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La tentation du chaos

7 octobre 2025 à 05:02

Tous irresponsables ? Alors que les tensions internationales s’intensifient, que les finances publiques vacillent et que l’économie s’enlise, les politiques rivalisent d’inconséquence et de postures populistes. Au point que les Français s’habituent au chaos — le plus sûr moyen de ne pas voir venir la chute.

Même si le cirque semble reprendre de manière désespérée jusqu’à mercredi, après le retrait de Bruno Le Maire du casting, l’immédiate chute du gouvernement Lecornu s’imposait comme une évidence. Bien que cette rapidité laisse songeur et témoigne de l’aspect rédhibitoire de la simple idée que l’attelage ait pu exister. Surtout après les deux tentatives improductives de dribbler l’absence de possible, figurées par les passages de Michel Barnier et François Bayrou par la case Matignon. Le fruit d’une majorité parlementaire de plus en plus introuvable, minée par les incohérences internes du bloc central, qui peinent à masquer les divergences idéologiques et stratégiques entre macronistes purs et alliés de droite. Les oppositions, de leur côté, ont systématiquement refusé tout compromis, érigeant des lignes rouges sur des réformes clés comme les retraites, les allocations chômage, la taxe Zucman, ou le gel des prix de l’énergie. Des exigences délibérément impossibles à satisfaire, produites pour forcer un retour aux urnes, soit par une dissolution anticipée, soit par la démission d’Emmanuel Macron lui-même. Cette stratégie de blocage, calculée pour exploiter le vide institutionnel, n’a laissé aucune marge de manœuvre, transformant l’exercice de nomination en un échec prévisible et inévitable. Nous verrons mercredi ce qu’il en sera définitivement, mais, vraisemblablement, la messe est dite et de toute façon, sans Lecornu..

Gabriel Attal l’a bien résumé en qualifiant la séquence « de spectacle affligeant », un jugement partagé par une large part des Français qui assistent, impuissants, à une déliquescence politique accélérée. Un sentiment immédiatement confirmé par un sondage Elabe pour BFM TV, 86% de nos concitoyens estimant avoir assisté à « un spectacle navrant donné par la classe politique qui n’est pas à la hauteur de la situation ». Au-delà du fiasco immédiat, cette crise aggrave la dégradation de l’image de la France sur la scène internationale, où nos partenaires, de Bruxelles à Washington, observent avec inquiétude – ou ironie gourmande – un pays autrefois pilier de l’Europe, désormais enlisé dans l’instabilité. Si cela était encore possible, elle accentue encore la défiance des citoyens envers la politique, perçue comme un théâtre d’egos et de postures, éloignant un peu plus les électeurs des urnes et favorisant l’abstention ou les votes protestataires. Plus grave encore, elle accélère l’ascension des forces populistes, en progression partout sur le continent. Comme nous l’avons encore constaté en Tchéquie ces derniers jours – mais aussi en Géorgie -, après les législatives ayant vu le parti ANO d’Andrej Babiš, populiste et eurosceptique, remporter la victoire avec 35 % des voix et 80 sièges sur 200, reléguant les coalitions pro-européennes au second plan et promettant une réduction de l’aide à l’Ukraine tout en défiant les institutions de l’UE.

France : le corps nu

En France, une dissolution ou la démission du président ne feraient que perpétuer ce cycle, alors que nulle autre solution n’existe pourtant. Le pays est piégé, soit promis au Rassemblement national, par la voie des urnes, soit au chaos souhaité par l’extrême gauche, par celle de la rue. À moins que ne se réalise la fameuse « union des droites », un euphémisme validant la dernière étape de l’effacement des digues déjà branlantes entre la droite républicaine et son versant extrême. Une situation exacerbée par les jeux d’apprentis sorciers inconséquents d’un Emmanuel Macron aperçu seul sur les quais de Paris à la suite de la défection de Sébastien Lecornu.

Cette instabilité interne profite directement aux puissances étrangères qui misent sur la fragilisation de la France et de l’Europe. Les États-Unis, sous une administration de plus en plus isolationniste, nous regardent avec un mépris conquérant, voyant dans notre chaos une opportunité de rééquilibrer les alliances atlantiques à leur avantage exclusif, en imposant des termes plus favorables dans les négociations commerciales ou sécuritaires. Mais c’est surtout la Russie qui tire les marrons du feu. Notre inconséquence politique lui mâche le travail de sa guerre hybride à notre encontre. Depuis janvier 2025, Moscou orchestre une offensive informationnelle massive contre la France, avec des campagnes de désinformation sophistiquées, comme l’a révélé un rapport de Viginum couvrant les six premiers mois de l’année. Ces opérations inondent les réseaux sociaux de faux contenus pour semer la division, discréditer notre soutien à l’Ukraine, et amplifier les narratifs internes de crise pour éroder la cohésion nationale. En fragilisant nous-mêmes Paris, nous offrons à Moscou un levier inespéré en faveur de ses ambitions.

Au cœur de ce grotesque indigne, où seul Sébastien Lecornu a fait preuve de dignité en remettant sa démission sans effusions théâtrales, les conséquences sociales et économiques pèsent comme une menace existentielle. Cette crise de régime s’ancre profondément dans l’incapacité persistante à adopter un budget pour 2025, forçant l’État à opérer sous une loi spéciale prorogeant les crédits de 2024, un palliatif qui paralyse toute action ambitieuse. Les retombées sont immédiates et multiformes : gel des investissements publics dans les infrastructures vitales, comme les réseaux de transport ou les équipements numériques, qui retarde la modernisation du pays ; report des aides sociales aux ménages vulnérables ; blocage des réformes en matière de formation professionnelle, laissant des milliers de travailleurs sans outils pour s’adapter aux mutations du marché du travail ; et une précarité accrue pour les services publics essentiels qui mine la cohésion sociale et alimente un sentiment d’abandon chez les citoyens les plus fragiles.

Les marchés financiers, impitoyables sentinelles de la stabilité, réagissent avec une défiance accrue, entraînant une hausse dramatique des taux d’intérêt sur la dette souveraine. L’OAT à 30 ans culmine à 4,523 % en septembre 2025, son plus haut depuis juin 2009, tandis que les taux à 8 ans ne cessent de grimper voisinant les 4 % en septembre, reflétant une prime de risque qui alourdit la charge annuelle de plusieurs milliards d’euros. Avec une dette publique dépassant les 115,6 % du PIB en septembre – soit 3 416 milliards d’euros –, ce seuil critique expose le pays à des dynamiques spéculatives potentiellement incontrôlables, où chaque point de hausse des taux ajoute des milliards à la facture. Cette vulnérabilité est amplifiée par les dégradations de la note souveraine. Fitch l’a abaissée à A+ le 12 septembre, soulignant notre fragilité budgétaire comme politique, et Moody’s pourrait lui emboîter le pas le 24 octobre, augmentant encore les coûts d’emprunt. Et cela tombe au pire moment, avec de prochaines échéances majeures de remboursement estimées à environ 50 milliards d’euros en obligations arrivant à maturité, à refinancer dans un climat de tension accrue qui pourrait précipiter une spirale vicieuse.

Le secteur privé subit aussi de plein fouet ces turbulences. Les faillites d’entreprises s’enchaînent en cascade, avec plus de 67 000 défaillances sur un an au deuxième trimestre 2025, en hausse de 3,5 % par rapport à 2024 et un pic de 10,6 % pour les PME dans les secteurs du commerce et des services, où la contraction de la demande et les coûts accrus d’emprunt étouffent les marges. L’investissement privé se contracte violemment, alors qu’il est indispensable pour financer la transition vers l’intelligence artificielle et défendre l’innovation, domaines où la France et l’Europe, certes de plus en plus réactifs, accusent encore un retard flagrant face aux géants américains et chinois – avec seulement 109 milliards d’euros mobilisés en février pour tenter de combler le fossé. Cette contraction menace directement l’emploi, avec des centaines de milliers de postes en péril dans les secteurs high-tech, de l’industrie et des services, freinant les embauches et aggravant le chômage au moment où la formation et la reconversion deviennent cruciales.

À l’instant où le monde impose une transformation structurelle profonde – numérisation accélérée des économies, recomposition des chaînes de valeur mondiales face aux tensions géopolitiques, adaptation au changement climatique, renforcement des souverainetés stratégiques en énergie, technologies et défense –, la France choisit le blocage et l’immobilisme politique. C’est une irresponsabilité absolue, qui non seulement hypothèque son avenir immédiat en l’exposant à des chocs financiers et sociaux, mais vole aussi aux générations futures leur droit à une nation compétitive, résiliente et prospère. En persistant dans cette voie, nous risquons, non pas une simple crise passagère, mais un déclin durable. Sans un sursaut collectif pour dépasser les clivages et prioriser l’intérêt national, le désastre ne sera plus une menace, mais une réalité. Et dans ce contexte, le pire danger serait de s’habituer au chaos, de banaliser le désordre pour en faire un contexte de vie ouvrant la porte à tous les déshonneurs, à toutes les solutions inhumaines considérées comme seules issues et regardées avec une froide indifférence… L’histoire a déjà été témoin de ces moments. Avant de pousser l’humanité à s’en excuser tardivement. Toujours trop tardivement…

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Bloquer ? Non, croître !

11 septembre 2025 à 04:29

« Il faut plus de moyens. » « Il faut plus de dépenses. » « Taxons les riches ! » Nouveau mouvement, anciens slogans. Pour les militants du 10 septembre, la seule réponse à nos difficultés semble consister à creuser toujours plus la dette. Et si on essayait la croissance ?

La France connaît une crise économique, politique et sociale inédite. Plombée par des divisions béantes, le bûcher des égoïsmes, une vision du monde obsolète où les vieilles lunes dominent par la grâce des extrêmes et la déconnexion frileuse et sans imagination du bloc central, elle file droit vers l’abîme de la relégation. Privée de majorité comme de budget, incapable de compromis, elle regarde avec lassitude la valse des Premiers ministres et méprise une dette publique qui culmine à 3 345 milliards d’euros, représentant environ 116 % du PIB selon les dernières projections du Fonds monétaire international et de l’OCDE. Le déficit budgétaire persiste autour de 5,4 % à 5,8 % du PIB, tandis que les paiements d’intérêts sur cette dette s’élèvent à près de 66 milliards d’euros annuels. Un montant qui dépasse déjà le budget alloué à l’éducation et pourrait atteindre 100 milliards d’ici 2029 en continuant sur cette lancée. Et les nouveaux emprunts pourraient passer la barre des 4 % – ce qui induit +5 milliards d’intérêts annuels par point de taux –, tandis que nous remboursons difficilement ceux qui tournent autour de 1,3 %. Autant de sommes qui ne participent pas à l’investissement en faveur de l’école, de la justice, de la santé, de la sécurité ou de la défense. Pire, nous attendons fébrilement la dégradation de la note du pays par les différentes agences de notation, dont les verdicts vont tomber entre le 12 septembre et la fin octobre. Une autre perspective d’augmentation des taux d’intérêt et donc de la dette future. Quant à la croissance du PIB, elle est anémique, prévue à seulement 0,6 % à 0,8 % pour l’année, bien en deçà de la moyenne de la zone euro, pourtant peu reluisante avec ses 1,5 %. Même si le chômage a baissé ces dernières années, non sans quelques douteux artifices de présentation de ses chiffres et de sa structure, il reste élevé, à 7,5 %. Et s’agissant des retraites, depuis 20 ans, leur financement tire les dépenses publiques vers le haut, totalisant 14 % du PIB et près de la moitié des versements en faveur des aides sociales. Le tout par refus de faire tomber le tabou de la capitalisation, toujours profitable sur le temps long malgré de potentielles brèves baisses de rendement conjoncturelles. Comme le montre la capitalisation partielle suédoise, qui a permis de stabiliser un système précédemment fragilisé. Enfin, l’inflation, bien que désormais modérée, revenue autour de 1 %, a vu son augmentation massive durant les deux dernières années éroder le pouvoir d’achat des ménages.

Austères perspectives ?

Face à un tableau aussi noir, la logique voudrait que l’on applique une véritable politique d’austérité, ainsi qu’il en a toujours été quand des pays ont fait face à une violente crise de la dette. Coupes budgétaires massives, hausses d’impôts et réductions drastiques dans les dépenses sociales sont les recettes habituelles en la matière. Cette approche, qui vise à ramener le déficit sous les 3 % du PIB, pourrait, dans un premier temps, aggraver la situation, comme l’ont démontré les cas passés de la Grèce entre 2010 et 2015, où cette politique a provoqué une chute de 25 % du PIB et une explosion du chômage à 27 %. Nous n’y sommes pas encore. Mais, hélas, quand le point de non-retour est atteint, c’est indispensable. Et contrairement à ce qui est clamé à longueur de manifestations, nous sommes encore très loin d’une politique d’austérité, même si tant de choses seraient à dire concernant la gestion de l’État et les nombreuses économies pouvant être envisagées sans augmenter les inégalités.

Oser la croissance !

Mais il existe un contrepied radical à ces sombres perspectives : s’appuyer sur les atouts de la France pour enfin oser la croissance économique. Ce n’est pas une option facultative, mais l’unique stratégie viable pour désendetter le pays sans sacrifier les citoyens. Historiquement, les phases de forte expansion ont permis de réduire le ratio dette/PIB de manière organique, sans austérité punitive. Aux États-Unis, après la crise financière de 2008, le plan de relance d’Obama, doté de 800 milliards de dollars, a stimulé une croissance moyenne de 2,5 % par an, ramenant la dette de 100 % à 74 % du PIB en 2019 selon les données de la Banque mondiale. En France même, les Trente Glorieuses ont vu une croissance annuelle de 5 %, divisant par deux le poids de la dette accumulée après la Seconde Guerre mondiale, tout en finançant un État-providence robuste. Sans une accélération similaire, la dette française pourrait atteindre 120 % du PIB d’ici 2026, alourdissant les intérêts de 10 à 15 milliards supplémentaires par an. À l’inverse, cibler une croissance de 3 % par an – un objectif réaliste avec des réformes en faveur des entreprises – générerait 150 milliards d’euros de PIB additionnel sur trois ans, augmentant les recettes fiscales de 60 à 70 milliards (à un taux moyen de 45 % du PIB, chaque point de croissance rapportant environ 30 milliards en impôts et cotisations).

Desserrer l’emprise

Pour rendre cette perspective réaliste, il faut d’abord réduire une part du périmètre de l’État, pas celle qui aide les – réels – plus fragiles, mais celle qui n’a rien à voir avec les missions d’une nation ou qui relève de la pure sphère privée, comme les participations de l’État dans Renault – le résultat d’une rétorsion post-Seconde Guerre mondiale. Mais aussi baisser les impôts de manière ciblée, en ramenant le taux de l’impôt sur les sociétés de 25 % à 15 % pour les PME innovantes et les nouveaux secteurs stratégiques. Des domaines dans lesquels nous possédons des champions ne demandant qu’à assumer leurs responsabilités. C’est notamment le cas dans l’intelligence artificielle, l’énergie solaire, les biotechnologies, la santé numérique, l’aéronautique, la fintech, la cybersécurité, la banque ou encore l’agritech. Cela pourrait générer des milliards d’euros annuels pour les investissements privés, avec un coût budgétaire initial de 15 milliards, rapidement compensé par 25 milliards de recettes supplémentaires issues de l’activité accrue. L’exemple de l’Irlande est édifiant. Son taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 % a attiré plus de 1 000 milliards d’euros d’investissements étrangers depuis 2000, propulsant sa croissance à 5 % en moyenne – malgré des fluctuations allant de -5 % à +18 % – et créant des centaines de milliers d’emplois qualifiés.

Cultiver nos potentiels

Parallèlement, des investissements massifs en infrastructures et innovations s’imposent : allouer 100 milliards d’euros sur cinq ans, financés par des emprunts à bas taux (autour de 2,5 % actuellement pour les obligations françaises à 10 ans), à la transition numérique et verte. Pas par une planification étatique rigide – de la promotion de l’hydrogène à la destruction de la filière nucléaire, l’État n’a pas démontré sa lucidité – mais par une approche bottom-up, qui fixe un cap, soutient les projets, mais laisse aux acteurs économiques la liberté de choisir leurs solutions. Cela inclut 50 milliards pour l’intelligence artificielle et les start-up, amplifiant les leviers de la BPI, et pourrait créer 500 000 emplois high-tech selon les estimations de divers cabinets. Le retour sur investissement est prouvé : chaque euro investi en R&D génère 2,5 euros de PIB additionnel, d’après l’OCDE, transformant ces dépenses en moteurs de prospérité à long terme.

L’impôt pour tous

À cela s’ajoute une nécessaire réforme fiscale, incluant l’impôt pour tous, comme au Danemark – le pays le plus proche de nous en termes de prélèvements – même de manière symbolique, afin de concerner tous les citoyens et de ramener chacun dans le cadre républicain. Avec également une redéfinition des tranches, de manière à ce que les classes moyennes supérieures, les plus affectées et les moins aidées, retrouvent une dynamique d’action.

Plus léger, plus agile

Une dérégulation intelligente compléterait ces mesures, en simplifiant le Code du travail pour réduire de 30 % les normes administratives superflues, facilitant les embauches et les adaptations des entreprises. Mais en l’appliquant avec doigté pour ne pas créer d’appels d’air au seul profit de bas salaires et en empruntant des recettes à la flexisécurité nordique. Enfin, des ajustements de TVA, comme en Irlande encore une fois, notamment sur les biens essentiels, pourraient stimuler la demande intérieure.

Contrairement à l’austérité, dont le multiplicateur fiscal négatif contracte l’économie, une relance expansionniste offre un multiplicateur positif, permettant de ramener le déficit sous 3 % du PIB d’ici 2030 et de stabiliser la dette. Tous, citoyens, entrepreneurs, élus, devons rejeter la petite musique soit étroite, soit décroissante, soit de repli, qui agite la classe politique comme la rue ! Une France dynamique, innovante et leader mondial dans l’innovation, dont la croissance serait la clé de l’équité et de la souveraineté, reste possible.

Nous y croyons !

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Duplomb : la raison plombée

9 août 2025 à 04:48

La décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Duplomb était attendue avec fébrilité, autant par les défenseurs du texte que par ses contempteurs. Elle est tombée le jeudi 7 août et ne semble contenter personne, tout en posant des questions dont la portée dépasse son contenu. Validée dans ses grandes lignes, son article le plus polémique a néanmoins été censuré, non dans son principe — la possibilité de réintroduction partielle d’un néonicotinoïde (NNI), l’acétamipride —, mais dans les modalités jugées trop lâches d’encadrement des licences pouvant être accordées à cette fin.

Selon le camp d’où vient l’analyse, le verdict des Sages de la rue de Montpensier donne lieu à des interprétations aussi variées que parfois fantaisistes. Pour certains de ses adversaires, comme les Insoumis, il s’agirait d’une « victoire » obtenue « grâce à une mobilisation populaire extraordinaire », ainsi que l’a posté sur X Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Une conception assez étrange du travail des constitutionnalistes, censés se fonder sur la seule vérification de la conformité juridique des textes qui leur sont soumis. Mais pas forcément inexacte, hélas. Nous y reviendrons. Mais, pour la plupart à gauche, la confirmation de l’essentiel du texte reste une source de colère ; Marine Tondelier allant jusqu’à qualifier la loi — pourtant votée par le Parlement après une vague d’obstruction de l’opposition, à laquelle elle a pris part — d’« illégitime ». Même alarmisme du côté de certaines associations, comme la Fondation Terre de Liens, qui voient d’un mauvais œil la possibilité offerte aux agriculteurs « de renouer avec la compétitivité en agrandissant leurs exploitations » (sic) — une version polie du « J’en ai rien à péter de la rentabilité [des agriculteurs] » de Sandrine Rousseau. Preuve que, pour ce camp, le combat ne fait que commencer, en dépit de la volonté d’Emmanuel Macron de promulguer rapidement la loi expurgée des articles censurés.

À droite, et parmi les plus fervents défenseurs du texte, l’analyse de cette censure très relative ne s’embarrasse pas davantage de rigueur. Entre un Laurent Wauquiez qui dénonce « l’ingérence du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb ! », tout en ayant voté pour la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement justifiant la décision des Sages, et une Marine Le Pen accusant la juridiction suprême de se comporter « comme un législateur alors qu’[elle] n’en détient pas la légitimité démocratique », l’approximation est à la fête. Le mot « illégitime » utilisé par Marine Tondelier pour qualifier la loi est également repris à droite, cette fois pour désigner la censure. Et pourtant, il y aurait tant à dire de cette décision.

La charte de la précaution

Elle s’appuie sur la Charte de l’environnement (et son principe de précaution), annoncée par Jacques Chirac en 2001, puis intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Ce qui se tient en droit. Même si, dans la loi, l’usage de l’acétamipride avait été très largement limité, les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par […] la Charte… ». Il est notamment question de la largesse d’interprétation laissée aux préfets pour octroyer les autorisations permettant d’utiliser le NNI en question, ainsi que de la temporalité de cet usage. Même si les syndicats agricoles, comme la FNSEA — qui prend acte de la décision avec une certaine retenue —, ou l’Association nationale pommes poires (ANPP), critiquent sévèrement la censure, ils y voient aussi quelques motifs d’espoir pour l’avenir. Ce qui est également – de manière relative – notre cas, ainsi que celui du spécialiste des questions agricoles et environnementales Gil Rivière-Wekstein. Car, finalement, le Conseil constitutionnel ne remet pas tant en cause l’usage dérogatoire de l’acétamipride que la rédaction approximative d’une loi conçue dans l’urgence pour répondre à la colère légitime des agriculteurs, en particulier ceux dont les filières ont été largement impactées par l’interdiction des NNI : betteraves (sucre), noisettes, poires, etc. On notera qu’il aurait été plus judicieux d’éviter, auparavant, de recourir à une loi — difficile à modifier une fois adoptée — pour interdire l’acétamipride, alors que la voie réglementaire l’autorisait. Le Conseil « fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture », comme le note Gil Rivière-Wekstein. Une nuance bien comprise par Laurent Duplomb, l’artisan du texte, mais aussi par nombre de ses détracteurs. Rien n’empêche en effet les parlementaires — comme le souhaitent le sénateur Duplomb, la FNSEA et les autres acteurs des filières concernées — de reprendre le travail législatif en s’appuyant sur les recommandations de l’institution de la rue de Montpensier afin de permettre la réintroduction très encadrée du NNI.

Quand le droit plie face aux influenceurs

Hélas, en théorie seulement. Car la violence du débat militant qui accompagne cette possibilité — entre pétition populaire mal informée, raids d’intimidation sur les réseaux, menaces plus ou moins directes contre les élus et messages médiatiques ignorants de la science — la rend risquée pour ceux qui voudraient la défendre. Et cela, le Conseil constitutionnel ne pouvait l’ignorer.

On peut alors revenir à la déclaration déjà citée de Manuel Bompard se félicitant du rôle joué par la « mobilisation populaire ». Car cette mobilisation a clairement participé à la décision de censurer l’article sur l’acétamipride, indexant en partie le droit sur l’influence de ceux qui le contestent, et faisant fléchir le pouvoir législatif face à celui des followers. Une définition chimiquement pure du populisme. D’autant que le Conseil s’est appuyé sur un grand nombre de contributions extérieures (19) au fort poids médiatique pour fonder son avis, allant de la Ligue des droits de l’homme aux militants de Générations futures, en passant par des associations d’apiculteurs et de médecins, mais sans consultation scientifique. Or il convient de rappeler qu’aucune étude ne valide le caractère cancérogène de l’acétamipride, contrairement à ce qu’affirment nombre des intervenants consultés — même si, comme tout néonicotinoïde, le produit est toxique, mais relativement sûr lorsqu’il est utilisé conformément aux recommandations d’usage. Le Conseil parle pourtant d’un « consensus scientifique » censé montrer les capacités tumorales du produit pour appuyer son jugement, alors, qu’encore une fois, cette assertion est une pure fable, ce qui interroge, pour ne pas dire plus. Mais la cerise sur le gâteau, témoignant de l’absurdité de la censure du CC, est livrée par… lui-même. Celui qui a validé la loi du 14 décembre 2020, qui autorisait, à titre dérogatoire, l’usage de semences de betteraves sucrières traitées avec certains néonicotinoïdes alors interdits à peu près partout dans cette Europe où l’acétamipride est en revanche autorisée. Ce qui témoigne de l’aspect populiste et politique de la décision. 

Au final, en plus de son incohérence, celle-ci ouvre un boulevard aux produits agricoles de nos voisins européens, tous traités avec le NNI honni, et parfois avec d’autres plus contestés (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, thiaclopride, ayant obtenus des dérogations pour des usages précis), ne préservant pas la santé des consommateurs et soumettant nos agriculteurs à une concurrence déloyale pouvant menacer leur survie. Qu’importe pour des écologistes peu soucieux du réel. Les agriculteurs ne doivent pas être dupes : interdire les produits étrangers qui les utiliseraient, comme le demande Marine Tondelier, est tout simplement impossible, sauf à sortir de l’UE, puisque cela contreviendrait à la libre circulation des biens, qui en est l‘un de ses fondements.

Même si la raison l’emportera peut-être lors de prochains travaux législatifs — sans doute largement retardés par la vigueur de l’obstruction des adversaires de la loi et de leurs relais d’influence, nombreux et bien organisés —, les agriculteurs concernés vont continuer de voir leurs rendements diminuer… et nos voisins en profiter.

Est-ce bien raisonnable ?

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