérations : l’augmentation du PIB par habitant mondial a accéléré dans les années 1950, puis a encore accéléré au début des années 2000.
Le second phénomène sur lequel je veux m’attarder est que la croissance du PIB par habitant mondial n’a pas été uniforme ni dans l’espace, ni dans le temps. Le PIB par habitant diffère, parfois substantiellement, d’une grande région du monde à l’autre, à la fois par son niveau et par son évolution historique.
Toutes les régions du monde ont vu leur PIB par habitant augmenter, mais d’importantes disparités subsistent.
Dans l’article d’aujourd’hui, je vous propose d’explorer l’évolution du PIB par habitant des grandes régions du monde de la Figure 2.
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• Décryptage #1a : données mondiales • Décryptage #1b : les grandes régions du monde • Décryptage #1c : quelques pays, dont la France et les États-Unis • Décryptage #1d : la vie avant l’émergence du capitalisme
Un point méthodologique
Dans la série d’articles, j’utilise l’estimateur BEAST pour détecter les ruptures structurelles. Une rupture structurelle correspond à une accélération ou à un ralentissement de l’évolution d’une série statistique dans le temps. L’article ne porte pas sur BEAST, mais comme j’utilise beaucoup BEAST, il me semble utile de faire un point méthodologique à son sujet.
Vous verrez dans l’article que BEAST n’est pas toujours précis. Il parvient à détecter de nombreuses ruptures structurelles, mais pas toutes. Il a aussi parfois tendance à les détecter, mais avec une imprécision dans l’année. Faut-il en conclure que BEAST ne permet pas de détecter de manière fiable les ruptures structurelles ? Pas nécessairement.
L’imprécision de certaines détections est très vraisemblablement liée aux données que j’utilise. D’une part, elles sont irrégulières : il y a essentiellement une observation tous les cinq ans, la série ne devenant annuelle qu’à partir de 2015. D’autre part, des pas de temps de cinq ans sont fondamentalement imprécis.
Avec des données irrégulières et imprécises, BEAST, comme n’importe quel autre indicateur statistique, fournira des résultats imprécis.
Dans le prochain article de la série (Décryptage #1c), j’utiliserai des données annuelles. Vous verrez que la performance de BEAST s’améliorera significativement.
Si l’estimateur BEAST vous intéresse, j’ai prévu de publier un article technique pour expliquer en quoi il consiste, et comment l’utiliser avec R. Ne manquez pas l’article en vous abonnant à ma newsletter en veillant à bien activer la section « Statistiques et données ».
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Ces précisions méthodologiques faites, je vous propose de commencer par la région du monde qui, la première, a connu une importante croissance de son PIB par habitant : l’Occident.
Je vais me contenter d’explorer les données pour l’Europe de l’Ouest. Les données à ma disposition ne contiennent pas de données régionales pour l’Amérique du Nord. Dans le prochain article (Décryptage #1c), j’explorerai l’évolution du PIB par habitant dans certains pays, dont les États-Unis.
La Figure 3 montre le PIB par habitant en Europe de l’Ouest de 1820 à 2022.
BEAST détecte nettement une rupture structurelle en 1960. À cette période, les données ont un pas de temps de cinq ans. La date de la rupture structurelle détectée par BEAST est imprécise. Pour autant, on voit bien sur le graphique que l’augmentation du PIB par habitant accélère à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Historiquement, cette rupture structurelle coïncide avec la reconstruction d’une Europe dévastée par la guerre.
À l’œil nu, on voit cependant qu’il y a probablement eu des ruptures structurelles plus modestes bien avant la Seconde Guerre mondiale. C’est d’autant plus probable qu’il est solidement établi que la Révolution Industrielle a commencé en Europe lors du 19e siècle. Probablement parce que les données sont trop irrégulières et trop parcellaires, BEAST ne parvient pas à détecter les ruptures structurelles de moindre intensité. Par ailleurs, la forte augmentation post-Seconde Guerre Mondiale « écrase » l’échelle des ordonnées, ce qui rend les ruptures structurelles de moindre ampleur probablement plus difficiles à détecter (mon futur article de la section « Statistiques et données » qui portera spécifiquement sur BEAST permettra de comprendre en quoi). Comme les données du prochain article seront des données annuelles, BEAST parviendra à détecter davantage de ruptures structurelles.
La deuxième vague : le Sud global
Je vous propose maintenant de nous intéresser à l’évolution du PIB par habitant dans trois régions du Sud global : l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MOAN) et l’Asie de l’Est.
Commençons par l’Amérique latine, avec la Figure 4.
Comme pour l’Europe de l’Ouest, BEAST détecte une rupture structurelle dans les années 1950. Il en détecte une seconde, quoiqu'avec moins de vraisemblance, au début des années 2000. Même si l’Amérique du Sud a été épargnée par la Seconde Guerre mondiale, et qu’il n’y a donc pas besoin de reconstruire le continent, le PIB par habitant a cependant augmenté d’environ 3 750 $ par an en 1950 à quasiment 9 000 $ par an en 1980.
La Figure 4 fait apparaître une cassure au début des années 1980. Le PIB par habitant de la région a soudainement baissé pour ensuite repartir à la hausse dans les années 1990. Je ne suis pas suffisamment connaisseur de l’histoire économique de l’Amérique du Sud pour identifier le (ou les) pays à l’origine de cette cassure. L’Argentine a bien connu une crise lors des années 2000, mais elle a lieu vingt ans après la cassure. Et j'ignore si l’Argentine a suffisamment de poids pour autant influencer sur la moyenne des pays d’Amérique du Sud.
Pourquoi est-ce que BEAST ne semble pas détecter la cassure des années 1980 ? Il y a sans doute deux raisons. La première est que les données ont des pas importants : une observation tous les cinq ans. La seconde est que la pente de la courbe avant la rupture et après la rupture semble relativement identique. Or, pour simplifier, BEAST détecte les ruptures structurelles en comparant la pente de la série temporelle pour différents sous-intervalles temporels.
Continuons avec le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, avec la Figure 5.
BEAST détecte une possible rupture structurelle à la fin des années 1960, et une seconde avec beaucoup plus de vraisemblance en 2005. Je n’affirme pas qu’il s’agisse de l’explication. Cependant, il me semble au moins possible que la rupture des années 1960 puisse être liée à la décolonisation. La rupture de 2005 correspond à la rupture similaire visible dans la Figure 4 pour l’Amérique du Sud.
De manière semblable à l’Amérique du Sud, la région connaît un plateau lors des années 1980. Je ne suis pas suffisamment familier de l’histoire de la région pour identifier une possible explication à ce plateau.
Pour finir, l’Asie de l’Est. Tous les pays d’Asie de l’Est ne font pas partie du Sud global ; le Japon et la Corée du Sud n’en font pas partie. L’Asie de l’Est est un mélange de pays développés et de pays en développement.
BEAST détecte deux ruptures structurelles : une première dans les années 1960, une seconde dans les années 2000. Je ne suis pas sûr d’avoir en tête la liste exacte des pays qui composent cette région. Je suis cependant tenté de lire dans la première rupture structurelle la reconstruction du Japon après la Seconde Guerre mondiale, dans un mouvement semblable à celui de l’Europe de l’Ouest. La seconde rupture structurelle est probablement causée par l’important développement économique de la Chine à partir des années 2000.
Je note que l’Asie de l’Est est, pour l’instant, la seule région dans laquelle le PIB par habitant n’a pas baissé lors de la crise sanitaire de la COVID-19. Est-ce l’effet d’une crise sanitaire mieux gérée par les pays de la région, des pays qui avaient déjà acquis de l’expérience avec l’épidémie de SRAS en 2003 ?
Les autres vagues
Pour finir, j’aimerais m’intéresser à trois régions un peu à part des précédentes. Il s’agit des deux régions les plus pauvres, l’Asie du Sud et Sud-Est et l’Afrique sub-saharienne, et de l’Europe de l’Est.
Je vous propose de commencer par l’Asie du Sud et du Sud-Est, avec la Figure 7.
Comme la plupart des régions étudiées jusqu’ici, BEAST détecte que l’Asie du Sud et du Sud-Est connaît une accélération de la croissance de son PIB par habitant dans les années 1990. La différence avec les autres régions tient à l’échelle des ordonnées : là où la Figure 4, la Figure 5 et la Figure 6 ont une échelle qui s’arrête de 15 000 à 20 000 dollars par an, la Figure 7 s’arrête à un peu moins de 9 000 dollars par an.
L’Asie du Sud et Sud-Est se développe, mais est encore loin d’atteindre le PIB par habitant d’autres régions du monde. Ce que l’on peut voir dans la Figure 2.
Continuons avec la Figure 8 et l’Afrique sub-saharienne. L’axe des ordonnées montre qu’il s’agit de la région ayant le PIB par habitant le plus bas parmi toutes les régions étudiées jusqu’ici.
BEAST détecte une possible rupture dans les années 1960. Je spécule, mais elle pourrait correspondre à la décolonisation d’un certain nombre de pays de la région, enfin libérés de l’emprise des pays colonialistes européens.
C’est surtout dans les années 2000 que BEAST détecte avec une forte vraisemblance une rupture structurelle. Elle est d’ailleurs visible à l’œil nu sur le graphique : le PIB par habitant connaît une importance augmentation. Comme pour l’Asie du Sud et du Sud-Est, le PIB par habitant reste toutefois à un niveau faible : l’échelle des ordonnées s’arrête à un peu plus de 3 500 $ par an.
Pour finir, je veux m’intéresser à l’Europe de l’Est dans la Figure 9. La région se distingue de toutes les autres, car elle a connu un évènement historique singulier au début des années 1990 : la chute du communisme. La chute du communisme a profondément transformé l’organisation politique, sociale et culturelle des pays concernés. Le système économique a, lui aussi, été profondément transformé.
BEAST détecte deux ruptures structurelles. Une première dans les années 1960. Il s’agit possiblement du même phénomène de reconstruction qu’a connu l’Europe de l’Ouest à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. La seconde rupture structurelle est datée par BEAST en 2005 et correspond, au moins en partie, au rebond ayant fait suite à la chute du communisme.
La chute du communisme est visible sur le graphique : le PIB par habitant diminue sensiblement au cours des années 1990. Cependant, de nombreux pays anciennement communistes ont connu une croissance économique importante dès les années 2000, conduisant à un rattrapage, puis à un large dépassement, de la récession causée par la chute du communisme. Certains pays d’Europe de l’Est comme la Pologne ont rattrapé le PIB par habitant des pays d’Europe de l’Ouest. D’autres, comme la Russie, stagnent. Il subsiste une forte hétérogénéité parmi les anciens pays communistes.
Conclusion
La Figure 1 montre que le PIB par habitant mondial a connu deux ruptures structurelles : une première après la Seconde Guerre mondiale, une seconde au début des années 2000. En entrant dans le détail de chaque grande région du monde, on s'aperçoit que la plupart d’entre elles ont connu des ruptures structurelles à ces deux périodes. Mais pas toutes.
L’accélération de la croissance du PIB par habitant au tournant des années 2000 dans virtuellement le monde entier coïncide avec le développement de la mondialisation actuelle. La mondialisation consiste en la généralisation du commerce libre entre les pays. Or, on sait depuis deux siècles que le commerce entre deux pays fait augmenter la croissance économique dans les deux pays, un résultat largement validé empiriquement depuis. Il me semble probable que la rupture des années 2000 soit causée par la mondialisation, même si j’envisage d’explorer la littérature scientifique à ce sujet. Si une telle exploration vous intéresse, faites-m'en part dans les commentaires de l’article.
Malgré la tendance à la hausse du PIB par habitant partout dans le monde, des écarts importants subsistent, comme le montre les échelles souvent différentes des ordonnées des différentes figures.
Outre l’interprétation économique, il y a également une leçon méthodologique à tirer. La Figure 1 est une moyenne mondiale. Une moyenne agrège l’information des différentes observations qu’elle résume. Cette agrégation « noie » les évolutions spécifiques aux différentes régions du monde en une valeur unique. Et les évolutions des grandes régions du monde étant elles-mêmes des moyennes, elles masquent les évolutions des pays qui les composent.
Agréger des données est commode, car au lieu de superposer de multiples courbes régionales ou nationales, on peut se contenter d’une courbe unique qui « résume » l’évolution des régions et des pays. Toutefois, cette courbe unique fait perdre de l’information. Par exemple, il est impossible de détecter la chute du communisme, alors que c’est un phénomène qui a eu un impact considérable en Europe de l’Est.
Bien sûr, je ne dis pas qu’il ne faut pas agréger les données pour les résumer. L’agrégation de données est utile. Je dis plutôt que l’agrégation n’est pas sans limites, ni aspects négatifs. Comme tout traitement statistique, agréger des données implique de faire des arbitrages. On gagne sur certaines dimensions, on perd sur d’autres dimensions. Et en fonction de ce que l’on souhaite étudier, un même arbitrage pourra prendre des formes différentes. Il faut simplement avoir conscience de ce que l’on perd, et de ce que l’on gagne.
Dans le prochain article de cette série, le Décryptage #1c, j’explorerai le PIB par habitant de plusieurs pays, dont la France et les États-Unis. Parce que les données sont généralement annuelles, et que les séries s’étendent souvent sur plusieurs siècles, je pourrai explorer de manière encore plus fine les évolutions historiques et les ruptures structurelles. On perdra cependant en généralité, puisque l’histoire économique d’un pays ne renseigne pas nécessairement sur l’histoire économique des autres pays. Là aussi, il existe un arbitrage.
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Saviez-vous qu’au moment où vous lisez cet article, l’humanité n’a jamais été aussi riche ? Qu’il n’y a jamais eu autant d’humains vivant en même temps sur Terre ? Que l’humain moyen n’a jamais autant produit de richesses ?
Encore plus étonnant, si vous lisez cet article demain, après-demain, ou encore le jour d’après, ces trois phrases seront encore vraies.
L’humanité connaît aujourd’hui un niveau de richesse sans précédent, et nous n’avons jamais été aussi nombreuses et nombreux à vivre en même temps sur la planète.
Pour rendre compte de ce phénomène spectaculaire, je vous propose une exploration de données économiques et démographiques de longue période dans une série de quatre articles de décryptage.
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• Décryptage #1a : données mondiales • Décryptage #1b : les grandes régions du monde • Décryptage #1c : quelques pays, dont la France et les États-Unis • Décryptage #1d : la vie avant l’émergence du capitalisme
L’humanité n’a jamais été aussi riche
Comme le montre la Figure 1, le PIB (Produit Intérieur Brut) mondial a connu une croissance exponentielle lors des deux derniers siècles. Le PIB est une mesure (imparfaite, comme toutes les mesures) de la richesse produite pendant une période donnée dans une zone géographique donnée.
Comme le montrera le reste de l’article, le PIB n’est pas la seule série statistique qui a connu une croissance exponentielle lors des deux derniers siècles.
En zoomant sur les trois derniers siècles, la Figure 2 montre que la première phase de la croissance a commencé au 19ᵉ siècle, avec la première Révolution Industrielle et l’émergence du capitalisme.
Cependant, c’est après la Seconde Guerre mondiale que la phase explosive de la croissance exponentielle a commencé. Nous sommes aujourd’hui toujours dans cette phase explosive.
À quelle date ont eu lieu les accélérations ? On appelle ces accélérations des ruptures structurelles.
Plutôt que de répondre à la question à l’œil nu, j’ai préféré utiliser une méthode statistique pour détecter les ruptures structurelles : l’estimateur bayésien BEAST. Des détails à son sujet sont disponibles dans un appendice technique (en anglais) en fin d’article. En appliquant BEAST sur les données de la Figure 2 (à partir de 1820 inclus, avec un intervalle de 5 ans pour l’estimation des données manquantes, voir l’appendice technique en fin d’article pour les détails), je détecte trois possibles ruptures structurelles :
1875, avec une probabilité de 1.8 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1955, avec une probabilité de 64.4 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1995, avec une probabilité de 79.5 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1955 correspond à la reconstruction de l’après-guerre en Europe. 1995 correspond à l’accélération du développement économique d’une partie de l’Asie.
La quantité de richesses produites chaque année par l’humanité est vertigineuse. En 1820, le PIB mondial était d’environ 1.2 trillion de dollars, soit 1.200 milliards de dollars. En 2022, il est de 130 trillions. En deux siècles, le PIB mondial a augmenté d’un facteur de quasiment 110. Ces chiffres sont tellement gigantesques qu’ils sont difficiles à se représenter.
L’humanité n’a jamais été aussi nombreuse
Alors que l’humanité n’a jamais produit autant de richesse, il n’y a en parallèle jamais eu autant d’humains vivant en même temps sur la planète.
Comme pour le PIB, la Figure 3 montre que la population a, elle aussi, connue une croissance exponentielle lors des deux derniers siècles.
En zoomant sur les trois derniers siècles, la Figure 4 montre que la population augmente de manière continue et linéaire à partir du 18ᵉ siècle. Comme pour le PIB, c’est à l’issue de la Seconde Guerre mondiale que l’augmentation de la population s’accélère.
BEAST (à partir de 1700 inclus, avec un intervalle d’un an pour l’estimation des données manquantes, voir l’appendice technique en fin d’article pour les détails) détecte de multiples ruptures structurelles. Les principales sont les suivantes :
1821, avec une probabilité de 27.5 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1881, avec une probabilité de 44.2 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1922, avec une probabilité de 46.3 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1951, avec une probabilité de 96.6 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1970, avec une probabilité de 89.3 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
Une possible interprétation des trois premières ruptures est le début de la transition démographique dans différents pays d’Europe. 1951 est visible à l’œil nu sur le graphique, et correspond à l’extension de la transition démographique au reste du monde.
En 1820, la population mondiale était d’environ 1.2 milliard de personnes. En 2021, elle était de quasiment 8 milliards de personnes. En deux siècles, la population mondiale a augmenté d’un facteur de 6.5.
Cependant, la population mondiale connaîtra un pic dans les prochaines décennies, avant de décroître. Comme le montre la Figure 5, le taux de croissance de la population a commencé à décroître dès les années 1960.
Mathématiquement, la dérivée seconde de la courbe est devenue négative. C’est comme si la baignoire continuait à se remplir (la population continue d'augmenter), mais que le débit du flux d’eau entrant était progressivement en train de se réduire (l’augmentation en pourcentage est de plus en plus petite).
BEAST détecte les ruptures structurelles suivantes :
1958, avec une probabilité de 99.7 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1962, avec une probabilité de 99.99 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1968, avec une probabilité de 2 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1975, avec une probabilité de 81.1 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1991, avec une probabilité de 90.6 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1999, avec une probabilité de 40 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
2015, avec une probabilité de 62 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
Lorsque le taux de croissance atteindra 0 %, la population cessera d’augmenter. Lorsque le taux de croissance deviendra négatif, la population commencera à diminuer. C’est déjà le cas dans un certain nombre de pays riches, comme le Japon.
Selon les prévisions, la population mondiale pourrait commencer à décroître d'ici à la fin du siècle. Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet article de Max Roser et Hannah Richie (en anglais).
L’humain moyen n’a jamais produit autant de richesses
Dans la mesure où la population a connu une croissance exponentielle, il est raisonnable de se dire que le PIB ait, lui aussi, connu une croissance exponentielle. Si, chaque année, chaque humain produit 1.000 euros de richesse, et qu’en deux siècles, le nombre d’humains a été multiplié par 6.5, la richesse totale aura (logiquement) augmenté d’un facteur équivalent à celui de la population — soit 6.5.
Pour autant, on a vu que le facteur de croissance de la population et du PIB sont différents. La population a augmenté d’un facteur de 6.5, alors que le PIB a augmenté d’un facteur de quasiment 110. Le PIB a augmenté quasiment 17 fois plus que la population.
Pour contrôler, c’est-à-dire pour neutraliser, l’effet de la croissance démographique sur la richesse, on utilise le PIB par habitant. Le PIB par habitant consiste à diviser le PIB par la population.
Comme le montre la Figure 6, le PIB par habitant a, lui aussi, connu une croissance exponentielle. C’est ce qui me permet d’écrire que l’humain moyen n’a jamais produit autant de richesses.
En zoomant sur les trois derniers siècles, la Figure 7 montre qu’il y a eu deux grandes phases. Une première phase d’augmentation lente, à partir du 19ᵉ siècle. Il s’agit de la première Révolution Industrielle et de l’émergence du capitalisme. Une seconde phase d’augmentation rapide, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
BEAST (à partir de 1820 inclus, avec un intervalle de 5 ans pour l’estimation des données manquantes, voir l’appendice technique en fin d’article pour les détails) détecte les ruptures structurelles suivantes :
1880, avec une probabilité de 1.9 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
1960, avec une probabilité de 76.1 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
2005, avec une probabilité de 75.2 % qu’il s’agisse d’une « vraie » rupture
Le PIB par habitant montre des ruptures semblables à celles du PIB. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se reconstruit. Au tournant des années 2000, ce sont de nombreux pays asiatiques qui voient leur PIB fortement augmenter.
Le PIB par habitant est passé d’environ 1.100 $ par an en 1820 à environ 16.500 $ par an en 2022. En deux siècles, la quantité moyenne de richesse produite par un humain a augmenté d’un facteur d’environ 16, un facteur semblable au facteur de quasiment 17 que je mentionnais plus haut. Pour le dire autrement, en deux siècles, la richesse produite par chaque humain vivant sur la planète a été multipliée par 16.
Si l’augmentation du PIB avait été uniquement due à la croissance de la population, le facteur de croissance du PIB par habitant aurait dû n’être que de 1.
À quoi est due cette « sur-augmentation » d’un facteur 16 du PIB par habitant ? C’est à cette question qu’essaie de répondre la branche de la science économique qui étudie la croissance économique de long terme. La théorie aujourd’hui dominante, la théorie de la croissance endogène, montre que la croissance économique de long terme est d’abord due à l’innovation. En grande partie grâce à l’innovation, technologique mais pas seulement, les humains d’aujourd’hui sont capables de produire en moyenne 16 fois plus de richesse aujourd’hui que les humains d’il y a deux siècles.
Une richesse qui reste inégalement répartie
Dire que l’humanité connaît aujourd’hui un niveau de richesse sans précédent n’implique pas que cette richesse soit répartie de manière uniforme sur la planète. La Figure 8 le montre : historiquement, ce sont d’abord les pays occidentaux qui ont connu une augmentation de leur richesse, mesurée ici avec le PIB par habitant.
On voit cependant que depuis les années 1990, le PIB par habitant augmente dans toutes les régions du monde.
La croissance économique n’est pas un jeu à somme nulle : l’augmentation du PIB par habitant dans le pays A n’implique pas une diminution du PIB par habitant dans le pays B. A et B peuvent voir leur PIB par habitant croître simultanément. Comme le montre la Figure 8, c’est ce qui arrive depuis plusieurs décennies. Néanmoins, malgré l’augmentation quasiment généralisée du PIB par habitant dans les grandes régions du monde, l’écart entre les pays occidentaux et les autres pays reste important.
À noter que les moyennes de la Figure 8 ne disent rien des inégalités à l’intérieur des pays. Il y a des inégalités entreles pays, et il y a des inégalités à l’intérieur des pays. Elles peuvent chacune avoir des dynamiques différentes.
Conclusion
Les données montrent qu’il n’y a jamais eu autant d’humains sur la planète, et qu’ils n’ont jamais été aussi riches.
Une telle richesse est corrélée à de nombreuses avancées sociales, telles que l’accès à l’éducation, l’accès à la santé, l’augmentation de l’espérance de vie, la fin du travail des enfants, l’accès à des systèmes de retraite, l’accès aux loisirs, et ainsi de suite. Cette richesse est également corrélée à de nombreuses crises environnementales, comme le réchauffement climatique, l’artificialisation des sols ou la réduction de la biodiversité.
Les deux derniers siècles ont été une profonde rupture pour l’humanité. Par toutes ces transformations, l’expérience individuelle de l’existence a profondément changé. Notre quotidien est sans comparaison avec le quotidien de nos ancêtres d’il y a seulement deux siècles. Je ne suis pas certain que l’on s’en rende souvent compte.
Dans les prochains articles de la série, j’explorerai l’évolution du PIB par habitant dans les grandes régions du monde (Décryptage #1b), dans quelques pays, dont la France et les États-Unis (Décryptage #1c), et j’explorerai à quoi ressemblait la vie avant l’émergence du capitalisme (Décryptage #1d).
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Aviez-vous en tête l’existence de ces nombreux phénomènes exponentiels ? Saviez-vous qu’une part substantielle des évolutions ont eu lieu après la Seconde Guerre mondiale ? Saviez-vous que la croissance de la population avait commencé à ralentir depuis plusieurs décennies ? Saviez-vous que l’humain moyen avait vu sa richesse augmenter d’un facteur 16 depuis des deux derniers siècles ? Saviez-vous que toutes les régions du monde voient leur richesse par habitant augmenter, mais que des écarts importants persistent ?
Vous pouvez répondre à ces questions dans les commentaires de cet article, ou en répondant par e-mail si vous avez reçu l’article par e-mail.
Si vous avez trouvé l’article intéressant, n’hésitez pas à le partager autour de vous. Le bouche-à-oreille joue un rôle déterminant pour faire connaître mon travail.
À bientôt pour le prochain article de la série, Olivier
Contrairement à la plupart des pays riches, les États-Unis n’ont, à ce jour, pas un seul kilomètre de ligne ferroviaire à grande vitesse.
Il existe bien quelques services comme Acela (Northeast Corridor, entre Washington DC et Boston) et Brightline (Floride, entre Miami et Orlando), services qui sont d’ailleurs des succès commerciaux. Mais leur vitesse de pointe de 240 km/h (Acela) et de 200 km/h (Brightline) ne permettent pas de les catégoriser dans la grande vitesse ferroviaire, que l’on fait généralement débuter à 250 km/h. Il n’y a guère que le Canada qui fasse pire, où il n’y a même pas de service optimisé similaire à Acela ou Brightline.
Pour autant, des projets de lignes à grande vitesse existent. Certaines lignes sont même en construction, comme la problématique CASHR (California High Speed Rail) en Californie. Néanmoins, ces projets ne permettent pas de combler l’important retard pris au cours des dernières décennies. Et le désastre politique, logistique et budgétaire qu’est la CASHR n’incite pas à l’optimisme.
Pour faire le point sur les projets les plus avancés, je vous recommande cet article de Théo Laubry publié dans Slate. L’article aborde plus spécifiquement la ligne Brightline West, dont la construction vient de commencer entre Los Angeles et Las Vegas sur le modèle d’un partenariat public-privé. Située entre la Californie et le Nevada, cette ligne a de bien meilleures chances d’aboutir, et sans exploser son budget, que la CASHR.
Théo l’écrit dans son article : l’état du ferroviaire à grande vitesse n’est que le reflet de l’état généralement mauvais du ferroviaire passager aux États-Unis. Comme le montre Figure 3, les États-Unis ont un important réseau ferré.
Ce réseau sert principalement au transport de fret. Comme le montre la Figure 4, le fret ferroviaire a une part modale beaucoup plus importante aux États-Unis qu’en Europe.
À quelques exceptions près, le ferroviaire passager est particulièrement peu développé aux États-Unis. Une illustration : la ligne du Pacific Surfliner n’offre que 10 allers-retours par jour entre Los Angeles (13.2 millions d’habitants dans la métropole) et San Diego (3.2 millions d’habitants dans la métropole), deux métropoles distantes de seulement 200 kilomètres. Le trajet dure environ 3 heures en train, contre environ 2 heures en voiture. La voie n’est pas électrifiée, et est même à voie unique sur une partie substantielle du trajet. Et pourtant, le Pacific Surfliner est le seconde ligne la plus empruntée du pays en nombre de voyageurs. C’est dire la faiblesse du ferroviaire passager.
L’administration de Joe Biden s’est engagée à revitaliser le transport ferroviaire de passagers. Mais le retard pris est important. Pour le combler, l’effort devra être maintenu sur une longue période. Il n’est pas certain que le climat politique chaotique des États-Unis permette un tel effort de long terme.
Le graphique représente les dépenses militaires des membres européens de l'OTAN, en valeur absolue (hors inflation, bâtons) et en part du PIB (courbe).