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#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

15 septembre 2023 à 16:55
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Rendez-vous jeudi 21 septembre 2023 de 20h à 21h pour le prochain Café de L'Économiste Sceptique

Mon invité est le chercheur en psychologie Nathanael Larigaldie. Nous aborderons les accusations de fraude scientifique à l'encontre de Dan Ariely et Francesca Gino.

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#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Chère lectrice, cher lecteur,

Dans le premier article du diptyque, en lien ci-dessous, j'ai montré que X, anciennement Twitter, perd régulièrement des places dans le classement des applications les plus téléchargées sur l'App Store, en France comme aux États-Unis. Ces données, que m'a gentiment et gracieusement fourni Appfigures, suggèrent que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
De nouvelles données confortent l’hypothèse que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Si les externalités de réseau de X sont bel et bien en train de se déliter, sans changement rapide et substantiel de la stratégie d'Elon Musk, à moyen terme X est condamné. Pour autant, il existe un scénario dans lequel le délitement des externalités de réseau de X peut prendre une forme catastrophique : s'il existe une alternative crédible vers laquelle les utilisateurs de X peuvent migrer sans avoir préalablement besoin de se coordonner.

Comme je l'écrivais à la fin du premier article, des données suggèrent que Threads, le concurrent de X récemment lancé par Meta, pourrait être cette alternative crédible. De la même manière que Facebook a remplacé Myspace, ou que Reddit a remplacé Digg, Threads pourrait remplacer X. Dans l'article d'aujourd'hui, j'explique sur quoi je fonde cette suspicion.

Un scénario de délitement catastrophique

De mon point de vue, les conditions pour que X connaisse un scénario de délitement catastrophique de ses externalités de réseau semblent se mettre en place.

Par "délitement catastrophique", je fais référence à l'expression anglo-saxonne "catastrophic failure" : un délitement relativement rapide, qui ferait considérablement diminuer le nombre d'utilisateurs actifs et dont X ne se remettrait pas. Le (probable) délitement actuel ressemble à une fuite qui vide petit à petit le lac de retenue d'un barrage. La fuite est réelle, elle a des effets négatifs, mais elle est réparable. Un délitement catastrophique ressemble à la rupture du barrage : la rupture vide le lac beaucoup plus rapidement, et le barrage est définitivement inutilisable ensuite.

Lorsque les externalités de réseau se délitent de manière non catastrophique, les utilisateurs cessent petit à petit d'utiliser le réseau. C'est un problème que connaissait déjà Twitter avant son rachat. Dans ce scénario, le réseau se meurt à petit feu. Lorsqu'un délitement catastrophique survient, le volume des départs est beaucoup plus important, et se concentre sur une période beaucoup plus brève.

Il est plus probable qu'un délitement catastrophique survienne s'il existe une alternative crédible à la plateforme en train de se déliter. Je vous renvoie à l'article 117 pour le mécanisme par lequel les externalités de réseau se délitent, et en particulier le mécanisme du cercle vicieux.

#117 · Qu’est-ce que les externalités de réseau ?
Ou pourquoi Facebook et YouTube continuent à dominer malgré les scandales et les polémiques
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?

Lorsqu'il existe une alternative crédible à une plateforme qui se délite, cette alternative peut devenir un point focal. En théorie des jeux, un point focal désigne une décision identique prise par de nombreux utilisateurs sans qu'ils aient besoin ni de se coordonner, ni de communiquer, entre eux. Dans le cas présent, la décision des utilisateurs de X serait "je migre de X vers le réseau social alternatif Y". Myspace, ou Digg, n'ont pas vu leurs externalités de réseau se déliter à la suite de l'organisation d'une sorte de vaste campagne de migration des utilisateurs. Les utilisateurs ont tout simplement migré par eux-mêmes vers le réseau social concurrent. Une telle migration est extrêmement dangereuse pour la plateforme qui la subit : une fois la migration enclenchée, elle est difficile, pour ne pas dire impossible, à arrêter.

Est-ce que l'un des concurrents de X est en capacité à incarner une alternative crédible, et donc à le remplacer ? D'après moi, les données d'Appfigures suggèrent que oui.

Des concurrents qui profitent des décisions impopulaires de Elon Musk

Dans le premier article du diptyque, j'ai étudié le classement de X parmi les applications les plus téléchargées de l'App Store, en France et aux États-Unis. Appfigures m'a également transmis les données du classement de trois concurrents de X : Mastodon, Bluesky et Threads. Que disent ces données ?

Commençons par Mastodon. Il est difficile de suivre le classement de Mastodon dans l'App Store. En plus de l'application officielle, il est possible d'utiliser Mastodon avec de nombreuses applications tierces — comme Ivory, Ice Cubes ou encore Mona. Sauf erreur de ma part, les données d'Appfigures ne permettent pas d'agréger les classements des différentes applications qui permettent d'utiliser Mastodon en un classement unique. Je me suis donc contenté du classement de l'application officielle, considérant que c'est le moins mauvais proxy à ma disposition. On peut voir les données de classement de l'application officielle comme la borne inférieure de la véritable popularité de Mastodon dans l'App Store.

Comme le montre la Figure 1, le classement de Mastodon a massivement augmenté depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, passant du top 400 au top 25. La baisse dans le classement entre janvier et juillet est d'après moi difficile à interpréter : est-ce une baisse de la popularité de Mastodon ? Ou est-ce que les applications alternatives à l'application officielle ont attiré des utilisateurs qui utilisaient auparavant l'application officielle ?

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 1

La Figure 1 montre également que le classement de l'application officielle Mastodon augmente à chaque fois qu'une décision impopulaire est prise, ou annoncée, par Elon Musk sur X.

Le deuxième concurrent pour lequel Appfigures m'a transmis des données est Bluesky. Contrairement à Mastodon, qui existe depuis 2017, Bluesky n'est arrivé que mi-avril (et non, Bluesky n'est pas vraiment "l'alternative à Twitter de Jack Dorsey"). La Figure 2 montre un phénomène similaire à celui que connaît Mastodon : Bluesky remonte dans le classement à chaque décision impopulaire de Elon Musk.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 2

Le troisième et dernier concurrent pour lequel j'ai des données est Threads. Threads a été lancé par Meta le 5 juillet 2023, avec l'objectif explicite de concurrencer Twitter. Threads n'étant pas encore disponible dans l'Union Européenne, je n'ai que le classement aux États-Unis. Après un lancement ayant pulvérisé le record d'adoption d'un produit tech, la Figure 3 montre que Threads a vu son classement chuter. Il est cependant reparti à la hausse fin juillet, lorsque Elon Musk a annoncé que Twitter allait être renommé X. Et contrairement à Mastodon et Bluesky, le classement de Threads n'a pas baissé ensuite.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 3

Que ce soit pour Mastodon, Bluesky ou Threads, les données montrent qu'à chaque décision impopulaire annoncée, ou prise, par Elon Musk sur X, le classement des concurrents de X s'améliore soudainement. Ces pics suggèrent qu'un nombre substantiel d'utilisateurs de X cherchent activement une alternative à X. Si cette interprétation est correcte, chaque nouvelle décision impopulaire agit possiblement comme une "force" supplémentaire appliquée sur les externalités de réseau de X. Ce qui les fragilise chaque fois un peu plus.

Pour autant, l'amélioration du classement des concurrents de X ne dure pas. Sauf pour Threads. Ce qui devrait terrifier les gestionnaires de X.

Est-ce que Threads remplacera X ?

Il me semble que Threads est le candidat le plus probable pour remplacer X. Je suspecte même que Threads ait d'ores et déjà commencé à s'installer comme alternative crédible.

Notez bien que mon analyse n'exprime pas mes préférences personnelles. En réalité, c'est même tout l'inverse : même si j'ai des critiques vis-à-vis de Mastodon, je préfèrerais que ce soit Mastodon, ou pourquoi pas Bluesky, qui remplace X. Mais le scénario que je préfère, et le scénario qui est d'après moi le plus probable, ce ne sont pas des synonymes. J'ai lu trop d'analyses, notamment de partisans de Mastodon, fondées sur des biais de confirmation et autres raisonnements motivés, où l'auteur confond le résultat qu'il aimerait voir, avec le résultat le plus probable. C'est une erreur que j'essaie d'éviter ici.

Commençons par rappeler une évidence : pour le moment, aucun concurrent à X n'a atteint un nombre comparable d'utilisateurs. Mastodon et Bluesky sont en croissance, et tout laisse à croire que Threads connaît une trajectoire normale pour un produit nouvellement lancé. Néanmoins, X a entre 200 et 250 millions d'utilisateurs mensuels actifs. Mastodon, 1.8 million. Bluesky a un million d'utilisateurs en tout. Et pour Threads, il y a sans doute entre 10 et 30 millions d'utilisateurs mensuels actifs.

Cela étant, Threads est dans une position différente que Mastodon et Bluesky. Cette position se voit dans les Figures 1, 2 et 3. Vous aurez peut-être remarqué que le classement de Mastodon et Bluesky est leur classement dans la catégorie "Social networking". Le classement de Threads est son classement toutes catégories d'applications confondues.

La raison est simple : à part pour quelques jours, ni Mastodon, ni Bluesky, n'apparaissent dans le classement toutes catégories d'applications confondues. Leur bon classement dans la catégorie "Social networking" n'est pas suffisant pour les faire émerger dans le classement général. Ni Mastodon, ni Bluesky, n'ont suffisamment d'utilisateurs pour que le téléchargement de leur application respective n'intègre le classement général de l'App Store.

Pour Threads, en revanche, l'histoire est bien différente. Même si l'application a connu une baisse (normale) du nombre d'utilisateurs mensuels actifs après son lancement (aucun produit n'a un taux de rétention de 100 %, ça n'existe juste pas), elle a sans doute plusieurs dizaines de millions d'utilisateurs actifs. Moins de deux mois après son lancement. Sans être disponible dans l'Union Européenne. Et avec des fonctionnalités vraiment limitées par rapport à ses concurrents. Threads a d'ores et déjà une tout autre échelle que Mastodon ou Bluesky.

Surtout, la Figure 4 suggère que Threads est d'ores et déjà en train de s'installer comme une alternative crédible à X.

#139 - Qui remplacera X, anciennement Twitter ?
Figure 4

Contrairement à Mastodon et Bluesky, le classement de Threads n'a pas baissé une fois le choc de la décision impopulaire de Elon Musk passé. Un nombre important de personnes continuent à télécharger Threads, ce qui suggère que le nombre d'utilisateurs mensuels actifs de Threads augmente.

Par ailleurs, le classement de Threads a une dynamique différente du classement de X. X perd régulièrement des places dans le classement, et ce, depuis plus d'un an. Threads est dans le top 3, et s'y maintient malgré la baisse de fin juillet. La dynamique de Threads est cohérente avec celle d'une plateforme qui gagne des utilisateurs. La dynamique de X est cohérente avec celle d'une plateforme qui perd des utilisateurs.

Enfin, lorsque Threads a connu son classement le plus bas, l'application est malgré tout restée mieux classée que X. Même au plus bas, il y avait davantage de téléchargements de Threads que de X.

D'après moi, l'ensemble de ces données sont cohérentes avec un scénario dans lequel Threads est en train de devenir un point focal alternatif à X. Dans ce scénario, Threads accrète à un bon rythme de plus en plus d'utilisateurs, dont un certain nombre viennent de X. Plus Threads accrète des utilisateurs, plus Threads se rapproche du point où il atteint la masse critique d'utilisateurs permettant à ses externalités de réseau de s'emballer. Si Threads atteint cette masse critique, il est d'après moi très probable que survienne une sorte de migration de masse de X vers Threads. Si cette migration survient, et dans la mesure où les externalités de réseau sont stables, il serait virtuellement impossible pour X de rebâtir les siennes. X ne se relèverait sans doute pas d'une telle migration.

Voilà pourquoi je pense que Threads est le réseau social le plus susceptible de remplacer X.

Pour autant, je ne fais pas de prévision, ni de prédiction, sur l'avenir de X. Je n'ai pas de boule de cristal. Mon propos n'est pas de dire que X va nécessairement se déliter, ni que Threads va nécessairement remplacer X. Ce que je dis, c'est que les données d'Appfigures, lorsqu'on les interprète avec un peu de science économique et, je l'espère, suffisamment de prudence, suggèrent que les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en grand danger de délitement catastrophique — au profit de Threads.

Rendez-vous dans un ou deux ans voir comment le marché du micro-blogging aura évolué.

En conclusion

J'aimerais finir par deux précisions.

La première précision est que même dans un scénario de délitement catastrophique, le délitement de X ne sera pas instantané. De la même manière qu'un avion dont les moteurs s'arrêtent en plein vol plane avant de s'écraser, un réseau de la taille de X ne se délite pas en un claquement de doigts. L'inertie est telle qu'il faudra du temps pour que le délitement s'opère complètement. Un délitement catastrophique accélèrera la vitesse du délitement, mais probablement pas au point d'en faire un délitement "instantané".

La deuxième précision est que si Threads remplace X, ça ne sera paradoxalement pas une mauvaise nouvelle pour Mastodon. En fait, ce serait même plutôt une bonne nouvelle pour Mastodon. Les deux plateformes sont bâties sur le même protocole — ActivityPub. Concrètement, les utilisateurs de l'une pourront interagir avec les utilisateurs de l'autre. Si Threads attire des centaines de millions d'utilisateurs, les utilisateurs de Mastodon profiteront, eux aussi, de ce nouvel écosystème.

Pour Bluesky, le remplacement de X par Threads serait en revanche une mauvaise nouvelle. À l'origine, Bluesky est un projet (de… Twitter) consistant à développer un protocole alternatif à ActivityPub — AT Proto. Bluesky est bâti sur AT Proto, et pour cette raison, Bluesky n'est compatible ni avec Mastodon, ni avec Threads. Et AT Proto est vraiment trop différent d'ActivityPub pour que Bluesky puisse s'y interfacer facilement.

Voilà pour ce dytique. J'espère que mon exploration des externalités de réseau vous aura intéressé. Si c'est le cas, n'hésitez pas à m'en faire part, ainsi qu'à partager les deux articles autour de vous.

Vous pouvez également soutenir mon travail et m'aider à péreniser L'Économiste Sceptique en adhérant à l'une des formules payantes. L'Économiste Sceptique est intégralement financé par vous, ses lectrices et ses lecteurs.

Pour ma part, j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce diptyique, ainsi qu'à travailler avec les données d'Appfigures.

À bientôt sur L'Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

8 septembre 2023 à 14:25
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Chère lectrice, cher lecteur,

Si vous êtes comme moi, la gestion catastrophique de X, anciennement Twitter, par Elon Musk commence sans doute à vous fatiguer. Néanmoins, cette (pénible) agitation présente pour le vulgarisateur de la science économique que je suis au moins un intérêt : elle me donne une occasion d'illustrer le concept d'externalités de réseau — et de documenter ce qu'il se passe lorsque les externalités de réseau se délitent.

Grâce à des données habituellement privées auxquelles j'ai récemment eu accès, je peux (modestement) contribuer au débat sur le possible délitement des externalités de réseau sur lesquelles X est bâti.

Pour rappel, les externalités de réseau émergent lorsque la valeur d'usage d'un réseau (par exemple, un réseau social) augmente avec le nombre d'utilisateurs : plus il y a de personnes qui utilisent le réseau, plus il est intéressant pour les autres personnes de l'utiliser également. Pour une définition complète, je vous renvoie à cet article du Wiki.

#117 · Qu’est-ce que les externalités de réseau ?
Ou pourquoi Facebook et YouTube continuent à dominer malgré les scandales et les polémiques
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Lorsque les externalités de réseau se délitent, concrètement, cela signifie que le réseau perd des utilisateurs. Pire, le délitement des externalités de réseau peut dégénérer en un cercle vicieux, qu'il est généralement impossible d'enrayer : puisqu'il y a moins d'utilisateurs, la valeur d'usage pour les utilisateurs restant diminue, augmentant la probabilité qu'ils partent eux aussi. Myspace est un exemple de réseau social dont les externalités de réseau se sont délitées.

L'article d'aujourd'hui est la première partie d'un diptyque. Dans le diptyque, je vais explorer si, oui et non, les externalités de réseau sur lesquelles X est bâti sont en train de se déliter. Les données à ma disposition suggèrent que c'est effectivement le cas. Et je suspecte qu'il est sans doute déjà trop tard pour que X parvienne à arrêter le processus. Au-delà des conclusions, je suis surtout intéressé par le raisonnement, et par les concepts, qui me permettent de parvenir à cette conclusion.

Dans la première partie du diptyque, je vais m'intéresser à X. Dans la deuxième partie, je vais élargir au marché du micro-blogging.

Le contexte

X, anciennement Twitter, est un réseau social de micro-blogging. Le micro-blogging consiste à publier de courtes publications, principalement textuelles, généralement en public.

Le marché du micro-blogging a pendant longtemps été dominé par Twitter — et continue à être dominé par X, au moins pour le moment. Des concurrents comme Mastodon, Bluesky ou encore Threads existent, mais aucun n'a un nombre d'utilisateurs équivalent, ou même proche, de celui de X.

En octobre 2022, le milliardaire Elon Musk a racheté Twitter. Depuis, il a pris une série de décisions catastrophiques, série qui ne semble pas s'arrêter. Pour un historique d'octobre 2022 à avril 2023, vous pouvez lire l'article 126.

#126 - Elon Musk est en train de détruire Twitter
Voici un résumé de ce qui est arrivé à Twitter depuis son rachat par Musk en octobre 2022. Accrochez-vous, c’est édifiant.
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?L'Économiste Sceptique - Par Olivier Simard-CasanovaOlivier Simard-Casanova
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Depuis la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, de nombreuses données suggèrent que les externalités de réseau de Twitter, puis X, sont en train de se déliter. Par exemple, Cloudflare a mesuré que le trafic vers le domaine twitter.com était en baisse continue depuis le début de 2023.

Twitter traffic sinks in wake of changes and launch of rival platform Threads
Data shows the micro-blogging website has been shedding users since early 2023, not long after Elon Musk’s takeover
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?The GuardianJosh Taylor
#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?

Dans le même temps, Twitter, puis X, a cessé d'utiliser les indicateurs standards pour communiquer les données d'usage de sa plateforme. Elon Musk parle de "secondes passées sur l'application", un indicateur qui, à ma connaissance, n'est utilisé que par X. Le recours à un indicateur non-standard suggère que les données internes de X ne sont pas bonnes, obligeant l'entreprise à des contorsions rhétoriques pour masquer une possible diminution du nombre d'utilisateurs.

Les données

Comme je l'écris dans l'introduction, le diptyque se base sur des données habituellement privées auxquelles j'ai eu accès. L'entreprise Appfigures a eu la gentillesse de partager gratuitement et sans conditions des données avec moi — merci à Frank.

Appfigures suit (notamment) l'évolution du rang auquel se classent les applications les plus téléchargées dans l'App Store (sur iOS et iPadOS) et le Play Store (sur Android) au cours du temps. Appfigures m'a transmis le classement de Twitter, et de quelques autres applications de réseaux sociaux, en France et aux États-Unis dans l'App Store entre le 1er janvier 2022 et le 18 août 2023.

X en perte de vitesse

Sans grande surprise pour qui fréquente X, les données sont mauvaises pour le réseau d'Elon Musk.

Comme le montrent les courbes d'ajustement de la Figure 1, le classement de Twitter, puis X, toutes catégories d'application confondues ne cesse de s'éroder depuis le 1er janvier 2022. Le classement s'érode aux États-Unis comme en France.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 1

Alors que Twitter était généralement classé dans le top 25 des applications les plus téléchargées, X se classe désormais dans le top 60. Cette baisse suggère que X est moins téléchargé aujourd'hui qu'au début de 2022.

Si l'on se limite à la période postérieure à la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk (Figure 2), la tendance est là aussi à la baisse. Et ce, depuis quasiment le début. Aux États-Unis, la dégradation du classement de X s'est particulièrement accélérée depuis juillet 2023 — lorsque Twitter a limité le nombre de publications que les utilisateurs peuvent lire et publier (fin juin), puis lorsque Elon Musk a annoncé le changement de nom de Twitter en X (fin juillet).

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 2

Un classement n'est pas équivalent à des données sur le nombre de téléchargements. Il est possible que le nombre de téléchargements de l'application X ait augmenté, et qu'en même temps, le nombre de téléchargements de toutes les autres applications du top 60 aient augmenté encore plus. Dans ce cas, X pourrait avoir gagné des utilisateurs, et pour autant avoir perdu des places dans le classement. L'hypothèse me semble cependant peu probable.

Une autre limite des données de classement est qu'elles ne disent rien sur l'écart du nombre de téléchargements entre les applications classées. Est-ce que l'application classée numéro 1 est téléchargée dix fois plus que l'application classée numéro 2, ou est-elle seulement téléchargée 1 % de plus ? Si l'écart est faible, une petite baisse du nombre de téléchargements peut faire rapidement chuter une application dans le classement. Si l'écart est important, une baisse dans le classement implique une importante baisse du nombre de téléchargements. N'ayant pas de données sur les écarts, il est difficile de conclure.

Pour autant, la chute de Twitter, puis X, est substantielle, aux États-Unis comme en France. Ce qui suggère que le nombre de téléchargements de l'application ait, lui aussi, baissé de manière substantielle. L'hypothèse est d'autant plus probable qu'elle est cohérente avec les données de Cloudflare, et plus généralement, avec l'important rejet que les décisions d'Elon Musk génèrent de la part des utilisateurs de Twitter, puis X.

Si X est moins téléchargé, cela signifie que X perd des utilisateurs. Et non seulement, la baisse ne s'arrête pas (les courbes d'ajustement sont décroissantes), mais semble même s'accélérer (les courbes d'ajustement sont de plus en plus décroissantes). D'après moi, ces données sont cohérentes avec celles que l'on observerait si X était pris dans un cercle vicieux de délitement de ses externalités de réseau.

Des concurrents qui en profitent ?

Jusqu'à la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, le marché du micro-blogging était dominé par Twitter. Mastodon existe depuis 2017, mais n'avait qu'environ 600.000 utilisateurs mensuels actifs avant la prise de contrôle. En comparaison, Twitter en avait plusieurs centaines de millions.

Pour autant, en quelques mois, Mastodon a multiplié quasiment par quatre son nombre d'utilisateurs mensuels actifs. Deux autres réseaux sont entrés sur le marché, Bluesky (qui, contrairement à ce qu'on entend parfois, n'est pas vraiment le réseau de Jack Dorsey) et Threads, de Meta. Threads a pulvérisé le record d'adoption d'un nouveau produit tech, record jusqu'ici détenu par ChatGPT. En moins d'un an, le marché du micro-blogging est devenu beaucoup plus concurrentiel.

Lorsqu'il existe une alternative au réseau dont les externalités de réseau sont en train de se déliter, le risque que le délitement entre dans un cercle vicieux augmente. Ces nouveaux (et moins nouveaux) entrants sont-ils en train de remplacer X ? Pour le moment, non. Mais si j'étais à la tête de X, je pense que je serais terrifié par la Figure 3.

#138 - X, anciennement Twitter, est-il en train de se déliter ?
Figure 3

Dans la deuxième partie du diptyque, j'expliquerai pourquoi je pense que la Figure 3 devrait terrifier la direction de X. Et plus généralement, pourquoi je pense qu'il est sans doute déjà trop tard pour arrêter le délitement des externalités de réseau de X.

Pour ne pas manquer cette deuxième partie, n'hésitez pas à vous abonner à la newsletter de L'Économiste Sceptique.

À bientôt sur L'Économiste Sceptique — et ailleurs,
Olivier

X affiche des publicités sur un compte néo-nazi

Le compte en question publie du contenu ouvertement nazi. Il s'est (évidemment) acheté un badge bleu, que X, anciennement Twitter, appelle "vérification" mais qui ne vérifie rien d'autre que la possession d'une carte bancaire fonctionnelle.

Surtout, X affiche régulièrement des publicités pour des marques comme Adobe, Amazon, la FIFA ou encore Samsung avant ou après les tweets de ce compte. Je suis sûr que ces marques apprécieront une si charmante compagnie.

Dans une récente interview, Linda Yaccarino, la PDG de X, a prétendu que X réduit massivement l'affichage des tweets contenant des discours de haine. L'objectif de cette déclaration était de rassurer les annonceurs.

L'interview était une surréaliste, mais attendue, accumulation de fadaises. L'exemple de ce compte néo-nazi montre bien que contrairement à ce que dit Yaccarino, X n'est pas un espace sain pour les annonceurs.

Under Linda Yaccarino, X is placing ads for major brands on a verified pro-Hitler account that the company reportedly admitted has posted “violent speech”
Eric HananokiMedia Matters for America

Il est désormais possible de masquer son badge bleu sur Twitter

Lorsqu'il a racheté Twitter, le milliardaire Elon Musk a rapidement éviscéré le système de vérification de la plateforme. Un système de vérification permet d'assurer l'authenticité des comptes notables, et ainsi de limiter les risques d'usurpation d'identité. Concrètement, il s'agit des badges "vérifié" associés aux comptes notables. C'est une fonctionnalité qui existe sur à peu près toutes les plateformes sociales.

À la place d'un système de vérification d'identité, Musk a remplacé la vérification de Twitter par Twitter Blue, un système payant : contre 8$ par mois, n'importe qui peut obtenir le badge bleu. La seule chose que ce système vérifie, c'est si la personne derrière le compte a une carte bancaire fonctionnelle. Il ne s'agit plus d'un système de vérification.

Sans surprise, ce nouveau système a été un désastre. Il a occasionné de coûteuses usurpations d'identité, il a fait fuir des annonceurs craignant (à juste titre) que leur image ne soit détournée par des trolls ou des comptes malveillants. Les utilisateurs de Twitter eux-mêmes ont commencé à se moquer des personnes ayant un badge bleu. Voici quelques mèmes (issus de ma collection personnelle) fréquemment utilisés pour se moquer des abonnés à Twitter Blue.

En quelques décisions aussi catastrophiques que totalement évitables, Musk a ainsi transformé le badge bleu en anti-signal : alors qu'il dénotait un compte dont l'identité était vérifiée, le badge bleu est désormais un symbole d'appartenance à la communauté des fans de Musk.

Ces moqueries posent un évident problème de modèle économique : qui irait payer 8$ par mois pour… se faire moquer par le reste des utilisateurs de Twitter ? Twitter Blue, sous sa forme actuelle du moins, est une idée absolument désastreuse.

Des fuites avaient montré que Twitter travaillait sur la possibilité de… masquer son badge de vérification. Dans un développement que je trouve particulièrement comique, la fonctionnalité est désormais en ligne.

Twitter Blue subscribers can now hide their blue checks
Now nobody can tell if you paid for Twitter or not.
The Verge

Que Twitter implémente une telle fonctionnalité est une claire admission que Twitter Blue est un désastre. Imaginez un produit dont l'argument de vente principal est l'obtention d'un badge bleu, qui permet ensuite de masquer le badge bleu qui est au cœur de son argument de vente principal.

La destruction méthodique de Twitter par Elon Musk donnera de quoi étudier à de nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales. Économistes, gestionnaires, sociologues, nous pouvons nous réjouir !

Twitter menace une ONG d'une action en justice

31 juillet 2023 à 14:59

Le Center for Countering Digital Hate (CCDH), une ONG américaine qui lutte contre les discours de haine en ligne, a reçu le 20 juillet 2023 un courrier des avocats de ce qu'il reste de Twitter.

L'entreprise d'Elon Musk reproche au CCDH d'avoir publié huit articles qui montrent, entre autres, que Twitter ne modèrerait que 1 % des comptes qui payent l'abonnement Twitter Blue lorsqu'ils publient des discours de haine.

D'après les avocats de Twitter, ces articles sont

a series of troubling and baseless claims that appear calculated to harm Twitter generally, and its digital advertising business specifically

Ma traduction :

Une série de déclarations troublantes et infondées qui apparaissent calculées pour causer du tort à Twitter en général, et à son activité de publicité numérique en particulier

Je ne suis pas bien certain de ce que cherche à obtenir Twitter avec cette menace. Un retrait des articles ? Leur disparition de la mémoire de toutes les personnes qui les ont lus ?

Si Twitter n'est pas d'accord sur le fond, qu'ils répondent avec des données pour réfuter les articles du CCDH. Mais menacer en justice risque surtout de… redonner de la visibilité aux arguments du CCDH, ce qui est la définition même de l'effet Streisand.

En admettant qu'un procès ait effectivement lieu, je suppose qu'il n'a virtuellement aucune chance d'aboutir. D'autant que la lettre de menace prend même un tour complotiste, lorsque les avocats de Twitter prétendent que le CCDH serait financé par des concurrents de Twitter ou des gouvernements étrangers "en soutien d'un plan plus large" ("in support of an ulterior agenda"). Quand on sait l'appétence de Musk pour les théories du complot, cet argument conspirationniste n'est sans doute pas anodin.

Difficile de se prononcer sur les objectifs de la lettre. Nouvelle demande hors sol du propriétaire incompétent de Twitter ? Écran de fumée destiné à jeter les bases d'un récit servant à justifier l'échec cuisant vers lequel Musk se dirige ("ça n'est pas moi qui suis incompétent, ce sont les wokes qui ont fait dérailler mon plan de génie") ? Tentative d'intimider quiconque s'intéresse aux discours de haine sur Twitter ? Encore autre chose ?

Dans tous les cas, l'effet Streisand est bien en train de se manifester — comme l'illustre la Note que vous êtes présentement en lire.

Plus fondamentalement, le comportement d'Elon Musk est largement crédité comme étant la raison pour laquelle les annonceurs se tiennent désormais à distance de Twitter — occasionnant une baisse d'environ 50 % du chiffre d'affaires publicitaire depuis qu'il a racheté l'entreprise. Il n'a pas besoin d'ONG pour "causer du tort à Twitter en général, et à son activité de publicité numérique en particulier". Il le fait très bien tout seul.

Twitter Sues Nonprofit That Tracks Hate Speech
The Center for Countering Digital Hate said it had received a letter from X, Twitter’s parent company, accusing it of trying to hurt the social platform with its research.
Sheera FrenkelThe New York Times

Via @bestofdyingtwit

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