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Lobby et marchands de (ci)trouilles bio 

19 août 2025 à 04:40

Après deux décennies de croissance, le bio marque le pas. Les ventes stagnent, et les surfaces cultivées reculent. Pourtant, l’État continue de miser sur lui, à coups de subventions et d’objectifs toujours plus ambitieux. Le secteur, en crise, fonde sa survie sur le lobbying et la fabrique de la peur.

Trou d’air passager ou marché mature ? Après un plongeon en 2021 et deux années dans le rouge, l’agriculture biologique se stabilise. Son chiffre d’affaires s’est maintenu l’an dernier à 12,2 milliards d’euros (+0,8 %), certes loin de son pic de 2020 (12,8 milliards), et sa part de marché reste de 5,7 % des achats alimentaires des Français selon les chiffres de l’Agence Bio. Une situation liée au net rebond en circuits spécialisés et en vente directe (+7 % par rapport à 2023), alors que les ventes en grande distribution, qui représentent encore près de la moitié du total, poursuivent leur dégringolade pour la quatrième année consécutive (-5 %). L’inflation a en effet conduit les grandes enseignes classiques à sabrer dans leur offre de produits bio qui, 30 à 50 % plus chers, ne trouvaient plus preneurs. Et le retour des prix à la normale n’a pas suffi à inverser la tendance. Quant à la restauration hors domicile, elle reste marginale (8 % du marché).

Le marché bio tient donc essentiellement grâce aux consommateurs « purs et durs », à fort pouvoir d’achat, qui fréquentent les magasins spécialisés comme La Vie Claire, Naturalia (Monoprix), Bio C Bon (Carrefour) ou, surtout, Biocoop, leader incontesté du secteur avec 742 magasins et 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Un créneau certes en voie de rétablissement, mais loin des croissances à deux chiffres des années 2010.

Dans ces conditions, l’acharnement des pouvoirs publics à subventionner toujours plus le développement de l’agriculture biologique laisse perplexe. Surtout, en constatant que les surfaces agricoles bio ont encore reculé en 2024, leur part stagnant autour de 10 % du total. Pourtant, la loi d’orientation agricole votée en mars dernier prévoit de doubler ce pourcentage d’ici 2030, en l’amenant à 21. Soit, dans quatre ans et demi ! Qui peut y croire ?

Sécurité Sociale de l’alimentation : le bio joue sa carte vitale

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Étranglés entre la baisse de la demande et les surcoûts de production (rendements plus faibles qu’en agriculture conventionnelle, besoins en main-d’œuvre), bon nombre d’agriculteurs bio ne parviennent plus à garder la tête hors de l’eau, malgré les aides européennes et les plans d’urgence de l’État – 104 millions d’euros en 2023, 105 millions en 2025. S’y ajoute une série d’aides à la filière, notamment via le fonds Avenir Bio, créé en 2008 : 18 millions d’euros de budget l’an dernier, sans compter les 5 millions de financement de la campagne de promotion lancée cette année à l’occasion des 40 ans du label AB.

La récente décision de réduire de plus de moitié le budget 2025 du fonds Avenir Bio (au nom de la quête d’économies) a logiquement mis la filière en émoi. Mais est-il réaliste de vouloir à tout prix, à coup de subventions et de dirigisme, doper les surfaces et les volumes d’un modèle coûteux, dont les bénéfices sur la santé et l’environnement sont loin d’être avérés ? La loi Egalim impose ainsi depuis 2022 au moins 20 % d’aliments bio dans les repas des cantines scolaires. On en est loin : trop cher pour les collectivités, ou trop compliqué (ou contre-productif si les produits bio sont importés). Autre initiative, émanant cette fois de la mairie écologiste de Strasbourg : la distribution gratuite, sur simple ordonnance du médecin (dispositif Ordonnance Verte), de paniers de fruits et légumes bio à 2 000 femmes enceintes.

Biocoop : fils de pub

En fait, la filière bio a surtout construit son succès foudroyant du milieu des années 2000 à 2020, grâce à un discours agressif, axé autour du bashing systématique de l’agriculture conventionnelle. Ou plutôt du « lobby agro-industriel » et, surtout, des pesticides. À ce jeu, Biocoop a fait très fort. En 2014, le réseau coopératif lance une campagne d’affichage s’attaquant aux produits alimentaires classiques. Une affiche montrant une pomme dont sort un tas de ferraille, avec ce slogan : « n’achetez pas de pommes (traitées chimiquement) », lui vaudra deux ans plus tard une condamnation pour dénigrement. Sans aucun dommage pour son image, puisque les ventes ont progressé et que l’enseigne a récidivé en 2017, à l’occasion d’Halloween, avec une affiche de citrouille et cette annonce en gros caractères : « Vous devriez en avoir peur toute l’année ». En guise de légende : « la citrouille est l’un des aliments contenant le plus de pesticides. Chez Biocoop, tous nos produits sont garantis bio, zéro pesticide et zéro OGM ».

Un marketing de la peur qui s’est avéré très payant dans l’opinion, même s’il repose sur un double mensonge, au moins par omission. Car l’agriculture bio utilise, elle aussi, des pesticides, certes dits « naturels » (non issus de la chimie de synthèse), mais parfois tout aussi néfastes pour l’environnement, tels que les traitements à base de cuivre, toxiques pour les micro-organismes du sol, ou le spinosad, insecticide tueur d’abeilles avéré. Par ailleurs, le bio cultive de nombreuses plantes classées OGM car issues de mutagenèse in vitro, même si, grâce à la relative ancienneté de cette technique (une cinquantaine d’années), elles ne sont pas soumises aux règles de la directive européenne de 2001, notamment en matière d’étiquetage.

Spinosad : l’autre tueur d’abeilles ?

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Il n’empêche, la diabolisation de ces deux totems fonctionne, d’autant mieux qu’elle est attisée depuis des années par une nébuleuse d’ONG, d’activistes écologistes, collectifs et scientifiques militants, allant de Greenpeace à Pan Europe en passant par Nature et Progrès, Secrets Toxiques, les Faucheurs volontaires, la Confédération paysanne ou le CRIIGEN. Au centre se trouve l’influente association Générations futures (741 500 € de budget), sponsorisée par le biobusiness et l’État français. Elle multiplie les campagnes anxiogènes et les rapports ou études, biaisés mais très médiatisés, sur les résidus de pesticides. Cet écosystème, qui possède des relais de poids dans la presse et au Parlement européen (entre autres, l’eurodéputé Claude Gruffat, qui fut président de Biocoop pendant 15 ans), présente toutes les caractéristiques d’un lobby puissant. L’an dernier, la mouvance anti-pesticides s’est même élargie aux mutuelles, comme le démontre le journaliste Gil Rivière-Wekstein dans sa revue en ligne Agriculture et environnement.

Générations futures, un lobby peu discret

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Cancers : peur sur la métropole

L’outrance et l’hystérie ont atteint des sommets le 8 juillet dernier lors du vote à l’Assemblée nationale de la loi dite Duplomb, qui réintroduit ponctuellement et sous conditions très strictes l’acétamipride, un néonicotinoïde autorisé partout en Europe mais interdit en France depuis 2018. Les députés écologistes Benoît Biteau et Delphine Batho ont fait venir dans l’hémicycle des malades du cancer et des parents d’enfants qui en sont morts. Ils ont accusé les députés d’être « les alliés du cancer ». Des élus de gauche ont même prédit une hausse de ces pathologies chez les enfants, sans fournir d’arguments réels pouvant le laisser penser. Quant au journaliste-activiste Hugo Clément, il s’est offert cette indigne sortie sur tous les réseaux sociaux : « la majorité des députés a voté POUR des produits qui causent le cancer, tuent des enfants et détruisent la vie sauvage »… Une instrumentalisation cynique de la souffrance des malades, relayée sans recul par bon nombre de médias. Dénonçant « une soumission aux intérêts de l’agrobusiness », Générations futures a même annoncé sa volonté de contester le texte devant les tribunaux.

Peu importe que l’Agence sanitaire européenne EFSA, censée s’appuyer sur le consensus scientifique, après avoir passé en revue toutes les études les plus récentes, considère l’usage de cette molécule sans danger pour la santé humaine et pour l’environnement, si les conditions d’utilisation sont bien respectées (idem pour son homologue française l’Anses). Peu importe, pour les promoteurs du bio, qu’en 20 ans, l’agriculture française ait fait d’énormes progrès, grâce à la réduction des intrants, à l’interdiction de la quasi-totalité des molécules au risque cancérogène, mutagène ou reprotoxique avéré (les CMR 1), à l’amélioration constante des pratiques culturales et du recours à l’irrigation. À ce sujet, rappelons que lors de l’examen de la loi Duplomb, la commission du développement durable, présidée par une agricultrice en bio, Sandrine Le Feur, avait voté sans honte plusieurs amendements (effacés dans la version finale) interdisant la construction de nouvelles retenues d’eau et réservant aux seules exploitations en bio le droit d’utiliser celles existant déjà !

Ce déni a peut-être une explication : en 2021, le Synabio (syndicat regroupant industriels et distributeurs bio) reconnaissait être « challengé » par d’autres signes de qualité comme le Label Rouge, le « zéro résidu de pesticides » ou la certification HVE (Haute valeur environnementale). En d’autres termes, tout effort alternatif en faveur d’une agriculture plus exigeante et plus durable serait perçu comme une compétition menaçante pour le bio. Le syndicat du biobusiness, allié à d’autres acteurs dont UFC-Que Choisir, la FNAB et son incontournable bras armé, Générations futures, avait d’ailleurs engagé un recours contre la certification HVE, qualifiée de « greenwashing ». Il a été débouté en mars dernier par le Conseil d’État.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre V : Le bio qui cache la forêt

Épisode précédent : Environnement, le vert à moitié plein

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Environnement, le vert à moitié plein

12 août 2025 à 03:47

Des intrants ? Oui, mais « naturels » ! Dans l’imaginaire collectif, bio rime avec « sans intrants ». En réalité, c’est faux. L’agriculture biologique autorise engrais et pesticides d’origine naturelle. Or, « naturel » ne veut pas dire « inoffensif »

Pour fertiliser, le bio utilise surtout des effluents d’élevage (fumier, lisier), qui peuvent, eux aussi, occasionner des pollutions azotées dans les milieux aquatiques. Côté protection des cultures, certains produits autorisés posent question. Le plus connu : le sulfate de cuivre, ou « bouillie bordelaise », ce fongicide persistant qui s’accumule dans les sols et nuit à la vie souterraine et aquatique. Et il n’est pas seul : huile de neem, pyrèthres naturels, spinosad ou soufre – tous ces biopesticides font l’objet de controverses scientifiques, notamment pour leurs effets négatifs sur la biodiversité. Ils soulèvent aussi des enjeux à l’autre bout de la chaîne. Produits à partir de végétaux cultivés spécifiquement (neem en Inde, pyrèthre au Kenya…) — et souvent à grand renfort de pesticides —, ces intrants mobilisent des surfaces agricoles dédiées, parfois au détriment des écosystèmes locaux, surtout si la demande explose. C’est donc un paradoxe du bio : vouloir « préserver la nature ici » peut conduire à délocaliser les impacts plutôt que de les supprimer.

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Un vrai bonus pour la biodiversité locale

Faut-il pour autant mettre les intrants bio et conventionnels dans le même sac ? Pas tout à fait. Les études convergent sur un point : à l’échelle des parcelles, l’agriculture biologique favorise une biodiversité plus riche. Les sols y sont globalement de meilleure qualité, avec davantage de micro-organismes et de petits animaux comme les vers de terre. Cela s’explique en grande partie par l’usage de fertilisants organiques, et ce malgré un recours plus fréquent au labour pour contrôler la prolifération des adventices (en gros, les mauvaises herbes et autres plantes poussant spontanément et pouvant avoir un rôle néfaste et étouffant pour les cultures), en l’absence de glyphosate. Et ce n’est pas tout : autour des parcelles en bio, on observe aussi une plus grande diversité d’oiseaux et d’insectes, notamment parmi les pollinisateurs. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, comme une moindre disponibilité de substances actives, ce qui pourrait limiter le nombre de produits utilisés, ou encore le fait que les agriculteurs en bio adoptent plus souvent certaines pratiques vertueuses non exigées par le cahier des charges, comme les rotations longues ou la préservation de zones refuges pour la biodiversité.

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Moins de gaz à effet de serre… par hectare

Autre atout souvent mis en avant : les émissions de gaz à effet de serre. Par hectare, une exploitation en bio en émet en moyenne moins qu’une ferme conventionnelle. Pourquoi ?

D’une part, parce que les engrais de synthèse – très gourmands en énergie lors de leur fabrication – sont interdits en agriculture biologique. D’autre part, parce que l’épandage de fumier ou de lisier génère globalement moins de protoxyde d’azote (N₂O) que les engrais chimiques. Or, ce N₂O est un gaz à effet de serre redoutable, environ 300 fois plus puissant que le CO₂.

Un bon point pour le climat, donc ? Pas si vite. Ce raisonnement tient à l’hectare… mais pas au kilo produit.

Le problème de fond : les rendements

En raison des contraintes du cahier des charges, la productivité de l’agriculture biologique prend, c’est la loi du label, du plomb dans l’aile. En moyenne, les rendements y sont 20 à 30 % plus faibles qu’en conventionnel, et parfois beaucoup plus dans certaines cultures (jusqu’à -60 % pour les céréales, par exemple). Ce déficit de rendement pose un double problème : économique, bien sûr, mais aussi écologique.

Pourquoi ? Parce que la principale cause d’érosion de la biodiversité, ne provient pas de l’agriculture en soi, mais de l’extension des terres qu’elle exploite. Or, à production constante, moins l’hectare est efficient, plus on a besoin de surface. Résultat : une généralisation du bio pourrait conduire, paradoxalement, à grignoter davantage d’espaces naturels.

C’est d’ailleurs l’un des principaux avertissements de l’IPBES (le « GIEC de la biodiversité ») dans ses rapports. L’agriculture biologique y est peu citée comme levier majeur, car ses effets bénéfiques sont annulés — voire retournés — par la perte de productivité qu’elle induit.

Climat : même constat

Le GIEC, de son côté, tient un discours assez similaire. Si l’on regarde les émissions par hectare, avantage au bio. Mais si l’on raisonne en émissions par unité de production – ce qui est la logique – alors l’écart se réduit, voire s’inverse dans la majorité des cas.

L’agriculture bio ? Le GIEC et l’IPBES tempèrent l’enthousiasme

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Enfin, les bénéfices du bio sur les gaz à effet de serre reposent en grande partie sur l’utilisation d’effluents d’élevage — une ressource à la fois limitée et convoitée. Une généralisation du bio poserait donc problème : il n’y en aurait pas pour tout le monde. Et déjà aujourd’hui, leur captation par le bio prive parfois le conventionnel, contraint de recourir à des engrais de synthèse pour compenser.

Une piste parmi d’autres, pas la panacée

Les baisses de rendement de l’agriculture biologique sont, sauf exceptions, comme dans le maraîchage ou la viticulture, un handicap rédhibitoire. Elles conduisent, en réalité, à des performances environnementales inférieures par kilogramme de nourriture produite, comparées à l’agriculture conventionnelle, et à un besoin en surface cultivée plus important.

Certaines pratiques issues du bio peuvent toutefois contribuer à une transition vers une alimentation plus durable, à condition de ne pas sacraliser le label.

Car à force de tout miser sur le bio, on en oublie d’autres leviers, parfois plus efficaces mais moins « sexy » médiatiquement : agriculture de conservation, sélection variétale, outils de précision, techniques culturales simplifiées, agroforesterie, amélioration génomique… 

La vérité, c’est que l’agriculture de demain ne sera ni 100 % bio, ni 100 % conventionnelle. Elle sera — espérons-le — 100 % pragmatique.

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Duplomb : la raison plombée

9 août 2025 à 04:48

La décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Duplomb était attendue avec fébrilité, autant par les défenseurs du texte que par ses contempteurs. Elle est tombée le jeudi 7 août et ne semble contenter personne, tout en posant des questions dont la portée dépasse son contenu. Validée dans ses grandes lignes, son article le plus polémique a néanmoins été censuré, non dans son principe — la possibilité de réintroduction partielle d’un néonicotinoïde (NNI), l’acétamipride —, mais dans les modalités jugées trop lâches d’encadrement des licences pouvant être accordées à cette fin.

Selon le camp d’où vient l’analyse, le verdict des Sages de la rue de Montpensier donne lieu à des interprétations aussi variées que parfois fantaisistes. Pour certains de ses adversaires, comme les Insoumis, il s’agirait d’une « victoire » obtenue « grâce à une mobilisation populaire extraordinaire », ainsi que l’a posté sur X Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Une conception assez étrange du travail des constitutionnalistes, censés se fonder sur la seule vérification de la conformité juridique des textes qui leur sont soumis. Mais pas forcément inexacte, hélas. Nous y reviendrons. Mais, pour la plupart à gauche, la confirmation de l’essentiel du texte reste une source de colère ; Marine Tondelier allant jusqu’à qualifier la loi — pourtant votée par le Parlement après une vague d’obstruction de l’opposition, à laquelle elle a pris part — d’« illégitime ». Même alarmisme du côté de certaines associations, comme la Fondation Terre de Liens, qui voient d’un mauvais œil la possibilité offerte aux agriculteurs « de renouer avec la compétitivité en agrandissant leurs exploitations » (sic) — une version polie du « J’en ai rien à péter de la rentabilité [des agriculteurs] » de Sandrine Rousseau. Preuve que, pour ce camp, le combat ne fait que commencer, en dépit de la volonté d’Emmanuel Macron de promulguer rapidement la loi expurgée des articles censurés.

À droite, et parmi les plus fervents défenseurs du texte, l’analyse de cette censure très relative ne s’embarrasse pas davantage de rigueur. Entre un Laurent Wauquiez qui dénonce « l’ingérence du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb ! », tout en ayant voté pour la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement justifiant la décision des Sages, et une Marine Le Pen accusant la juridiction suprême de se comporter « comme un législateur alors qu’[elle] n’en détient pas la légitimité démocratique », l’approximation est à la fête. Le mot « illégitime » utilisé par Marine Tondelier pour qualifier la loi est également repris à droite, cette fois pour désigner la censure. Et pourtant, il y aurait tant à dire de cette décision.

La charte de la précaution

Elle s’appuie sur la Charte de l’environnement (et son principe de précaution), annoncée par Jacques Chirac en 2001, puis intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Ce qui se tient en droit. Même si, dans la loi, l’usage de l’acétamipride avait été très largement limité, les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par […] la Charte… ». Il est notamment question de la largesse d’interprétation laissée aux préfets pour octroyer les autorisations permettant d’utiliser le NNI en question, ainsi que de la temporalité de cet usage. Même si les syndicats agricoles, comme la FNSEA — qui prend acte de la décision avec une certaine retenue —, ou l’Association nationale pommes poires (ANPP), critiquent sévèrement la censure, ils y voient aussi quelques motifs d’espoir pour l’avenir. Ce qui est également – de manière relative – notre cas, ainsi que celui du spécialiste des questions agricoles et environnementales Gil Rivière-Wekstein. Car, finalement, le Conseil constitutionnel ne remet pas tant en cause l’usage dérogatoire de l’acétamipride que la rédaction approximative d’une loi conçue dans l’urgence pour répondre à la colère légitime des agriculteurs, en particulier ceux dont les filières ont été largement impactées par l’interdiction des NNI : betteraves (sucre), noisettes, poires, etc. On notera qu’il aurait été plus judicieux d’éviter, auparavant, de recourir à une loi — difficile à modifier une fois adoptée — pour interdire l’acétamipride, alors que la voie réglementaire l’autorisait. Le Conseil « fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture », comme le note Gil Rivière-Wekstein. Une nuance bien comprise par Laurent Duplomb, l’artisan du texte, mais aussi par nombre de ses détracteurs. Rien n’empêche en effet les parlementaires — comme le souhaitent le sénateur Duplomb, la FNSEA et les autres acteurs des filières concernées — de reprendre le travail législatif en s’appuyant sur les recommandations de l’institution de la rue de Montpensier afin de permettre la réintroduction très encadrée du NNI.

Quand le droit plie face aux influenceurs

Hélas, en théorie seulement. Car la violence du débat militant qui accompagne cette possibilité — entre pétition populaire mal informée, raids d’intimidation sur les réseaux, menaces plus ou moins directes contre les élus et messages médiatiques ignorants de la science — la rend risquée pour ceux qui voudraient la défendre. Et cela, le Conseil constitutionnel ne pouvait l’ignorer.

On peut alors revenir à la déclaration déjà citée de Manuel Bompard se félicitant du rôle joué par la « mobilisation populaire ». Car cette mobilisation a clairement participé à la décision de censurer l’article sur l’acétamipride, indexant en partie le droit sur l’influence de ceux qui le contestent, et faisant fléchir le pouvoir législatif face à celui des followers. Une définition chimiquement pure du populisme. D’autant que le Conseil s’est appuyé sur un grand nombre de contributions extérieures (19) au fort poids médiatique pour fonder son avis, allant de la Ligue des droits de l’homme aux militants de Générations futures, en passant par des associations d’apiculteurs et de médecins, mais sans consultation scientifique. Or il convient de rappeler qu’aucune étude ne valide le caractère cancérogène de l’acétamipride, contrairement à ce qu’affirment nombre des intervenants consultés — même si, comme tout néonicotinoïde, le produit est toxique, mais relativement sûr lorsqu’il est utilisé conformément aux recommandations d’usage. Le Conseil parle pourtant d’un « consensus scientifique » censé montrer les capacités tumorales du produit pour appuyer son jugement, alors, qu’encore une fois, cette assertion est une pure fable, ce qui interroge, pour ne pas dire plus. Mais la cerise sur le gâteau, témoignant de l’absurdité de la censure du CC, est livrée par… lui-même. Celui qui a validé la loi du 14 décembre 2020, qui autorisait, à titre dérogatoire, l’usage de semences de betteraves sucrières traitées avec certains néonicotinoïdes alors interdits à peu près partout dans cette Europe où l’acétamipride est en revanche autorisée. Ce qui témoigne de l’aspect populiste et politique de la décision. 

Au final, en plus de son incohérence, celle-ci ouvre un boulevard aux produits agricoles de nos voisins européens, tous traités avec le NNI honni, et parfois avec d’autres plus contestés (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, thiaclopride, ayant obtenus des dérogations pour des usages précis), ne préservant pas la santé des consommateurs et soumettant nos agriculteurs à une concurrence déloyale pouvant menacer leur survie. Qu’importe pour des écologistes peu soucieux du réel. Les agriculteurs ne doivent pas être dupes : interdire les produits étrangers qui les utiliseraient, comme le demande Marine Tondelier, est tout simplement impossible, sauf à sortir de l’UE, puisque cela contreviendrait à la libre circulation des biens, qui en est l‘un de ses fondements.

Même si la raison l’emportera peut-être lors de prochains travaux législatifs — sans doute largement retardés par la vigueur de l’obstruction des adversaires de la loi et de leurs relais d’influence, nombreux et bien organisés —, les agriculteurs concernés vont continuer de voir leurs rendements diminuer… et nos voisins en profiter.

Est-ce bien raisonnable ?

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Santé, l’effet placeb(i)o

5 août 2025 à 03:59

Laquelle choisir ? C’est la question que chacun s’est déjà posée devant son rayon fruits et légumes au moment de choisir entre une laitue conventionnelle et son alternative bio, presque deux fois plus chère. La santé serait-elle à ce prix ?

Dans l’imaginaire collectif, le logo AB agit comme un talisman. Il suggère une assiette plus saine, censée protéger des cancers et autres maladies chroniques. Ce récit est nourri par un marketing agressif, largement relayé par une communication médiatique et politique très alarmiste sur les « pesticides chimiques ».

Les salades bio de Benoît Biteau

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Mais que dit vraiment la littérature scientifique ?

Les promesses santé du bio : des corrélations, mais pas de preuves

L’une des études épidémiologiques les plus commentées est celle de NutriNet-Santé, publiée en 2018. Elle a suivi près de 70 000 volontaires pendant quatre ans, dont 78 % de femmes, d’un âge moyen de 44 ans. Au total, 1 340 cancers ont été diagnostiqués. Résultat : les consommateurs réguliers de produits bio affichaient un taux de cancers de 1,6 %, contre 2,2 % chez les non-consommateurs — soit une différence relative d’environ 25 %.

De quoi nourrir un battage médiatique sans nuance… mais trompeur. Car il s’agit d’une étude observationnelle de cohorte, sans répartition aléatoire entre groupes « bio » et « non bio ». Or, avec cette méthode, les différences constatées peuvent résulter de biais de confusion (habitudes alimentaires globales, niveau d’études, activité physique, tabagisme…), plutôt que d’un effet direct du mode de production. Dit autrement : les amateurs de bio ne sont pas en meilleure santé parce qu’ils mangent bio, mais mangent bio parce qu’ils prennent soin de leur santé et sont donc sensibles aux messages prétendant cette agriculture plus vertueuse sanitairement.  .

Pourtant, l’Institut national du cancer le rappelle explicitement : « Il n’y a pas de preuve scientifique qui indique qu’une alimentation bio réduit le risque de cancer ».

Même prudence dans une étude norvégienne (MoBa) portant sur 28 000 femmes enceintes. Elle suggère une association entre consommation fréquente de légumes bio et réduction du risque de prééclampsie (une hypertension artérielle pouvant survenir après 20 semaines de grossesse). Mais là encore, ce lien statistique pourrait s’expliquer par d’autres paramètres liés au mode de vie, indépendamment du bio lui-même.

Enfin, une revue systématique de Stanford, publiée en 2012, n’a identifié aucun bénéfice clair du bio sur la santé, ni de différence notable en valeur nutritionnelle, et pas davantage en morbidité, malgré une exposition réduite aux résidus de pesticides.

Pesticides dangereux : la décrue silencieuse

De son côté, l’agriculture conventionnelle ne reste pas figée dans ses pratiques et progresse continuellement. Depuis 2009, les quantités de substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) qu’elle utilise ont fortement diminué en France. Les CMR1 (les plus préoccupantes) ont été quasiment éliminées à partir de 2021, tandis que les CMR2 ont chuté de près de moitié en dix ans. Ces évolutions traduisent les améliorations continues de la régulation européenne et des pratiques agricoles, qui tendent à éliminer les molécules les plus dangereuses. 

Risques de résidus et contaminations naturelles : pas de blanc-seing pour le bio

La question des résidus de pesticides illustre bien cette autre nuance. Les enquêtes officielles montrent qu’environ 10 % des fruits et légumes bio contiennent des traces mesurables, contre près de 50 % en conventionnel. Mais toutes filières confondues, plus de 95 % des échantillons restent entre 50 et 100 fois en dessous des limites maximales de résidus fixées avec une large marge de sécurité. Autrement dit, même si la salade conventionnelle a plus de chances de contenir un résidu, celui-ci reste très inférieur aux seuils jugés préoccupants. À moins de consommer plusieurs dizaines de salades par jour, l’impact sanitaire est négligeable. Pas de quoi — vous en conviendrez — en faire toute une salade.

Précisons aussi que la méthode la plus efficace pour éliminer la grande majorité des résidus présents en surface reste… de laver ses fruits et légumes.

Mais tout ne peut pas se nettoyer. C’est le cas de la bière. Or, une étude récente portant sur 45 d’entre elles, a détecté des traces de glyphosate dans plus de la moitié des échantillons — y compris deux productions bio — à des niveaux si faibles qu’il faudrait boire près de 2 000 bouteilles par jour pour atteindre la dose maximale admissible. On vous a pourtant martelé (à raison) que l’alcool devait être consommé avec modération !

Ces résidus, même dans les produits bio, sont généralement dus à des contaminations fortuites : dérives de pulvérisation, pollution environnementale ou fraudes ponctuelles. Preuve en est, que le bio est régulièrement l’objet de rappels de ses produits. Ainsi, en 2025, un lot de potimarrons bio français a été retiré du marché pour dépassement des seuils réglementaires en pesticides, tout comme un autre, de poivre noir bio importé, contaminé par de l’anthraquinone, une substance non autorisée.

Quand une ferme bio déclenche une épidémie

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Cela ne signifie pas que le label soit trompeur. Seulement qu’il ne donne en rien un blanc seing sanitaire sur la seule base de sa revendication.

D’autant que les agriculteurs bio utilisent notamment le sulfate de cuivre pour lutter contre les maladies fongiques. Ce métal lourd, « naturel » certes, s’accumule dans les sols et peut être toxique pour la faune… comme pour l’être humain, s’il est soumis à de fortes doses du produit.

Bouillie bordelaise : une image de naturel vraiment fondée ?

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Autre exemple souvent ignoré : les alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP), toxines naturelles produites par certaines plantes sauvages (séneçon, datura…). On en a retrouvé dans des herbes aromatiques bio, entraînant des rappels de produits. Des vaches en pâture peuvent aussi en ingérer si leur pré est infesté : des traces d’AP peuvent alors se retrouver dans le lait, y compris bio.

Même logique pour l’aflatoxine M1, une mycotoxine cancérogène issue de fourrages moisis, détectable dans le lait — bio ou non — en cas de mauvaises conditions de stockage. Mais, rassurons-nous, ces contaminations restent exceptionnelles, grâce à la rigueur des contrôles européens.

Enfin, des enquêtes ont mis en lumière la présence de polluants persistants (PCB, dioxines) parfois plus élevée dans des produits animaux bio, ou encore des taux de phtalates surprenants dans certaines huiles d’olive bio, parfois supérieurs à ceux mesurés en conventionnel.

Autant de signaux qui rappellent que « bio » ne rime pas automatiquement avec « pureté », et que, quels que soient les labels, la vigilance et les contrôles sanitaires restent essentiels.

Nutrition et équilibre : le vrai levier santé

La plupart des méta-analyses convergent vers un même constat : les grands déterminants nutritionnels de notre santé sont la surconsommation de sucre, de sel, d’alcool, de produits ultra-transformés et la sédentarité — bien plus que l’exposition résiduelle à des substances déjà très encadrées.

Ainsi, passer de deux à cinq portions quotidiennes de fruits et légumes, bio ou non, diminue la mortalité toutes causes confondues de l’ordre de 13 %. Inversement, un burger-frites bio reste de la malbouffe bio, tandis qu’une assiette de brocolis surgelés conventionnels constitue un véritable atout pour le cœur et les artères.

Et puis, il y a le coût — un facteur décisif. Le surcoût du bio varie de +30 % à +80 % selon les filières et les enseignes le commercialisant. Pour un foyer modeste, cette surtaxe peut réduire la consommation totale de végétaux. Or, la première priorité de santé publique est d’augmenter la part de fruits et légumes dans l’assiette, pas de sélectionner un label ni de privilégier les plus chers. Et le constat est préoccupant : seulement un Français sur cinq atteint les cinq portions recommandées par jour, une part encore plus faible chez les jeunes.

Le marketing de la peur, qui laisse entendre qu’« hors du bio, point de salut », risque aussi de détourner les budgets des ménages de produits sains mais accessibles. 

C’est que conclut une thèse soutenue en 2018 : « À l’échelle individuelle, nous devons continuer à encourager nos patients à manger des fruits et légumes conventionnels s’ils ne peuvent avoir accès au bio. En effet, des études confirment qu’il est préférable de consommer des légumes avec pesticides que de ne pas en manger du tout. »

Alors, quelle salade choisir ?

Une laitue conventionnelle bien lavée ne mettra pas votre santé en danger, même consommée quotidiennement. Si réduire légèrement votre exposition aux résidus vous semble important — et si votre budget le permet — alors la salade bio peut être une option.

Mais l’essentiel est ailleurs : manger plus de végétaux variés, choisir des produits frais, éviter la malbouffe et les produits ultra-transformés, cuisiner davantage, bouger plus. Le bio est un choix possible, pas un passage obligé. Ce qui compte, c’est ce que vous mettez dans votre assiette… pas le logo sur l’étal.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Aucun impact sur la santé : une étude d’envergure confirme l’innocuité des OGM

1 août 2025 à 04:36

C’est l’un des débats les plus inflammables de ces dernières décennies : les OGM sont-ils sûrs ? Ont-ils des effets néfastes à long terme sur la santé ? Il y a treize ans, l’étude Séralini l’affirmait, avant d’être rétractée. Aujourd’hui, une recherche de long terme menée sur deux générations de primates démontre le contraire. Reste à savoir si elle bénéficiera de la même couverture médiatique.

« OGM : l’humanité est en train de se suicider » (Jean-Luc Mélenchon), « La dérégulation des OGM menace la santé des consommateurs » (Marie Toussaint, EELV), « Nous n’avons pas envie de manger des produits OGM » (Marine Le Pen)… Pour de nombreux responsables politiques, et pour une grande partie de l’opinion, la cause semble entendue : consommer des OGM n’est pas sûr.

Pourtant, en trente ans, aucune étude n’a pu démontrer leur nocivité. Mais les plus inquiets réclamaient des preuves plus solides. C’est à cette attente qu’une équipe chinoise tente de répondre, avec une expérimentation d’une ampleur inédite. Pendant plus de sept ans, les chercheurs ont nourri des macaques cynomolgus avec deux variétés de maïs génétiquement modifié : l’une résistante aux insectes, l’autre tolérante aux herbicides. Cet animal, très proche de l’humain, est régulièrement utilisé dans les tests biomédicaux les plus exigeants. La durée de l’expérience, exceptionnelle, dépasse largement celle de toutes les études menées jusque-là.

Le résultat ? Aucun trouble métabolique. Aucun signe d’inflammation. Aucun dérèglement du système immunitaire. Les primates exposés au maïs OGM n’ont présenté aucune différence biologique significative avec le groupe témoin.

L’étude a été financée par plusieurs institutions publiques chinoises, dont l’Académie des sciences médicales et la province du Yunnan. Elle a été publiée dans la revue scientifique Journal of Agricultural and Food Chemistry, publiée par l’American Chemical Society (ACS), une des plus prestigieuses sociétés savantes dans le domaine de la chimie. Contrairement à d’autres travaux controversés, cette recherche ne semble ni orientée par l’industrie, ni portée par une cause militante.

Certes, elle ne porte que sur deux types de maïs transgénique. Mais elle vient ébranler l’idée que les OGM seraient nécessairement nocifs à long terme. Malheureusement, il est probable qu’elle passe inaperçue. Contrairement à l’étude Séralini, qui, a sa sortie, a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Le Nouvel Obs titrait en une, « Oui, les OGM sont des poisons ! », pendant que le documentaire « Tous cobayes ? », exposait des images spectaculaires de rats présentant des tumeurs.

Alors que Bruxelles débat de l’autorisation des NGT, ces nouveaux OGM sans transgénèse, il est regrettable que cette information ne soit plus largement diffusée. Une fois encore, les peurs pourraient être agitées sans que l’on prenne le temps d’écouter ce que dit réellement la science. Pire, elles trouveront, grâce à aux anciens titres alarmistes restés dans l’imaginaire collectif, un terreau fertile sur lequel prospérer.

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Le bio selon les faits : mirage ou miracle ? 

28 juillet 2025 à 22:39

Toujours au top dans l’actualité, l’agriculture biologique remporte pourtant un succès… décroissant. Alors, nécessaire purification par le marché pour une filière très subventionnée qui réclame toujours plus de débouchés imposés ? Ou injustice faite à un mode de production vertueux, censé nous nourrir sainement et préserver la planète ?

Longtemps promue comme une solution miracle – pour les sols, l’eau, la biodiversité, la santé et même le climat – l’agriculture biologique bénéficie d’un soutien politique rarement démenti. En 2025 encore, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, y voit un « pilier essentiel de notre souveraineté alimentaire » et lui réaffirme son soutien « indéfectible ». Un engagement sonnant et trébuchant : plus de 350 millions d’euros d’aides par an, et un objectif de 21 % de surface agricole utile en bio d’ici à 2030 – deux fois plus qu’aujourd’hui.

Pourtant, la dynamique s’essouffle. Les surfaces stagnent, la consommation recule, les conversions s’arrêtent voire s’inversent. Et les soutiens du bio en viennent à hystériser le débat, parfois jusqu’à l’indignité. Le jour du vote de la loi de simplification agricole, Marine Tondelier publiait : « Tous les députés qui voteront pour la loi Duplomb voteront pour l’empoisonnement de vos enfants et la destruction de la biodiversité ». Y a-t-il urgence qui justifie l’outrance ?

Alors : que promettait vraiment le bio ? Qu’a-t-il tenu ? Et est-il vraiment la meilleure – voire la seule – voie pour conjuguer santé, climat, biodiversité et souveraineté alimentaire ?

C’est ce débat que Les Électrons Libres ouvrent ici, en cinq chapitres. Sans parti pris, mais avec nuance, en restant attachés aux faits permettant d’explorer en profondeur les dessous de notre assiette.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement une partie de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? » – mais une partie seulement.

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La bio du bio

28 juillet 2025 à 22:39

Au XIXᵉ siècle, Thomas Malthus écrivait que « le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire la subsistance de l’homme ». Cette vision profondément pessimiste – devenue un nom commun, le malthusianisme – de la croissance démographique l’amenait à penser que la planète ne pourrait nourrir durablement plus d’un milliard d’humains — un seuil franchi dès 1804, soit, ironiquement, à peine quelques années après la parution de son Essai sur le principe de population (1798).

Depuis 1927, date à laquelle l’humanité a atteint deux milliards d’habitants, la population mondiale a quadruplé. Pourtant, le nombre de fermes dans le monde est resté relativement stable — autour de 600 millions — tandis que la main-d’œuvre agricole a chuté drastiquement dans les pays industrialisés. Dans le même temps, la surface agricole mondiale s’est accrue jusqu’à représenter environ 37 % des terres émergées, avant de se stabiliser.

Agriculture vivrière : le grand bond en arrière

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Cet exploit a été rendu possible par des transformations radicales de l’agriculture : semences hybrides à haut rendement, engrais de synthèse, produits phytosanitaires, mécanisation, irrigation massive… Ce bouleversement, amorcé dans les années 1950-60, a pris le nom de « révolution verte ».

Les résultats se sont avérés spectaculaires : en Inde, les rendements du riz ont été multipliés par cinq entre 1960 et 2000. L’apport énergétique moyen par habitant a fortement augmenté, la malnutrition infantile a reculé et les grandes famines ont quasiment disparu, en dehors des contextes de guerre et des moments où l’idéologie a pris le pas sur la science. On pense à l’URSS et aux délires pseudo-scientifiques de Lyssenko qui ont ravagé l’agriculture soviétique. Mais aussi à la Chine maoïste où les politiques agricoles de collectivisation forcée ont provoqué la mort de dizaines de millions de personnes, et, bien entendu, au Cambodge, quand les Khmers rouges ont tenté de supprimer la propriété privée et l’agriculture moderne, éradiquant plus de 25% de la population locale, un sinistre record dans l’Histoire.

Trofim Lyssenko, jardinier et idéologue redouté

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L’agriculture moderne est l’un des plus grands succès de l’humanité. Elle a permis d’éviter des famines massives et, sous l’impulsion de pionniers comme Norman Borlaug, sauvé plus d’un milliard de vies. Mais ces avancées décisives ont aussi eu leur revers. L’intensification agricole a entraîné pollutions, perte de biodiversité, émissions accrues de gaz à effet de serre et appauvrissement des sols. La spécialisation des cultures, la disparition des haies et le recours massif aux intrants ont fragilisé la résilience des agrosystèmes..

Norman Borlaug, l’homme qui en sauva un milliard

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La France illustre bien ces évolutions. À partir des années 1960, son agriculture s’est modernisée à marche forcée : mécanisation, structuration des filières, limitation des importations et prix d’achats garantis via la PAC. Résultat : la production a doublé depuis 1960 — et même plus que triplé pour les céréales — sans extension des surfaces cultivées.

Mais cette modernisation s’est accompagnée d’un exode rural massif. Le nombre d’exploitations est passé de 1,26 million en 1979 à moins de 400 000 en 2020. Il pourrait chuter à 275 000 d’ici 2035. Dans le même temps, la taille moyenne des exploitations a augmenté de 25 % entre 2010 et 2020. Beaucoup d’exploitants ont quitté la profession, d’autres sont devenus dépendants des aides publiques.Mais les chiffres les plus éloquents sont ceux-là.  En 1960, l’agriculture au sens large (incluant la sylviculture et la pêche) représentait 21% de l’emploi total en France. En 2023, selon les dernières données disponibles de l’INSEE, elle ne pèse plus que 2,51%… 

Et les crises se sont accumulées : chlordécone, dioxines, hormones, vache folle… Des scandales sanitaires et environnementaux ont profondément ébranlé la confiance des citoyens dans le modèle productiviste.

C’est dans ce contexte, et souvent en réaction à ces dérives, qu’un premier mouvement en faveur d’une agriculture plus « naturelle » a émergé dès le début du XXᵉ siècle.

L’agriculture biologique contemporaine émerge ensuite dans les années 1940, en Europe et en Inde, comme réaction à la montée en puissance de l’agriculture industrielle et à sa dépendance croissante aux intrants chimiques. Les premiers pionniers insistent alors sur une idée a priori simple : la fertilité d’un sol ne peut être durablement maintenue qu’en respectant ses cycles biologiques, par l’usage de composts, de rotations longues et d’engrais organiques, et non par le recours exclusif aux fertilisants de synthèse.

Deux figures marquent les débuts de ce courant. En Angleterre, Albert Howard, envoyé en Inde comme agronome impérial, observe les méthodes agricoles locales et défend une approche holistique du sol, de la plante et de l’animal. Il développe l’idée de sol vivant et met l’accent sur le recyclage de la matière organique. En Allemagne, Rudolf Steiner, gourou sulfureux sans la moindre compétence agricole, pose en 1924 les bases de la biodynamie : un mélange de techniques agronomiques, de pratiques lunaires — au sens propre comme au figuré — et de rituels ésotériques, comme l’enfouissement d’une corne de vache remplie de bouse à l’équinoxe.

Biodynamie : quand l’agriculture sent le soufre

J’approfondis

Dans les années 1960-70, à la faveur d’une prise de conscience écologique (pollutions, marées noires) et d’inquiétudes sanitaires, le bio gagne en visibilité. En France, l’AFAB (Association française pour l’agriculture biologique) est créée dès 1962. D’autres réseaux militants ou coopératifs suivent. L’État ne reconnaîtra officiellement le label « AB » qu’en 1985, puis adoptera la réglementation européenne dans les années 1990-2000. Le règlement UE 2018/848 fixe aujourd’hui les règles précises de l’agriculture biologique.

Les grands principes du bio

Les exigences légales du règlement (UE) 2018/848 sont :

  • Interdiction formelle des OGM, engrais minéraux, pesticides de synthèse ; les antibiotiques ne sont utilisés qu’en dernier recours pour santé animale 
  • Rotation pluriannuelle des cultures, intégrant légumineuses ou engrais verts pour préserver la fertilité des sols 
  • Gestion des sols avec priorité donnée à la matière organique (compost, fumier), réduction du labour, lutte contre l’érosion et maintien de la vie microbienne du sol
  • Protection des plantes basée sur des variétés résistantes, la lutte biologique, et un recours limité à des substances autorisées uniquement si les méthodes alternatives sont insuffisantes
  • Élevage biologique exigeant : densité maîtrisée, plein air, alimentation biologique dès la naissance, races adaptées et bien-être animal renforcé.

Contrairement à une idée reçue, le bio n’est pas nécessairement local, ni sans mécanisation, ni sans intrants, ni même sans chauffage de serre : un produit bio peut venir de très loin, voyager en camion frigorifique, et avoir une empreinte carbone importante.

Le mot d’ordre affiché est simple : « nourrir sans nuire ». Mais derrière cette formule, le bio porte une dimension idéologique assumée : rejet du productivisme et de la mondialisation, culte du « naturel », et préemption du « manger sainement ».

Longtemps porté par des pionniers sincères, ce modèle s’est institutionnalisé. Aujourd’hui, environ 10 % des terres agricoles françaises sont cultivées en bio. Le marché s’est structuré, la grande distribution s’est emparée du label, et la consommation a explosé jusqu’en 2021.

Mais cette croissance s’accompagne de tensions. Et plus le modèle s’étend, plus ses prétentions hégémoniques se heurtent à ses propres limites économiques et agronomiques.

Les défis du XXIème siècle : les travaux d’Hercule de l’agriculture

Surtout, une question de fond s’impose : l’agriculture biologique est-elle vraiment le contre-modèle vertueux qui nous est présenté ? Ou masque-t-elle, sous couvert d’évidence morale, un débat plus vaste sur les compromis à faire ?

Car les défis auxquels l’agriculture est confrontée sont considérables. Même si la croissance démographique ralentit, la première question – et la plus cruciale – reste celle de notre capacité à produire assez pour nourrir une population mondiale toujours en augmentation. Mais aussi d’y parvenir en assurant une qualité sanitaire élevée et des produits diversifiés à un coût acceptable pour le consommateur. Ce qui introduit logiquement le problème de la rémunération équitable des producteurs et de l’amélioration de leurs conditions de travail, dans un contexte de pénurie récurrente de main-d’œuvre dans les filières agricoles. Le tout devant se réaliser dans le souci constant de la réduction de l’empreinte environnementale globale (eau, sols, climat, biodiversité) et de la minimisation de la surface agricole. Des questions qui, pour la plupart, s’apparentent à des dilemmes.

Face à eux, le bio est-il alors la solution  ? Tient-il ses promesses ? Ou son omniprésence médiatique et politique occulte-t-elle d’autres solutions, plus efficaces, voire plus réalistes ?

Ce sont ces questions que nous aborderons dans les chapitres suivants de cette série et du livre qui en découle.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

27 juillet 2025 à 06:06

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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Pétition Duplomb : quand l’émotion prend le pas sur la raison

23 juillet 2025 à 04:05

Plus d’un million et demi de signatures pour la dénoncer en quelques jours. Tout juste votée, la loi Duplomb devient le symbole des divisions qui traversent notre pays, autant qu’elle traduit notre malaise démocratique. « Loi poison », « Mange, t’es mort », « Le cancer vote à droite »… Les slogans caricaturaux la dénonçant fleurissent, repris par certains journalistes et politiques. Mais que peut bien contenir cette loi pour justifier ces outrances ? Notre agriculture met-elle vraiment les Français en danger ? A moins qu’un péril plus grand ne les guette, celui du populisme.

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, ne s’attendait sans doute pas à passer à la postérité de la contestation en présentant sa proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». C’est pourtant le cas avec son texte, envisagé en réaction aux vives manifestations des agriculteurs du printemps 2024, réclamant une simplification de certaines normes régissant leur profession et un alignement des très sévères réglementations françaises sur celles dictées par l’Europe, pourtant assez rigoureuses.

Que change la loi Duplomb ?

Elle s’articule autour de quatre axes et huit (longs) articles.
En premier lieu et par ordre croissant d’importance ou de capacité à enflammer les débats.

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), sera amenée à traiter en priorité les demandes de mise sur le marché de produits phytosanitaires répondant à un besoin urgent. Une demande partiellement retoquée par le Parlement et réintroduite par décret, ce qui peut être contesté, et le sera. Notamment par Corinne Lepage au nom de l’association Agir pour l’environnement. Une question purement juridique, mais légitime, n’ayant cependant rien à voir, contrairement à ce qui est prétendu, avec une mise sous tutelle de l’Agence, puisque celle-ci reste parfaitement indépendante quant aux avis qu’elle émet.

La loi prévoit ensuite la simplification de l’installation, de la modernisation et de l’agrandissement des bâtiments destinés à l’élevage. S’ils seront toujours soumis aux mêmes normes environnementales, le seuil déclenchant la réalisation d’une étude d’impact va être aligné sur les standards européens. Une mesure qui n’a rien d’un changement de paradigme.

Les deux sujets suivants, les retenues d’eau (les fameuses « mégabassines ») et la réintroduction partielle d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), l’acétamipride, sont en revanche les mèches qui ont déclenché l’incendie politique et sociétal actuel.

Le premier d’entre eux a failli connaître un destin funeste. Issu de l’article 5 de la loi et de son titre III, « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource », il a été labouré dans les grandes largeurs en Commission Développement durable par les écologistes et sa présidente, Renaissance, Sandrine Le Feur, afin d’arriver à un résultat contredisant la volonté du législateur. Le but ? Suivre la doxa des Verts visant à interdire les retenues d’eau, ou les réserver aux seuls agriculteurs bio, dont Sandrine Le Feur est… une des représentantes. Le subterfuge n’a heureusement pas été validé. Pour le reste et pour mieux comprendre les enjeux de ces retenues et particulièrement de leur utilité dépendant des sols sur lesquelles elles sont installées, nous vous renvoyons aux trois articles que nous avons déjà consacrés à la question :
Stockage de l’eau : solution ou illusion ?
Quand les députés inventent… l’agriculture sèche
La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

Reste la pièce maîtresse, l’acétamipride.

Il s’agit d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), partiellement ré-autorisé par la loi. Il faut insister sur le mot « partiellement ». L’usage de notre accusé ne pourra être accepté qu’en cas de problème majeur, par voie de dérogation, de façon limitée dans le temps, et à la seule condition de l’absence de solution alternative. Rien à voir donc avec une ouverture massive des vannes en faveur de tous les pesticides, ni de celui-ci, comme ce que les contempteurs opportunistes de la loi, et beaucoup de citoyens manipulés mais sincères, prétendent. Et là est toute la question. Encore fallait-il lire la loi.

Autorisé jusqu’en 2033 dans l’Union Européenne (et presque partout ailleurs dans le monde), il a été interdit en France en 2018, comme tous les NNI. Ce ne fut pas sans conséquences. La production de cerises, liée à un autre NNI, s’est effondrée de 25%, sonnant le glas d’un tiers des exploitations. La filière noisettes a perdu l’an dernier, en raison d’un été pluvieux favorisant les ravageurs, 30% d’une récolte… déjà moitié moins importante qu’à l’accoutumée. La filière sucrière française, jusque-là leader européen, a vécu une catastrophe. Avec pour conséquence de regarder impuissante la concurrence allemande prendre sa place avec… ses champs pulvérisés à l’acétamipride. Ainsi, depuis 2019, 6 des 20 sucreries hexagonales ont fermé. Mais c’est toute la filière, qui représente environ 25 000 emplois directs, et 45 000 indirects ou induits, qui est menacée. Sandrine Rousseau a beau dire scandaleusement « La rentabilité [des agriculteurs], je n’en ai rien à péter », c’est de leur survie qu’il s’agit, non de leurs profits. Est-ce aussi négligeable pour les écologistes ? Une réalité sociale qui ne pourra que nourrir la colère paysanne, sans garantir le sucre consommé en France d’être exempt de pesticides dans sa production étrangère. Pour la simple et bonne raison… que c’est aujourd’hui impossible.

Un tueur d’abeilles cancérogène ?

Selon la plupart des agences sanitaires, dont l’EFSA (l’agence sanitaire européenne), la toxicité de l’acétamipride pour les abeilles est nettement plus faible que celle des autres NNI. Sa persistance dans l’environnement est notamment beaucoup plus courte, avec une demi-vie (durée nécessaire à la disparition de 50 % du produit) inférieure à 8 jours, au lieu de plusieurs mois. Sans compter que les abeilles ne butinent pas la betterave, puisqu’elle ne produit… pas de fleurs.

Et pour notre santé ? Malgré certaines déclarations, le lien entre cancer du pancréas et acétamipride n’a été démontré par aucune étude. Les réelles craintes ne portent pas sur son aspect cancérogène mais sur son rôle de potentiel perturbateur endocrinien et sur le développement des enfants. Dit comme cela, c’est effectivement inquiétant. Mais ces risques ne peuvent subvenir qu’en cas d’exposition aiguë – la dose fait le poison. Pour plus de sûreté, dans l’attente d’études complémentaires, l’ANSES a recommandé l’an dernier d’abaisser la dose journalière admissible de résidus (DJA). Et l’exposition chronique des populations est très inférieure à ces seuils. Rappelons par ailleurs l’hypocrisie qui préside à cette soudaine indignation nationale à l’égard de l’acétamipride, alors que personne ne semble s’en offusquer pour ce qui est de sa très large utilisation domestique à des doses non négligeables, dans les insecticides contre les blattes, les fourmis, mais également dans les sprays anti-puces. Quant aux colliers voulant préserver chiens et chats des mêmes parasites, ils sont bourrés d’un autre NNI, l’imidoclapride, bien plus dangereux que l’acétamipride.

Et sinon, nourrir les Français ?

A chercher une solution parfaite, on en oublie les bases de notre sécurité alimentaire. Une agriculture « sans pesticides » ? Aujourd’hui, elle n’existe tout simplement pas, en tous cas pas à des prix raisonnables. En évitant de perdre des récoltes, les pesticides ont mis fin aux famines et sauvé des centaines de millions de vies. Le bio en utilise d’ailleurs aussi, comme le spinosad, redoutable contre les pollinisateurs, mais étonnamment absent des débats. Car non, les agriculteurs sérieux, bio ou non, ne comptent pas sur les couples de mésanges pour régler le problème des insectes, contrairement aux prétentions du député écologiste Benoît Biteau.

Derrière cette hystérie, deux modèles s’affrontent. Le premier, productiviste, qualifié d’intensif, s’améliore en termes sanitaires. Depuis le début du XXIe siècle, les pesticides CMR1, les plus suspectés d’être cancérogènes, ont en France été définitivement interdits les uns après les autres. Par ailleurs, avec l’IA et la génétique, ce modèle est probablement à l’aube de bouleversements plus grands encore, que nous présentons dans notre livre « Trop bio pour être vrai », qui sort le 29 juillet. Le second, que ses partisans aiment appeler « paysan », envisage un retour fantasmé aux traditions, au travail manuel, à l’usage d’intrants naturels, parfois peu efficaces et qui ne sont pas exonérés de risques. Ses promoteurs ferment les yeux sur ses faibles rendements –  20 à 30 % inférieurs – qui rendent impossible sa généralisation sans un recours à une augmentation massive des surfaces, et à la déforestation qui l’accompagne. Mais surtout à une explosion des prix à l’achat dans les commerces. Qu’importe, puisque cette confrontation n’a plus rien de scientifique, elle n’est que politique et irrationnelle.

Dérapage médiatique et politique

Car, au final, de quoi s’agit-il avec l’acétamipride. D’un NNI moins toxique que les autres, dont la réintroduction minimale est indispensable pour la survie de plusieurs filières agricoles, et qui se trouve très encadré… On est très loin d’une atroce « loi pesticides ». Mais les arguments rationnels ont peu de poids face aux slogans anxiogènes qui inondent les médias et aux luttes manichéennes sur les réseaux sociaux ou sur les bancs de l’Assemblée nationale. L’heure est à la politique de l’émotion, toujours victorieuse de la raison, portée par l’infotainment et une communication omniprésente qui détourne le regard de ses promesses de vérité. Ses tenants prétendent alors prendre à témoin le peuple de leur sincérité, l’encourageant à tomber dans le piège du populisme qui leur est tendu. Alors, qu’importe sa qualité ou ses compétences, chacun se jette sans pudeur au cœur de l’agora numérique pour avilir les débats, sans crainte du ridicule, opposant la croyance à la science, les on dit aux faits, la puissance de la voix à la discrétion de l’évidence. Du pain bénit pour ceux, instruits des leçons de Gramsci et de la guerre culturelle, pour lesquels l’instrumentalisation des peurs ne semble avoir aucune limite. Surtout quand elle leur offre tant de profits. N’oublions pas qu’une motion de censure menace le gouvernement à la rentrée et que les prochaines municipales se profilent. La loi Duplomb n’est qu’une variable d’ajustement de ces luttes où chacun se place, sans considération pour le réel… ni pour la décence. Comme en témoigne la manière dont Fleur Breteau, pasionaria du combat contre la loi et ambassadrice de ses porteurs, se met en scène pour témoigner des prétendues horreurs que le texte contient. Styliste, fondatrice d’une chaîne de sex-shop et militante de Greenpeace, elle n’a jamais travaillé dans l’agriculture. Hélas atteinte d’un cancer du sein, comme bien trop de femmes, cette quinquagénaire sert de caution immorale à un combat dont le rapport avec sa maladie reste mystérieux. On rappellera à ce titre que, notamment, contrairement aux cancers de la peau liés à l’exposition au soleil, ceux qui touchent le sein sont 18% moins fréquents chez les agricultrices que dans le reste de la population. Comme l’extrême droite se repaît des faits divers violents pour faire croître son électorat, une partie de la  gauche et d’un centre déboussolé exploite la crainte de la maladie dans le même but.

Et c’est bien leur rencontre que ces deux camps espèrent, in fine, quand « la poudre de perlimpinpin » de ce débat sera retombée, et qu’ils auront éliminé les fauteurs de trouble de la raison et de la science. Escortés, à cette fin, par tous leurs idiots utiles, dont un certain nombre de médecins, qui n’ont, ni lu la loi, ni regardé les études la justifiant, mais veulent à tout prix, comme nombre de citoyens égarés – on les comprend – rester dans ce qu’ils imaginent être « le camp du bien ». Drôle, quand on pense qu’ils livrent ainsi la France à des aliments produits dans de bien plus suspectes conditions que les nôtres, en plus d’attiser des colères dont seuls les populistes profiteront à leurs dépends.

Et après ?

La pétition lancée contre la loi Duplomb continue d’engranger les signatures. Elle a au moins l’avantage de témoigner de l’intérêt croissant (mais pas encore informé) des Français pour les questions écologiques. Elle est le fruit d’une jeune fille de 23 ans, Éléonore Pattery, une étudiante bordelaise en master QSE et RSE (Qualité, Sécurité, Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises). Elle aussi, dont nous ne doutons pas de la sincérité de l’engagement, connaît, sans doute malgré elle, le même quart d’heure de célébrité poisseux qui atteint le Sénateur Laurent Duplomb. Son texte, (que vous pouvez retrouver ici), hélas exempt de toute donnée scientifique, va continuer à attiser le feu d’un débat délétère qui tendra à s’étioler durant un mois d’août propre aux vacances, avant de voir ses braises raviver le feu de la contestation à la rentrée. Une rentrée à hauts risques. Car, derrière les signatures et l’agitation militante, c’est bien l’extrême droite qui gagne (encore) des points en se mettant en soutien d’un monde agricole lassé du mépris qui lui est témoigné, alors qu’il tente de nourrir le pays. Et ce, avant une motion de censure automnale de tous les dangers. Car, comme l’a rappelé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, la pétition ne pourra en rien contrarier la loi votée. Elle provoquera un nouveau débat à l’Assemblée, si sa conférence des présidents le souhaite – ce qui sera sans doute le cas. Mais sans projet de loi d’abrogation, ou nouvelle proposition, le texte restera en l’état. A moins que, comme après les manifestations du CPE d’un Dominique de Villepin qui vient de s’inviter dans le débat avec ses mots creux habituels, le chef de l’État use de la même ruse que Jacques Chirac à l’époque. Promulguer la loi, mais demander au gouvernement de ne pas en signer les décrets d’application. Dans ce cas, plus furieux que jamais, les agriculteurs réinvestiront les rues, tandis que leurs filières continueront à s’amenuiser au profit de nations concurrentes et moins contrariées. Si, en revanche, la loi était appliquée, la gauche urbaine et calculatrice, embrigadant dans son sillage une jeunesse pleine de bonne intention et vide de connaissances sur les questions agricoles et scientifiques, viendra battre le pavé du déni en attendant les prochains scrutins qu’elle espère et figureront pourtant son dernier tombeau. 

Imaginez-vous que nous en sommes là. Avec pour bouc émissaire, une loi limitant au possible les licences qu’elle octroie à l’usage d’un pesticide parmi les moins nocifs – ils le sont tous plus ou moins, c’est leur principe – mais prévenant la mort de plusieurs filières agricoles et l’envoi au chômage de dizaines de milliers de Français, sans résoudre aucun problème. Viendra-t-il le jour où ceux, doués de raison, mais mollement imperméables à la violence des débats, (soit, souvent la majorité), auront le courage de prendre parti avant de tout perdre ? La question n’a pas fini de se poser…

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Trop bio pour être vrai ? Le livre !

17 juillet 2025 à 13:01

Il peine à se faire une place dans nos assiettes, mais doit pourtant, pour le législateur, représenter 21 % de notre agriculture dans 4 ans. Derrière ce volontarisme, la promesse d’une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement. Mais manger bio est-il vraiment bon pour la santé et pour la planète ?

Un livre compact, direct et ludique, coloré et richement illustré ! Nos spécialistes Stéphane Varaire, Jérôme Barrière, Anne Denis & Frédéric Halbran, soutenus par Antoine Copra et Benjamin Sire, font le point sur l’état de la science, sans a priori et sans faux-semblants.

À grignoter sans modération !

Disponible dès aujourd’hui, sur Amazon pour les versions broché et Kindle et directement sur notre site au format epub.

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La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

26 juin 2025 à 23:20

« Les data centers ont pompé 560 milliards de litres d’eau ! », « Un kilo de bœuf = 15 000 L d’eau ! », « Le maïs irrigué utilise 25 % de l’eau consommée ! ».
Ce genre de chiffres chocs pullule dans la presse. Et à lire les articles, un constat s’impose
 : la gestion de l’eau est mal comprise. Par les journalistes, et sans doute aussi par une bonne partie du public.
Or, dans un monde qui se réchauffe, mal comprendre l’eau, c’est risqué. Alors, retour aux sources !

L’eau, une ressource pas comme les autres

Oubliez les gros chiffres qui font peur. Ils sont parfois impressionnants, mais pas toujours pertinents.

Pourquoi ? Parce que l’eau, ce n’est pas du charbon. Chaque tonne de charbon brûlée part en fumée et disparaît à jamais, contribuant au réchauffement climatique. Et son extraction puise dans un stock limité. L’eau, elle, suit un cycle. Elle revient. Toujours.

Le cycle de l’eau

Raisonner en “stock”, comme pour le charbon ou le pétrole, n’a donc pas beaucoup de sens. Il faut raisonner en flux : ce qui compte, ce n’est pas combien on prélève, mais , quand, et surtout à quelle vitesse l’eau se renouvelle dans le système considéré.

Évidemment, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas manquer d’eau. Si on prélève trop à un endroit ou à un moment où elle se renouvelle lentement, on crée un déséquilibre. Mais si on prélève moins que ce que le système peut absorber : aucun problème.

Les risques causés par les prélèvements d’eau

En réalité, il n’y en a que deux :

-Le conflit d’usage, qui peut mener à des restrictions, voire à des pénuries pour certains usagers.
-Les atteintes aux écosystèmes aquatiques, si on puise dans un milieu déjà fragilisé.

Ces risques peuvent être immédiats ou différés, selon la nature du prélèvement et du milieu concerné.

Pour bien comprendre, passons en revue trois cas concrets.

Le cas des cours d’eau

Prenons une rivière. L’eau y file vers la mer. Un prélèvement dans ce type de milieu n’aura donc que des effets immédiats. Si, au moment du prélèvement, le débit est correct, il n’y a pas de problème, donc aucune raison de s’en priver.

Les centrales nucléaires, un problème pour la ressource en eau ?

J’approfondis

En revanche, si le niveau est bas, chaque litre retiré peut avoir des effets directs sur l’écosystème : dans le lit du cours d’eau lui-même, ou à l’estuaire, où l’eau douce est cruciale pour les espèces côtières.

C’est pourquoi des seuils de gestion sont définis dans les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau). Le débit d’alerte marque le moment où les usages commencent à être limités. Et le débit de crise est le seuil en dessous duquel seuls les usages essentiels (santé, sécurité civile, eau potable, besoins des milieux naturels) sont autorisés.

Ces seuils sont fixés localement, par concertation entre les acteurs du territoire, sur la base d’expertises scientifiques et du Code de l’environnement. On peut donc leur faire confiance.

Exemple des variations de débit dans la Gave d’Oloron (Pyrénées Atlantiques), et seuils associés

Cas d’une nappe inertielle

Les nappes phréatiques sont des volumes d’eau souterrains. On parle de nappes inertielles lorsque leur niveau varie peu au fil des saisons, car elles se rechargent très lentement. C’est par exemple le cas sous le bassin parisien.

De l’eau dans les roches

J’approfondis

Prélever dans une nappe inertielle revient à puiser dans ses économies : il n’y a pas d’effet immédiat sur les écosystèmes (personne ne vit à plusieurs dizaines de mètres sous terre), mais si on puise plus que ce qui se recharge chaque année, on épuise la ressource à long terme.

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait suivre cela. Le BRGM publie régulièrement des bulletins sur l’état de remplissage des nappes. Si elles sont bien remplies, on peut les solliciter. Si elles sont basses, on ralentit les prélèvements. Ce suivi permet d’anticiper les tensions et d’éviter les déséquilibres.

Un exemple de bulletin de suivi des nappes, du 1er juin 2025

Cas d’une nappe réactive

À l’inverse, certaines nappes réagissent très rapidement aux pluies et aux sécheresses. On les appelle nappes réactives. Elles sont souvent très connectées aux rivières et aux zones humides.

C’est le cas typique dans les Deux-Sèvres, où ont été installées les controversées mégabassines (cf. https://lel.media/stockage-de-leau-solution-ou-illusion/). Dans ces nappes, tout prélèvement peut avoir un impact quasi immédiat sur les milieux aquatiques. Mais il peut aussi y avoir des conséquences différées, dont la latence dépendra de la réactivité de la nappe. Pour une nappe très réactive comme dans les Deux-Sèvres, on estime qu’un prélèvement peut avoir des conséquences sur le remplissage de la nappe jusqu’à environ un mois après.

C’est précisément pour cela que les retenues de substitution (alias « mégabassines ») ne se remplissent qu’en hiver, quand l’eau est abondante. Avec une marge de sécurité de quelques semaines pour prendre en compte l’impact différé. Et pour éviter les risques immédiats, les pompages ne sont autorisés que lorsque les niveaux sont suffisants.

Autrement dit : on pompe uniquement quand l’eau est disponible, et sans compromettre les milieux.

Ce qu’il faut retenir

Tous les prélèvements d’eau ne se valent pas.

Pomper dans une rivière en crue ? Aucun souci. Pomper dans une nappe réactive à sec en plein été ? Mauvaise idée.

L’eau n’est pas une ressource à bannir, mais à gérer intelligemment. Contrairement au charbon ou au pétrole, on peut en utiliser sans dommage… si on respecte certaines règles. Et cela, la France le fait déjà plutôt bien, via les SAGE, les seuils de gestion, et le suivi des nappes. Alors non, l’irrigation n’est pas « le mal ». Ce qui compte, c’est quand, et comment on irrigue. Tant que cela reste encadré, raisonné et conforme aux règles collectives, il n’y a aucune raison d’en faire un scandale.

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Le maïs, une culture controversée

16 juin 2025 à 12:01

Pour certains, c’est la culture du diable.
Le symbole de l’agriculture intensive et destructrice de son environnement.
Pénurie d’eau ? Pollution ? Monoculture ? Sols morts ? Enquête sur un coupable idéal : le maïs.

Très médiatisée, la culture du maïs fait partie des totems de l’écologie politique, au même titre que le glyphosate ou les OGM. Pourtant, cette plante étonnante est mal connue du grand public. Au point que quantité d’idées reçues, et même de fake news, circulent à son sujet.

Commençons par l’eau.

Qui n’a pas été marqué par ces impressionnants systèmes d’arrosage qui semblent déverser, en plein soleil, des milliers de litres dans nos campagnes ? Oui, à lui seul, le maïs pourrait être responsable de 18% de la consommation d’eau hexagonale. Quasiment un cinquième ! Car le maïs, c’est un tiers des surfaces concernées par l’irrigation. Irrigation responsable de plus de la moitié de l’eau consommée en France…

Le taux d’irrigation du maïs n’est pourtant pas excessif : en 2020, seules 34% des cultures de maïs grain étaient irriguées (6% pour le maïs fourrage). C’est moins que le soja (51%), les légumes frais (59%), les agrumes (100%), les vergers (60%) et les pommes de terre (40%)

Et à production constante, le maïs n’est pas plus gourmand en eau que d’autres céréales : pour produire 1kg de maïs grain, il faut environ 454L d’eau, contre 590L pour 1kg de blé… C’est encore moins pour le maïs fourrage : seulement 238L d’eau par kg. Alors pourquoi une telle consommation totale ? Car le maïs est une culture d’été. Et à cette saison, les précipitations sont souvent insuffisantes pour assurer le développement de la plante.

Un point fort : la productivité.

Avec 91 q/ha pour le maïs grain, et 124 q/ha pour le maïs fourrage, les cultures de maïs présentent les plus hauts rendements céréaliers de France. Deux fois plus que le blé dur ou l’orge ! Cette forte productivité permet une meilleure rentabilité économique, mais pas seulement : elle permet aussi des gains écologiques.

Une meilleure efficience des terres agricoles permet en effet de limiter les impacts liés à l’usage des sols. Et ce n’est pas tout ! Une forte productivité permet aussi de stocker du carbone dans les sols, donc de limiter le réchauffement climatique.

Le maïs est capable de fixer jusqu’à 22 tonnes de CO2 par hectare et par an, soit plus qu’une forêt tropicale (environ 15 tCO2/ha/an) ! Et même s’il n’y a qu’une petite partie de ces 22 tonnes qui sera réellement fixée de manière durable dans le sol, la culture de maïs séquestrerait tout de même de manière pérenne 3.7 tonnes de carbone par hectare et par an, ce qui est mieux que n’importe quelle autre culture.

Une culture dédiée à l’élevage ?

Globalement, oui, à hauteur de 75%. Pour le maïs grain, on peut estimer à environ 40% la part du maïs grain dédié à l’élevage. C’est beaucoup, mais ne doivent pas invisibiliser les 60% qui servent pour d’autres usages : alimentation humaine, biocarburant, amidonnerie, etc.

Mais n’oublions pas le maïs fourrage, dédié uniquement à l’alimentation du bétail, et qui concerne des surfaces comparables au maïs grain. Le maïs fourrage est cependant moins exigeant en eau et ne nécessite généralement pas d’irrigation : son impact écologique est donc plus limité. Ainsi, « seulement » 50% des surfaces irriguées de maïs sont dédiées à l’alimentation animale.

Quelles perspectives ?

La culture du maïs est étroitement liée à l’élevage, qui a un mauvais bilan sur le plan écologique. Mais il est naïf de penser qu’une diminution de la production de maïs français diminuerait les impacts de l’élevage. On importera juste plus de maïs. Ou plus de viande. Ou peut-être produirons-nous d’autres types de fourrages qui ne seront pas forcément plus écologiques… Bref, pas sûr qu’on y gagne. Mais il est vrai que cultiver du maïs risque de devenir de plus en plus compliqué dans certaines régions, faute d’eau disponible pendant l’été pour irriguer.

Alors que faire ? Abandonner les cultures d’été ? L’efficience de nos terres agricoles risquerait d’en pâtir, ce qui ne serait profitable pour personne. Le remplacer par d’autres cultures d’été moins exigeantes en eau ? Il n’en existe pas tant que ça. On entend beaucoup parler du sorgho, mais ses rendements sont largement inférieurs à ceux du maïs, et il nécessite lui aussi souvent de l’irrigation. Le remplacer par des prairies ? Il s’agit sûrement de la meilleure option, car celles-ci présentent des atouts indéniables en termes de performances écologiques et patrimoniales. Mais elles présentent aussi des inconvénients d’ordre pratique, ainsi qu’une vulnérabilité à la sécheresse supérieure au maïs…

Ou peut-être est-il possible de continuer à cultiver le maïs… À condition d’exploiter toutes les solutions d’adaptation dont on dispose : réserves d’eau, techniques de conservation des sols… Et pourquoi pas compter sur les apports du génie génétique, capable aujourd’hui de produire des variétés résistantes à la pénurie d’eau.

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Glyphosate, le retour

16 juin 2025 à 04:23

Chaque semaine, un nouveau signal d’alarme sanitaire vient semer l’effroi sur nos fils d’actualité : aspartame, cadmium, pesticides… C’est le festival de « Tu cannes ! ». Mais la star des produits faisant vendre du papier est le glyphosate. Le voilà de retour dans l’actualité avec la parution de ce qui est présenté par nos confrères, allant du Monde, en passant par Le Quotidien du Médecin ou Mediapart, comme « la plus vaste étude jamais menée » sur le sujet. Verdict : il augmenterait le risque de cancer. Frissons garantis.

Mais avant de réclamer son interdiction immédiate, une analyse de l’étude s’impose. Spoiler alerte, ça ne va pas faire plaisir à tous ceux qui sont atteints de glyphosatophobie chronique…

Mode d’action et usage

Découvert dans les années 1970, le glyphosate est un herbicide non sélectif : il bloque la synthèse de certains acides aminés chez les plantes. Il est utilisé seul ou dans des formulations commerciales, comme Roundup Bioflow (en Europe) ou RangerPro (aux États-Unis), enrichies en surfactants (substances qui réduisent la tension de surface d’un liquide facilitant leur mélange avec d’autres). Son usage massif et mondial en fait un candidat régulier aux polémiques sanitaires.

Flashback : l’étude Séralini, dix ans plus tôt

En 2012, le biologiste Gilles-Éric Séralini affirme avoir observé une hausse de tumeurs mammaires chez des rats exposés au Roundup. L’étude est vite contestée : seulement dix rats par groupe, analyses statistiques faibles, et surtout, rats Sprague-Dawley, connus pour développer spontanément des tumeurs au cours de leur vie. L’article est rétracté un an plus tard. Pourtant, la nouvelle étude reprend… le même modèle animal.

Que montre l’étude Ramazzini ?

Menée par un laboratoire italien engagé de longue date contre divers produits chimiques, l’étude suit 1 020 rats Sprague-Dawley (51 mâles et 51 femelles par groupe), exposés dès la gestation à trois doses de glyphosate : 0,5 mg/kg/j (la DJA européenne, bien au-dessus de l’exposition humaine réelle), 5 mg/kg/j et 50 mg/kg/j. Le glyphosate est administré pur ou sous forme de Roundup Bioflow ou RangerPro. Les auteurs annoncent une augmentation « significative » de tumeurs bénignes et malignes à toutes les doses : leucémies, hémangiosarcomes, cancers du foie, de la thyroïde, du système nerveux…

Des résultats inquiétants, mais fragiles

Le problème ? Il est multiple. Les rats utilisés développent déjà spontanément des tumeurs avec l’âge. Sans corrections statistiques pour les dizaines de comparaisons réalisées, le risque de faux positifs est considérable. Certaines données sont incohérentes : à la dose la plus faible de Roundup Bioflow, aucun lymphome détecté, contre 10 % dans le groupe témoin. Comment un cancérogène pourrait-il « effacer » une tumeur ? Silence radio dans l’étude. On observe aussi des courbes en U (plus de tumeurs à faibles doses qu’à fortes), et surtout, de nombreux résultats reposent sur un ou deux cas par groupe. C’est trop peu. Un calcul simple montre qu’il faudrait presque le double de rats pour détecter de façon fiable un risque multiplié par dix sur une tumeur rare. Enfin, et c’est crucial : le glyphosate est administré ici en continu dans l’eau de boisson. Rien à voir avec l’exposition humaine, qui se fait par l’alimentation, à petites doses, par pics, et à des niveaux des milliers de fois inférieurs. En population générale, le glyphosate urinaire tourne autour de 1 à 5 µg/L. Seuls certains applicateurs agricoles atteignent des niveaux plus élevés, et chez eux, un léger sur-risque de lymphome non hodgkinien est débattu depuis vingt ans – un signal absent de l’étude Ramazzini.

Une couverture médiatique biaisée

La plupart des articles reprennent les conclusions sans mise en contexte. Pas un mot sur les limites du modèle animal, les erreurs statistiques, l’inadéquation des doses testées. On empile les tumeurs comme on aligne les arguments d’un procès. On oublie aussi de préciser que les rats exposés ont vécu aussi longtemps que les témoins : aucune surmortalité observée. Présenter ces résultats comme une preuve implacable, c’est confondre signal expérimental et démonstration scientifique.

Alerter, oui. Interdire dans la précipitation, non.

Oui, cette étude mérite d’être discutée. Mais elle ne prouve pas un danger immédiat pour l’humain. Elle appelle à des reproductions indépendantes, sur d’autres souches animales, avec des protocoles plus robustes et des données publiques. Interdire le glyphosate sans alternative viable reviendrait à rouvrir la porte au labour intensif, à l’érosion des sols, à plus de CO₂, et parfois à des herbicides plus toxiques. La vraie voie, c’est une transition agronomique intelligente : rotations, couverts végétaux, désherbage mécanique, robotique.

Science vs storytelling

L’étude Ramazzini ne change pas fondamentalement l’état des connaissances. Elle relance un débat déjà ancien, sans le faire progresser de façon décisive. La presse, elle, joue souvent le rôle de caisse de résonance plutôt que celui de filtre critique. La science avance par contradiction et rigueur. Pas par proclamation.

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Teravenir : la start-up picarde qui connecte la terre

11 juin 2025 à 04:03

Réduire les intrants « jusqu’à 50 % », tout en augmentant les rendements agricoles « d’au moins 20 % ». C’est la promesse de la jeune pousse Teravenir, installée à Amiens, qui veut révolutionner la fertilisation des sols avec une sonde connectée.

Start-up créée il y a quelques mois seulement, en octobre 2024, Teravenir fait déjà parler d’elle dans le monde de l’AgTech. Sa promesse ? Aider les agriculteurs à produire mieux, avec moins. Grâce à une sonde connectée enterrée dans le sol et une application mobile, les exploitants pourraient bientôt surveiller en temps réel les besoins nutritionnels de leurs cultures. Une technologie inédite, qui combine capteurs optiques et électrochimiques, algorithmes de recommandations, et surtout, autonomie totale sur le terrain.

Une idée née de la recherche académique, mûrie au contact du terrain

Derrière cette innovation, un homme : Benjamin Mendou, docteur en biotechnologie végétale et enseignant-chercheur à l’Université de Picardie Jules Verne. Depuis 2014, il planche sur un outil qui pourrait rendre les pratiques agricoles à la fois plus intelligentes, plus rentables et plus durables. Il s’associe à Alain Cauchois et Pascal Fradcourt, qui apportent leur expérience terrain et managériale, et donne ainsi naissance à Teravenir. Ensemble, ils veulent transformer ce projet de laboratoire en solution de terrain opérationnelle, testée dans les champs, et bientôt industrialisée.

Le dispositif phare de Teravenir, la station ATS (Agriculture Technology Solution), s’enterre discrètement dans la parcelle, capte les taux de nitrates, de phosphore ou de potassium, puis envoie les données à l’agriculteur via une appli intuitive. L’exploitant reçoit alors des recommandations claires : quand intervenir, avec quelle dose d’engrais, et sur quelle zone précise. L’objectif est simple : apporter « la juste dose, au bon moment, au bon endroit ». Ce dosage millimétré permettrait d’économiser entre « 200 et 300 euros par hectare » en fertilisants, le tout associé à une réduction des pesticides utilisés. « Notre solution permet d’augmenter les rendements de 20 à 30 %, en diminuant l’utilisation des intrants d’environ 50 % », assure le dirigeant de la jeune pousse. À l’heure où l’agriculture est sommée de produire davantage avec moins d’impact, Teravenir coche donc toutes les cases !

Premiers déploiements en 2025, ambitions mondiales en ligne de mire

Sur le plan technologique, la solution Teravenir se distingue par plusieurs innovations notables : l’automatisation du système grâce à des algorithmes avancés, l’intégration d’un module optique polyvalent capable de mesurer en temps réel plusieurs paramètres du sol (azote, phosphore, potassium, magnésium), des sondes placées à différentes profondeurs, etc. L’ensemble de ces caractéristiques font de cette sonde connectée un outil de fertilisation de précision « sans équivalent connu à l’heure actuelle ».

Son dernier prototype industriel, baptisé « INEO » et optimisé avec l’aide du français Equans, a été présenté au printemps 2025 à la Chambre d’agriculture de la Somme. Il est désormais équipé d’une batterie et de panneaux solaires (pour l’été) et d’une résistance (en hiver). Il est prévu de déployer environ une cinquantaine de stations cet automne sur des exploitations pilotes en Picardie, avant une production plus large et une levée de fonds pour accélérer l’industrialisation : « Nous allons d’abord passer à 500 machines, puis lancer une commercialisation internationale ». Sachant que chaque système de trois sondes serait capable de gérer jusqu’à « 10 hectares », et est produit avec des matériaux « prévus pour résister aux intempéries et aux chocs, comme ceux des machines agricoles et des animaux ».

Si la France reste le cœur de cible, via ses coopératives agricoles, des signaux venus de l’étranger, notamment de Chine, où une administration locale (Hefei) souhaite commander « 1000 unités », montrent que l’intérêt pour cette technologie est déjà mondial. « Nous allons fabriquer à Laroche Industries (Méaulte) et exporter ensuite. C’est du Made in France que l’on va déployer en Chine », se réjouit l’inventeur-entrepreneur.

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Pollution et Comté : faut-il en faire tout un fromage ?

10 juin 2025 à 04:03

« Connaissez-vous quelqu’un qui n’aime pas le Comté ? » Ce slogan bien connu pourrait bientôt faire sourire jaune. Car depuis quelques temps, le célèbre fromage est dans le viseur : on l’accuse d’être à l’origine d’un « écocide » dans les rivières du Jura.

L’envers du décor

L’élevage laitier franc-comtois avait pourtant tout pour plaire : des vaches Montbéliardes broutant paisiblement dans des prairies verdoyantes, loin de l’image d’une agriculture intensive et polluante. Or… ce sont bien leurs déjections qui sont aujourd’hui pointées du doigt, en tant que principales responsables de la hausse des nitrates dans les eaux du massif jurassien depuis les années 1980.

Le paradoxe ? Il s’agit d’un élevage extensif, nourri à l’herbe, sans maïs, sans pesticides, sans engrais de synthèse, sans irrigation. Sur le papier, pratiquement un modèle rêvé pour les écologistes. Mais le Jura a un talon d’Achille géologique : son sous-sol.

Des roches comme du gruyère

Sous les sabots des vaches, la roche calcaire est criblée de cavités et de fissures, agrandies par la dissolution liée à la circulation de l’eau : c’est ce qu’on appelle un karst. Le résultat ? Des eaux de ruissellement qui s’infiltrent à toute vitesse. Les molécules azotées contenues dans les déjections, qui ne sont pas suffisamment filtrées par des sols trop minces, rejoignent donc (trop) rapidement les rivières, où elles fragilisent gravement la faune aquatique.

Et le changement climatique aggrave encore la situation. En été, les sécheresses provoquent une accumulation des nitrates dans les sols. Puis, à la première grosse pluie, tout est lessivé d’un coup, avec des pics de pollution qui dépassent souvent les seuils de tolérance pour de nombreuses espèces.

Alors, on arrête le Comté ?

Pas si vite. L’idée de bannir le Comté est aussi impopulaire qu’irréaliste. Même l’écologie politique y va avec des pincettes, tant le sujet est sensible. Car si la filière pose des problèmes environnementaux réels, elle apporte aussi des bénéfices impossibles à balayer d’un simple revers de main… Bien au-delà de la qualité gustative de ce trésor de la fromagerie française.

D’un point de vue économique, c’est une pépite : 700 millions d’euros de chiffre d’affaires, 8000 emplois directs, une dynamique rurale exceptionnelle. Sur le plan culturel, c’est une fierté nationale. Et écologiquement, le tableau n’est en réalité pas si sombre : les vaches permettant de maintenir des prairies permanentes, véritables refuges de biodiversité, tout en freinant la progression de la forêt sur les zones ouvertes.

Photo Stéphane Varaire

Et puis, soyons lucides : si on arrêtait de produire du Comté dans le Jura, la demande ne disparaîtrait pas pour autant. La production serait alors simplement déplacée. On compenserait ailleurs, sans doute dans des zones de plaine, avec des élevages plus intensifs, nourris aux cultures céréalières. Résultat : peut-être moins de nitrates dans les rivières jurassiennes… mais plus d’impacts ailleurs. Un jeu à somme nulle pour l’environnement. Et au passage, on y perdrait beaucoup de goût. Parce qu’entre nous, un fromage industriel, c’est quand même pas le même plaisir.

Faut-il arrêter l’élevage pour gagner de la place ?

J’approfondis

Alors que faire ?

Réduire brutalement la filière serait contre-productif, à la fois pour l’économie locale et pour l’environnement. Mais cela ne signifie pas rester inactif !

Une diminution de la densité du cheptel, associée à une meilleure répartition géographique des élevages, pourrait limiter les excès locaux de nitrates. On peut aussi envisager de mieux gérer les autres sources de pollution par différents leviers :

  • Optimisation des épandages agricoles,
  • Renforcement de l’assainissement des eaux usées en zones urbaines,
  • Contrôle des rejets azotés des fromageries.

Et surtout, ne pas oublier les efforts déjà réalisés. Dans les années 90, un vrai virage a été pris. Grâce à lui, les niveaux de nitrates dans les rivières ont été stabilisés… alors même que la production de Comté a presque doublé depuis les années 2000.

Un bilan contrasté, mais encourageant.

Alors certes, on peut voir le verre à moitié vide : malgré les efforts, les concentrations restent élevées. Ou à moitié plein : sans ces efforts, la situation serait bien pire. Encore une fois, la complexité du réel vient se heurter à l’angélisme ou à la mauvaise foi du politique. Entre rejet total et laissez-faire, il y a une voie de bon sens : celle d’un Comté plus durable, conciliant tradition, économie locale et respect de l’environnement.

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Cadmium : empoisonne-t-on vraiment nos enfants avec les céréales du matin ?

9 juin 2025 à 05:13

Un ennemi revient sous les projecteurs : le cadmium, brandi dans les médias comme une nouvelle « bombe sanitaire » pour les Français. Pourtant, loin des effets de manche, il est essentiel d’examiner calmement les faits, sans céder à l’alarmisme ambiant. Les Électrons Libres sont là pour ça ! Alors ? S’empoisonne-t-on vraiment avec les céréales du matin ou le pain quotidien ?

D’où vient le cadmium ?

Ce métal lourd est naturellement présent dans les roches phosphatées, utilisées depuis des décennies pour fabriquer des engrais. Selon leur origine, ces phosphates peuvent contenir de quelques dizaines à plusieurs centaines de milligrammes de cadmium par kilogramme. Une fois épandus, ils se dispersent dans le sol, se lient aux particules argileuses et à la matière organique, puis s’infiltrent dans les plantes via les racines. Les feuilles (épinards, choux), tubercules (pommes de terre) et surtout les céréales (blé, riz, avoine, maïs) sont particulièrement susceptibles d’accumuler ce métal. Mais pas que : les crustacés aussi.

En France, l’enquête ESTEBAN (2014–2016), publiée en 2021, montre qu’une proportion significative de la population française est exposée : 47 % des adultes et 18 % des enfants présentent un taux urinaire de cadmium supérieur à la valeur critique (≈ 0,5 µg/g de créatinine) définie par l’ANSES. Ce sont ces chiffres qui justifient l’alerte sur les céréales, car ce sont les enfants qui en consomment le plus. « On empoisonnerait donc nos enfants ? » Loin de là … Car, en creusant un peu – ce que certains confrères omettent parfois de faire – on constate que le sur-risque de voir un taux biologique élevé parmi les consommateurs réguliers de céréales n’est que de …8 % par rapport aux gamins qui en consomment très peu ! Pas de quoi fouetter le matou ! De même, on évite de dire que chez les adultes, le principal facteur de risque retrouvé parmi les 47% des adultes… est le tabagisme. Là, le risque de constat de la présence d’un taux élevé de cadmium dans l’organisme augmente de plus de 50% ! Et oui… dans chaque cigarette il y a entre 1 et 2 µg de cadmium !

Au surplus, il est nécessaire de garder en mémoire que les recommandations actuelles sur les valeurs toxicologiques de référence (fondées avant tout sur un risque accru d’atteinte tubulaire rénale ou d’ostéoporose) intègrent d’importantes marges de sécurité : les dépasser ne se traduit pas nécessairement par une maladie, d’autant que le cadmium s’accumule sur plusieurs décennies et que chaque individu réagit différemment.

Le cadmium : un enjeu politico-économique

Derrière la question sanitaire, se cache en réalité un véritable bras de fer géopolitique gavé de lobbying. Les engrais phosphatés importés du Maroc, riches en cadmium (60–70 mg/kg de P₂O₅), rivalisent avec ceux de Russie, beaucoup moins contaminés (< 20 mg/kg). Lorsque l’Union européenne a proposé d’abaisser progressivement le seuil maximal à 20 mg/kg d’ici 2034, Rabat a déployé un lobbying intense pour préserver ses parts de marché, tandis que Moscou, voyant une opportunité pour renforcer ses exportations, a soutenu des normes strictes. Selon notre consœur du Point, Géraldine Woessner, cette démarche russe serait l’œuvre de Safer Phosphate, un « lobby créé en 2016 par le géant […] des engrais PhosAgro, propriété de l’oligarque Andrey Guryev, proche de Vladimir Poutine ». Ce qui expliquerait que l’étude ayant conduit à sonner l’alerte médiatique, ne comportant pourtant aucune nouvelle donnée, se soit opportunément invitée dans le débat, afin d’offrir quelques lauriers vertueux au Kremlin, tandis que fait rage la guerre qu’il mène à une Ukraine soutenue par l’UE. 

Entre pays nordiques, Benelux et États méditerranéens, les débats ont reflété tant des préoccupations sanitaires que des enjeux économiques. Au final, le règlement européen (UE) 2019/1009 a opté pour un seuil intermédiaire (60 mg/kg en 2022, 40 mg/kg en 2026, 20 mg/kg en 2034). Un compromis qui témoigne de la pression exercée par les différents Etats concernés. 

Et le cancer ?

Le cadmium est classé cancérogène avéré (CIRC, Groupe 1), mais ses dangers dépendent de la dose et de la durée d’exposition. Une méta-analyse de 2025 signale un risque relatif (RR) de 2 pour le cancer du pancréas : exposé à forte dose, on pourrait doubler le risque. Cependant, ce chiffre reste modéré comparé à d’autres facteurs mieux documentés : le tabagisme (RR > 4 pour un paquet par jour), la consommation excessive d’alcool ou l’obésité, qui jouent ici un rôle plus net et mieux établi. Comme bien souvent. Même si nombreux préfèrent regarder ailleurs. Ce ne sont donc pas nos céréales ou notre tartine matinale qui sont donc le plus à incriminer.

Pour autant attention ! L’accumulation chronique du cadmium n’est pas anodine. De faibles apports répétés s’ajoutent au fil des années et peuvent induire des atteintes rénales (tubulopathies), osseuses (ostéoporose, fractures) voire cardiovasculaires, même sans symptôme immédiat.

Phobie alimentaire et responsabilités médiatiques

La solution miracle selon certains pour ne pas se tuer à petit feu ? Consommer bio ! Une méta-analyse publiée il y a plus de dix ans rapporte que les aliments issus de la filière bio présentent en moyenne 48% de cadmium en moins que les aliments issus de l’agriculture traditionnelle. Problème, pour arriver à un tel chiffre, cette méta-analyse a colligé des publications allant de 1992 à 2011, qui ne reflètent pas les modes de cultures d’aujourd’hui. Car outre le fait que l’agriculture bio peut aussi contenir des résidus de cadmium, en agriculture conventionnelle, l’utilisation des engrais phosphatés a été divisée par deux depuis l’an 2000

La chute de l’utilisation des engrais phosphatés

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Les messages alarmistes, assimilant les céréales pour enfants ou le pain à un poison permanent, sont non seulement exagérés, mais aussi injustes envers ceux qui ne peuvent pas s’offrir des produits bio ou de niche. Culpabiliser les familles modestes, au prétexte qu’elles achètent des produits « à bas prix », est un procédé dangereux. La peur générée risque de faire basculer nombre de nos compatriotes dans la méfiance systématique, voire la défiance envers toute autorité sanitaire. Les Électrons Libres ont déjà souligné la dérive similaire avec l’alerte autour de l’aspartame, pourtant bien plus anodin que le cadmium. Preuve en est que crier au loup quelle que soit la substance concernée peut s’avérer problématique.

En guise de conclusion. Si la nuance nous est permise…

Le cadmium mérite de faire l’objet d’une vigilance sérieuse, mais ne doit pas provoquer une panique contagieuse. Il est donc, à son propos, nécessaire de :

  • Reconnaître que son accumulation à long terme peut nuire à la santé, en particulier aux fonctions rénale et osseuse.
  • Comprendre que l’exposition actuelle (hors tabagisme assidu) n’entraîne pas automatiquement un surcroît massif de cancers, notamment pancréatiques.
  • Se méfier des messages trop choquants qui occultent la nuance nécessaire et culpabilisent inutilement.
  • Promouvoir des pratiques agricoles et industrielles réduisant la teneur en cadmium, tout en encourageant une alimentation diversifiée plutôt qu’une diète de la peur.

Enfin, pour répondre à l’appel de l’ancien Ministre de la Santé Aurélien Rousseau et de l’actuel, Yannick Neuder, pousser en faveur de la création d’un registre national épidémiologique des cancers pour mieux comprendre les véritables facteurs de risque évitables… qui peuvent d’ailleurs varier d’un territoire à l’autre.

En somme, informer sans dramatiser, c’est protéger la santé publique sans alimenter la psychose. Elle-même dangereuse pour la santé.

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