Proton attaque le « monopole » d’Apple en justice
Interactions électrostatiques

Proton initie une nouvelle procédure en justice contre Apple aux États-Unis. L’éditeur suisse dénonce un monopole sur la distribution d’applications et le paiement au sein d’iOS, et joint ses forces aux différentes actions déjà engagées à l’encontre de la firme de Cupertino. Apple vient par ailleurs d’être débouté de son appel contre le département de la Justice américain, ce qui ouvre la voie à un procès pour abus de position dominante…
Éditeur d’une suite de services qui met en avant le respect de la vie privée, le suisse Proton ouvre un nouveau front judiciaire contre Apple. La société a en effet initié, lundi 30 juin, une action collective en justice auprès d’un tribunal de Californie (PDF), au motif que le constructeur de l’iPhone entretiendrait un monopole autour de la distribution d’applications au sein de son environnement iOS. Proton attaque plus spécifiquement deux aspects : l’absence d’alternative à l’App Store sur iPhone ou iPad, mais aussi la façon dont Apple utilise la brique de paiement dédiée aux achats in-app pour verrouiller le marché.
Une plainte de plus ?
Les motivations de la plainte ne sont pas nouvelles, et Proton ne cache d’ailleurs pas son intention d’ajouter sa voix à celle des plaignants ayant déjà engagé des procédures similaires à l’encontre d’Apple. Dans un long billet d’annonce, la société suisse rappelle d’ailleurs les différentes condamnations d’Apple, estimant que les pratiques de cette dernière ont depuis longtemps déjà « été considérées comme anticoncurrentielles et illégales dans de nombreuses juridictions à travers le monde ».
Dans sa communication, Proton rappelle opportunément l’affaire Epic, dans laquelle Apple était accusée début mai de n’avoir pas respecté une injonction de la Cour et d’avoir menti sous serment via l’un de ses vice-présidents, mais aussi la récente amende de 500 millions d’euros prononcée par la Commission européenne le 22 avril dernier, pour non-respect des règles de concurrence édictées par le Digital Markets Act (DMA). Une sanction que Proton, Spotify, Deezer et d’autres éditeurs européens ont ouvertement appelée de leurs vœux.
Pourquoi, dans ce contexte, lancer une nouvelle procédure, à plus forte raison quand une association d’éditeurs coréens, la Korean Publishers Association, vient précisément d’ouvrir une action collective pour des motifs similaires, déposée devant le même tribunal, le 23 mai dernier ?
« En nous joignant à cette action en justice, nous garantissons qu’elle portera non seulement sur des dommages et intérêts destinés à indemniser les développeurs d’applications pour le préjudice causé par la conduite d’Apple, mais aussi sur des modifications des politiques de l’App Store qui amélioreront l’état d’Internet », affirme Proton.
Un préjudice économique… et démocratique ?
L’éditeur suisse, qui a pour mémoire confié sa gouvernance à une fondation à l’occasion de ses dix ans, promet que les éventuels dommages et intérêts obtenus suite à cette plainte seront redistribués par cette dernière en direction d’associations de défense de la démocratie et des droits humains. Outre l’argument économique de l’entrave à la libre concurrence, Proton avance en effet dans sa communication que les pratiques d’Apple nuisent à la fois au respect de la vie privée des utilisateurs, mais aussi à la liberté d’expression dans son ensemble.
« Les entreprises qui monétisent les données des utilisateurs en échange de services « gratuits » portant atteinte à votre vie privée ne sont pas concernées, car elles ne traitent pas les paiements via l’App Store. En revanche, les entreprises soucieuses de la confidentialité qui monétisent leurs données par le biais d’abonnements sont touchées de manière disproportionnée par ces frais, ce qui constitue un obstacle majeur à l’adoption de modèles économiques axés sur la confidentialité ». En tant qu’éditeur qui fait du respect de la vie privée une priorité, Proton serait directement victime de ces choix stratégiques.
Le Suisse va même un cran plus loin, en déclarant que la main-mise d’Apple sur la distribution d’applications constitue un levier actionnable à des fins de censure, ou de restrictions des libertés individuelles. « La réalité, c’est que [ces pratiques] ont fait d’Apple le point de défaillance unique [single point of failure] de la liberté d’expression et un outil pour les dictatures », écrit l’entreprise.
En 2020, Proton clamait déjà avoir été victime d’une censure de la part d’Apple. L’éditeur affirmait avoir été menacé d’un retrait de son application ProtonVPN de l’App Store, s’il ne supprimait pas, dans la description associée, la mention d’une possibilité de contourner la censure de certains sites. « Nous ne remettons pas en question le droit d’Apple d’agir au nom des régimes autoritaires dans un souci de profit, mais le monopole d’Apple sur la distribution des applications iOS signifie qu’il peut imposer cette politique perverse à tous les développeurs d’applications, les forçant ainsi à être également complices », argue désormais Proton.
Cette nouvelle procédure intervient alors qu’Apple vient de modifier substantiellement les règles de l’App Store dans l’Union européenne : la firme de Cupertino y autorise par exemple les éditeurs à utiliser d’autres systèmes de paiement que celui intégré dans l’App Store, mais elle assortit cette option d’un avertissement qui peut sembler dissuasif. Aux États-Unis, les avancées du procès Epic sont également susceptibles de mettre un terme à la règle historique des 30% de commission…
Vers un procès pour abus de position dominante ?
L’action collective de Proton n’est peut-être pas la préoccupation numéro un des juristes de Cupertino. Lundi, Apple a en effet enregistré un revers significatif dans une autre procédure, initiée cette fois par le département de la Justice (DoJ) des États-Unis.
Associé à quinze États, le DoJ a en effet officiellement engagé des poursuites à l’encontre d’Apple, pour abus de position dominante, en mars 2024, avec un éventail de reproches qui dépasse largement ceux formulés par Proton dans sa propre plainte.
Apple a logiquement interjeté appel de cette procédure et demandé son annulation, en arguant notamment que la Justice ne démontrait ni l’existence d’un monopole, ni la conduite d’actions anticoncurrentielles, et en réfutant l’action de l’état fédéral en la matière. Dans sa décision, rendue lundi 30 juin, le juge Julien Xavier Neals bat méthodiquement en brèche chacun de ces arguments (PDF), et finit par rejeter la demande d’Apple, ouvrant donc la voie à un procès antitrust de grande ampleur.