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Christian ou les apaisements de la terre

26 septembre 2025 à 04:01

Ancien carrossier devenu agriculteur par amour et par envie de changer d’air, Christian gère aujourd’hui seul 120 hectares de céréales dans le Tarn. Entre météo capricieuse, concurrence étrangère et contraintes grandissantes, ses journées s’étirent de l’aube à la nuit tombée. Portrait d’un homme attachant qui creuse son sillon loin des projecteurs.

Du garage aux champs : un parcours inattendu

À première vue, rien ne destinait Christian à devenir agriculteur. Né à Castres, il avait choisi très tôt la mécanique, en apprentissage. Carrossier de formation, il a passé dix ans à travailler dans des garages Renault et Peugeot, le bleu de travail taché de cambouis plutôt que de terre. Jusqu’à ce que la vie décide autrement. À 26 ans, il reprend l’exploitation de ses beaux-parents. Un choix d’amour autant que de nécessité : sa femme est fille d’agriculteurs, mais ni elle — qui avait vu ses parents ployer sous les contraintes sans jamais prendre de vacances — ni son frère, handicapé, ne pouvaient reprendre. Et sans repreneur, la ferme familiale risquait de disparaître… Christian s’inscrit alors à une formation pour adultes d’un an, avant d’apprendre patiemment le métier auprès de son beau-père. Pendant dix ans, jusqu’à la retraite de ce dernier, il s’initie aux cycles des saisons, aux subtilités des sols argileux, à la compréhension des besoins des cultures. « Dix ans, ça peut paraître long mais c’est bien le temps qu’il faut pour apprendre le métier quand on ne vient pas d’une famille d’agriculteurs », sourit-il aujourd’hui.

La ferme qu’il reprend n’a plus grand-chose à voir avec celle d’autrefois. Ses beaux-parents faisaient vivre trois générations sur cinquante hectares, en quasi-autosuffisance, avec une trentaine de vaches laitières qui assuraient à la fois le revenu et le fumier pour fertiliser les cultures fourragères. Les investissements nécessaires pour maintenir l’élevage étant devenus trop lourds, l’exploitation a basculé vers les céréales. Pour survivre, Christian a dû agrandir, mécaniser et travailler seul. Lui qui n’était pas tombé dedans quand il était petit s’est accroché, parfaisant son apprentissage avec humilité. Aujourd’hui encore, il conserve le regard neuf d’un homme qui n’a pas reçu la terre en héritage, mais qui l’a choisie par engagement. « Dans ce milieu parfois conservateur, avoir cet œil neuf me permet de me remettre en cause et de faire évoluer en permanence mes pratiques », confie-t-il.

Seul avec 120 hectares

Christian cultive, à lui tout seul, l’équivalent de 170 terrains de foot. Une surface déjà conséquente, dans ces paysages vallonnés du Tarn, mais loin des grandes exploitations de la Beauce ou des plaines d’Europe de l’Est. En pleine saison, ses journées commencent à sept heures du matin et se terminent à vingt-trois heures, parfois plus tard. Son dernier tracteur, qu’il renouvelle environ tous les dix ans, lui permet de bloquer direction et pédales, ce qui limite un peu la fatigue, mais on reste loin du niveau d’automatisation accessible sur des parcelles plus grandes et moins morcelées. L’hiver, il ne chôme pas davantage : la terre se repose, pas l’agriculteur. En homme à tout faire, Christian passe alors ses journées à entretenir, réparer, maçonner. Et il lui faut encore trouver du temps pour la « paperasse », omniprésente, ou pour se former.

Derrière cette cadence se cache un équilibre financier fragile. Le chiffre d’affaires de son exploitation, tributaire de la météo et des cours mondiaux, oscille entre 120 000 et 150 000 euros, dont environ 26 000 proviennent de la PAC. Mais les charges engloutissent presque tout : près de 30 000 euros d’engrais et de phytos, 12 000 pour le remboursement du tracteur, 8 000 de cotisations sociales, sans compter les semences et l’entretien courant. Au final, Christian dégage entre 2 500 et 2 800 euros nets par mois. Un revenu correct en apparence, mais bien moins flatteur quand on le ramène au temps passé : « à peu près six euros de l’heure », calcule-t-il. Et il revient de loin, car son revenu est longtemps resté en dessous de 1 800 euros, quand il avait encore le foncier à rembourser.

Christian n’a pas eu vraiment le choix. Pour faire vivre leur famille de quatre, sa femme travaille à l’extérieur, à la mairie, tandis que lui serre les coûts au plus juste et cherche des revenus complémentaires aux seules céréales. L’ail rose en fait partie. Une culture exigeante, presque entièrement manuelle, mais qui apporte une vraie valeur ajoutée. Elle représente à elle seule près de 27 000 euros dans son revenu annuel.

À cette équation déjà serrée s’ajoute la pression du marché mondial. L’Espagne est son principal débouché, mais il subit la concurrence des blés ukrainiens et russes, produits à grande échelle à des coûts bien moindres et écoulés massivement en Méditerranée. Pour s’adapter, Christian a investi très tôt dans des silos qu’il a construits lui-même. Cela lui permet de stocker, d’attendre le bon moment et de jouer sur les cours. Une stratégie de survie, bien différente de celle de son beau-père, qui vendait directement le surplus à la coopérative. « Je ne suis pas un trader, car je vends ce que je produis. Mais suivre les cours et répondre aux appels d’offres, c’est une charge supplémentaire », sourit-il.

Le blé de la mer noire, toujours conquérant

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La terre sous contraintes

Les difficultés du métier ne sont pas seulement matérielles ou économiques. Elles sont aussi réglementaires. Christian en est bien conscient : on ne peut pas faire n’importe quoi, et la traçabilité des produits reste essentielle. L’administratif, au fond, ne lui prend pas tant de temps relativement aux journées interminables des périodes de pointe. Mais la charge mentale, elle, est bien réelle, d’autant que les normes changent presque chaque année. « On ne fait pas ce travail pour ça », lâche-t-il. Lui s’en sort, mais il sait que ce n’est pas forcément le cas de tous ses collègues.

Mais les réglementations ne se limitent pas aux formulaires. Nitrates, haies, couverts végétaux… Elles évoluent en permanence et obligent à revoir les pratiques. Dans l’exploitation de Christian, les sols sont argileux et classés vulnérables. Sensibles à l’érosion, ils forment des croûtes qui empêchent l’eau de s’infiltrer et laissent filer plus facilement les nitrates vers les cours d’eau. Christian doit donc implanter des couverts végétaux entre deux cultures. Il en reconnaît l’intérêt. Ils piègent les nitrates et enrichissent le sol. Mais la médaille a son revers. C’est du travail supplémentaire, des semences à acheter, du gasoil à brûler… et tout cela sans aucune rémunération ni contrepartie.

C’est ce qu’il regrette le plus. Beaucoup d’obligations, peu d’incitations. L’impression de travailler davantage… gratuitement. Comment encourager réellement à se convertir aux bonnes pratiques ? Christian n’a pas de solution miracle. Il sait seulement que les aides existantes devraient être mieux fléchées vers les solutions réellement vertueuses.

Et les difficultés ne sont pas seulement dues aux réglementations venues d’en haut. À ses yeux, le manque de reconnaissance sociale pèse tout autant. Produire de la nourriture, respecter les règles, faire des efforts… et en retour ? Trop souvent, du mépris. L’agribashing, pour lui, n’est pas un slogan mais une réalité. Des automobilistes qui klaxonnent derrière lui, une bouteille jetée sur son tracteur, des regards hostiles quand il traite ses cultures. « C’est dur à supporter », admet-il. Alors il a trouvé une solution : pulvériser de nuit. Comme ça, il ne dérange personne. Et tant pis s’il doit rentrer plus tard. Sauf que, ajoute-t-il dans un soupir, « quand les gens me voient épandre la nuit, ils en concluent que mes produits doivent être particulièrement dangereux ». Un cercle vicieux.

Malgré tout, Christian abat le travail sans broncher. Les manifs, il les comprend, mais ne s’y reconnaît pas vraiment. Sauf peut-être sur un point : le Mercosur. Là, il avoue ses inquiétudes. La concurrence étrangère fait déjà partie de son quotidien ; alors importer encore plus de produits qui ne respectent pas les mêmes normes que lui lui paraît tout simplement injuste. Sans surprise, il n’est pas syndiqué. Il observe d’un œil indifférent les batailles d’influence entre organisations agricoles. Son credo : travailler dur et assurer sa subsistance par lui-même plutôt que d’attendre quoi que ce soit de la politique.

Faire mieux avec moins

Foin des postures, Christian préfère avancer. Il a réduit ses intrants bien avant que la réglementation ne l’y oblige, diminuant les quantités de 30 à 50 %. « Pour l’environnement, ça compte, et aussi parce que ça coûte une fortune », dit-il. Pour progresser, il s’appuie sur un ingénieur agronome indépendant, mais se méfie des coopératives : « Ils veulent surtout vendre leurs produits, alors les doses sont souvent un peu gonflées. » Malgré ses efforts, il a le sentiment d’avoir atteint un plancher. Descendre encore lui paraît impossible.

Il s’efforce aussi de réduire le travail du sol, ce qui l’oblige à recourir davantage aux herbicides. Les résistances, notamment du ray-grass, l’empêchent de baisser les doses. Il implante des couverts intermédiaires et pratique les rotations comme tout le monde. Pour les allonger vraiment, il faudrait introduire des légumineuses, mais les filières sont quasi inexistantes. « En protéines végétales, les industriels préfèrent importer du tourteau de soja brésilien », regrette-t-il.

Les carences en protéines de l’agriculture française

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Côté fertilisation, Christian reste aux engrais de synthèse. Les effluents d’élevage seraient un atout, mais les éleveurs les gardent pour eux. Quant à l’irrigation — sujet sensible dans une région marquée par les violentes contestations du barrage de Sivens durant lesquelles le jeune Rémi Fraisse est mort en 2014 — il n’en a besoin que pour son maïs semence, grâce à une petite retenue collinaire permise par les sols argileux et vallonnés. Ici, pas de mégabassines, mais il sait que la situation est différente ailleurs. Supprimer l’irrigation ? Chez lui, ce serait jouable, sauf pour le maïs, justement. Dans le Sud-Ouest, en revanche, sur des sols sablonneux incapables de retenir l’eau, il n’imagine pas comment ses collègues pourraient s’en passer.

Et après ?

Christian ne manifeste pas, ne brandit pas de pancarte. Mais il a un message clair : qu’on cesse d’empiler les contraintes et qu’on reconnaisse enfin les efforts de tous ceux qui, comme lui, s’efforcent de produire mieux avec moins. Valoriser plutôt que punir, encourager plutôt qu’imposer. « On nous aime huit jours par an, pendant le Salon de l’Agriculture », sourit-il, avant d’ajouter qu’il attend surtout moins d’effets de manche, moins de promesses vite envolées à chaque crise, et plus d’écoute du terrain.

Reste une question plus large, qui dépasse son seul cas : ce modèle agricole, celui de l’exploitant seul face à 120 hectares, est-il viable à terme ? N’est-il pas condamné par sa vulnérabilité, quand tout repose sur les épaules d’une seule personne, et par l’impossibilité d’investir suffisamment pour suivre les évolutions technologiques ? Comment tenir face à la concurrence mondiale sans agriculture de précision, sans drones, sans outils satellitaires, pour augmenter les rendements et diminuer les intrants ?

Les deux enfants de Christian s’orientent vers d’autres voies. Comme ses beaux-parents avant lui, il pourrait se retrouver face au vide de la succession. « Je n’y pense pas trop, jusqu’à ma retraite ça ira. Mais il faudra bien un jour que les céréaliers du Tarn remettent en cause leurs convictions et apprennent à s’associer », conclut-il. Car il faudra bien grandir pour être à même d’investir et d’innover. Loin du mythe de la paysannerie et de la petite exploitation.

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Le Mercosur, ce bouc émissaire de nos politiques agricoles

25 septembre 2025 à 05:05

Déforestation, bœuf aux hormones, trahison de nos agriculteurs. Le Mercosur, accusé de tous les maux, fait l’unanimité contre lui. Pourtant, cet accord pourrait être une opportunité pour notre industrie, sans pour autant sacrifier notre souveraineté alimentaire.

Le Mercosur, c’est en quelque sorte la version sud-américaine de notre marché commun, un espace de libre circulation des biens et des services. Il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et, depuis l’an dernier, la Bolivie. Le Venezuela en a été exclu en 2016. Après deux décennies de négociations, l’Union européenne et le Mercosur ont conclu, en juin 2019, un traité instaurant une zone de libre-échange. Ou plutôt un accord commercial, car le terme, qui suggère une libéralisation sans contraintes, est trompeur : les règles restent nombreuses et certaines importations limitées. Aujourd’hui, il demeure suspendu à la ratification des 27 États européens. La France est l’un des rares pays à avoir des réserves. À tort ou à raison ?

Concrètement, la suppression de 4 milliards de droits de douane rendrait nos exportations beaucoup plus compétitives. Le prix des voitures et des vêtements pourrait baisser de 35 %, celui des machines-outils, produits chimiques et pharmaceutiques de 14 à 20 %. Les fournisseurs de services — télécommunications, transports, numérique — accéderaient aux marchés publics locaux. L’industrie automobile européenne, en grande difficulté, appelle évidemment l’accord de ses vœux : il relancerait ses ventes de véhicules thermiques, au moins pour un temps. Au total, Bruxelles projette près de 50 milliards d’euros d’exportations supplémentaires vers le Mercosur, pour seulement 9 milliards d’importations en plus. Des importations qui pourraient bien profiter aux industries européennes. Le Brésil, en particulier, est un important fournisseur de matières premières critiques comme le nickel, le cuivre, l’aluminium, l’acier ou le titane.

L’erreur est en effet de réduire exportations et importations à une lecture comptable. On croit trop souvent que seule la production locale enrichit, quand les importations appauvrissent. L’exemple du CETA, l’accord entre l’Europe et le Canada, montre l’inverse : les entreprises françaises ont pu importer hydrocarbures et minerais à des prix plus avantageux. Si ces flux semblent peser négativement sur la balance commerciale, ils sont économiquement bénéfiques. Des matières premières moins chères permettent à nos entreprises de réduire leurs coûts et de gagner en compétitivité. Aujourd’hui, qu’importe-t-on majoritairement depuis l’Amérique latine ? Des hydrocarbures, des produits miniers… et des produits agricoles.

Les agriculteurs européens sont-ils vraiment sacrifiés sur l’autel du commerce ?

L’agriculture des pays du Mercosur fait peur. Avec 238 millions de bovins, le Brésil possède le plus grand cheptel au monde et assure à lui seul près d’un quart des exportations mondiales. L’Argentine n’est pas en reste, avec 54 millions de bêtes et des troupeaux en moyenne quatre fois plus grands qu’en France. En Amazonie ou dans le Cerrado brésilien, certaines exploitations dépassent même les 100 000 têtes de bétail. À titre de comparaison, la « ferme des mille vaches » picarde, fugace symbole tricolore de l’élevage intensif, n’a jamais compté plus de 900 bovins. Mais le gigantisme ne s’arrête pas à l’élevage. Au Brésil, SLC Agrícola exploite plus de 460 000 hectares de céréales. Deux cents fois plus que la plus grande exploitation française. Les vergers sont quatre fois plus étendus de l’autre côté de l’Atlantique. Sucre, maïs, soja… les agriculteurs européens font face à un géant. Sans jouer avec les mêmes cartes : si les produits importés devront répondre aux normes de consommation européennes, les règles de production ne sont pas identiques. Notamment concernant l’utilisation des pesticides, qui fait tant débat en Europe. Pour les agriculteurs français, difficile de se départir de l’impression de concourir face à des V12 avec un 3 cylindres.

Heureusement, l’Union européenne a prévu des garde-fous. Les importations de bœuf, notamment, sont limitées à 99 000 tonnes par an, soit l’équivalent d’un gros steak par habitant. Cela ne représente, comme pour la volaille ou le sucre, que moins de 1,5 % de la production du continent. Aucune chance, dans ces conditions, d’être submergé par l’afflux de produits agricoles sud-américains. Et si jamais c’était le cas, une procédure de sauvegarde, qui stopperait net les importations, pourrait être enclenchée.

« En France comme en Europe, les cheptels bovins ont reculé d’environ 10 % en dix ans, et cette concurrence n’y est pour rien », souligne Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Inrae. Selon lui, les pays du Mercosur disposent déjà d’un client de poids avec la Chine, beaucoup plus simple à approvisionner. L’Europe, au contraire, impose des normes strictes et chaque exploitation doit être agréée individuellement. « On l’a vu avec le CETA : dans ces conditions, rien ne garantit même que les quotas soient atteints », ajoute-t-il.

Café, oranges, soja… À l’heure actuelle, le Mercosur vend surtout à l’Europe des produits qu’elle ne cultive pas. La seule filière réellement exposée semble être celle du maïs. Massivement OGM, la production brésilienne échappe à tout quota. Elle représente bien la schizophrénie des normes : un maïs impossible à cultiver en Europe peut nourrir nos animaux d’élevage.

L’accord pourrait même ouvrir de nouvelles perspectives à certains agriculteurs européens. Bruxelles table sur 1,2 milliard d’euros d’exportations supplémentaires. Les viticulteurs seraient les premiers bénéficiaires : leurs vins gagneraient en compétitivité et leurs appellations, comme celles de plusieurs fromages, seraient enfin reconnues outre-Atlantique. Exit le « Champagne » argentin ou le camembert brésilien. Dans une moindre mesure, les fruits et légumes, les huiles végétales et les produits laitiers devraient eux aussi profiter de nouveaux débouchés commerciaux.

Quand l’écologie gagne à commercer avec le bout du monde

Pour beaucoup, faciliter le commerce transatlantique est vu comme une aberration environnementale. Pourtant, les accords commerciaux sont des outils puissants pour convertir le reste du monde à la vision européenne du mieux-disant écologique et social. Ils permettent de façonner les règles du commerce mondial conformément aux normes européennes les plus élevées, de projeter nos valeurs à travers des obligations détaillées en matière de commerce, d’emploi et de développement durable. Les signer, c’est ratifier les conventions de l’Organisation internationale du travail et les accords multilatéraux sur l’environnement, de l’Accord de Paris aux conventions biodiversité. Toute violation pouvant justifier une suspension, totale ou partielle. Ainsi, en 2020, le Cambodge a perdu ses privilèges unilatéraux, du fait des dérives autoritaires du Premier ministre Hun Sen.

La culture du soja, importante cause de déforestation, est souvent évoquée. Pourtant, l’accord avec le Mercosur ne change rien à l’affaire, les importations de tourteaux étant déjà exemptes de toute taxation douanière. Le rôle de l’Union européenne, qui n’importe que 14 millions de tonnes par an, contre 112 millions pour la Chine, est de toute façon minime. L’accord entraîne par ailleurs la ratification du Protocole de Glasgow, qui prohibe toute déforestation à partir de 2030. Pour la transition énergétique, c’est aussi un enjeu majeur : le Brésil détient 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel et de manganèse. L’Argentine regorge de lithium. De quoi nourrir notre industrie verte…

Reste la question du contrôle. Croire que les contrôleurs de l’Union puissent éviter toute entorse aux règles est évidemment illusoire. Mais croire qu’ils sont aveugles n’est pas moins excessif. L’an dernier, une enquête a dévoilé la présence d’hormones dans le régime alimentaire des bœufs au Brésil. Pas à des fins d’engraissement, comme on l’a souvent suggéré, mais à des fins thérapeutiques… ce qui est aussi possible en Europe. Les mêmes craintes étaient brandies lors de la signature du CETA. Huit ans plus tard, aucun bœuf aux hormones n’est importé du Canada.

En creux, l’amertume du deux poids, deux mesures

Alors que toutes les pratiques agricoles sont remises en question, que des militants n’hésitent pas à les accuser d’empoisonnement, ni à fantasmer sur une chimérique agriculture sans intrants, l’opposition au Mercosur semble bien dérisoire. Nos agriculteurs ont-ils baissé les bras face aux ennemis de l’intérieur, au point de ne plus s’autoriser d’autre combat que celui contre leurs concurrents étrangers ? Pensent-ils trouver dans la mondialisation un ennemi commun leur assurant la miséricorde des gardiens du dogme ?

Signer l’accord avec le Mercosur serait un signal puissant, un acte de confiance et de détermination, à contre-courant du repli américain. Mais après des années d’agri-bashing, de surtransposition des normes, on comprend que les agriculteurs se sentent fragilisés face à la concurrence — même si, dans les faits, elle vient bien plus de l’Ukraine ou des autres pays européens que du Mercosur. Après le raz-de-marée médiatique contre la loi Duplomb cet été, difficile de ne pas comprendre non plus leur sentiment d’impuissance. C’est pourtant là que sont les vrais enjeux : redonner aux agriculteurs le goût du possible. Qu’ils puissent à nouveau se projeter dans un avenir à la fois serein et conquérant. Nous en sommes loin. Mais ne baissons pas les bras : la souveraineté se construit plus solidement dans la compétitivité que dans le repli sur soi.

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Le bio des légendes

2 septembre 2025 à 04:06

Parvenus au terme de ce dossier, force est de constater que l’agriculture biologique ne tient pas ses promesses, malgré certains bénéfices pour les sols et la biodiversité. Ses faibles rendements en font, hors exceptions comme le maraîchage ou la viticulture, un modèle écologiquement moins performant par kilo produit, et plus exigeant en surface agricole. Les produits bio coûtent 20 à 80 % plus cher, sans bénéfice avéré pour la santé, un surcoût qui aggrave les inégalités alimentaires. Le bio devient alors un marqueur social, bien plus qu’un levier de transformation agricole.

La proposition de valeur du bio : au libre choix du consommateur

Sa proposition de valeur devrait relever du libre choix du consommateur, non d’un choix de politique publique. Mais l’écosystème militant et ses relais institutionnels polluent le débat, au bénéfice des distributeurs. Ni les producteurs, ni les consommateurs n’y trouvent réellement leur compte.

Le bio comme LE modèle à suivre pour la transition écologique  : une impasse

Mais le  principal problème est que l’agriculture biologique, de niche, est désormais promue comme le modèle à généraliser.

Or, rien, de notre analyse, ne saurait justifier la position hégémonique que ses promoteurs, parfois à grand renfort de désinformation, veulent lui conférer dans la transition écologique. Au contraire, l’histoire est jalonnée de catastrophes, voire de tragédies, par l’imposition idéologique de modèles exempts de toute rationalité scientifique. Le réel s’est chargé de rappeler aux apprentis sorciers, et malheureusement à leur population, qu’on ne joue pas impunément avec les besoins fondamentaux de l’être humain.

Sri Lanka : le chaos 100% bio

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Nombre d’agriculteurs se sont pourtant engagés dans la démarche avec sincérité, séduits par la promesse d’une montée en gamme et l’espoir de changer le monde. Aujourd’hui, la désillusion est réelle.

Le bio a certes contribué à une prise de conscience de certains excès de l’agriculture productiviste, et, prises isolément, certaines de ses pratiques sont intéressantes. Mais corseté dans un cahier des charges rigide et partiellement idéologique, il reste une solution du XIXᵉ siècle à des problèmes du XXIᵉ.

À l’heure de l’édition génomique, de l’agriculture de précision et de l’intelligence artificielle appliquée aux cultures, aux sols et aux intrants, l’agriculture biologique semble de plus en plus en décalage avec les leviers de progrès qui s’offrent à nous. Ce fossé pourrait accentuer les crispations idéologiques autour d’un modèle qui, refusant d’évoluer, se replie sur le dénigrement de la concurrence et le marketing de la peur — comme en témoignent les débats récents autour de la loi Duplomb.

Il est temps de sortir du monopole moral du bio pour ouvrir un débat rationnel, orienté vers des solutions concrètes aux défis du XXIᵉ siècle : produire plus efficacement, sur moins de surface, pour nourrir tout le monde, mieux, tout en limitant notre empreinte environnementale. Y répondre ne passera pas par un modèle unique, mais par un bouquet d’innovations technologiques et de pratiques agronomiques adaptées — dont certaines, oui, héritées du passé.

Vive l’agriculture bio-techno-logique.

Tout l’été, nous avons publié ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Le bio qui cache la forêt

26 août 2025 à 03:59

Agriculture de conservation des sols, agriculture de précision, agroforesterie… tous ces noms ne vous disent peut-être rien. Et c’est normal, tant l’agriculture biologique monopolise la lumière dans le débat public. Elle représenterait le seul modèle agricole « acceptable », celui qu’il faudrait généraliser pour sauver la planète. Et pourtant.

On l’a vu, le bio est loin d’être la solution miracle sur le plan environnemental. En cause notamment : ses rendements plus faibles, qui nécessitent, à production constante, d’occuper plus de terres. Ce qui n’est pas franchement une bonne nouvelle pour les écosystèmes naturels.

Alors une question s’impose : n’existe-t-il pas d’autres voies, capables de concilier production agricole et performance écologique ?

L’intensification écologique, ou comment sortir des vieux débats

Longtemps, deux modèles agricoles se sont affrontés. D’un côté, l’agriculture intensive : des rendements élevés, donc une emprise au sol plus faible, mais des impacts importants sur les parcelles cultivées. C’est le modèle du land sparing, ou « séparation des usages ». De l’autre, une agriculture extensive, souvent bio, qui mobilise plus de surface à cause de rendements plus faibles, mais où les pratiques sont plus favorables à la biodiversité sur les parcelles. C’est le land sharing, ou « partage des usages ».

Mais depuis quelques années, ce vieux débat pourrait bien être dépassé par une troisième voie : l’intensification écologique. L’intensification écologique, c’est un peu vouloir le beurre et l’argent du beurre. Il s’agit d’un concept qui fait le pari de préserver les rendements tout en améliorant l’impact environnemental des pratiques agricoles. Cette voie, qui fait de plus en plus consensus dans la littérature scientifique (notamment dans le rapport de l’IPBES), pourrait bien ringardiser l’agriculture bio, pas assez productive.

Mais concrètement, quels sont les leviers de cette intensification écologique ?

On remet le couvert (végétal), et on fait tourner…

Premier levier : la gestion de l’assolement. En diversifiant les cultures dans le temps et dans l’espace, on casse les cycles des ravageurs, on limite les maladies, on réduit les adventices (mauvaises herbes, etc.)… et donc l’usage de produits phytosanitaires. Allonger les rotations, c’est donc bon pour le sol, bon pour la biodiversité et bon pour la productivité.

Autre outil : les cultures intermédiaires, ou « couverts végétaux ». Semées entre deux cultures principales, elles protègent les sols de l’érosion, améliorent leur structure et captent l’azote résiduel. Certaines seront détruites pour enrichir le sol, d’autres récoltées : ce sont alors des « cultures dérobées », qui augmentent l’efficience des terres sans les épuiser.

Des plantes plus robustes

Autre levier clé : l’amélioration variétale. Depuis toujours, les agriculteurs sélectionnent les meilleures plantes. Mais les outils ont changé : aujourd’hui, les biotechnologies permettent d’aller plus vite et plus loin pour effectuer ce choix de manière judicieuse.

La transgenèse, d’abord. Elle autorise l’introduction de gènes d’intérêt dans une plante donnée. Plus récemment, l’édition génomique (type CRISPR-Cas9) permet de modifier de manière ciblée un gène existant, sans introduction d’ADN étranger. Ces techniques pourraient s’avérer décisives dans la transition agroécologique… mais elles sont interdites en agriculture biologique.

Les NGT, kryptonite du bio ?

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Moins de labour, plus de vie

Troisième levier : les techniques culturales simplifiées (TCS). Le principe : réduire le travail du sol pour préserver sa biodiversité. Moins de labour, c’est plus de vers de terre, plus de microfaune et plus de stockage de carbone.

Dans certains cas, on peut même semer directement, sans aucun travail du sol préalable : c’est le semis direct. Mais attention : sans herbicides, ces techniques favorisent la prolifération des adventices – autrement dit, les mauvaises herbes – ce qui entraîne des pertes de rendement. C’est pourquoi le sans-labour est difficilement compatible avec les contraintes du bio.

Désherbage : l’IA, à la rescousse

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Et ce n’est pas fini

D’autres leviers existent. L’agriculture de précision, par exemple, permet d’ajuster très finement les doses d’intrants (eau, engrais, phytos…) aux besoins réels des plantes. Une stratégie qui peut encore gagner en efficacité grâce aux capteurs, aux satellites ou à l’intelligence artificielle… à condition, bien sûr, de ne pas rejeter en bloc les nouvelles technologies !

Un colosse guidé au centimètre près

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L’agroforesterie, elle, consiste à introduire des arbres dans ou autour des champs. Peu pénalisante pour les rendements, elle offre des refuges pour la biodiversité, améliore les sols, réduit l’évaporation… et stocke du carbone.

Quels labels pour ces pratiques ?

Soyons clairs : aucune de ces pratiques ne figure au cahier des charges de l’agriculture biologique. Mais il existe deux autres labels, moins connus, qui leur sont associés.

D’abord, l’agriculture de conservation des sols (ACS), fondée sur trois principes : allongement des rotations, couverture végétale permanente et non-labour. Depuis peu, elle est valorisée par le label « Au cœur des sols ». Résultat : une biodiversité du sol aussi bonne, voire meilleure, qu’en bio. Un meilleur bilan carbone. Et une perte de rendement limitée (entre -5 et -10 % environ), bien inférieure à celle observée en AB. En revanche, ce modèle est difficilement compatible avec le cahier des charges bio à cause de sa dépendance aux herbicides.

Ensuite, le label HVE (Haute Valeur Environnementale), fondé sur plusieurs critères classés selon 4 axes : biodiversité, gestion des phytos, fertilisation et eau. Plus souple, il permet de valoriser des stratégies variées. Certaines exploitations cumulent d’ailleurs HVE et AB. Mais le label est régulièrement critiqué par une partie du secteur bio, ainsi que par la Confédération paysanne, pour son manque d’exigence. Des critiques qui semblent également motivées par le succès croissant du label, qui commence à marcher sur les plates-bandes du bio.

Le label HVE : vrai progrès ou greenwashing ?

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En conclusion…

Des alternatives crédibles au modèle bio existent. Mieux encore : certaines d’entre elles obtiennent de meilleurs résultats environnementaux, pour des pertes de rendement moindres. Pourquoi sont-elles si peu connues ? Sans doute parce que le débat public tourne en boucle autour de l’agriculture biologique, parfois érigée en solution unique. Un sérieux facteur de risque. Car, à force de mettre tous les projecteurs sur le bio, on finit par invisibiliser d’autres modèles tout aussi, voire plus, vertueux – mais incompatibles avec son cahier des charges.

Ce n’est pas seulement injuste. C’est contre-productif.

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Dernier épisode la semaine prochaine avec la conclusion : Le bio des légendes

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Lobby et marchands de (ci)trouilles bio 

19 août 2025 à 04:40

Après deux décennies de croissance, le bio marque le pas. Les ventes stagnent, et les surfaces cultivées reculent. Pourtant, l’État continue de miser sur lui, à coups de subventions et d’objectifs toujours plus ambitieux. Le secteur, en crise, fonde sa survie sur le lobbying et la fabrique de la peur.

Trou d’air passager ou marché mature ? Après un plongeon en 2021 et deux années dans le rouge, l’agriculture biologique se stabilise. Son chiffre d’affaires s’est maintenu l’an dernier à 12,2 milliards d’euros (+0,8 %), certes loin de son pic de 2020 (12,8 milliards), et sa part de marché reste de 5,7 % des achats alimentaires des Français selon les chiffres de l’Agence Bio. Une situation liée au net rebond en circuits spécialisés et en vente directe (+7 % par rapport à 2023), alors que les ventes en grande distribution, qui représentent encore près de la moitié du total, poursuivent leur dégringolade pour la quatrième année consécutive (-5 %). L’inflation a en effet conduit les grandes enseignes classiques à sabrer dans leur offre de produits bio qui, 30 à 50 % plus chers, ne trouvaient plus preneurs. Et le retour des prix à la normale n’a pas suffi à inverser la tendance. Quant à la restauration hors domicile, elle reste marginale (8 % du marché).

Le marché bio tient donc essentiellement grâce aux consommateurs « purs et durs », à fort pouvoir d’achat, qui fréquentent les magasins spécialisés comme La Vie Claire, Naturalia (Monoprix), Bio C Bon (Carrefour) ou, surtout, Biocoop, leader incontesté du secteur avec 742 magasins et 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Un créneau certes en voie de rétablissement, mais loin des croissances à deux chiffres des années 2010.

Dans ces conditions, l’acharnement des pouvoirs publics à subventionner toujours plus le développement de l’agriculture biologique laisse perplexe. Surtout, en constatant que les surfaces agricoles bio ont encore reculé en 2024, leur part stagnant autour de 10 % du total. Pourtant, la loi d’orientation agricole votée en mars dernier prévoit de doubler ce pourcentage d’ici 2030, en l’amenant à 21. Soit, dans quatre ans et demi ! Qui peut y croire ?

Sécurité Sociale de l’alimentation : le bio joue sa carte vitale

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Étranglés entre la baisse de la demande et les surcoûts de production (rendements plus faibles qu’en agriculture conventionnelle, besoins en main-d’œuvre), bon nombre d’agriculteurs bio ne parviennent plus à garder la tête hors de l’eau, malgré les aides européennes et les plans d’urgence de l’État – 104 millions d’euros en 2023, 105 millions en 2025. S’y ajoute une série d’aides à la filière, notamment via le fonds Avenir Bio, créé en 2008 : 18 millions d’euros de budget l’an dernier, sans compter les 5 millions de financement de la campagne de promotion lancée cette année à l’occasion des 40 ans du label AB.

La récente décision de réduire de plus de moitié le budget 2025 du fonds Avenir Bio (au nom de la quête d’économies) a logiquement mis la filière en émoi. Mais est-il réaliste de vouloir à tout prix, à coup de subventions et de dirigisme, doper les surfaces et les volumes d’un modèle coûteux, dont les bénéfices sur la santé et l’environnement sont loin d’être avérés ? La loi Egalim impose ainsi depuis 2022 au moins 20 % d’aliments bio dans les repas des cantines scolaires. On en est loin : trop cher pour les collectivités, ou trop compliqué (ou contre-productif si les produits bio sont importés). Autre initiative, émanant cette fois de la mairie écologiste de Strasbourg : la distribution gratuite, sur simple ordonnance du médecin (dispositif Ordonnance Verte), de paniers de fruits et légumes bio à 2 000 femmes enceintes.

Biocoop : fils de pub

En fait, la filière bio a surtout construit son succès foudroyant du milieu des années 2000 à 2020, grâce à un discours agressif, axé autour du bashing systématique de l’agriculture conventionnelle. Ou plutôt du « lobby agro-industriel » et, surtout, des pesticides. À ce jeu, Biocoop a fait très fort. En 2014, le réseau coopératif lance une campagne d’affichage s’attaquant aux produits alimentaires classiques. Une affiche montrant une pomme dont sort un tas de ferraille, avec ce slogan : « n’achetez pas de pommes (traitées chimiquement) », lui vaudra deux ans plus tard une condamnation pour dénigrement. Sans aucun dommage pour son image, puisque les ventes ont progressé et que l’enseigne a récidivé en 2017, à l’occasion d’Halloween, avec une affiche de citrouille et cette annonce en gros caractères : « Vous devriez en avoir peur toute l’année ». En guise de légende : « la citrouille est l’un des aliments contenant le plus de pesticides. Chez Biocoop, tous nos produits sont garantis bio, zéro pesticide et zéro OGM ».

Un marketing de la peur qui s’est avéré très payant dans l’opinion, même s’il repose sur un double mensonge, au moins par omission. Car l’agriculture bio utilise, elle aussi, des pesticides, certes dits « naturels » (non issus de la chimie de synthèse), mais parfois tout aussi néfastes pour l’environnement, tels que les traitements à base de cuivre, toxiques pour les micro-organismes du sol, ou le spinosad, insecticide tueur d’abeilles avéré. Par ailleurs, le bio cultive de nombreuses plantes classées OGM car issues de mutagenèse in vitro, même si, grâce à la relative ancienneté de cette technique (une cinquantaine d’années), elles ne sont pas soumises aux règles de la directive européenne de 2001, notamment en matière d’étiquetage.

Spinosad : l’autre tueur d’abeilles ?

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Il n’empêche, la diabolisation de ces deux totems fonctionne, d’autant mieux qu’elle est attisée depuis des années par une nébuleuse d’ONG, d’activistes écologistes, collectifs et scientifiques militants, allant de Greenpeace à Pan Europe en passant par Nature et Progrès, Secrets Toxiques, les Faucheurs volontaires, la Confédération paysanne ou le CRIIGEN. Au centre se trouve l’influente association Générations futures (741 500 € de budget), sponsorisée par le biobusiness et l’État français. Elle multiplie les campagnes anxiogènes et les rapports ou études, biaisés mais très médiatisés, sur les résidus de pesticides. Cet écosystème, qui possède des relais de poids dans la presse et au Parlement européen (entre autres, l’eurodéputé Claude Gruffat, qui fut président de Biocoop pendant 15 ans), présente toutes les caractéristiques d’un lobby puissant. L’an dernier, la mouvance anti-pesticides s’est même élargie aux mutuelles, comme le démontre le journaliste Gil Rivière-Wekstein dans sa revue en ligne Agriculture et environnement.

Générations futures, un lobby peu discret

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Cancers : peur sur la métropole

L’outrance et l’hystérie ont atteint des sommets le 8 juillet dernier lors du vote à l’Assemblée nationale de la loi dite Duplomb, qui réintroduit ponctuellement et sous conditions très strictes l’acétamipride, un néonicotinoïde autorisé partout en Europe mais interdit en France depuis 2018. Les députés écologistes Benoît Biteau et Delphine Batho ont fait venir dans l’hémicycle des malades du cancer et des parents d’enfants qui en sont morts. Ils ont accusé les députés d’être « les alliés du cancer ». Des élus de gauche ont même prédit une hausse de ces pathologies chez les enfants, sans fournir d’arguments réels pouvant le laisser penser. Quant au journaliste-activiste Hugo Clément, il s’est offert cette indigne sortie sur tous les réseaux sociaux : « la majorité des députés a voté POUR des produits qui causent le cancer, tuent des enfants et détruisent la vie sauvage »… Une instrumentalisation cynique de la souffrance des malades, relayée sans recul par bon nombre de médias. Dénonçant « une soumission aux intérêts de l’agrobusiness », Générations futures a même annoncé sa volonté de contester le texte devant les tribunaux.

Peu importe que l’Agence sanitaire européenne EFSA, censée s’appuyer sur le consensus scientifique, après avoir passé en revue toutes les études les plus récentes, considère l’usage de cette molécule sans danger pour la santé humaine et pour l’environnement, si les conditions d’utilisation sont bien respectées (idem pour son homologue française l’Anses). Peu importe, pour les promoteurs du bio, qu’en 20 ans, l’agriculture française ait fait d’énormes progrès, grâce à la réduction des intrants, à l’interdiction de la quasi-totalité des molécules au risque cancérogène, mutagène ou reprotoxique avéré (les CMR 1), à l’amélioration constante des pratiques culturales et du recours à l’irrigation. À ce sujet, rappelons que lors de l’examen de la loi Duplomb, la commission du développement durable, présidée par une agricultrice en bio, Sandrine Le Feur, avait voté sans honte plusieurs amendements (effacés dans la version finale) interdisant la construction de nouvelles retenues d’eau et réservant aux seules exploitations en bio le droit d’utiliser celles existant déjà !

Ce déni a peut-être une explication : en 2021, le Synabio (syndicat regroupant industriels et distributeurs bio) reconnaissait être « challengé » par d’autres signes de qualité comme le Label Rouge, le « zéro résidu de pesticides » ou la certification HVE (Haute valeur environnementale). En d’autres termes, tout effort alternatif en faveur d’une agriculture plus exigeante et plus durable serait perçu comme une compétition menaçante pour le bio. Le syndicat du biobusiness, allié à d’autres acteurs dont UFC-Que Choisir, la FNAB et son incontournable bras armé, Générations futures, avait d’ailleurs engagé un recours contre la certification HVE, qualifiée de « greenwashing ». Il a été débouté en mars dernier par le Conseil d’État.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre V : Le bio qui cache la forêt

Épisode précédent : Environnement, le vert à moitié plein

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Environnement, le vert à moitié plein

12 août 2025 à 03:47

Des intrants ? Oui, mais « naturels » ! Dans l’imaginaire collectif, bio rime avec « sans intrants ». En réalité, c’est faux. L’agriculture biologique autorise engrais et pesticides d’origine naturelle. Or, « naturel » ne veut pas dire « inoffensif »

Pour fertiliser, le bio utilise surtout des effluents d’élevage (fumier, lisier), qui peuvent, eux aussi, occasionner des pollutions azotées dans les milieux aquatiques. Côté protection des cultures, certains produits autorisés posent question. Le plus connu : le sulfate de cuivre, ou « bouillie bordelaise », ce fongicide persistant qui s’accumule dans les sols et nuit à la vie souterraine et aquatique. Et il n’est pas seul : huile de neem, pyrèthres naturels, spinosad ou soufre – tous ces biopesticides font l’objet de controverses scientifiques, notamment pour leurs effets négatifs sur la biodiversité. Ils soulèvent aussi des enjeux à l’autre bout de la chaîne. Produits à partir de végétaux cultivés spécifiquement (neem en Inde, pyrèthre au Kenya…) — et souvent à grand renfort de pesticides —, ces intrants mobilisent des surfaces agricoles dédiées, parfois au détriment des écosystèmes locaux, surtout si la demande explose. C’est donc un paradoxe du bio : vouloir « préserver la nature ici » peut conduire à délocaliser les impacts plutôt que de les supprimer.

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Un vrai bonus pour la biodiversité locale

Faut-il pour autant mettre les intrants bio et conventionnels dans le même sac ? Pas tout à fait. Les études convergent sur un point : à l’échelle des parcelles, l’agriculture biologique favorise une biodiversité plus riche. Les sols y sont globalement de meilleure qualité, avec davantage de micro-organismes et de petits animaux comme les vers de terre. Cela s’explique en grande partie par l’usage de fertilisants organiques, et ce malgré un recours plus fréquent au labour pour contrôler la prolifération des adventices (en gros, les mauvaises herbes et autres plantes poussant spontanément et pouvant avoir un rôle néfaste et étouffant pour les cultures), en l’absence de glyphosate. Et ce n’est pas tout : autour des parcelles en bio, on observe aussi une plus grande diversité d’oiseaux et d’insectes, notamment parmi les pollinisateurs. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, comme une moindre disponibilité de substances actives, ce qui pourrait limiter le nombre de produits utilisés, ou encore le fait que les agriculteurs en bio adoptent plus souvent certaines pratiques vertueuses non exigées par le cahier des charges, comme les rotations longues ou la préservation de zones refuges pour la biodiversité.

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Moins de gaz à effet de serre… par hectare

Autre atout souvent mis en avant : les émissions de gaz à effet de serre. Par hectare, une exploitation en bio en émet en moyenne moins qu’une ferme conventionnelle. Pourquoi ?

D’une part, parce que les engrais de synthèse – très gourmands en énergie lors de leur fabrication – sont interdits en agriculture biologique. D’autre part, parce que l’épandage de fumier ou de lisier génère globalement moins de protoxyde d’azote (N₂O) que les engrais chimiques. Or, ce N₂O est un gaz à effet de serre redoutable, environ 300 fois plus puissant que le CO₂.

Un bon point pour le climat, donc ? Pas si vite. Ce raisonnement tient à l’hectare… mais pas au kilo produit.

Le problème de fond : les rendements

En raison des contraintes du cahier des charges, la productivité de l’agriculture biologique prend, c’est la loi du label, du plomb dans l’aile. En moyenne, les rendements y sont 20 à 30 % plus faibles qu’en conventionnel, et parfois beaucoup plus dans certaines cultures (jusqu’à -60 % pour les céréales, par exemple). Ce déficit de rendement pose un double problème : économique, bien sûr, mais aussi écologique.

Pourquoi ? Parce que la principale cause d’érosion de la biodiversité, ne provient pas de l’agriculture en soi, mais de l’extension des terres qu’elle exploite. Or, à production constante, moins l’hectare est efficient, plus on a besoin de surface. Résultat : une généralisation du bio pourrait conduire, paradoxalement, à grignoter davantage d’espaces naturels.

C’est d’ailleurs l’un des principaux avertissements de l’IPBES (le « GIEC de la biodiversité ») dans ses rapports. L’agriculture biologique y est peu citée comme levier majeur, car ses effets bénéfiques sont annulés — voire retournés — par la perte de productivité qu’elle induit.

Climat : même constat

Le GIEC, de son côté, tient un discours assez similaire. Si l’on regarde les émissions par hectare, avantage au bio. Mais si l’on raisonne en émissions par unité de production – ce qui est la logique – alors l’écart se réduit, voire s’inverse dans la majorité des cas.

L’agriculture bio ? Le GIEC et l’IPBES tempèrent l’enthousiasme

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Enfin, les bénéfices du bio sur les gaz à effet de serre reposent en grande partie sur l’utilisation d’effluents d’élevage — une ressource à la fois limitée et convoitée. Une généralisation du bio poserait donc problème : il n’y en aurait pas pour tout le monde. Et déjà aujourd’hui, leur captation par le bio prive parfois le conventionnel, contraint de recourir à des engrais de synthèse pour compenser.

Une piste parmi d’autres, pas la panacée

Les baisses de rendement de l’agriculture biologique sont, sauf exceptions, comme dans le maraîchage ou la viticulture, un handicap rédhibitoire. Elles conduisent, en réalité, à des performances environnementales inférieures par kilogramme de nourriture produite, comparées à l’agriculture conventionnelle, et à un besoin en surface cultivée plus important.

Certaines pratiques issues du bio peuvent toutefois contribuer à une transition vers une alimentation plus durable, à condition de ne pas sacraliser le label.

Car à force de tout miser sur le bio, on en oublie d’autres leviers, parfois plus efficaces mais moins « sexy » médiatiquement : agriculture de conservation, sélection variétale, outils de précision, techniques culturales simplifiées, agroforesterie, amélioration génomique… 

La vérité, c’est que l’agriculture de demain ne sera ni 100 % bio, ni 100 % conventionnelle. Elle sera — espérons-le — 100 % pragmatique.

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Duplomb : la raison plombée

9 août 2025 à 04:48

La décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Duplomb était attendue avec fébrilité, autant par les défenseurs du texte que par ses contempteurs. Elle est tombée le jeudi 7 août et ne semble contenter personne, tout en posant des questions dont la portée dépasse son contenu. Validée dans ses grandes lignes, son article le plus polémique a néanmoins été censuré, non dans son principe — la possibilité de réintroduction partielle d’un néonicotinoïde (NNI), l’acétamipride —, mais dans les modalités jugées trop lâches d’encadrement des licences pouvant être accordées à cette fin.

Selon le camp d’où vient l’analyse, le verdict des Sages de la rue de Montpensier donne lieu à des interprétations aussi variées que parfois fantaisistes. Pour certains de ses adversaires, comme les Insoumis, il s’agirait d’une « victoire » obtenue « grâce à une mobilisation populaire extraordinaire », ainsi que l’a posté sur X Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Une conception assez étrange du travail des constitutionnalistes, censés se fonder sur la seule vérification de la conformité juridique des textes qui leur sont soumis. Mais pas forcément inexacte, hélas. Nous y reviendrons. Mais, pour la plupart à gauche, la confirmation de l’essentiel du texte reste une source de colère ; Marine Tondelier allant jusqu’à qualifier la loi — pourtant votée par le Parlement après une vague d’obstruction de l’opposition, à laquelle elle a pris part — d’« illégitime ». Même alarmisme du côté de certaines associations, comme la Fondation Terre de Liens, qui voient d’un mauvais œil la possibilité offerte aux agriculteurs « de renouer avec la compétitivité en agrandissant leurs exploitations » (sic) — une version polie du « J’en ai rien à péter de la rentabilité [des agriculteurs] » de Sandrine Rousseau. Preuve que, pour ce camp, le combat ne fait que commencer, en dépit de la volonté d’Emmanuel Macron de promulguer rapidement la loi expurgée des articles censurés.

À droite, et parmi les plus fervents défenseurs du texte, l’analyse de cette censure très relative ne s’embarrasse pas davantage de rigueur. Entre un Laurent Wauquiez qui dénonce « l’ingérence du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb ! », tout en ayant voté pour la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement justifiant la décision des Sages, et une Marine Le Pen accusant la juridiction suprême de se comporter « comme un législateur alors qu’[elle] n’en détient pas la légitimité démocratique », l’approximation est à la fête. Le mot « illégitime » utilisé par Marine Tondelier pour qualifier la loi est également repris à droite, cette fois pour désigner la censure. Et pourtant, il y aurait tant à dire de cette décision.

La charte de la précaution

Elle s’appuie sur la Charte de l’environnement (et son principe de précaution), annoncée par Jacques Chirac en 2001, puis intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Ce qui se tient en droit. Même si, dans la loi, l’usage de l’acétamipride avait été très largement limité, les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par […] la Charte… ». Il est notamment question de la largesse d’interprétation laissée aux préfets pour octroyer les autorisations permettant d’utiliser le NNI en question, ainsi que de la temporalité de cet usage. Même si les syndicats agricoles, comme la FNSEA — qui prend acte de la décision avec une certaine retenue —, ou l’Association nationale pommes poires (ANPP), critiquent sévèrement la censure, ils y voient aussi quelques motifs d’espoir pour l’avenir. Ce qui est également – de manière relative – notre cas, ainsi que celui du spécialiste des questions agricoles et environnementales Gil Rivière-Wekstein. Car, finalement, le Conseil constitutionnel ne remet pas tant en cause l’usage dérogatoire de l’acétamipride que la rédaction approximative d’une loi conçue dans l’urgence pour répondre à la colère légitime des agriculteurs, en particulier ceux dont les filières ont été largement impactées par l’interdiction des NNI : betteraves (sucre), noisettes, poires, etc. On notera qu’il aurait été plus judicieux d’éviter, auparavant, de recourir à une loi — difficile à modifier une fois adoptée — pour interdire l’acétamipride, alors que la voie réglementaire l’autorisait. Le Conseil « fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture », comme le note Gil Rivière-Wekstein. Une nuance bien comprise par Laurent Duplomb, l’artisan du texte, mais aussi par nombre de ses détracteurs. Rien n’empêche en effet les parlementaires — comme le souhaitent le sénateur Duplomb, la FNSEA et les autres acteurs des filières concernées — de reprendre le travail législatif en s’appuyant sur les recommandations de l’institution de la rue de Montpensier afin de permettre la réintroduction très encadrée du NNI.

Quand le droit plie face aux influenceurs

Hélas, en théorie seulement. Car la violence du débat militant qui accompagne cette possibilité — entre pétition populaire mal informée, raids d’intimidation sur les réseaux, menaces plus ou moins directes contre les élus et messages médiatiques ignorants de la science — la rend risquée pour ceux qui voudraient la défendre. Et cela, le Conseil constitutionnel ne pouvait l’ignorer.

On peut alors revenir à la déclaration déjà citée de Manuel Bompard se félicitant du rôle joué par la « mobilisation populaire ». Car cette mobilisation a clairement participé à la décision de censurer l’article sur l’acétamipride, indexant en partie le droit sur l’influence de ceux qui le contestent, et faisant fléchir le pouvoir législatif face à celui des followers. Une définition chimiquement pure du populisme. D’autant que le Conseil s’est appuyé sur un grand nombre de contributions extérieures (19) au fort poids médiatique pour fonder son avis, allant de la Ligue des droits de l’homme aux militants de Générations futures, en passant par des associations d’apiculteurs et de médecins, mais sans consultation scientifique. Or il convient de rappeler qu’aucune étude ne valide le caractère cancérogène de l’acétamipride, contrairement à ce qu’affirment nombre des intervenants consultés — même si, comme tout néonicotinoïde, le produit est toxique, mais relativement sûr lorsqu’il est utilisé conformément aux recommandations d’usage. Le Conseil parle pourtant d’un « consensus scientifique » censé montrer les capacités tumorales du produit pour appuyer son jugement, alors, qu’encore une fois, cette assertion est une pure fable, ce qui interroge, pour ne pas dire plus. Mais la cerise sur le gâteau, témoignant de l’absurdité de la censure du CC, est livrée par… lui-même. Celui qui a validé la loi du 14 décembre 2020, qui autorisait, à titre dérogatoire, l’usage de semences de betteraves sucrières traitées avec certains néonicotinoïdes alors interdits à peu près partout dans cette Europe où l’acétamipride est en revanche autorisée. Ce qui témoigne de l’aspect populiste et politique de la décision. 

Au final, en plus de son incohérence, celle-ci ouvre un boulevard aux produits agricoles de nos voisins européens, tous traités avec le NNI honni, et parfois avec d’autres plus contestés (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, thiaclopride, ayant obtenus des dérogations pour des usages précis), ne préservant pas la santé des consommateurs et soumettant nos agriculteurs à une concurrence déloyale pouvant menacer leur survie. Qu’importe pour des écologistes peu soucieux du réel. Les agriculteurs ne doivent pas être dupes : interdire les produits étrangers qui les utiliseraient, comme le demande Marine Tondelier, est tout simplement impossible, sauf à sortir de l’UE, puisque cela contreviendrait à la libre circulation des biens, qui en est l‘un de ses fondements.

Même si la raison l’emportera peut-être lors de prochains travaux législatifs — sans doute largement retardés par la vigueur de l’obstruction des adversaires de la loi et de leurs relais d’influence, nombreux et bien organisés —, les agriculteurs concernés vont continuer de voir leurs rendements diminuer… et nos voisins en profiter.

Est-ce bien raisonnable ?

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Santé, l’effet placeb(i)o

5 août 2025 à 03:59

Laquelle choisir ? C’est la question que chacun s’est déjà posée devant son rayon fruits et légumes au moment de choisir entre une laitue conventionnelle et son alternative bio, presque deux fois plus chère. La santé serait-elle à ce prix ?

Dans l’imaginaire collectif, le logo AB agit comme un talisman. Il suggère une assiette plus saine, censée protéger des cancers et autres maladies chroniques. Ce récit est nourri par un marketing agressif, largement relayé par une communication médiatique et politique très alarmiste sur les « pesticides chimiques ».

Les salades bio de Benoît Biteau

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Mais que dit vraiment la littérature scientifique ?

Les promesses santé du bio : des corrélations, mais pas de preuves

L’une des études épidémiologiques les plus commentées est celle de NutriNet-Santé, publiée en 2018. Elle a suivi près de 70 000 volontaires pendant quatre ans, dont 78 % de femmes, d’un âge moyen de 44 ans. Au total, 1 340 cancers ont été diagnostiqués. Résultat : les consommateurs réguliers de produits bio affichaient un taux de cancers de 1,6 %, contre 2,2 % chez les non-consommateurs — soit une différence relative d’environ 25 %.

De quoi nourrir un battage médiatique sans nuance… mais trompeur. Car il s’agit d’une étude observationnelle de cohorte, sans répartition aléatoire entre groupes « bio » et « non bio ». Or, avec cette méthode, les différences constatées peuvent résulter de biais de confusion (habitudes alimentaires globales, niveau d’études, activité physique, tabagisme…), plutôt que d’un effet direct du mode de production. Dit autrement : les amateurs de bio ne sont pas en meilleure santé parce qu’ils mangent bio, mais mangent bio parce qu’ils prennent soin de leur santé et sont donc sensibles aux messages prétendant cette agriculture plus vertueuse sanitairement.  .

Pourtant, l’Institut national du cancer le rappelle explicitement : « Il n’y a pas de preuve scientifique qui indique qu’une alimentation bio réduit le risque de cancer ».

Même prudence dans une étude norvégienne (MoBa) portant sur 28 000 femmes enceintes. Elle suggère une association entre consommation fréquente de légumes bio et réduction du risque de prééclampsie (une hypertension artérielle pouvant survenir après 20 semaines de grossesse). Mais là encore, ce lien statistique pourrait s’expliquer par d’autres paramètres liés au mode de vie, indépendamment du bio lui-même.

Enfin, une revue systématique de Stanford, publiée en 2012, n’a identifié aucun bénéfice clair du bio sur la santé, ni de différence notable en valeur nutritionnelle, et pas davantage en morbidité, malgré une exposition réduite aux résidus de pesticides.

Pesticides dangereux : la décrue silencieuse

De son côté, l’agriculture conventionnelle ne reste pas figée dans ses pratiques et progresse continuellement. Depuis 2009, les quantités de substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques) qu’elle utilise ont fortement diminué en France. Les CMR1 (les plus préoccupantes) ont été quasiment éliminées à partir de 2021, tandis que les CMR2 ont chuté de près de moitié en dix ans. Ces évolutions traduisent les améliorations continues de la régulation européenne et des pratiques agricoles, qui tendent à éliminer les molécules les plus dangereuses. 

Risques de résidus et contaminations naturelles : pas de blanc-seing pour le bio

La question des résidus de pesticides illustre bien cette autre nuance. Les enquêtes officielles montrent qu’environ 10 % des fruits et légumes bio contiennent des traces mesurables, contre près de 50 % en conventionnel. Mais toutes filières confondues, plus de 95 % des échantillons restent entre 50 et 100 fois en dessous des limites maximales de résidus fixées avec une large marge de sécurité. Autrement dit, même si la salade conventionnelle a plus de chances de contenir un résidu, celui-ci reste très inférieur aux seuils jugés préoccupants. À moins de consommer plusieurs dizaines de salades par jour, l’impact sanitaire est négligeable. Pas de quoi — vous en conviendrez — en faire toute une salade.

Précisons aussi que la méthode la plus efficace pour éliminer la grande majorité des résidus présents en surface reste… de laver ses fruits et légumes.

Mais tout ne peut pas se nettoyer. C’est le cas de la bière. Or, une étude récente portant sur 45 d’entre elles, a détecté des traces de glyphosate dans plus de la moitié des échantillons — y compris deux productions bio — à des niveaux si faibles qu’il faudrait boire près de 2 000 bouteilles par jour pour atteindre la dose maximale admissible. On vous a pourtant martelé (à raison) que l’alcool devait être consommé avec modération !

Ces résidus, même dans les produits bio, sont généralement dus à des contaminations fortuites : dérives de pulvérisation, pollution environnementale ou fraudes ponctuelles. Preuve en est, que le bio est régulièrement l’objet de rappels de ses produits. Ainsi, en 2025, un lot de potimarrons bio français a été retiré du marché pour dépassement des seuils réglementaires en pesticides, tout comme un autre, de poivre noir bio importé, contaminé par de l’anthraquinone, une substance non autorisée.

Quand une ferme bio déclenche une épidémie

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Cela ne signifie pas que le label soit trompeur. Seulement qu’il ne donne en rien un blanc seing sanitaire sur la seule base de sa revendication.

D’autant que les agriculteurs bio utilisent notamment le sulfate de cuivre pour lutter contre les maladies fongiques. Ce métal lourd, « naturel » certes, s’accumule dans les sols et peut être toxique pour la faune… comme pour l’être humain, s’il est soumis à de fortes doses du produit.

Bouillie bordelaise : une image de naturel vraiment fondée ?

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Autre exemple souvent ignoré : les alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP), toxines naturelles produites par certaines plantes sauvages (séneçon, datura…). On en a retrouvé dans des herbes aromatiques bio, entraînant des rappels de produits. Des vaches en pâture peuvent aussi en ingérer si leur pré est infesté : des traces d’AP peuvent alors se retrouver dans le lait, y compris bio.

Même logique pour l’aflatoxine M1, une mycotoxine cancérogène issue de fourrages moisis, détectable dans le lait — bio ou non — en cas de mauvaises conditions de stockage. Mais, rassurons-nous, ces contaminations restent exceptionnelles, grâce à la rigueur des contrôles européens.

Enfin, des enquêtes ont mis en lumière la présence de polluants persistants (PCB, dioxines) parfois plus élevée dans des produits animaux bio, ou encore des taux de phtalates surprenants dans certaines huiles d’olive bio, parfois supérieurs à ceux mesurés en conventionnel.

Autant de signaux qui rappellent que « bio » ne rime pas automatiquement avec « pureté », et que, quels que soient les labels, la vigilance et les contrôles sanitaires restent essentiels.

Nutrition et équilibre : le vrai levier santé

La plupart des méta-analyses convergent vers un même constat : les grands déterminants nutritionnels de notre santé sont la surconsommation de sucre, de sel, d’alcool, de produits ultra-transformés et la sédentarité — bien plus que l’exposition résiduelle à des substances déjà très encadrées.

Ainsi, passer de deux à cinq portions quotidiennes de fruits et légumes, bio ou non, diminue la mortalité toutes causes confondues de l’ordre de 13 %. Inversement, un burger-frites bio reste de la malbouffe bio, tandis qu’une assiette de brocolis surgelés conventionnels constitue un véritable atout pour le cœur et les artères.

Et puis, il y a le coût — un facteur décisif. Le surcoût du bio varie de +30 % à +80 % selon les filières et les enseignes le commercialisant. Pour un foyer modeste, cette surtaxe peut réduire la consommation totale de végétaux. Or, la première priorité de santé publique est d’augmenter la part de fruits et légumes dans l’assiette, pas de sélectionner un label ni de privilégier les plus chers. Et le constat est préoccupant : seulement un Français sur cinq atteint les cinq portions recommandées par jour, une part encore plus faible chez les jeunes.

Le marketing de la peur, qui laisse entendre qu’« hors du bio, point de salut », risque aussi de détourner les budgets des ménages de produits sains mais accessibles. 

C’est que conclut une thèse soutenue en 2018 : « À l’échelle individuelle, nous devons continuer à encourager nos patients à manger des fruits et légumes conventionnels s’ils ne peuvent avoir accès au bio. En effet, des études confirment qu’il est préférable de consommer des légumes avec pesticides que de ne pas en manger du tout. »

Alors, quelle salade choisir ?

Une laitue conventionnelle bien lavée ne mettra pas votre santé en danger, même consommée quotidiennement. Si réduire légèrement votre exposition aux résidus vous semble important — et si votre budget le permet — alors la salade bio peut être une option.

Mais l’essentiel est ailleurs : manger plus de végétaux variés, choisir des produits frais, éviter la malbouffe et les produits ultra-transformés, cuisiner davantage, bouger plus. Le bio est un choix possible, pas un passage obligé. Ce qui compte, c’est ce que vous mettez dans votre assiette… pas le logo sur l’étal.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Aucun impact sur la santé : une étude d’envergure confirme l’innocuité des OGM

1 août 2025 à 04:36

C’est l’un des débats les plus inflammables de ces dernières décennies : les OGM sont-ils sûrs ? Ont-ils des effets néfastes à long terme sur la santé ? Il y a treize ans, l’étude Séralini l’affirmait, avant d’être rétractée. Aujourd’hui, une recherche de long terme menée sur deux générations de primates démontre le contraire. Reste à savoir si elle bénéficiera de la même couverture médiatique.

« OGM : l’humanité est en train de se suicider » (Jean-Luc Mélenchon), « La dérégulation des OGM menace la santé des consommateurs » (Marie Toussaint, EELV), « Nous n’avons pas envie de manger des produits OGM » (Marine Le Pen)… Pour de nombreux responsables politiques, et pour une grande partie de l’opinion, la cause semble entendue : consommer des OGM n’est pas sûr.

Pourtant, en trente ans, aucune étude n’a pu démontrer leur nocivité. Mais les plus inquiets réclamaient des preuves plus solides. C’est à cette attente qu’une équipe chinoise tente de répondre, avec une expérimentation d’une ampleur inédite. Pendant plus de sept ans, les chercheurs ont nourri des macaques cynomolgus avec deux variétés de maïs génétiquement modifié : l’une résistante aux insectes, l’autre tolérante aux herbicides. Cet animal, très proche de l’humain, est régulièrement utilisé dans les tests biomédicaux les plus exigeants. La durée de l’expérience, exceptionnelle, dépasse largement celle de toutes les études menées jusque-là.

Le résultat ? Aucun trouble métabolique. Aucun signe d’inflammation. Aucun dérèglement du système immunitaire. Les primates exposés au maïs OGM n’ont présenté aucune différence biologique significative avec le groupe témoin.

L’étude a été financée par plusieurs institutions publiques chinoises, dont l’Académie des sciences médicales et la province du Yunnan. Elle a été publiée dans la revue scientifique Journal of Agricultural and Food Chemistry, publiée par l’American Chemical Society (ACS), une des plus prestigieuses sociétés savantes dans le domaine de la chimie. Contrairement à d’autres travaux controversés, cette recherche ne semble ni orientée par l’industrie, ni portée par une cause militante.

Certes, elle ne porte que sur deux types de maïs transgénique. Mais elle vient ébranler l’idée que les OGM seraient nécessairement nocifs à long terme. Malheureusement, il est probable qu’elle passe inaperçue. Contrairement à l’étude Séralini, qui, a sa sortie, a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Le Nouvel Obs titrait en une, « Oui, les OGM sont des poisons ! », pendant que le documentaire « Tous cobayes ? », exposait des images spectaculaires de rats présentant des tumeurs.

Alors que Bruxelles débat de l’autorisation des NGT, ces nouveaux OGM sans transgénèse, il est regrettable que cette information ne soit plus largement diffusée. Une fois encore, les peurs pourraient être agitées sans que l’on prenne le temps d’écouter ce que dit réellement la science. Pire, elles trouveront, grâce à aux anciens titres alarmistes restés dans l’imaginaire collectif, un terreau fertile sur lequel prospérer.

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Le bio selon les faits : mirage ou miracle ? 

28 juillet 2025 à 22:39

Toujours au top dans l’actualité, l’agriculture biologique remporte pourtant un succès… décroissant. Alors, nécessaire purification par le marché pour une filière très subventionnée qui réclame toujours plus de débouchés imposés ? Ou injustice faite à un mode de production vertueux, censé nous nourrir sainement et préserver la planète ?

Longtemps promue comme une solution miracle – pour les sols, l’eau, la biodiversité, la santé et même le climat – l’agriculture biologique bénéficie d’un soutien politique rarement démenti. En 2025 encore, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, y voit un « pilier essentiel de notre souveraineté alimentaire » et lui réaffirme son soutien « indéfectible ». Un engagement sonnant et trébuchant : plus de 350 millions d’euros d’aides par an, et un objectif de 21 % de surface agricole utile en bio d’ici à 2030 – deux fois plus qu’aujourd’hui.

Pourtant, la dynamique s’essouffle. Les surfaces stagnent, la consommation recule, les conversions s’arrêtent voire s’inversent. Et les soutiens du bio en viennent à hystériser le débat, parfois jusqu’à l’indignité. Le jour du vote de la loi de simplification agricole, Marine Tondelier publiait : « Tous les députés qui voteront pour la loi Duplomb voteront pour l’empoisonnement de vos enfants et la destruction de la biodiversité ». Y a-t-il urgence qui justifie l’outrance ?

Alors : que promettait vraiment le bio ? Qu’a-t-il tenu ? Et est-il vraiment la meilleure – voire la seule – voie pour conjuguer santé, climat, biodiversité et souveraineté alimentaire ?

C’est ce débat que Les Électrons Libres ouvrent ici, en cinq chapitres. Sans parti pris, mais avec nuance, en restant attachés aux faits permettant d’explorer en profondeur les dessous de notre assiette.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement une partie de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? » – mais une partie seulement.

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La bio du bio

28 juillet 2025 à 22:39

Au XIXᵉ siècle, Thomas Malthus écrivait que « le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire la subsistance de l’homme ». Cette vision profondément pessimiste – devenue un nom commun, le malthusianisme – de la croissance démographique l’amenait à penser que la planète ne pourrait nourrir durablement plus d’un milliard d’humains — un seuil franchi dès 1804, soit, ironiquement, à peine quelques années après la parution de son Essai sur le principe de population (1798).

Depuis 1927, date à laquelle l’humanité a atteint deux milliards d’habitants, la population mondiale a quadruplé. Pourtant, le nombre de fermes dans le monde est resté relativement stable — autour de 600 millions — tandis que la main-d’œuvre agricole a chuté drastiquement dans les pays industrialisés. Dans le même temps, la surface agricole mondiale s’est accrue jusqu’à représenter environ 37 % des terres émergées, avant de se stabiliser.

Agriculture vivrière : le grand bond en arrière

J’approfondis

Cet exploit a été rendu possible par des transformations radicales de l’agriculture : semences hybrides à haut rendement, engrais de synthèse, produits phytosanitaires, mécanisation, irrigation massive… Ce bouleversement, amorcé dans les années 1950-60, a pris le nom de « révolution verte ».

Les résultats se sont avérés spectaculaires : en Inde, les rendements du riz ont été multipliés par cinq entre 1960 et 2000. L’apport énergétique moyen par habitant a fortement augmenté, la malnutrition infantile a reculé et les grandes famines ont quasiment disparu, en dehors des contextes de guerre et des moments où l’idéologie a pris le pas sur la science. On pense à l’URSS et aux délires pseudo-scientifiques de Lyssenko qui ont ravagé l’agriculture soviétique. Mais aussi à la Chine maoïste où les politiques agricoles de collectivisation forcée ont provoqué la mort de dizaines de millions de personnes, et, bien entendu, au Cambodge, quand les Khmers rouges ont tenté de supprimer la propriété privée et l’agriculture moderne, éradiquant plus de 25% de la population locale, un sinistre record dans l’Histoire.

Trofim Lyssenko, jardinier et idéologue redouté

J’approfondis

L’agriculture moderne est l’un des plus grands succès de l’humanité. Elle a permis d’éviter des famines massives et, sous l’impulsion de pionniers comme Norman Borlaug, sauvé plus d’un milliard de vies. Mais ces avancées décisives ont aussi eu leur revers. L’intensification agricole a entraîné pollutions, perte de biodiversité, émissions accrues de gaz à effet de serre et appauvrissement des sols. La spécialisation des cultures, la disparition des haies et le recours massif aux intrants ont fragilisé la résilience des agrosystèmes..

Norman Borlaug, l’homme qui en sauva un milliard

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La France illustre bien ces évolutions. À partir des années 1960, son agriculture s’est modernisée à marche forcée : mécanisation, structuration des filières, limitation des importations et prix d’achats garantis via la PAC. Résultat : la production a doublé depuis 1960 — et même plus que triplé pour les céréales — sans extension des surfaces cultivées.

Mais cette modernisation s’est accompagnée d’un exode rural massif. Le nombre d’exploitations est passé de 1,26 million en 1979 à moins de 400 000 en 2020. Il pourrait chuter à 275 000 d’ici 2035. Dans le même temps, la taille moyenne des exploitations a augmenté de 25 % entre 2010 et 2020. Beaucoup d’exploitants ont quitté la profession, d’autres sont devenus dépendants des aides publiques.Mais les chiffres les plus éloquents sont ceux-là.  En 1960, l’agriculture au sens large (incluant la sylviculture et la pêche) représentait 21% de l’emploi total en France. En 2023, selon les dernières données disponibles de l’INSEE, elle ne pèse plus que 2,51%… 

Et les crises se sont accumulées : chlordécone, dioxines, hormones, vache folle… Des scandales sanitaires et environnementaux ont profondément ébranlé la confiance des citoyens dans le modèle productiviste.

C’est dans ce contexte, et souvent en réaction à ces dérives, qu’un premier mouvement en faveur d’une agriculture plus « naturelle » a émergé dès le début du XXᵉ siècle.

L’agriculture biologique contemporaine émerge ensuite dans les années 1940, en Europe et en Inde, comme réaction à la montée en puissance de l’agriculture industrielle et à sa dépendance croissante aux intrants chimiques. Les premiers pionniers insistent alors sur une idée a priori simple : la fertilité d’un sol ne peut être durablement maintenue qu’en respectant ses cycles biologiques, par l’usage de composts, de rotations longues et d’engrais organiques, et non par le recours exclusif aux fertilisants de synthèse.

Deux figures marquent les débuts de ce courant. En Angleterre, Albert Howard, envoyé en Inde comme agronome impérial, observe les méthodes agricoles locales et défend une approche holistique du sol, de la plante et de l’animal. Il développe l’idée de sol vivant et met l’accent sur le recyclage de la matière organique. En Allemagne, Rudolf Steiner, gourou sulfureux sans la moindre compétence agricole, pose en 1924 les bases de la biodynamie : un mélange de techniques agronomiques, de pratiques lunaires — au sens propre comme au figuré — et de rituels ésotériques, comme l’enfouissement d’une corne de vache remplie de bouse à l’équinoxe.

Biodynamie : quand l’agriculture sent le soufre

J’approfondis

Dans les années 1960-70, à la faveur d’une prise de conscience écologique (pollutions, marées noires) et d’inquiétudes sanitaires, le bio gagne en visibilité. En France, l’AFAB (Association française pour l’agriculture biologique) est créée dès 1962. D’autres réseaux militants ou coopératifs suivent. L’État ne reconnaîtra officiellement le label « AB » qu’en 1985, puis adoptera la réglementation européenne dans les années 1990-2000. Le règlement UE 2018/848 fixe aujourd’hui les règles précises de l’agriculture biologique.

Les grands principes du bio

Les exigences légales du règlement (UE) 2018/848 sont :

  • Interdiction formelle des OGM, engrais minéraux, pesticides de synthèse ; les antibiotiques ne sont utilisés qu’en dernier recours pour santé animale 
  • Rotation pluriannuelle des cultures, intégrant légumineuses ou engrais verts pour préserver la fertilité des sols 
  • Gestion des sols avec priorité donnée à la matière organique (compost, fumier), réduction du labour, lutte contre l’érosion et maintien de la vie microbienne du sol
  • Protection des plantes basée sur des variétés résistantes, la lutte biologique, et un recours limité à des substances autorisées uniquement si les méthodes alternatives sont insuffisantes
  • Élevage biologique exigeant : densité maîtrisée, plein air, alimentation biologique dès la naissance, races adaptées et bien-être animal renforcé.

Contrairement à une idée reçue, le bio n’est pas nécessairement local, ni sans mécanisation, ni sans intrants, ni même sans chauffage de serre : un produit bio peut venir de très loin, voyager en camion frigorifique, et avoir une empreinte carbone importante.

Le mot d’ordre affiché est simple : « nourrir sans nuire ». Mais derrière cette formule, le bio porte une dimension idéologique assumée : rejet du productivisme et de la mondialisation, culte du « naturel », et préemption du « manger sainement ».

Longtemps porté par des pionniers sincères, ce modèle s’est institutionnalisé. Aujourd’hui, environ 10 % des terres agricoles françaises sont cultivées en bio. Le marché s’est structuré, la grande distribution s’est emparée du label, et la consommation a explosé jusqu’en 2021.

Mais cette croissance s’accompagne de tensions. Et plus le modèle s’étend, plus ses prétentions hégémoniques se heurtent à ses propres limites économiques et agronomiques.

Les défis du XXIème siècle : les travaux d’Hercule de l’agriculture

Surtout, une question de fond s’impose : l’agriculture biologique est-elle vraiment le contre-modèle vertueux qui nous est présenté ? Ou masque-t-elle, sous couvert d’évidence morale, un débat plus vaste sur les compromis à faire ?

Car les défis auxquels l’agriculture est confrontée sont considérables. Même si la croissance démographique ralentit, la première question – et la plus cruciale – reste celle de notre capacité à produire assez pour nourrir une population mondiale toujours en augmentation. Mais aussi d’y parvenir en assurant une qualité sanitaire élevée et des produits diversifiés à un coût acceptable pour le consommateur. Ce qui introduit logiquement le problème de la rémunération équitable des producteurs et de l’amélioration de leurs conditions de travail, dans un contexte de pénurie récurrente de main-d’œuvre dans les filières agricoles. Le tout devant se réaliser dans le souci constant de la réduction de l’empreinte environnementale globale (eau, sols, climat, biodiversité) et de la minimisation de la surface agricole. Des questions qui, pour la plupart, s’apparentent à des dilemmes.

Face à eux, le bio est-il alors la solution  ? Tient-il ses promesses ? Ou son omniprésence médiatique et politique occulte-t-elle d’autres solutions, plus efficaces, voire plus réalistes ?

Ce sont ces questions que nous aborderons dans les chapitres suivants de cette série et du livre qui en découle.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement les bonnes feuilles de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? ». Pour le lire en intégralité, c’est par là :

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

27 juillet 2025 à 06:06

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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Trop bio pour être vrai ? Le livre !

17 juillet 2025 à 13:01

Il peine à se faire une place dans nos assiettes, mais doit pourtant, pour le législateur, représenter 21 % de notre agriculture dans 4 ans. Derrière ce volontarisme, la promesse d’une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement. Mais manger bio est-il vraiment bon pour la santé et pour la planète ?

Un livre compact, direct et ludique, coloré et richement illustré ! Nos spécialistes Stéphane Varaire, Jérôme Barrière, Anne Denis & Frédéric Halbran, soutenus par Antoine Copra et Benjamin Sire, font le point sur l’état de la science, sans a priori et sans faux-semblants.

À grignoter sans modération !

Disponible dès aujourd’hui, sur Amazon pour les versions broché et Kindle et directement sur notre site au format epub.

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