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Solaire : l’éclipse espagnole

21 août 2025 à 04:03

Le 28 avril 2025, l’Espagne et le Portugal ont basculé dans l’obscurité. En quelques secondes, près de 60 millions d’habitants ont été plongés dans un black-out massif. Transports figés, communications coupées, hôpitaux sous tension : une panne d’une ampleur inédite, qui a mis en lumière les fragilités de réseaux électriques de plus en plus dépendants des énergies renouvelables.

Alors que l’Espagne est un pionnier dans l’adoption des énergies vertes, cet incident a relancé une interrogation brûlante : le photovoltaïque, jadis célébré comme une solution miracle pour la transition énergétique, est-il en train de perdre de son éclat ?

Le black-out ibérique : une crise révélatrice

Ce 28 avril 2025, à 12 h 33, le réseau ibérique s’effondre. Selon Red Eléctrica de España (REE), le gestionnaire du réseau espagnol, une perte soudaine de 15 GW de production, principalement d’origine solaire, a été enregistrée, représentant environ 60 % de la demande nationale à ce moment précis. Elle fait chuter la fréquence à 49,2 hertz (au lieu de 50 hertz). Une série d’arrêts automatiques se déclenche, les interconnexions avec la France et le Maroc se coupent. L’Espagne et le Portugal entrent alors dans une nuit artificielle qui durera de dix à vingt heures selon les régions.

Très vite, une suspicion se porte sur la centrale solaire Nuñez de Balboa, exploitée par Iberdrola. Selon plusieurs fuites relayées par la presse, des anomalies auraient déstabilisé le réseau, provoquant une réaction en chaîne, amplifiée par la forte proportion de sources renouvelables (70 % de l’électricité provenait du solaire et de l’éolien au moment de l’incident). Mais la ministre de la Transition écologique, Sara Aagesen, tempère. Ce ne serait pas un site isolé qui aurait plongé le pays dans le noir, mais bien un enchaînement de défaillances – erreurs de pilotage de Red Eléctrica de España (REE), manque de capacités de secours disponibles, fragilité structurelle d’un réseau saturé d’énergies intermittentes.

Ce black-out a révélé une réalité technique fondamentale : les énergies renouvelables, bien qu’essentielles à la transition énergétique, posent des défis majeurs en termes de stabilité. Contrairement aux centrales thermiques ou nucléaires, les installations solaires et éoliennes n’apportent pas l’inertie électromécanique indispensable au réseau. Dans un système classique, cette inertie vient des masses en rotation – turbines, alternateurs – qui, comme la roue d’un vélo, permettent de continuer à avancer malgré une secousse ou une variation de cadence. Sans elle, la moindre oscillation de fréquence se transforme en choc violent.

Les panneaux solaires produisent du courant continu à partir de la lumière du soleil, ensuite converti en courant alternatif par des onduleurs. Or, ces équipements électroniques n’apportent aucune inertie. Les éoliennes modernes, pour la plupart connectées via des convertisseurs, ne transmettent pas non plus directement l’énergie cinétique de leurs pales au réseau. Résultat : au moment où l’Espagne fonctionnait avec près de 70 % de renouvelables, la moindre anomalie locale a suffi à faire vaciller l’ensemble du système.

Photovoltaïque : de l’euphorie au désenchantement

L’Espagne s’est longtemps enorgueillie d’être championne européenne du solaire. En 2024, les renouvelables représentaient déjà 56 % de son mix électrique, et le pays vise 81 % en 2030. À certaines heures, le photovoltaïque couvre plus de 60 % de la demande nationale. Mais cette réussite est aussi une fragilité.

Le 28 avril, la surproduction solaire atteignait 32 000 MW pour une demande limitée à 25 000 MW. Face à ce déséquilibre, les systèmes automatiques ont déconnecté en cascade des centrales entières, dès que la fréquence sortait de la plage tolérée. Ce n’est pas tant le solaire lui-même qui est en cause que l’incapacité du réseau à absorber des flux aussi massifs et variables. Sans stockage suffisant, sans mécanismes de régulation modernes, la solution du photovoltaïque se mue en problème.

Une panne aussitôt instrumentalisée

À peine les lumières revenues sur la péninsule ibérique, le débat politique s’est enflammé. En Europe, des figures de l’extrême droite comme l’Allemande Alice Weidel (AfD) ou l’Italien Antonio Tajani (Fratelli d’Italia) ont saisi l’occasion pour accuser le Pacte vert d’affaiblir la sécurité énergétique. En Espagne, l’opposition a réclamé le retour du nucléaire comme garantie de stabilité. Le Premier ministre Pedro Sánchez a répondu que les centrales nucléaires s’étaient elles-mêmes arrêtées lors du black-out, et que seules les centrales hydroélectriques et à gaz avaient permis le redémarrage.

Sur le terrain industriel, le jeu des responsabilités a vite tourné à la passe d’armes en mode renvoi de la patate chaude. Iberdrola s’est exemptée de toute faute, REE a incriminé la proportion excessive de renouvelables, tandis que la fédération patronale Aelec a dénoncé l’absence de centrales synchrones pour assurer la stabilité du réseau. La panne a ainsi révélé une évidence. La transition énergétique n’est pas qu’un enjeu technique, c’est aussi un champ de bataille politique et économique.

Le solaire : un pilier indispensable des ENR

Malgré ce désenchantement, nul ne peut se passer du photovoltaïque. Son association avec les batteries lui confère un rôle potentiel dans le lissage de la demande, dont ne peut se targuer l’éolien, à l’intermittence bien moins cyclique et plus imprévisible. Il s’installe vite, nécessite peu d’investissements lourds, ne présente pas de risque industriel majeur et affiche des progrès constants en matière de rendement et de recyclage. Aujourd’hui, les taux de récupération des matériaux (verre, aluminium, silicium) peuvent aller jusqu’à 95 %. Quant aux batteries, elles gagnent en compacité et en durabilité, en plus d’être moins onéreuses et de voir leurs matériaux (lithium, cobalt, nickel) être recyclables à près de 90 % contre moins de 50 % il y a encore dix ans.

Solaire : la France contre-attaque

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Mais l’intégration efficace et sûre du photovoltaïque aux réseaux exige une transformation profonde de ces derniers. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’il faudra ajouter ou remplacer 80 millions de kilomètres de lignes électriques dans le monde d’ici 2040 pour atteindre les objectifs climatiques. Et l’Espagne, enclavée derrière les Pyrénées, doit renforcer ses interconnexions avec le reste de l’Europe pour éviter que de futures perturbations locales ne tournent au désastre continental.

Les pistes existent, comme le développement du stockage hydraulique par stations de pompage-turbinage, la production de batteries de grande capacité, mais aussi les innovations technologiques comme l’inertie virtuelle. Ces convertisseurs électroniques de nouvelle génération permettraient aux installations solaires d’imiter le comportement stabilisateur des centrales conventionnelles. Des équipes de recherche, notamment à l’IMDEA Energía, travaillent déjà sur ces solutions, qui nécessiteront des incitations économiques et des réformes réglementaires pour se déployer à grande échelle.

L’Europe en première ligne

L’Union européenne a lancé une enquête indépendante, confiée à l’ENTSO-E et à l’ACER, pour tirer toutes les leçons du black-out ibérique. Les priorités relevées pointent la nécessité de renforcer la résilience des réseaux, d’améliorer la coordination transfrontalière et d’intégrer les renouvelables dans une architecture plus robuste.

Pour l’instant, la France, protégée par son parc nucléaire et ses dispositifs de protection réseau, a échappé à ce genre de pannes. Mais ce répit ne doit pas masquer une tendance de fond : l’Europe entière est confrontée au défi d’une intégration massive des renouvelables sans fragiliser ses systèmes. Le solaire, par son ampleur et son développement rapide, est au cœur de cette équation.

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Une transition sous tension

L’éclipse espagnole ne signe pas l’échec du photovoltaïque. Elle rappelle que la transition énergétique ne peut se résumer à déployer toujours plus de panneaux ou d’éoliennes sans investissements massifs sur les réseaux, ses mécanismes de régulation et l’innovation technologique.

Si le solaire reste une pièce maîtresse du mix énergétique, il n’a rien d’un miracle au maniement aisé. Le 28 avril en a témoigné. À l’heure actuelle, un simple excès de production peut plonger une large partie d’un continent dans la nuit.

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Micro-plastiques, maxi-peurs

17 août 2025 à 06:19

« Microplastiques, mégapollution » (Sciences et avenir), « à la maison ou en voiture, vous êtes cernés » (Libération)… Dès qu’une nouvelle étude paraît sur les microplastiques, les titres de presse anxiogènes fleurissent. Pourtant, aujourd’hui, nos connaissances sur le sujet sont bien plus limitées que ne le suggèrent nos confrères.

Ces derniers mois, deux publications parues dans les plus prestigieuses revues médicales mondiales — le New England Journal of Medicine et Nature Medicine — ont relancé les débats. Elles suggèrent que les micros (de 1 µm à 5 mm) et nanoplastiques (< 1 µm) peuvent s’accumuler dans les tissus humains, de nos artères à notre cerveau, et être associés à un excès d’événements cardiovasculaires ou à des atteintes neurologiques. Elles s’ajoutent aux études évoquant des risques au niveau respiratoire en raison d’un possible stress oxydatif, une inflammation chronique, des déséquilibres du microbiote respiratoire et ainsi une possible aggravation de pathologies telles que l’asthme, la bronchite chronique, la fibrose pulmonaire. En France, une étude de l’Université de Toulouse alerte sur la pollution de nos voitures et de nos intérieurs. Idem pour certaines eaux en bouteille, selon l’Office français de la biodiversité (OFB). Qu’en est-il réellement ?

Microplastiques : l’échec politique face à une pollution invisible

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Les microplastiques causent-ils des AVC ?

Dans le New England Journal of Medicine (NEJM), des chirurgiens vasculaires ont analysé des plaques carotidiennes prélevées chez des patients opérés. Ces dépôts, généralement composés d’un mélange de graisses (cholestérol), de cellules inflammatoires, de tissus fibreux et de calcaire, se forment à l’intérieur des deux grosses artères situées de chaque côté du cou. Avec le temps, ils peuvent les rétrécir, réduisant le flux sanguin vers le cerveau, ou se rompre, provoquant un accident vasculaire cérébral.

En analysant ces plaques, les scientifiques ont parfois détecté des micros et nanoplastiques, surtout du polyéthylène et, plus rarement, du PVC. Quand c’était le cas, les patients présentaient, sur trente-quatre mois de suivi, un excès marqué d’événements cardiovasculaires majeurs, avec un risque relatif environ 4,5 fois plus élevé. Mais il s’agit d’une étude observationnelle, qui ne prouve pas la causalité. Surtout, comme le rappellent les auteurs, l’absence de groupe témoin empêche toute conclusion définitive. Les particules observées, de même type, quel que soit le sujet, peuvent aussi provenir de la salle d’opération ou du matériel chirurgical lui-même, souvent en plastique.

Nos cerveaux infiltrés ?

Dans Nature Medicine, des neuropathologistes de l’Université du Nouveau-Mexique ont, pour la première fois, détecté des nanoplastiques dans le cerveau humain post-mortem. Du polyéthylène, dans les trois quarts des cas, mais aussi du polypropylène, du PVC et du polystyrène. Les concentrations mesurées y sont très élevées, 7 à 30 fois plus que dans le foie ou les reins, et elles auraient augmenté de 50 % entre 2016 et 2024 ! Pire, chez les personnes atteintes de démence (Alzheimer ou démence vasculaire), les niveaux cérébraux sont cinq fois supérieurs aux autres !

Mais l’étude présente aussi des limites majeures. Les contrôles destinés à repérer d’éventuelles contaminations sont incomplets : l’eau et les planches à découper en polyéthylène utilisées pourraient constituer des sources de particules, tout comme les lavages des tissus — réalisés différemment pour les cerveaux sains et ceux atteints de démence. La forte proportion de polyéthylène pourrait ainsi refléter une contamination liée à l’utilisation d’une planche à découper en plastique plutôt qu’une accumulation réelle. L’uniformité des types de polymères détectés, quel que soit l’âge ou l’exposition supposée, ne plaide pas non plus en faveur d’une bioaccumulation progressive.

En résumé, si cette étude met en évidence la possible présence de microplastiques dans le cerveau, elle ne permet pas de confirmer ni leur origine, ni un lien causal avec la démence ou d’autres pathologies. Les auteurs eux-mêmes rappellent qu’il faudra des protocoles plus robustes pour lever ces incertitudes.

L’eau en bouteille, la source du mal ?

Reste à comprendre d’où viennent ces particules et dans quelle mesure elles franchissent nos barrières de protection. Début janvier, Le Monde accusait sans nuance l’eau en bouteille, « massivement polluée par des nanoparticules de plastique ». Problème, l’étude à laquelle le journal se réfère, si elle constitue une nouvelle approche prometteuse pour identifier et quantifier les nanoplastiques, est loin d’être sans faille. L’eau de référence utilisée comme témoin contenait d’ailleurs plus de particules que l’eau en bouteille testée !

Le nettoyage du matériel avec cette eau de laboratoire contaminée pouvait par ailleurs augmenter artificiellement la concentration mesurée dans l’eau en bouteille… Difficile, dans ces conditions, de savoir quelle part des particules en proviennent… et de ne pas s’interroger sur la proportionnalité de l’emballement médiatique.

Emballement qui refait surface ces derniers jours avec la mise en cause de Contrex et Hépar par Médiapart, qui dénonce la contamination aux microplastiques de leurs eaux par les décharges sauvages de Nestlé. Laisser du plastique se dégrader dans l’environnement peut effectivement polluer les sols et la nappe phréatique, même si ce processus, très lent, a peu de chances d’avoir lieu en quelques décennies seulement. Il faudra attendre la parution du rapport de l’OFB, sur lequel se fonde l’article, pour en juger.

D’autres sources bien identifiées

Souligner les limites des articles scientifiques et la façon dont ils sont relayés dans les médias ne remet pas en cause la réalité de la présence de ces microparticules dans l’environnement. Un rapport de référence de l’institut néerlandais RIVM pointe trois contributeurs majeurs : l’usure des pneus sur la route (pour le moment augmentée par les voitures électriques, au poids moyen supérieur à celui des voitures thermiques), les granulés industriels qui servent de matière première, et la fragmentation des déchets plastiques. Viennent ensuite les peintures, les textiles et quelques autres usages. Réduire ces flux en amont a des bénéfices documentés pour l’environnement et, possiblement, pour la santé, même si cela reste à prouver. Ces mesures peuvent guider l’action publique, en attendant une évaluation plus précise des risques pour la santé humaine, même si les coûts inhérents à ces décisions doivent être évalués.

Comment freiner les émissions des pneus ?

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Moins médiatisée que l’eau en bouteille, l’inhalation est pourtant une voie d’exposition probable. Les particules et fibres issues des textiles, des matériaux domestiques et des poussières intérieures composent un cocktail auquel nous sommes exposés en continu, notamment dans les espaces clos. Une « revue systématique » parue en 2024 — et plus récemment un article publié en juillet 2025 par une équipe de recherche française —, souligne les larges incertitudes sur les doses réellement inhalées et déposées dans les voies respiratoires, mais confirme que la pollution de l’air intérieur n’est pas à négliger. Là encore, la priorité est de standardiser les méthodes et d’évaluer les risques associés à cette exposition, en fonction des sources de contamination.

C’est également ce que souligne l’OMS dans son dernier rapport sur les expositions par inhalation et par l’alimentation, estimant que les données actuelles sont trop limitées et disparates pour évaluer clairement les risques. Elle appelle à mieux mesurer les expositions réelles, à harmoniser les méthodes d’analyse et à poursuivre l’amélioration des procédés de production d’eau potable, où les enjeux microbiologiques restent prioritaires. Une position de prudence : l’incertitude ne signifie pas l’innocuité, mais elle invite à éviter les conclusions hâtives et alarmistes.

Un air de moins en moins pollué ?

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Des gestes simples, plutôt que des discours alarmistes

Informer sans jouer sur la peur, c’est rappeler qu’un contaminant détecté dans un tissu ne prouve pas qu’il provoque une maladie. Mais aussi qu’on ne peut pas déduire d’un simple comptage de particules dans une bouteille d’eau qu’elles finiront dans notre cerveau. C’est aussi hiérarchiser les priorités. Oui, la pollution plastique exige des mesures fortes pour l’environnement et l’industrie ; oui, les soupçons d’impact sur la santé justifient d’accélérer la recherche et le suivi médical ; mais non, on ne peut pas, à ce stade, établir un lien avec la démence ou donner des conseils médicaux précis. 

Aujourd’hui, hormis une norme « d’attente » trop généraliste et peu pertinente, il n’existe toujours pas de méthode standardisée pour extraire, mesurer et identifier les microplastiques, ce qui rend les études difficilement comparables entre elles. Ce travail est en cours au niveau européen et international, mais il prendra du temps. Or pour informer, il faut s’appuyer sur des études solides, capables de détecter les microplastiques avec rigueur et de limiter les erreurs. Puis expliquer clairement ce que l’on ne sait pas encore — comme la relation dose-effet chez l’humain, l’importance des nanoplastiques par rapport aux microplastiques, ou le rôle des additifs et des autres polluants présents dans le matériau. 

Enfin, mettre en avant les actions qui font consensus. En avril, l’Europe a ainsi adopté un accord pour réduire les fuites de granulés industriels. Elle a également imposé des restrictions dans l’utilisation de microplastiques intentionnellement ajoutés. Reste à essayer de réduire les particules liées à l’usure des pneus et à faire la promotion de gestes simples du quotidien, comme éviter de chauffer des aliments dans des plastiques non prévus à cet usage, privilégier la réutilisation plutôt que le jetable, et si c’est le cas, trier ses déchets. Par contre, privilégier l’eau du robinet ne limite pas forcément l’exposition aux microplastiques, puisqu’elle passe dans des tuyaux qui en sont constitués. 

Tout ceci est moins spectaculaire qu’un titre alarmiste, plus utile pour la santé publique, et plus fidèle à l’état réel des connaissances. Malheureusement, nous assistons à un cercle vicieux. Les médias mettent en lumière les études les plus anxiogènes, au risque d’influencer négativement le comportement des consommateurs et d’alimenter la défiance envers la science, en entretenant la confusion entre hypothèse et certitude. Pour avancer, celle-ci a besoin de temps, de transparence et de sérénité. Surtout pas de frénésie médiatique.

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

27 juillet 2025 à 06:06

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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Pétition Duplomb : quand l’émotion prend le pas sur la raison

23 juillet 2025 à 04:05

Plus d’un million et demi de signatures pour la dénoncer en quelques jours. Tout juste votée, la loi Duplomb devient le symbole des divisions qui traversent notre pays, autant qu’elle traduit notre malaise démocratique. « Loi poison », « Mange, t’es mort », « Le cancer vote à droite »… Les slogans caricaturaux la dénonçant fleurissent, repris par certains journalistes et politiques. Mais que peut bien contenir cette loi pour justifier ces outrances ? Notre agriculture met-elle vraiment les Français en danger ? A moins qu’un péril plus grand ne les guette, celui du populisme.

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, ne s’attendait sans doute pas à passer à la postérité de la contestation en présentant sa proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». C’est pourtant le cas avec son texte, envisagé en réaction aux vives manifestations des agriculteurs du printemps 2024, réclamant une simplification de certaines normes régissant leur profession et un alignement des très sévères réglementations françaises sur celles dictées par l’Europe, pourtant assez rigoureuses.

Que change la loi Duplomb ?

Elle s’articule autour de quatre axes et huit (longs) articles.
En premier lieu et par ordre croissant d’importance ou de capacité à enflammer les débats.

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), sera amenée à traiter en priorité les demandes de mise sur le marché de produits phytosanitaires répondant à un besoin urgent. Une demande partiellement retoquée par le Parlement et réintroduite par décret, ce qui peut être contesté, et le sera. Notamment par Corinne Lepage au nom de l’association Agir pour l’environnement. Une question purement juridique, mais légitime, n’ayant cependant rien à voir, contrairement à ce qui est prétendu, avec une mise sous tutelle de l’Agence, puisque celle-ci reste parfaitement indépendante quant aux avis qu’elle émet.

La loi prévoit ensuite la simplification de l’installation, de la modernisation et de l’agrandissement des bâtiments destinés à l’élevage. S’ils seront toujours soumis aux mêmes normes environnementales, le seuil déclenchant la réalisation d’une étude d’impact va être aligné sur les standards européens. Une mesure qui n’a rien d’un changement de paradigme.

Les deux sujets suivants, les retenues d’eau (les fameuses « mégabassines ») et la réintroduction partielle d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), l’acétamipride, sont en revanche les mèches qui ont déclenché l’incendie politique et sociétal actuel.

Le premier d’entre eux a failli connaître un destin funeste. Issu de l’article 5 de la loi et de son titre III, « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource », il a été labouré dans les grandes largeurs en Commission Développement durable par les écologistes et sa présidente, Renaissance, Sandrine Le Feur, afin d’arriver à un résultat contredisant la volonté du législateur. Le but ? Suivre la doxa des Verts visant à interdire les retenues d’eau, ou les réserver aux seuls agriculteurs bio, dont Sandrine Le Feur est… une des représentantes. Le subterfuge n’a heureusement pas été validé. Pour le reste et pour mieux comprendre les enjeux de ces retenues et particulièrement de leur utilité dépendant des sols sur lesquelles elles sont installées, nous vous renvoyons aux trois articles que nous avons déjà consacrés à la question :
Stockage de l’eau : solution ou illusion ?
Quand les députés inventent… l’agriculture sèche
La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

Reste la pièce maîtresse, l’acétamipride.

Il s’agit d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), partiellement ré-autorisé par la loi. Il faut insister sur le mot « partiellement ». L’usage de notre accusé ne pourra être accepté qu’en cas de problème majeur, par voie de dérogation, de façon limitée dans le temps, et à la seule condition de l’absence de solution alternative. Rien à voir donc avec une ouverture massive des vannes en faveur de tous les pesticides, ni de celui-ci, comme ce que les contempteurs opportunistes de la loi, et beaucoup de citoyens manipulés mais sincères, prétendent. Et là est toute la question. Encore fallait-il lire la loi.

Autorisé jusqu’en 2033 dans l’Union Européenne (et presque partout ailleurs dans le monde), il a été interdit en France en 2018, comme tous les NNI. Ce ne fut pas sans conséquences. La production de cerises, liée à un autre NNI, s’est effondrée de 25%, sonnant le glas d’un tiers des exploitations. La filière noisettes a perdu l’an dernier, en raison d’un été pluvieux favorisant les ravageurs, 30% d’une récolte… déjà moitié moins importante qu’à l’accoutumée. La filière sucrière française, jusque-là leader européen, a vécu une catastrophe. Avec pour conséquence de regarder impuissante la concurrence allemande prendre sa place avec… ses champs pulvérisés à l’acétamipride. Ainsi, depuis 2019, 6 des 20 sucreries hexagonales ont fermé. Mais c’est toute la filière, qui représente environ 25 000 emplois directs, et 45 000 indirects ou induits, qui est menacée. Sandrine Rousseau a beau dire scandaleusement « La rentabilité [des agriculteurs], je n’en ai rien à péter », c’est de leur survie qu’il s’agit, non de leurs profits. Est-ce aussi négligeable pour les écologistes ? Une réalité sociale qui ne pourra que nourrir la colère paysanne, sans garantir le sucre consommé en France d’être exempt de pesticides dans sa production étrangère. Pour la simple et bonne raison… que c’est aujourd’hui impossible.

Un tueur d’abeilles cancérogène ?

Selon la plupart des agences sanitaires, dont l’EFSA (l’agence sanitaire européenne), la toxicité de l’acétamipride pour les abeilles est nettement plus faible que celle des autres NNI. Sa persistance dans l’environnement est notamment beaucoup plus courte, avec une demi-vie (durée nécessaire à la disparition de 50 % du produit) inférieure à 8 jours, au lieu de plusieurs mois. Sans compter que les abeilles ne butinent pas la betterave, puisqu’elle ne produit… pas de fleurs.

Et pour notre santé ? Malgré certaines déclarations, le lien entre cancer du pancréas et acétamipride n’a été démontré par aucune étude. Les réelles craintes ne portent pas sur son aspect cancérogène mais sur son rôle de potentiel perturbateur endocrinien et sur le développement des enfants. Dit comme cela, c’est effectivement inquiétant. Mais ces risques ne peuvent subvenir qu’en cas d’exposition aiguë – la dose fait le poison. Pour plus de sûreté, dans l’attente d’études complémentaires, l’ANSES a recommandé l’an dernier d’abaisser la dose journalière admissible de résidus (DJA). Et l’exposition chronique des populations est très inférieure à ces seuils. Rappelons par ailleurs l’hypocrisie qui préside à cette soudaine indignation nationale à l’égard de l’acétamipride, alors que personne ne semble s’en offusquer pour ce qui est de sa très large utilisation domestique à des doses non négligeables, dans les insecticides contre les blattes, les fourmis, mais également dans les sprays anti-puces. Quant aux colliers voulant préserver chiens et chats des mêmes parasites, ils sont bourrés d’un autre NNI, l’imidoclapride, bien plus dangereux que l’acétamipride.

Et sinon, nourrir les Français ?

A chercher une solution parfaite, on en oublie les bases de notre sécurité alimentaire. Une agriculture « sans pesticides » ? Aujourd’hui, elle n’existe tout simplement pas, en tous cas pas à des prix raisonnables. En évitant de perdre des récoltes, les pesticides ont mis fin aux famines et sauvé des centaines de millions de vies. Le bio en utilise d’ailleurs aussi, comme le spinosad, redoutable contre les pollinisateurs, mais étonnamment absent des débats. Car non, les agriculteurs sérieux, bio ou non, ne comptent pas sur les couples de mésanges pour régler le problème des insectes, contrairement aux prétentions du député écologiste Benoît Biteau.

Derrière cette hystérie, deux modèles s’affrontent. Le premier, productiviste, qualifié d’intensif, s’améliore en termes sanitaires. Depuis le début du XXIe siècle, les pesticides CMR1, les plus suspectés d’être cancérogènes, ont en France été définitivement interdits les uns après les autres. Par ailleurs, avec l’IA et la génétique, ce modèle est probablement à l’aube de bouleversements plus grands encore, que nous présentons dans notre livre « Trop bio pour être vrai », qui sort le 29 juillet. Le second, que ses partisans aiment appeler « paysan », envisage un retour fantasmé aux traditions, au travail manuel, à l’usage d’intrants naturels, parfois peu efficaces et qui ne sont pas exonérés de risques. Ses promoteurs ferment les yeux sur ses faibles rendements –  20 à 30 % inférieurs – qui rendent impossible sa généralisation sans un recours à une augmentation massive des surfaces, et à la déforestation qui l’accompagne. Mais surtout à une explosion des prix à l’achat dans les commerces. Qu’importe, puisque cette confrontation n’a plus rien de scientifique, elle n’est que politique et irrationnelle.

Dérapage médiatique et politique

Car, au final, de quoi s’agit-il avec l’acétamipride. D’un NNI moins toxique que les autres, dont la réintroduction minimale est indispensable pour la survie de plusieurs filières agricoles, et qui se trouve très encadré… On est très loin d’une atroce « loi pesticides ». Mais les arguments rationnels ont peu de poids face aux slogans anxiogènes qui inondent les médias et aux luttes manichéennes sur les réseaux sociaux ou sur les bancs de l’Assemblée nationale. L’heure est à la politique de l’émotion, toujours victorieuse de la raison, portée par l’infotainment et une communication omniprésente qui détourne le regard de ses promesses de vérité. Ses tenants prétendent alors prendre à témoin le peuple de leur sincérité, l’encourageant à tomber dans le piège du populisme qui leur est tendu. Alors, qu’importe sa qualité ou ses compétences, chacun se jette sans pudeur au cœur de l’agora numérique pour avilir les débats, sans crainte du ridicule, opposant la croyance à la science, les on dit aux faits, la puissance de la voix à la discrétion de l’évidence. Du pain bénit pour ceux, instruits des leçons de Gramsci et de la guerre culturelle, pour lesquels l’instrumentalisation des peurs ne semble avoir aucune limite. Surtout quand elle leur offre tant de profits. N’oublions pas qu’une motion de censure menace le gouvernement à la rentrée et que les prochaines municipales se profilent. La loi Duplomb n’est qu’une variable d’ajustement de ces luttes où chacun se place, sans considération pour le réel… ni pour la décence. Comme en témoigne la manière dont Fleur Breteau, pasionaria du combat contre la loi et ambassadrice de ses porteurs, se met en scène pour témoigner des prétendues horreurs que le texte contient. Styliste, fondatrice d’une chaîne de sex-shop et militante de Greenpeace, elle n’a jamais travaillé dans l’agriculture. Hélas atteinte d’un cancer du sein, comme bien trop de femmes, cette quinquagénaire sert de caution immorale à un combat dont le rapport avec sa maladie reste mystérieux. On rappellera à ce titre que, notamment, contrairement aux cancers de la peau liés à l’exposition au soleil, ceux qui touchent le sein sont 18% moins fréquents chez les agricultrices que dans le reste de la population. Comme l’extrême droite se repaît des faits divers violents pour faire croître son électorat, une partie de la  gauche et d’un centre déboussolé exploite la crainte de la maladie dans le même but.

Et c’est bien leur rencontre que ces deux camps espèrent, in fine, quand « la poudre de perlimpinpin » de ce débat sera retombée, et qu’ils auront éliminé les fauteurs de trouble de la raison et de la science. Escortés, à cette fin, par tous leurs idiots utiles, dont un certain nombre de médecins, qui n’ont, ni lu la loi, ni regardé les études la justifiant, mais veulent à tout prix, comme nombre de citoyens égarés – on les comprend – rester dans ce qu’ils imaginent être « le camp du bien ». Drôle, quand on pense qu’ils livrent ainsi la France à des aliments produits dans de bien plus suspectes conditions que les nôtres, en plus d’attiser des colères dont seuls les populistes profiteront à leurs dépends.

Et après ?

La pétition lancée contre la loi Duplomb continue d’engranger les signatures. Elle a au moins l’avantage de témoigner de l’intérêt croissant (mais pas encore informé) des Français pour les questions écologiques. Elle est le fruit d’une jeune fille de 23 ans, Éléonore Pattery, une étudiante bordelaise en master QSE et RSE (Qualité, Sécurité, Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises). Elle aussi, dont nous ne doutons pas de la sincérité de l’engagement, connaît, sans doute malgré elle, le même quart d’heure de célébrité poisseux qui atteint le Sénateur Laurent Duplomb. Son texte, (que vous pouvez retrouver ici), hélas exempt de toute donnée scientifique, va continuer à attiser le feu d’un débat délétère qui tendra à s’étioler durant un mois d’août propre aux vacances, avant de voir ses braises raviver le feu de la contestation à la rentrée. Une rentrée à hauts risques. Car, derrière les signatures et l’agitation militante, c’est bien l’extrême droite qui gagne (encore) des points en se mettant en soutien d’un monde agricole lassé du mépris qui lui est témoigné, alors qu’il tente de nourrir le pays. Et ce, avant une motion de censure automnale de tous les dangers. Car, comme l’a rappelé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, la pétition ne pourra en rien contrarier la loi votée. Elle provoquera un nouveau débat à l’Assemblée, si sa conférence des présidents le souhaite – ce qui sera sans doute le cas. Mais sans projet de loi d’abrogation, ou nouvelle proposition, le texte restera en l’état. A moins que, comme après les manifestations du CPE d’un Dominique de Villepin qui vient de s’inviter dans le débat avec ses mots creux habituels, le chef de l’État use de la même ruse que Jacques Chirac à l’époque. Promulguer la loi, mais demander au gouvernement de ne pas en signer les décrets d’application. Dans ce cas, plus furieux que jamais, les agriculteurs réinvestiront les rues, tandis que leurs filières continueront à s’amenuiser au profit de nations concurrentes et moins contrariées. Si, en revanche, la loi était appliquée, la gauche urbaine et calculatrice, embrigadant dans son sillage une jeunesse pleine de bonne intention et vide de connaissances sur les questions agricoles et scientifiques, viendra battre le pavé du déni en attendant les prochains scrutins qu’elle espère et figureront pourtant son dernier tombeau. 

Imaginez-vous que nous en sommes là. Avec pour bouc émissaire, une loi limitant au possible les licences qu’elle octroie à l’usage d’un pesticide parmi les moins nocifs – ils le sont tous plus ou moins, c’est leur principe – mais prévenant la mort de plusieurs filières agricoles et l’envoi au chômage de dizaines de milliers de Français, sans résoudre aucun problème. Viendra-t-il le jour où ceux, doués de raison, mais mollement imperméables à la violence des débats, (soit, souvent la majorité), auront le courage de prendre parti avant de tout perdre ? La question n’a pas fini de se poser…

L’article Pétition Duplomb : quand l’émotion prend le pas sur la raison est apparu en premier sur Les Électrons Libres.

Doctrine Monroe : le mensonge de l’isolationnisme made in USA

28 juin 2025 à 22:46

Depuis le président Monroe et sa doctrine isolationniste édictée en 1823, jusqu’à Donald Trump, les États-Unis ne cessent de brandir leur volonté de ne pas intervenir dans les affaires du monde pour mieux… faire exactement le contraire.                                        

Souvenez-vous : Trump a fait campagne sur la volonté de l’Amérique de ne plus s’impliquer dans des guerres à l’étranger, ou tout au moins de ne pas en déclencher. 

Il a d’ailleurs abondamment reproché à Barack Obama d’être un président belliqueux, notamment pour ses interventions au Moyen-Orient. Ironie, quand tu nous tiens : on se souvient même qu’il l’accusait, en 2011, d’être à la fois faible et inefficace et de vouloir « déclencher une guerre en Iran pour se faire réélire ».

America First

Tant d’un point de vue commercial, stratégique, politique que militaire, pour Trump c’est America First, l’Amérique d’abord. Cette posture, marquée par la défiance envers les alliances traditionnelles, l’a poussé à se retirer de nombre d’entre elles. Si l’on pense, entre autres, à l’accord de Paris sur le climat, à celui sur le nucléaire iranien, à l’OMS (retrait annulé par Joe Biden), à l’UNESCO, comme au Partenariat transpacifique de libre-échange avec une partie de l’Asie et de l’Océanie. Elle est associée à une volonté de voir l’Europe se charger de sa propre défense, marquant une rupture avec le rôle traditionnel de garant de la sécurité du monde que les États-Unis jouaient depuis le dernier conflit mondial.

Ce choix s’inscrit dans la droite ligne d’un principe d’isolationnisme politique datant de la première partie du XIXe siècle, qui énonce que les États-Unis n’interviendraient plus dans les affaires du monde, hormis dans sa propre zone d’influence et si ses intérêts étaient en jeu : la doctrine Monroe. Ce principe théorisé en 1823 par James Monroe, le cinquième président américain, avance que toute intervention européenne dans l’hémisphère occidental serait considérée comme une menace pour la sécurité du pays (qui, on le rappelle, s’était libéré du joug britannique moins d’un demi-siècle auparavant).

On y va, on n’y va pas : de Washington à Roosevelt, l’isolationnisme à géométrie variable

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Les États-Unis n’ayant jamais été à une contradiction près, cet isolationnisme n’entrava en rien ses aspirations expansionnistes. Une stratégie fondée sur l’élargissement  frénétique de ses frontières à grands coups de chemins de fer, de pionniers en chariots bâchés, d’extermination des Indiens et de guerres avec ses voisins – fussent-ils européens. En effet, la doctrine Monroe n’empêcha pas la guerre contre le Mexique (1846-1848) qui déboucha sur l’annexion du Texas et de la Californie, ni celle contre l’Espagne en 1898, qui fit des États-Unis une véritable puissance impériale : Cuba, Porto Rico, les Philippines et Guam passant alors dans le giron américain. C’est d’ailleurs depuis cette victoire que le pays contrôle la fameuse base militaire cubaine de Guantanamo.

Cet isolationnisme à géométrie variable se retrouve maintenant dans la politique de Donald Trump. Il claironne sa fidélité à la doctrine Monroe, tout en lui donnant de grands coups de canif depuis le début de son second mandat : en ordonnant des frappes contre les Houthis au Yémen, en Somalie contre l’État Islamique et contre le régime iranien et ses installations nucléaires. Aujourd’hui comme au XIXe siècle, les grands principes finissent toujours par se heurter à la réalité et à ses impératifs.

En 1904, Theodore Roosevelt énonça ce qui sera nommé le « corollaire Roosevelt » pour justifier l’interventionnisme américain en dépit de la doctrine Monroe : « L’injustice chronique ou l’impuissance conduisant à un relâchement général des règles de la société civilisée peut, au bout du compte, exiger, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, bien qu’à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international », prononça-t-il dans un discours resté célèbre, le 6 décembre 1904, à l’occasion de la troisième session du 58è Congrès des États-Unis. Un changement de paradigme largement reproduit depuis. La preuve par Trump.

Une diplomatie de mâle alpha

Si l’actuel président américain entend officiellement limiter l’interventionnisme, il ne renonce pas pour autant à une diplomatie offensive qui semble un peu saugrenue à notre époque. Elle n’est pas sans rappeler la théorie de « Destinée manifeste » qui prévalait en Amérique au XIXe siècle et servait de justification à l’agrandissement du territoire d’un océan à l’autre. La tentation d’annexer le Groenland pour des raisons aussi stratégiques que minérales en est une bonne illustration. Tout comme l’annonce, lors de son discours d’investiture, de sa volonté de reprendre le contrôle du canal de Panama, ou  l’évocation répétée d’un Canada qui deviendrait le 51e État américain. Toutes ces intentions s’inscrivent symboliquement dans une continuité expansionniste digne de l’Amérique de la conquête de l’Ouest.

Mais l’action trumpiste marque néanmoins une différence avec celle de ses prédécesseurs. Elle exprime davantage une forme de diplomatie de mâle alpha, qui menace beaucoup pour obtenir peu, et dont les visées sont avant tout économiques.

La liberté, une histoire de gros sous ?

J’approfondis

Là où la doctrine Monroe invoquait la non-ingérence européenne pour mieux asseoir une influence américaine naissante, Trump revendique une Amérique forte, indépendante, recentrée sur elle-même et dégagée des contraintes de l’ordre international. Cette Amérique-là, il la veut avant tout commerçante et commerciale ; la guerre n’est pas son affaire. S’il était philosophe, il dirait sans doute qu’il nous faut cultiver notre jardin — mais c’est un businessman, alors c’est, encore et toujours, America First. Mais aussi  Americarmy, avec un budget militaire en hausse de 13% en 2026, dont une grande part de dépenses discrétionnaires. Alors, que vaut la promesse d’un pacifisme menaçant, qui, adepte du  « en même temps », affûte ses armes ?

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La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

26 juin 2025 à 23:20

« Les data centers ont pompé 560 milliards de litres d’eau ! », « Un kilo de bœuf = 15 000 L d’eau ! », « Le maïs irrigué utilise 25 % de l’eau consommée ! ».
Ce genre de chiffres chocs pullule dans la presse. Et à lire les articles, un constat s’impose
 : la gestion de l’eau est mal comprise. Par les journalistes, et sans doute aussi par une bonne partie du public.
Or, dans un monde qui se réchauffe, mal comprendre l’eau, c’est risqué. Alors, retour aux sources !

L’eau, une ressource pas comme les autres

Oubliez les gros chiffres qui font peur. Ils sont parfois impressionnants, mais pas toujours pertinents.

Pourquoi ? Parce que l’eau, ce n’est pas du charbon. Chaque tonne de charbon brûlée part en fumée et disparaît à jamais, contribuant au réchauffement climatique. Et son extraction puise dans un stock limité. L’eau, elle, suit un cycle. Elle revient. Toujours.

Le cycle de l’eau

Raisonner en “stock”, comme pour le charbon ou le pétrole, n’a donc pas beaucoup de sens. Il faut raisonner en flux : ce qui compte, ce n’est pas combien on prélève, mais , quand, et surtout à quelle vitesse l’eau se renouvelle dans le système considéré.

Évidemment, ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas manquer d’eau. Si on prélève trop à un endroit ou à un moment où elle se renouvelle lentement, on crée un déséquilibre. Mais si on prélève moins que ce que le système peut absorber : aucun problème.

Les risques causés par les prélèvements d’eau

En réalité, il n’y en a que deux :

-Le conflit d’usage, qui peut mener à des restrictions, voire à des pénuries pour certains usagers.
-Les atteintes aux écosystèmes aquatiques, si on puise dans un milieu déjà fragilisé.

Ces risques peuvent être immédiats ou différés, selon la nature du prélèvement et du milieu concerné.

Pour bien comprendre, passons en revue trois cas concrets.

Le cas des cours d’eau

Prenons une rivière. L’eau y file vers la mer. Un prélèvement dans ce type de milieu n’aura donc que des effets immédiats. Si, au moment du prélèvement, le débit est correct, il n’y a pas de problème, donc aucune raison de s’en priver.

Les centrales nucléaires, un problème pour la ressource en eau ?

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En revanche, si le niveau est bas, chaque litre retiré peut avoir des effets directs sur l’écosystème : dans le lit du cours d’eau lui-même, ou à l’estuaire, où l’eau douce est cruciale pour les espèces côtières.

C’est pourquoi des seuils de gestion sont définis dans les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau). Le débit d’alerte marque le moment où les usages commencent à être limités. Et le débit de crise est le seuil en dessous duquel seuls les usages essentiels (santé, sécurité civile, eau potable, besoins des milieux naturels) sont autorisés.

Ces seuils sont fixés localement, par concertation entre les acteurs du territoire, sur la base d’expertises scientifiques et du Code de l’environnement. On peut donc leur faire confiance.

Exemple des variations de débit dans la Gave d’Oloron (Pyrénées Atlantiques), et seuils associés

Cas d’une nappe inertielle

Les nappes phréatiques sont des volumes d’eau souterrains. On parle de nappes inertielles lorsque leur niveau varie peu au fil des saisons, car elles se rechargent très lentement. C’est par exemple le cas sous le bassin parisien.

De l’eau dans les roches

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Prélever dans une nappe inertielle revient à puiser dans ses économies : il n’y a pas d’effet immédiat sur les écosystèmes (personne ne vit à plusieurs dizaines de mètres sous terre), mais si on puise plus que ce qui se recharge chaque année, on épuise la ressource à long terme.

La bonne nouvelle, c’est qu’on sait suivre cela. Le BRGM publie régulièrement des bulletins sur l’état de remplissage des nappes. Si elles sont bien remplies, on peut les solliciter. Si elles sont basses, on ralentit les prélèvements. Ce suivi permet d’anticiper les tensions et d’éviter les déséquilibres.

Un exemple de bulletin de suivi des nappes, du 1er juin 2025

Cas d’une nappe réactive

À l’inverse, certaines nappes réagissent très rapidement aux pluies et aux sécheresses. On les appelle nappes réactives. Elles sont souvent très connectées aux rivières et aux zones humides.

C’est le cas typique dans les Deux-Sèvres, où ont été installées les controversées mégabassines (cf. https://lel.media/stockage-de-leau-solution-ou-illusion/). Dans ces nappes, tout prélèvement peut avoir un impact quasi immédiat sur les milieux aquatiques. Mais il peut aussi y avoir des conséquences différées, dont la latence dépendra de la réactivité de la nappe. Pour une nappe très réactive comme dans les Deux-Sèvres, on estime qu’un prélèvement peut avoir des conséquences sur le remplissage de la nappe jusqu’à environ un mois après.

C’est précisément pour cela que les retenues de substitution (alias « mégabassines ») ne se remplissent qu’en hiver, quand l’eau est abondante. Avec une marge de sécurité de quelques semaines pour prendre en compte l’impact différé. Et pour éviter les risques immédiats, les pompages ne sont autorisés que lorsque les niveaux sont suffisants.

Autrement dit : on pompe uniquement quand l’eau est disponible, et sans compromettre les milieux.

Ce qu’il faut retenir

Tous les prélèvements d’eau ne se valent pas.

Pomper dans une rivière en crue ? Aucun souci. Pomper dans une nappe réactive à sec en plein été ? Mauvaise idée.

L’eau n’est pas une ressource à bannir, mais à gérer intelligemment. Contrairement au charbon ou au pétrole, on peut en utiliser sans dommage… si on respecte certaines règles. Et cela, la France le fait déjà plutôt bien, via les SAGE, les seuils de gestion, et le suivi des nappes. Alors non, l’irrigation n’est pas « le mal ». Ce qui compte, c’est quand, et comment on irrigue. Tant que cela reste encadré, raisonné et conforme aux règles collectives, il n’y a aucune raison d’en faire un scandale.

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Le maïs, une culture controversée

16 juin 2025 à 12:01

Pour certains, c’est la culture du diable.
Le symbole de l’agriculture intensive et destructrice de son environnement.
Pénurie d’eau ? Pollution ? Monoculture ? Sols morts ? Enquête sur un coupable idéal : le maïs.

Très médiatisée, la culture du maïs fait partie des totems de l’écologie politique, au même titre que le glyphosate ou les OGM. Pourtant, cette plante étonnante est mal connue du grand public. Au point que quantité d’idées reçues, et même de fake news, circulent à son sujet.

Commençons par l’eau.

Qui n’a pas été marqué par ces impressionnants systèmes d’arrosage qui semblent déverser, en plein soleil, des milliers de litres dans nos campagnes ? Oui, à lui seul, le maïs pourrait être responsable de 18% de la consommation d’eau hexagonale. Quasiment un cinquième ! Car le maïs, c’est un tiers des surfaces concernées par l’irrigation. Irrigation responsable de plus de la moitié de l’eau consommée en France…

Le taux d’irrigation du maïs n’est pourtant pas excessif : en 2020, seules 34% des cultures de maïs grain étaient irriguées (6% pour le maïs fourrage). C’est moins que le soja (51%), les légumes frais (59%), les agrumes (100%), les vergers (60%) et les pommes de terre (40%)

Et à production constante, le maïs n’est pas plus gourmand en eau que d’autres céréales : pour produire 1kg de maïs grain, il faut environ 454L d’eau, contre 590L pour 1kg de blé… C’est encore moins pour le maïs fourrage : seulement 238L d’eau par kg. Alors pourquoi une telle consommation totale ? Car le maïs est une culture d’été. Et à cette saison, les précipitations sont souvent insuffisantes pour assurer le développement de la plante.

Un point fort : la productivité.

Avec 91 q/ha pour le maïs grain, et 124 q/ha pour le maïs fourrage, les cultures de maïs présentent les plus hauts rendements céréaliers de France. Deux fois plus que le blé dur ou l’orge ! Cette forte productivité permet une meilleure rentabilité économique, mais pas seulement : elle permet aussi des gains écologiques.

Une meilleure efficience des terres agricoles permet en effet de limiter les impacts liés à l’usage des sols. Et ce n’est pas tout ! Une forte productivité permet aussi de stocker du carbone dans les sols, donc de limiter le réchauffement climatique.

Le maïs est capable de fixer jusqu’à 22 tonnes de CO2 par hectare et par an, soit plus qu’une forêt tropicale (environ 15 tCO2/ha/an) ! Et même s’il n’y a qu’une petite partie de ces 22 tonnes qui sera réellement fixée de manière durable dans le sol, la culture de maïs séquestrerait tout de même de manière pérenne 3.7 tonnes de carbone par hectare et par an, ce qui est mieux que n’importe quelle autre culture.

Une culture dédiée à l’élevage ?

Globalement, oui, à hauteur de 75%. Pour le maïs grain, on peut estimer à environ 40% la part du maïs grain dédié à l’élevage. C’est beaucoup, mais ne doivent pas invisibiliser les 60% qui servent pour d’autres usages : alimentation humaine, biocarburant, amidonnerie, etc.

Mais n’oublions pas le maïs fourrage, dédié uniquement à l’alimentation du bétail, et qui concerne des surfaces comparables au maïs grain. Le maïs fourrage est cependant moins exigeant en eau et ne nécessite généralement pas d’irrigation : son impact écologique est donc plus limité. Ainsi, « seulement » 50% des surfaces irriguées de maïs sont dédiées à l’alimentation animale.

Quelles perspectives ?

La culture du maïs est étroitement liée à l’élevage, qui a un mauvais bilan sur le plan écologique. Mais il est naïf de penser qu’une diminution de la production de maïs français diminuerait les impacts de l’élevage. On importera juste plus de maïs. Ou plus de viande. Ou peut-être produirons-nous d’autres types de fourrages qui ne seront pas forcément plus écologiques… Bref, pas sûr qu’on y gagne. Mais il est vrai que cultiver du maïs risque de devenir de plus en plus compliqué dans certaines régions, faute d’eau disponible pendant l’été pour irriguer.

Alors que faire ? Abandonner les cultures d’été ? L’efficience de nos terres agricoles risquerait d’en pâtir, ce qui ne serait profitable pour personne. Le remplacer par d’autres cultures d’été moins exigeantes en eau ? Il n’en existe pas tant que ça. On entend beaucoup parler du sorgho, mais ses rendements sont largement inférieurs à ceux du maïs, et il nécessite lui aussi souvent de l’irrigation. Le remplacer par des prairies ? Il s’agit sûrement de la meilleure option, car celles-ci présentent des atouts indéniables en termes de performances écologiques et patrimoniales. Mais elles présentent aussi des inconvénients d’ordre pratique, ainsi qu’une vulnérabilité à la sécheresse supérieure au maïs…

Ou peut-être est-il possible de continuer à cultiver le maïs… À condition d’exploiter toutes les solutions d’adaptation dont on dispose : réserves d’eau, techniques de conservation des sols… Et pourquoi pas compter sur les apports du génie génétique, capable aujourd’hui de produire des variétés résistantes à la pénurie d’eau.

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Pollution et Comté : faut-il en faire tout un fromage ?

10 juin 2025 à 04:03

« Connaissez-vous quelqu’un qui n’aime pas le Comté ? » Ce slogan bien connu pourrait bientôt faire sourire jaune. Car depuis quelques temps, le célèbre fromage est dans le viseur : on l’accuse d’être à l’origine d’un « écocide » dans les rivières du Jura.

L’envers du décor

L’élevage laitier franc-comtois avait pourtant tout pour plaire : des vaches Montbéliardes broutant paisiblement dans des prairies verdoyantes, loin de l’image d’une agriculture intensive et polluante. Or… ce sont bien leurs déjections qui sont aujourd’hui pointées du doigt, en tant que principales responsables de la hausse des nitrates dans les eaux du massif jurassien depuis les années 1980.

Le paradoxe ? Il s’agit d’un élevage extensif, nourri à l’herbe, sans maïs, sans pesticides, sans engrais de synthèse, sans irrigation. Sur le papier, pratiquement un modèle rêvé pour les écologistes. Mais le Jura a un talon d’Achille géologique : son sous-sol.

Des roches comme du gruyère

Sous les sabots des vaches, la roche calcaire est criblée de cavités et de fissures, agrandies par la dissolution liée à la circulation de l’eau : c’est ce qu’on appelle un karst. Le résultat ? Des eaux de ruissellement qui s’infiltrent à toute vitesse. Les molécules azotées contenues dans les déjections, qui ne sont pas suffisamment filtrées par des sols trop minces, rejoignent donc (trop) rapidement les rivières, où elles fragilisent gravement la faune aquatique.

Et le changement climatique aggrave encore la situation. En été, les sécheresses provoquent une accumulation des nitrates dans les sols. Puis, à la première grosse pluie, tout est lessivé d’un coup, avec des pics de pollution qui dépassent souvent les seuils de tolérance pour de nombreuses espèces.

Alors, on arrête le Comté ?

Pas si vite. L’idée de bannir le Comté est aussi impopulaire qu’irréaliste. Même l’écologie politique y va avec des pincettes, tant le sujet est sensible. Car si la filière pose des problèmes environnementaux réels, elle apporte aussi des bénéfices impossibles à balayer d’un simple revers de main… Bien au-delà de la qualité gustative de ce trésor de la fromagerie française.

D’un point de vue économique, c’est une pépite : 700 millions d’euros de chiffre d’affaires, 8000 emplois directs, une dynamique rurale exceptionnelle. Sur le plan culturel, c’est une fierté nationale. Et écologiquement, le tableau n’est en réalité pas si sombre : les vaches permettant de maintenir des prairies permanentes, véritables refuges de biodiversité, tout en freinant la progression de la forêt sur les zones ouvertes.

Photo Stéphane Varaire

Et puis, soyons lucides : si on arrêtait de produire du Comté dans le Jura, la demande ne disparaîtrait pas pour autant. La production serait alors simplement déplacée. On compenserait ailleurs, sans doute dans des zones de plaine, avec des élevages plus intensifs, nourris aux cultures céréalières. Résultat : peut-être moins de nitrates dans les rivières jurassiennes… mais plus d’impacts ailleurs. Un jeu à somme nulle pour l’environnement. Et au passage, on y perdrait beaucoup de goût. Parce qu’entre nous, un fromage industriel, c’est quand même pas le même plaisir.

Faut-il arrêter l’élevage pour gagner de la place ?

J’approfondis

Alors que faire ?

Réduire brutalement la filière serait contre-productif, à la fois pour l’économie locale et pour l’environnement. Mais cela ne signifie pas rester inactif !

Une diminution de la densité du cheptel, associée à une meilleure répartition géographique des élevages, pourrait limiter les excès locaux de nitrates. On peut aussi envisager de mieux gérer les autres sources de pollution par différents leviers :

  • Optimisation des épandages agricoles,
  • Renforcement de l’assainissement des eaux usées en zones urbaines,
  • Contrôle des rejets azotés des fromageries.

Et surtout, ne pas oublier les efforts déjà réalisés. Dans les années 90, un vrai virage a été pris. Grâce à lui, les niveaux de nitrates dans les rivières ont été stabilisés… alors même que la production de Comté a presque doublé depuis les années 2000.

Un bilan contrasté, mais encourageant.

Alors certes, on peut voir le verre à moitié vide : malgré les efforts, les concentrations restent élevées. Ou à moitié plein : sans ces efforts, la situation serait bien pire. Encore une fois, la complexité du réel vient se heurter à l’angélisme ou à la mauvaise foi du politique. Entre rejet total et laissez-faire, il y a une voie de bon sens : celle d’un Comté plus durable, conciliant tradition, économie locale et respect de l’environnement.

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Cadmium : empoisonne-t-on vraiment nos enfants avec les céréales du matin ?

9 juin 2025 à 05:13

Un ennemi revient sous les projecteurs : le cadmium, brandi dans les médias comme une nouvelle « bombe sanitaire » pour les Français. Pourtant, loin des effets de manche, il est essentiel d’examiner calmement les faits, sans céder à l’alarmisme ambiant. Les Électrons Libres sont là pour ça ! Alors ? S’empoisonne-t-on vraiment avec les céréales du matin ou le pain quotidien ?

D’où vient le cadmium ?

Ce métal lourd est naturellement présent dans les roches phosphatées, utilisées depuis des décennies pour fabriquer des engrais. Selon leur origine, ces phosphates peuvent contenir de quelques dizaines à plusieurs centaines de milligrammes de cadmium par kilogramme. Une fois épandus, ils se dispersent dans le sol, se lient aux particules argileuses et à la matière organique, puis s’infiltrent dans les plantes via les racines. Les feuilles (épinards, choux), tubercules (pommes de terre) et surtout les céréales (blé, riz, avoine, maïs) sont particulièrement susceptibles d’accumuler ce métal. Mais pas que : les crustacés aussi.

En France, l’enquête ESTEBAN (2014–2016), publiée en 2021, montre qu’une proportion significative de la population française est exposée : 47 % des adultes et 18 % des enfants présentent un taux urinaire de cadmium supérieur à la valeur critique (≈ 0,5 µg/g de créatinine) définie par l’ANSES. Ce sont ces chiffres qui justifient l’alerte sur les céréales, car ce sont les enfants qui en consomment le plus. « On empoisonnerait donc nos enfants ? » Loin de là … Car, en creusant un peu – ce que certains confrères omettent parfois de faire – on constate que le sur-risque de voir un taux biologique élevé parmi les consommateurs réguliers de céréales n’est que de …8 % par rapport aux gamins qui en consomment très peu ! Pas de quoi fouetter le matou ! De même, on évite de dire que chez les adultes, le principal facteur de risque retrouvé parmi les 47% des adultes… est le tabagisme. Là, le risque de constat de la présence d’un taux élevé de cadmium dans l’organisme augmente de plus de 50% ! Et oui… dans chaque cigarette il y a entre 1 et 2 µg de cadmium !

Au surplus, il est nécessaire de garder en mémoire que les recommandations actuelles sur les valeurs toxicologiques de référence (fondées avant tout sur un risque accru d’atteinte tubulaire rénale ou d’ostéoporose) intègrent d’importantes marges de sécurité : les dépasser ne se traduit pas nécessairement par une maladie, d’autant que le cadmium s’accumule sur plusieurs décennies et que chaque individu réagit différemment.

Le cadmium : un enjeu politico-économique

Derrière la question sanitaire, se cache en réalité un véritable bras de fer géopolitique gavé de lobbying. Les engrais phosphatés importés du Maroc, riches en cadmium (60–70 mg/kg de P₂O₅), rivalisent avec ceux de Russie, beaucoup moins contaminés (< 20 mg/kg). Lorsque l’Union européenne a proposé d’abaisser progressivement le seuil maximal à 20 mg/kg d’ici 2034, Rabat a déployé un lobbying intense pour préserver ses parts de marché, tandis que Moscou, voyant une opportunité pour renforcer ses exportations, a soutenu des normes strictes. Selon notre consœur du Point, Géraldine Woessner, cette démarche russe serait l’œuvre de Safer Phosphate, un « lobby créé en 2016 par le géant […] des engrais PhosAgro, propriété de l’oligarque Andrey Guryev, proche de Vladimir Poutine ». Ce qui expliquerait que l’étude ayant conduit à sonner l’alerte médiatique, ne comportant pourtant aucune nouvelle donnée, se soit opportunément invitée dans le débat, afin d’offrir quelques lauriers vertueux au Kremlin, tandis que fait rage la guerre qu’il mène à une Ukraine soutenue par l’UE. 

Entre pays nordiques, Benelux et États méditerranéens, les débats ont reflété tant des préoccupations sanitaires que des enjeux économiques. Au final, le règlement européen (UE) 2019/1009 a opté pour un seuil intermédiaire (60 mg/kg en 2022, 40 mg/kg en 2026, 20 mg/kg en 2034). Un compromis qui témoigne de la pression exercée par les différents Etats concernés. 

Et le cancer ?

Le cadmium est classé cancérogène avéré (CIRC, Groupe 1), mais ses dangers dépendent de la dose et de la durée d’exposition. Une méta-analyse de 2025 signale un risque relatif (RR) de 2 pour le cancer du pancréas : exposé à forte dose, on pourrait doubler le risque. Cependant, ce chiffre reste modéré comparé à d’autres facteurs mieux documentés : le tabagisme (RR > 4 pour un paquet par jour), la consommation excessive d’alcool ou l’obésité, qui jouent ici un rôle plus net et mieux établi. Comme bien souvent. Même si nombreux préfèrent regarder ailleurs. Ce ne sont donc pas nos céréales ou notre tartine matinale qui sont donc le plus à incriminer.

Pour autant attention ! L’accumulation chronique du cadmium n’est pas anodine. De faibles apports répétés s’ajoutent au fil des années et peuvent induire des atteintes rénales (tubulopathies), osseuses (ostéoporose, fractures) voire cardiovasculaires, même sans symptôme immédiat.

Phobie alimentaire et responsabilités médiatiques

La solution miracle selon certains pour ne pas se tuer à petit feu ? Consommer bio ! Une méta-analyse publiée il y a plus de dix ans rapporte que les aliments issus de la filière bio présentent en moyenne 48% de cadmium en moins que les aliments issus de l’agriculture traditionnelle. Problème, pour arriver à un tel chiffre, cette méta-analyse a colligé des publications allant de 1992 à 2011, qui ne reflètent pas les modes de cultures d’aujourd’hui. Car outre le fait que l’agriculture bio peut aussi contenir des résidus de cadmium, en agriculture conventionnelle, l’utilisation des engrais phosphatés a été divisée par deux depuis l’an 2000

La chute de l’utilisation des engrais phosphatés

J’approfondis

Les messages alarmistes, assimilant les céréales pour enfants ou le pain à un poison permanent, sont non seulement exagérés, mais aussi injustes envers ceux qui ne peuvent pas s’offrir des produits bio ou de niche. Culpabiliser les familles modestes, au prétexte qu’elles achètent des produits « à bas prix », est un procédé dangereux. La peur générée risque de faire basculer nombre de nos compatriotes dans la méfiance systématique, voire la défiance envers toute autorité sanitaire. Les Électrons Libres ont déjà souligné la dérive similaire avec l’alerte autour de l’aspartame, pourtant bien plus anodin que le cadmium. Preuve en est que crier au loup quelle que soit la substance concernée peut s’avérer problématique.

En guise de conclusion. Si la nuance nous est permise…

Le cadmium mérite de faire l’objet d’une vigilance sérieuse, mais ne doit pas provoquer une panique contagieuse. Il est donc, à son propos, nécessaire de :

  • Reconnaître que son accumulation à long terme peut nuire à la santé, en particulier aux fonctions rénale et osseuse.
  • Comprendre que l’exposition actuelle (hors tabagisme assidu) n’entraîne pas automatiquement un surcroît massif de cancers, notamment pancréatiques.
  • Se méfier des messages trop choquants qui occultent la nuance nécessaire et culpabilisent inutilement.
  • Promouvoir des pratiques agricoles et industrielles réduisant la teneur en cadmium, tout en encourageant une alimentation diversifiée plutôt qu’une diète de la peur.

Enfin, pour répondre à l’appel de l’ancien Ministre de la Santé Aurélien Rousseau et de l’actuel, Yannick Neuder, pousser en faveur de la création d’un registre national épidémiologique des cancers pour mieux comprendre les véritables facteurs de risque évitables… qui peuvent d’ailleurs varier d’un territoire à l’autre.

En somme, informer sans dramatiser, c’est protéger la santé publique sans alimenter la psychose. Elle-même dangereuse pour la santé.

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