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Numériser les usages ! Notre contrepoint au Shift

4 octobre 2025 à 05:37

Freiner l’installation des data centers en France, pays de l’électricité bas carbone ? C’est le projet du Shift qui, après des prédictions ratées sur la 5G et le streaming, récidive avec de nouveaux scénarios alarmistes. Pourtant, le numérique tricolore est une opportunité pour la décarbonation de notre économie.

Le Shift Project persiste et signe. Dans son dernier rapport, le think tank fondé par Jean-Marc Jancovici estime que l’explosion mondiale de l’intelligence artificielle et de ses infrastructures va lourdement contribuer au réchauffement climatique. Et ses hypothèses ne lésinent pas sur les chiffres pharaoniques et anxiogènes. « Sans évolution majeure des dynamiques actuelles », il prédit un triplement de la consommation électrique des data centers à 1 250, voire 1 500 TWh à l’horizon 2030 (contre 400 TWh en 2020).

Des projections maximalistes, bâties sur les annonces des géants de l’intelligence artificielle et intégrant même le minage de cryptomonnaies, pourtant sans lien avec l’IA. Ainsi, le scénario le plus optimiste du Shift équivaut au plus pessimiste de l’Agence internationale de l’énergie, qui estime la fourchette entre 700 et 1 250 TWh.

Principal moteur : l’explosion de l’IA générative (700 millions d’utilisateurs hebdomadaires pour le seul ChatGPT, modèle d’OpenAI). Une situation qui conduirait, selon le think tank, à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 9 % par an de la filière centres de données (au lieu d’une baisse annuelle de 5 % pour respecter les objectifs climatiques), dont l’essor repose encore massivement sur le gaz fossile, aux États-Unis et en Chine.

Le Shift estime donc « insoutenable » le développement mondial de ces infrastructures, à moins d’énormes efforts de décarbonation. Même prédiction pour l’Europe. Hugues Ferreboeuf, chef de projet Numérique, s’appuie sur le cas de l’Irlande où, suite à des incitations fiscales, la consommation des data centers est passée de 5 % à 20 % de l’électricité disponible. Un cas spectaculaire mais exceptionnel. À l’échelle de l’Union, cette part reste dix fois plus faible. Au point que le recours à cet exemple, peu représentatif des trajectoires européennes, interroge. D’autant que le Shift oublie de mentionner le Celtic Interconnector, qui permettra à la France d’exporter vers l’Irlande 700 MW de mix décarboné dès 2028, soit jusqu’à 6 TWh par an : l’équivalent de la consommation actuelle totale des data centers irlandais.

Le Shift y voit néanmoins un signal annonciateur et anticipe un doublement de la consommation électrique de la filière data centers européenne d’ici 2030, à 200 TWh. Ce qui, selon lui, risquerait de prolonger la dépendance de l’UE au GNL américain, que l’Europe importe pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables. Que faire pour s’en prémunir ? Son constat est sans appel : il faut limiter le déploiement de l’IA « pour des usages ciblés et prioritaires ». Voire même l’interdire : « si ça ne suffit pas, on abandonne les fonctionnalités IA », assène sans trembler Maxime Efoui-Hess, coordinateur du programme « Numérique ».

Pourquoi cibler le champion français ?

À première vue, le raisonnement peut sembler logique. Mais le Shift ignore l’éléphant dans la pièce. Nous n’avons aucun moyen d’enrayer l’essor mondial des data centers, pas davantage que nous avons de prise sur l’empreinte carbone chinoise. Au mieux, ce lobbying peut freiner leur implantation en France. Or, avec une électricité parmi les plus décarbonées du monde et une obligation normative sur l’adoption de modèles économes en eau, notre pays figure parmi les meilleurs endroits pour les accueillir. Chaque data center installé ici, c’est un de moins qui tournera au charbon ou au gaz. Car leur nombre ne sera pas infini et qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle.

Pauline Denis, ingénieure de recherche « Numérique » du Shift, pointe le risque de conflits d’usage. Selon elle, l’électricité captée par les data centers ne pourra pas servir à décarboner l’industrie. Pourtant, de l’électricité bas carbone, nous en avons plus qu’il n’en faut. La France a ainsi exporté 89 TWh en 2024, alors que ses centrales nucléaires étaient loin d’utiliser leur pleine capacité : 361 TWh, contre 430 en 2005 (418 en excluant Fessenheim).

Même si tous les projets annoncés lors du Sommet de l’IA voyaient le jour (109 milliards d’euros d’investissements), la consommation des data centers n’augmentera que de 25 TWh d’ici 2035, selon le Shift. Soit à peine 28 % de nos exportations actuelles. De quoi préserver, entre autres, la décarbonation des transports. Ainsi, les 40 à 50 TWh prévus pour les véhicules électriques resteraient couverts par notre excédent.

Malgré tout, ce surplus va-t-il vraiment « compromettre notre capacité à décarboner l’industrie » ? Ce pourrait bien être l’inverse. Faute de demande suffisante, nos centrales nucléaires fonctionnent en sous-régime, alors que leurs coûts fixes restent identiques. Résultat : des prix plus élevés qui freinent l’activité industrielle. Car, en réalité, notre consommation d’électricité recule année après année (–14 % en 20 ans), à rebours des scénarios de RTE et du Shift, qui n’en sont pas à une erreur prédictive catastrophiste près. Une hausse de la demande pourrait au contraire faire baisser les prix et enclencher un cercle vertueux d’électrification et de relocalisation.

Alors, vive les data centers made in France ? Toujours pas, selon Pauline Denis. Pour elle, « il faudrait prouver qu’installer 1 GW de data centers en France empêche l’installation d’1 GW ailleurs ». Sérieusement ?

Une longue tradition pessimiste et des scénarios fantaisistes

La méfiance du Shift Project envers le numérique ne date pas d’hier. Mais certaines de ses prédictions arrivent à échéance, et le constat est sévère. Début 2020, il annonçait que la 5G provoquerait 10 TWh de consommation supplémentaire en cinq ans, soit un doublement de toute l’activité des opérateurs français — fixe, mobile et data centers — et 2 % de la consommation nationale en plus. La réalité est toute autre. La hausse a été dix fois moindre et essentiellement liée à l’extension de la couverture en zones blanches, sans lien direct avec la 5G.

Même excès de sensationnalisme avec le streaming. Le Shift a relayé l’idée qu’une heure de visionnage équivalait à 12 km en voiture ou 30 minutes de four électrique. Une estimation huit à cinquante fois trop élevée selon l’IEA. Une erreur massive minimisée par le think tank. Faute d’erratum visible sur la page principale du rapport, le chiffre continue d’être repris dans les médias français.

Le shift : influenceur avant tout

J’approfondis

L’efficacité exponentielle de l’IA

Après ces errements, faire des prévisions sur une technologie aux progrès aussi foudroyants que l’IA semble bien téméraire. Charles Gorintin, cofondateur des start-up Alan et Mistral AI, soulignait déjà en janvier dernier la double révolution du secteur : « l’efficacité des modèles d’IA a été multipliée par 1 000 en trois ans et celle des puces par 100 depuis 2008 ».

En deux mois, une simple mise à jour des drivers a permis à Nvidia de doubler les performances de ses GB200, avec un nouveau gain attendu en décembre, où ils ne seront alors exploités qu’à 42 % de leur capacité (contre 22 % aujourd’hui) ! Le modèle chinois Deepseek V 3.2 a multiplié par 50 en un an la vitesse de l’attention, phase clé de l’inférence (utilisation) qui pèse 40 à 60 % du coût d’une requête. Google mise sur des modèles « QAT » (Quantization-Aware Training), entraînés et utilisés en 4 bits plutôt qu’en 16. De son côté, Alibaba a conçu Qwen3 Next, aussi performant que les géants du secteur, mais capable de tourner sur une seule carte de calcul.

Même en ignorant les évolutions matérielles, les performances des modèles permettent de baisser à vitesse grand V leur consommation de ressources, donc d’énergie et d’émissions de CO₂, à l’entraînement comme à l’utilisation. Des optimisations qui ne sont pas prises en compte par les règles de trois de nos amoureux de la décroissance.

Numérisons les usages !

Le rapport du Shift surprend aussi par le peu d’analyse des externalités positives du numérique. La visioconférence, par exemple, a réduit les déplacements et les émissions associées. Interrogé sur ce point, Maxime Efoui-Hess affirme que « ce n’est pas mesurable » et que « rien ne montre que le numérique a permis de décarboner le monde », puisque « les émissions des pays numérisés augmentent ». Une première erreur, surprenante de la part d’un spécialiste. Les émissions des pays riches, les plus numérisés, baissent depuis 18 ans. Il invoque également l’effet rebond, estimant que « l’on imprime moins de presse, mais [qu’]il y a beaucoup plus de carton pour la livraison ». C’est encore une fois faux, puisque la consommation de papier et de carton a baissé de 26 % en France depuis l’an 2000.

Avoir recours à l’IA permet déjà d’optimiser la consommation énergétique des bâtiments et des processus industriels et de développer de nouvelles solutions pour la transition écologique. Par essence, tous les processus effectués virtuellement, avec une électricité décarbonée, sont moins émetteurs que leurs équivalents physiques. Il faudrait au contraire le scander. La numérisation des usages est la suite logique de leur électrification !

Maxime Efoui-Hess reconnaît à mi-mot que mettre le numérique et l’IA au service de la décarbonation est possible, « à condition de regarder usage par usage si c’est bien pertinent ». On ne sait pas si l’on doit rire d’une telle prétention, ou trembler d’une volonté de contrôle aussi décontractée.

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Kessel : un siècle avant la flottille

30 septembre 2025 à 19:08

Un siècle avant la Flottille pour Gaza, Joseph Kessel prenait la mer pour rejoindre la Palestine. Une expédition bien différente, qui nous éclaire sur le conflit actuel… et sur notre société du spectacle.

Avril 1926, Marseille. Joseph Kessel embarque pour Jaffa. Comme souvent, ses voyages sont nés de rencontres avec des êtres charismatiques, Monfreid, Mermoz, Kersten… Ce jour-là, l’homme qui l’accompagne se nomme Chaïm Weizmann. Difficile de trouver deux personnalités plus antagonistes. Kessel, nomade agnostique, étranger à toute ferveur religieuse, indifférent aux appels du patriotisme comme aux élans des causes collectives, est à mille lieues de l’ardeur qui étreint le futur premier chef de l’État d’Israël. Mais celui qui fait sienne la devise de Péguy, « Dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste », veut voir, et raconter.

Une terre d’espoir et de feu

Contrairement à la flottille d’aujourd’hui, il ne s’attarde pas sur sa traversée de la Méditerranée. L’important n’est pas le voyage, mais la destination. La « mer de la civilisation » s’échoue sur une terre âpre, où le feu du soleil brûle les visages et les terres, où la malaria décime les familles. Même l’eau enflamme les chairs.

Depuis 1920, la Palestine est sous mandat britannique. Une conséquence de l’effondrement de l’Empire ottoman et de sa défaite lors de la Première Guerre mondiale. Son territoire correspondant grosso modo aux actuelles terres d’Israël, de la Cisjordanie et de Gaza. Elle compte alors environ 600 000 Arabes et un peu plus de 150 000 Juifs. La majorité de ces derniers sont des immigrants arrivés depuis la fin du XIXᵉ siècle de Russie, de Pologne ou d’Ukraine, venus se mêler aux communautés juives autochtones présentes sur place de longue date. Les premiers sionistes, les Amants de Sion, s’étaient embarqués à la suite d’émeutes antijuives en Russie. D’autres les ont rejoints après guerre, soupçonnés d’avoir pris part à la révolution d’Octobre et pourchassés par les armées blanches, nationalistes et cosaques. Peu de temps avant que les bolcheviques, à leur tour, ne s’en prennent à eux, voyant dans le sionisme une entreprise capitaliste, bourgeoise et nationaliste. Car ce nouveau sionisme, théorisé à la fin du XIXᵉ siècle par Theodor Herzl, propose pour la première fois la création d’un foyer national pour le peuple juif, en réponse aux persécutions.

Kessel arrive dans un pays qui semble s’ébrouer après plusieurs siècles d’une vie immuable. Les fellahs, petits paysans arabes accablés de labeur et d’impôts dans un système féodal, voient les plaines se couvrir de cultures, les villes s’élever et une nouvelle liberté poindre… qui va bientôt inquiéter leurs maîtres.

Une langue, mille rêves

Comme toujours, Kessel s’intéresse davantage aux êtres qu’à la politique. Des kvoutza, ces ancêtres du kibboutz, aux communautés orthodoxes, il découvre autant de projets sionistes qu’il y a de rêves individuels. L’individu, pourtant, s’efface derrière cette espérance collectiviste qu’il a conçue en songe.

Au cœur de la vallée de Jezreel, les jeunes idéalistes socialistes qu’il rencontre ne se mettent pas en scène, ne fantasment pas leur bravoure ni l’importance de leur rôle. Non, ils sacrifient leur héritage bourgeois et leurs mains délicates pour le rude travail de la terre, creusant, récurant, construisant de l’aube au coucher du soleil. Leur sueur a transformé un inculte marécage en promesse d’abondance.

À Bnei Brak, la colonie hassidim défie la chaleur écrasante dans ses habits de ténèbres, construit des temples avant même d’avoir garanti son souper ou sécurisé ses bicoques branlantes. Aujourd’hui encore, Bnei Brak abrite le quartier le plus pauvre d’Israël, et vote à 90 % pour les ultra-orthodoxes.

À Kfar-Yeladim, Kessel découvre stupéfait une communauté d’enfants qui vit en quasi autonomie. Guidés par le pédagogue Pougatchev, ils inventent leur constitution, leur tribunal, leur système électoral et leur presse. Ils tentent de construire une société nouvelle, pour refermer la plaie ouverte par le massacre de leurs géniteurs.

Comme nulle part ailleurs, cette promesse se construit dans un chantier permanent, qui s’oppose en tout point au charme pittoresque des cités arabes patinées par les siècles. Elle porte un nom : Tel-Aviv. Un antagonisme qui illustre si bien le dilemme du progrès. Aucune nouveauté, aucune invention ne peut procurer la douceur réconfortante d’un marché, d’une échoppe ou d’un geste ancestral. Mais que vaut ce réconfort immémorial face à la malaria, à la misère du non-développement, au joug des traditions ? C’est ce carcan qui, précisément, a poussé à fonder la cité. À Jaffa, les autochtones prenaient les visages découverts des nouvelles arrivantes pour une invitation. Tel-Aviv est « née du baiser des arabes ».

De l’entrepreneur fortuné au religieux démuni ou au jeune socialiste, les aspirations sont si diverses que seule la langue peut les réunir. « Un peuple peut exister sans gouvernement choisi, sans institutions, et même sans terre qui lui appartienne. Mais s’il ne possède pas de langue qui lui soit propre, c’est un peuple mort » écrit Kessel. En Palestine, c’est la résurrection d’une langue morte qui fait naître un peuple.

Nouvelles richesses, vieilles servitudes

Depuis l’époque ottomane, les effendis sont les véritables maîtres de la société palestinienne. Propriétaires fonciers, ils accablent d’impôts les misérables fellahs qui travaillent leurs terres pour des salaires de famine. À l’arrivée des migrants, ces potentats locaux saisissent l’aubaine et leur cèdent des parcelles à prix d’or, au mépris des fellahs qui perdent leur unique moyen de subsistance.

S’ils ne sont pas acceptés dans les communautés orthodoxes ni dans les kvoutza socialistes, nombreux trouvent des emplois chez des fermiers ou des entrepreneurs juifs. À leur grande surprise, ils découvrent des ouvriers payés aux prix européens, des hommes travaillant aux champs et réclamant aisément leur dû. « Des formules étranges de liberté, d’égalité étaient dans l’air », remarque Kessel. Les effendis sentirent la colère monter chez leurs anciens vassaux.

Mais il leur restait l’influence que confère une longue domination. Ils les persuadèrent que les nouveaux venus allaient tout leur enlever et qu’il fallait les exterminer avant qu’ils ne fussent en force. La propagande réussit. 

Terreur et développement 

Le 4 avril 1920, 70 000 personnes se rassemblent à Jérusalem. Depuis l’hôtel de ville, le maire Moussa Qazem al-Husseini presse la foule de donner son sang pour la cause. Aref al-Aref, l’éditeur du Journal Suriya al-Janubia, harangue depuis son cheval : « Si nous n’utilisons pas la force contre les sionistes et contre les Juifs, nous n’en viendrons jamais à bout ! ». On lui répond en scandant « Indépendance ! Indépendance ! » Durant quatre jours, des combats éclatent. Malgré leur infériorité numérique, les colons résistent avec l’appui des soldats britanniques. 

Ces émeutes sont la première manifestation majeure de violence entre les communautés arabe et juive de Palestine dans le contexte du conflit qui les oppose encore aujourd’hui. Elles poussent les Juifs à développer leur propre organisation de défense, la Haganah, ancêtre du noyau de l’armée israélienne : Tsahal.

Quand Kessel débarque en terre palestinienne quelques années plus tard, il sent un revirement. La dynamique de croissance qu’engendre l’immigration juive semble faire des émules. Il voit des terres sans avenir se couvrir de cultures, les grandes agglomérations devenir des centres de commerce de plus en plus florissants. Alors que le pays « nourrissait difficilement quelques centaines de milliers d’hommes » rappelle-t-il, s’ouvre la perspective d’en faire vivre des millions. Ce que, opprimés par le joug féodal de leurs maîtres, les fellahs n’ont pu faire en quatre siècles.

Le développement plutôt que l’affrontement ? En 2020 une étude indiquait que 86 % des Gazaouis se disaient plus intéressés par la croissance économique et les réformes politiques que par la politique étrangère. 7 sur 10 souhaitaient être gouvernés par l’Autorité palestinienne plutôt que par le Hamas. Organisation que les habitants des pays arabes rejetent massivement, comme le Hezbollah. Et tandis que le gouvernement Netanyahou menace d’annexer la Cisjordanie et d’occuper Gaza, près des trois quarts des Israéliens soutiennent, ou ne s’opposent pas à un accord incluant la reconnaissance d’un État de Palestine.

Kessel allait pour voir, pour sentir et pour raconter. Aujourd’hui, on va pour se montrer. Quitte à être les idiots utiles de déplorables maîtres.

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Le Mercosur, ce bouc émissaire de nos politiques agricoles

25 septembre 2025 à 05:05

Déforestation, bœuf aux hormones, trahison de nos agriculteurs. Le Mercosur, accusé de tous les maux, fait l’unanimité contre lui. Pourtant, cet accord pourrait être une opportunité pour notre industrie, sans pour autant sacrifier notre souveraineté alimentaire.

Le Mercosur, c’est en quelque sorte la version sud-américaine de notre marché commun, un espace de libre circulation des biens et des services. Il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et, depuis l’an dernier, la Bolivie. Le Venezuela en a été exclu en 2016. Après deux décennies de négociations, l’Union européenne et le Mercosur ont conclu, en juin 2019, un traité instaurant une zone de libre-échange. Ou plutôt un accord commercial, car le terme, qui suggère une libéralisation sans contraintes, est trompeur : les règles restent nombreuses et certaines importations limitées. Aujourd’hui, il demeure suspendu à la ratification des 27 États européens. La France est l’un des rares pays à avoir des réserves. À tort ou à raison ?

Concrètement, la suppression de 4 milliards de droits de douane rendrait nos exportations beaucoup plus compétitives. Le prix des voitures et des vêtements pourrait baisser de 35 %, celui des machines-outils, produits chimiques et pharmaceutiques de 14 à 20 %. Les fournisseurs de services — télécommunications, transports, numérique — accéderaient aux marchés publics locaux. L’industrie automobile européenne, en grande difficulté, appelle évidemment l’accord de ses vœux : il relancerait ses ventes de véhicules thermiques, au moins pour un temps. Au total, Bruxelles projette près de 50 milliards d’euros d’exportations supplémentaires vers le Mercosur, pour seulement 9 milliards d’importations en plus. Des importations qui pourraient bien profiter aux industries européennes. Le Brésil, en particulier, est un important fournisseur de matières premières critiques comme le nickel, le cuivre, l’aluminium, l’acier ou le titane.

L’erreur est en effet de réduire exportations et importations à une lecture comptable. On croit trop souvent que seule la production locale enrichit, quand les importations appauvrissent. L’exemple du CETA, l’accord entre l’Europe et le Canada, montre l’inverse : les entreprises françaises ont pu importer hydrocarbures et minerais à des prix plus avantageux. Si ces flux semblent peser négativement sur la balance commerciale, ils sont économiquement bénéfiques. Des matières premières moins chères permettent à nos entreprises de réduire leurs coûts et de gagner en compétitivité. Aujourd’hui, qu’importe-t-on majoritairement depuis l’Amérique latine ? Des hydrocarbures, des produits miniers… et des produits agricoles.

Les agriculteurs européens sont-ils vraiment sacrifiés sur l’autel du commerce ?

L’agriculture des pays du Mercosur fait peur. Avec 238 millions de bovins, le Brésil possède le plus grand cheptel au monde et assure à lui seul près d’un quart des exportations mondiales. L’Argentine n’est pas en reste, avec 54 millions de bêtes et des troupeaux en moyenne quatre fois plus grands qu’en France. En Amazonie ou dans le Cerrado brésilien, certaines exploitations dépassent même les 100 000 têtes de bétail. À titre de comparaison, la « ferme des mille vaches » picarde, fugace symbole tricolore de l’élevage intensif, n’a jamais compté plus de 900 bovins. Mais le gigantisme ne s’arrête pas à l’élevage. Au Brésil, SLC Agrícola exploite plus de 460 000 hectares de céréales. Deux cents fois plus que la plus grande exploitation française. Les vergers sont quatre fois plus étendus de l’autre côté de l’Atlantique. Sucre, maïs, soja… les agriculteurs européens font face à un géant. Sans jouer avec les mêmes cartes : si les produits importés devront répondre aux normes de consommation européennes, les règles de production ne sont pas identiques. Notamment concernant l’utilisation des pesticides, qui fait tant débat en Europe. Pour les agriculteurs français, difficile de se départir de l’impression de concourir face à des V12 avec un 3 cylindres.

Heureusement, l’Union européenne a prévu des garde-fous. Les importations de bœuf, notamment, sont limitées à 99 000 tonnes par an, soit l’équivalent d’un gros steak par habitant. Cela ne représente, comme pour la volaille ou le sucre, que moins de 1,5 % de la production du continent. Aucune chance, dans ces conditions, d’être submergé par l’afflux de produits agricoles sud-américains. Et si jamais c’était le cas, une procédure de sauvegarde, qui stopperait net les importations, pourrait être enclenchée.

« En France comme en Europe, les cheptels bovins ont reculé d’environ 10 % en dix ans, et cette concurrence n’y est pour rien », souligne Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Inrae. Selon lui, les pays du Mercosur disposent déjà d’un client de poids avec la Chine, beaucoup plus simple à approvisionner. L’Europe, au contraire, impose des normes strictes et chaque exploitation doit être agréée individuellement. « On l’a vu avec le CETA : dans ces conditions, rien ne garantit même que les quotas soient atteints », ajoute-t-il.

Café, oranges, soja… À l’heure actuelle, le Mercosur vend surtout à l’Europe des produits qu’elle ne cultive pas. La seule filière réellement exposée semble être celle du maïs. Massivement OGM, la production brésilienne échappe à tout quota. Elle représente bien la schizophrénie des normes : un maïs impossible à cultiver en Europe peut nourrir nos animaux d’élevage.

L’accord pourrait même ouvrir de nouvelles perspectives à certains agriculteurs européens. Bruxelles table sur 1,2 milliard d’euros d’exportations supplémentaires. Les viticulteurs seraient les premiers bénéficiaires : leurs vins gagneraient en compétitivité et leurs appellations, comme celles de plusieurs fromages, seraient enfin reconnues outre-Atlantique. Exit le « Champagne » argentin ou le camembert brésilien. Dans une moindre mesure, les fruits et légumes, les huiles végétales et les produits laitiers devraient eux aussi profiter de nouveaux débouchés commerciaux.

Quand l’écologie gagne à commercer avec le bout du monde

Pour beaucoup, faciliter le commerce transatlantique est vu comme une aberration environnementale. Pourtant, les accords commerciaux sont des outils puissants pour convertir le reste du monde à la vision européenne du mieux-disant écologique et social. Ils permettent de façonner les règles du commerce mondial conformément aux normes européennes les plus élevées, de projeter nos valeurs à travers des obligations détaillées en matière de commerce, d’emploi et de développement durable. Les signer, c’est ratifier les conventions de l’Organisation internationale du travail et les accords multilatéraux sur l’environnement, de l’Accord de Paris aux conventions biodiversité. Toute violation pouvant justifier une suspension, totale ou partielle. Ainsi, en 2020, le Cambodge a perdu ses privilèges unilatéraux, du fait des dérives autoritaires du Premier ministre Hun Sen.

La culture du soja, importante cause de déforestation, est souvent évoquée. Pourtant, l’accord avec le Mercosur ne change rien à l’affaire, les importations de tourteaux étant déjà exemptes de toute taxation douanière. Le rôle de l’Union européenne, qui n’importe que 14 millions de tonnes par an, contre 112 millions pour la Chine, est de toute façon minime. L’accord entraîne par ailleurs la ratification du Protocole de Glasgow, qui prohibe toute déforestation à partir de 2030. Pour la transition énergétique, c’est aussi un enjeu majeur : le Brésil détient 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel et de manganèse. L’Argentine regorge de lithium. De quoi nourrir notre industrie verte…

Reste la question du contrôle. Croire que les contrôleurs de l’Union puissent éviter toute entorse aux règles est évidemment illusoire. Mais croire qu’ils sont aveugles n’est pas moins excessif. L’an dernier, une enquête a dévoilé la présence d’hormones dans le régime alimentaire des bœufs au Brésil. Pas à des fins d’engraissement, comme on l’a souvent suggéré, mais à des fins thérapeutiques… ce qui est aussi possible en Europe. Les mêmes craintes étaient brandies lors de la signature du CETA. Huit ans plus tard, aucun bœuf aux hormones n’est importé du Canada.

En creux, l’amertume du deux poids, deux mesures

Alors que toutes les pratiques agricoles sont remises en question, que des militants n’hésitent pas à les accuser d’empoisonnement, ni à fantasmer sur une chimérique agriculture sans intrants, l’opposition au Mercosur semble bien dérisoire. Nos agriculteurs ont-ils baissé les bras face aux ennemis de l’intérieur, au point de ne plus s’autoriser d’autre combat que celui contre leurs concurrents étrangers ? Pensent-ils trouver dans la mondialisation un ennemi commun leur assurant la miséricorde des gardiens du dogme ?

Signer l’accord avec le Mercosur serait un signal puissant, un acte de confiance et de détermination, à contre-courant du repli américain. Mais après des années d’agri-bashing, de surtransposition des normes, on comprend que les agriculteurs se sentent fragilisés face à la concurrence — même si, dans les faits, elle vient bien plus de l’Ukraine ou des autres pays européens que du Mercosur. Après le raz-de-marée médiatique contre la loi Duplomb cet été, difficile de ne pas comprendre non plus leur sentiment d’impuissance. C’est pourtant là que sont les vrais enjeux : redonner aux agriculteurs le goût du possible. Qu’ils puissent à nouveau se projeter dans un avenir à la fois serein et conquérant. Nous en sommes loin. Mais ne baissons pas les bras : la souveraineté se construit plus solidement dans la compétitivité que dans le repli sur soi.

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Le suicide bancaire ottoman

14 septembre 2025 à 04:23

« Il faut faire tomber les banques ». Pour certains, elles sont le cœur pourri de notre système. Mais peut-on s’en passer ? L’Empire ottoman l’a fait, en suivant scrupuleusement la charia. Une politique qui l’a conduit à la ruine, et au pire.

Au XIIᵉ siècle, l’Europe sort lentement du Moyen Âge féodal. Les villes renaissent, le commerce s’épanouit. Grains, épices, soieries, laines, mais aussi pèlerins et croisés, la Méditerranée est au centre des échanges et des quêtes.

En Italie, de grandes familles amassent des fortunes colossales. Peruzzi ou Bardi à Florence, Doria, Spinola ou Médicis à Gênes, pour pouvoir commercer dans plusieurs devises, pour payer les achats et les expéditions, elles deviennent à la fois marchands et créanciers. Elles transportent la laine anglaise, financent les guerres royales, avancent le capital aux artisans florentins.

Leur tâche est compliquée par les pratiques des souverains locaux, qui réduisent chaque année la teneur en or ou en argent de leur monnaie et entretiennent l’inflation. En 1252, leur corporation des changeurs et banquiers, l’Arte del Cambio, crée le florin d’or dans la capitale toscane. Sa solidité en fait la devise de référence, adoptée dans toute l’Europe.

Mais, entre les attaques de pirates, les embuscades de brigands ou l’avidité des potentats locaux, transporter de l’argent reste une affaire périlleuse. Pour l’éviter, on crée la lettre de change : un marchand dépose une somme à Florence auprès d’un banquier contre une lettre qui ordonne à son correspondant de payer la somme à Bruges ou à Londres. Premier instrument de paiement international, c’est l’ancêtre du virement bancaire. Le commerce devient moins risqué et moins cher, ce qui se ressent sur le prix des produits. On invente la comptabilité en partie double, qui révolutionne la gestion, et la commenda, un accord entre deux partenaires, généralement un investisseur et un voyageur, dans le but de réaliser une entreprise commerciale.

Défauts souverains et microcrédit

À la merci d’une mauvaise récolte, écrasés par les taux des petits usuriers, les plus pauvres ne bénéficient pas des nouvelles possibilités bancaires. Pour y remédier, les magistrats de la République de Sienne créent, deux siècles plus tard, en 1472, un Monte di Pietà (mont-de-piété), une institution de prêt sur gage. Bijoux, vaisselle… Les personnes dans le besoin peuvent déposer un objet en gage contre de l’argent, prêté à faible taux. Aujourd’hui, la Banca Monte dei Paschi di Siena est la plus vieille banque en activité.

L’humanité découvre aussi les risques du défaut souverain. Au début du XIVᵉ siècle, la monarchie anglaise veut financer la guerre contre la France, mais son Trésor est vide. Les Peruzzi et les Bardi prêtent des sommes colossales en échange d’un accès privilégié à la laine du royaume, ressource vitale pour l’industrie florentine. En 1340, Édouard III se déclare en défaut de paiement, entraînant la banqueroute des deux familles toscanes et la ruine de milliers d’épargnants. Une crise financière secoue toute la région.

La conquête des Amériques

À la fin du XVe siècle, quand Christophe Colomb appareille, les instruments financiers qui rendent possible le commerce transatlantique sont déjà en place. Les banquiers génois deviennent, avec les Fugger allemands, les financiers principaux de l’Espagne, qui importe des montagnes d’argent de Bolivie et du Mexique… Quand le pays fait à son tour défaut, la finance se tourne vers Amsterdam, où l’on invente la société par actions. Des centaines de petits investisseurs peuvent financer une expédition vers l’Asie ou l’Amérique, en partageant les risques. Londres, Nantes, Bordeaux, Marseille deviennent à leur tour des places financières. Avec l’abolition progressive de la traite, on passe de l’armement des navires négriers à l’investissement dans l’industrie. Le capital accumulé durant trois siècles de commerce entre l’Ancien et le Nouveau Monde alimente la révolution industrielle. Et avec elle, les fondations du monde que nous connaissons aujourd’hui.

Pendant ce temps, de l’autre côté de la Méditerranée…

Au XIIIᵉ siècle, en Anatolie, de petites principautés turques émergent des ruines du sultanat seldjoukide d’Iconium. Parmi elles, celle d’Osman Ier, qui donnera son nom aux Ottomans. En deux siècles, la nouvelle puissance franchit les Dardanelles, s’impose dans les Balkans et prend Constantinople, qu’elle rebaptise Istanbul. Elle atteint son apogée sous Süleyman le Magnifique : Belgrade et la Hongrie tombent, et, d’Oran au Péloponnèse en passant par Jérusalem, la Méditerranée passe sous sa domination. Mais derrière cette force militaire, l’Empire stagne. Tandis que l’Europe se développe, il ne se modernise pas, reste tributaire d’une agriculture archaïque et du transit caravanier.

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1    Sourate 2 (Al-Baqara / La Vache), versets 275 et 279.

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Petite Banane, grand potentiel

1 septembre 2025 à 04:36

Déjà une révolution ?
Si elle n’a pas encore eu son « moment Ghibli », Nano Banana, la nouvelle IA de génération d’image de Google, confirme ce que l’on pressentait : bientôt, l’industrie et les arts graphiques ne seront plus jamais comme avant.

Dans ce domaine, l’IA fait des merveilles depuis longtemps déjà. Mais il lui manquait une chose fondamentale pour s’imposer dans toutes les situations : la cohérence. Créer plusieurs scènes avec exactement le même personnage ou modifier un détail sans altérer le reste était encore complexe, à moins de passer par des outils spécifiques comme l’excellent créateur — français — d’avatars Scenario.

Nano Banana, la nouvelle IA d’image développée par Google, change tout cela. Avec elle, ces barrières tombent : il devient possible d’appliquer un style à un objet sans le dénaturer.

Changer les vêtements d’un personnage sans rien trahir de ses traits ou de son expression devient un jeu d’enfant.

Le maquillage, l’environnement, l’angle de vue, la posture du mannequin… tout peut être ajusté. On imagine, à terme, le bouleversement radical que cela peut entraîner dans le monde du shooting photo et de la production visuelle.

À côté de ces fonctionnalités, l’application de styles (ici Hayao Miyazaki, Frank Miller et Moebius) semble anecdotique.

Le changement de point de vue l’est moins. Imaginez filmer une scène caméra à l’épaule et simuler un drone pour intégrer des plans de coupe…

Ensemble, les deux fonctionnalités donnent des résultats étonnants.

Pour l’aménagement intérieur, Nano Banana permet de proposer instantanément différentes tendances, ou même de tester le mobilier choisi par un client en conditions « réelles ».

L’outil ouvre aussi la voie à la restauration massive des images du passé. Ici, le film des frères Lumière, L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat.

Si certains graphistes ou illustrateurs résistent encore à ces outils, il est difficile d’imaginer qu’ils puissent longtemps conserver cette posture, tant la productivité va s’en trouver décuplée et leur vie facilitée.

Chaque nouvelle avancée démocratise un peu plus la création. Avec Nano Banana et Veo3, le générateur de vidéo de Google, il est déjà possible de réaliser un court-métrage depuis sa chambre, avec des moyens financiers dérisoires. La seule véritable frontière, désormais, n’est plus technique ni économique : c’est celle de notre imagination.

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Les fantômes de la 5e colonne

24 août 2025 à 04:48

« On a signé pour fabriquer des voitures, pas des armes. »
Cette semaine, la CGT et FO ont relayé le refus de certains salariés de Renault d’assembler des drones militaires destinés à l’Ukraine. Une réticence qui ravive de vieux démons : en 1939-40 déjà, le PCF freinait — et parfois sabotait — la production d’armes françaises, au nom de sa fidélité à Moscou.

22 Juin 1940, 5h45. Aux premières lueurs de l’aube, quatre Français, dont trois communistes, sont fusillés sur le champ de tir de Pessac (Gironde). Quelques heures plus tard, après six semaines de guerre éclair, la France signe l’armistice avec l’Allemagne nazie.

Parmi les condamnés, un espion, Jean Amourelle. Secrétaire sténographe au Sénat, « membre important et influent du parti socialiste » proche de Léon Blum, il aurait vendu à l’Allemagne les comptes rendus de la commission de l’armée de la Haute-Assemblée. Quelques mois plus tôt, il tente de lancer un hebdomadaire, La Carmagnole, destiné à propager l’antimilitarisme et à organiser des grèves, au moment même où la France réquisitionne ses usines pour préparer la guerre. Pour le financer, il n’hésite pas à contacter Berlin et reçoit pas moins de 400 000 francs de la part des services secrets nazis. Il est condamné à mort pour « intelligence avec l’ennemi » et pour avoir voulu créer « un journal antifrançais prônant la révolution et le sabotage de la défense nationale ».

À ses côtés, deux frères, Roger et Marcel Rambaud, et un ami, Léon Lebeau. Roger, ajusteur aux usines d’aviation Farman de Boulogne-Billancourt, est reconnu coupable de sabotage : il a sectionné un petit fil de laiton qui sécurise l’arrivée d’essence des moteurs, provoquant l’explosion des appareils en plein vol. Marcel et Léon, militaires, lui ont soufflé ce mode opératoire. Dans les affaires de Roger, on retrouve un tract recopié de sa main :
« Courage on les aura ! Confiance camarade, le parti communiste vivra toujours. Pas de canon, pas d’avion et la guerre finira. Paix immédiate.
Le Parti communiste français »

Tous les quatre essuient la salve des 24 fusils du peloton, avant d’être achevés d’une balle de revolver par un sous-officier.

Quelques jours plus tard, cinq autres détenus accusés d’espionnage doivent subir le même sort. Mais en pleine débâcle française, leur transfert précipité de Bordeaux vers le camp de Gurs, plus au sud, ne se déroule pas comme prévu. Lors d’un arrêt en gare d’Orthez, les cinq condamnés interpellent un groupe de soldats de la Wehrmacht stationné sur le quai. Le bataillon allemand, armes à la main, obtient leur libération immédiate – en 40, les communistes sont encore leurs alliés.

Fidèles au pacte

Un an plus tôt, dans la nuit du 23 au 24 août 1939, le pacte germano-soviétique est signé à Moscou, avec une clause secrète qui définit le partage de l’Europe de l’Est entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Une semaine plus tard, l’armée allemande envahit la Pologne, décidant la France à déclarer la guerre à son belliqueux voisin. C’est le début de la « drôle de guerre », pendant laquelle les Alliés, attentistes, restent sur la défensive derrière la ligne Maginot, le temps de rassembler leurs forces. Le 17 septembre, l’URSS attaque elle aussi, par l’Est, son voisin polonais. Les autorités françaises interdisent quasi immédiatement le Parti communiste français, ses organisations satellites et ses organes de presse, notamment L’Humanité.

Car depuis une quinzaine d’années, le parti et son journal sont à la tête d’un véritable réseau d’espionnage au service de l’Union soviétique. Dès 1927, L’Humanité appelle chaque ouvrier à devenir un informateur, « non pas pour de l’argent, mais pour la révolution ». Les usines d’armement françaises sont les premières ciblées, et les renseignements ainsi collectés alimentent régulièrement Moscou.

Le 27 octobre 1939, l’austère général Héring, gouverneur militaire de Paris, adresse au président du Conseil, Édouard Daladier, un « rapport sur l’activité des milieux défaitistes et, plus particulièrement, communistes » : « le PCF, après avoir réclamé la guerre à tout prix, réclame maintenant la paix immédiate, la cessation des hostilités ». Le pacte a instantanément changé la ligne du parti : ennemis jurés d’hier, les nazis sont devenus tout à fait fréquentables.

Mais ce n’est qu’un début. Peu de temps après, l’état-major fait état d’actes de sabotage par des communistes travaillant dans les manufactures d’armement de la région parisienne.

Saboter pour Staline

Dans les usines, la rhétorique antimilitariste se diffuse rapidement. Fin novembre, un rapport classé « secret » signale que la Société industrielle pour l’aviation (SIPA) subit la propagande communiste « sur une grande échelle, depuis le dernier des manœuvres jusqu’aux chefs d’équipes ». Il dénonce un freinage de la production et du sabotage dans leur usine d’Asnières. Plusieurs pièces du Lioré et Olivier LeO 45, un bombardier parmi les plus modernes de l’armée de l’air française, sont refusées pour malfaçon.

Les trotskystes, dont les organisations ont elles aussi été dissoutes en 1939, appellent au défaitisme révolutionnaire et distribuent des tracts dans les usines, dans les gares et dans les armées.

Au même moment, l’URSS envahit la Finlande. Staline veut sécuriser Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), située à seulement 30 km de la frontière finlandaise et, pour cela, récupérer une partie de la Carélie et quelques îles stratégiques. Il imagine une victoire rapide, mais les Finlandais résistent héroïquement.

Daladier promet des armes pour aider le petit État nordique. Quelques jours plus tard, Jacques Duclos, l’un des dirigeants clandestins du PCF, écrit ces mots terribles à Benoît Frachon, futur secrétaire général de la CGT : « Le moment est venu pour nous d’orienter les ouvriers vers le sabotage des fabrications de guerre destinées à la Finlande et d’attirer leur attention sur l’utilisation antisoviétique du matériel de guerre fabriqué en France ».

Rapidement, deux tracts exhortent les ouvriers à tout mettre en œuvre pour « retarder, empêcher, rendre inutilisables les fabrications de guerre (…) destinées à combattre l’Armée rouge ». Ils veulent « rendre impossible l’envoi d’avions, de canons, de mitrailleuses et de munitions (…) aux ennemis de l’Union soviétique ». Dans les vestiaires des usines, les militants dénoncent une guerre « impérialiste » et placent les tracts directement dans les poches.

En février 1940, Pierre Lambert, future figure de Force ouvrière, est arrêté avec neuf militants trotskystes pour « publication de textes de nature à nuire au moral de l’armée et de la population ». Incarcéré à la prison de la Santé, il s’évade lui aussi en juin 1940 pendant un transfert.

En Finlande, l’URSS subit des pertes humaines colossales, malgré des effectifs trois fois plus nombreux que ceux de leurs adversaires. Mais les Finlandais s’épuisent, les munitions d’artillerie viennent à manquer et l’usure du matériel devient problématique. Ils n’ont d’autre choix que d’accepter la paix, en cédant 9 % de leur territoire. 450 000 Caréliens sont évacués et perdent leur foyer. Mais cette victoire laborieuse fissure l’image de Moscou : un « colosse aux pieds d’argile », qui ne pourra résister à la volte-face allemande sans aide américaine.

Malgré le cessez-le-feu, dans les usines d’armement, la production continue à ralentir partout, à l’unisson de la propagande révolutionnaire. Des détériorations de machines sont régulièrement constatées. Les militants, se félicitant de la « paix de la Russie imposée à la Finlande », encouragent les arrêts de travail, ou, pire, proposent de provoquer « des blessures (…) pour ralentir la production », selon un autre rapport secret de la police d’État de Seine-et-Oise.

À la Société nationale de constructions aéronautiques du Centre, le nombre de pièces défectueuses du Bréguet 696, un avion de chasse-bombardement français, explose.

Le 10 mai, l’Allemagne attaque la France.
La bataille ne durera que six semaines.

Lâchetés et trahisons

Deux jours avant l’armistice, Denise Ginollin, secrétaire fédérale du PCF, est arrêtée avec en poche une lettre infâme, où l’antisémitisme rivalise avec la soumission. Destinée aux Allemands, la « Déclaration du 20 juin » espère leurs bonnes grâces, dans l’espoir de voir L’Humanité publié à nouveau et d’obtenir la libération des militants communistes emprisonnés pour sabotage :
« Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Daladier, Reynaud et juif Mandel. Juif Mandel et Daladier nous ont emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient la défense nationale. Sommes PC français pas eu peur. »

Duclos et Tréand, qui dirigent le PC clandestin, exploitent sans scrupules la judéité du ministre de l’Intérieur Georges Mandel (de son vrai nom Louis Rothschild, sans aucun lien avec la célèbre famille du même nom) pour courtiser l’occupant nazi. Plus tard, leur entrée tardive en résistance ne sera pas, contrairement à l’engagement sincère de nombre de leurs adhérents, un acte patriotique pour la France, mais une lutte dictée par la volte-face des adversaires de Moscou.

Jacques Duclos, l’homme de Moscou

J’approfondis

Les ailes brisées de la défense française

En 1939-40, la production aéronautique française a été bien inférieure aux objectifs, pas seulement à cause des sabotages communistes, mais aussi à cause de graves problèmes d’organisation. Le peu d’entrain des ouvriers, la faiblesse des cadres et la politique incohérente du ministère de l’Air sont souvent pointés du doigt par les historiens.

Le fiasco du Dewoitine D.520, « fleuron » de l’aviation française, capable de tenir tête aux Bf 109 allemands, représente bien cette convergence des failles. Guy La Chambre, ministre de l’Air, refuse que les armes soient montées directement dans les usines, de peur que des ouvriers communistes les utilisent pour fomenter des troubles. Les avions arrivent désarmés dans des ateliers militaires débordés. Sur les 437 appareils livrés avant l’armistice, seule une cinquantaine est vraiment prête à affronter la Luftwaffe.

La libérannexion soviétique

Après la guerre, le PCF tentera de se justifier en accusant les « vrais » coupables : le grand patronat ou « les hommes des trusts ». À la Libération, Jacques Duclos est réélu député de la Seine et Denise Ginollin députée de Seine-et-Oise. Benoît Frachon devient secrétaire général de la CGT. Le trotskyste Pierre Lambert fondera l’Organisation communiste internationaliste, que rejoindra Jean-Luc Mélenchon.

Dès 1945, Staline tente d’imposer l’idée que l’URSS a « sauvé l’humanité du fascisme ». L’URSS impérialiste n’a pourtant pas « libéré les peuples », elle les a enchaînés. 

La paix des dupes

Bien sûr, les réticences actuelles chez la firme au losange sont encore loin des sabotages de 1939. Mais dans une France fracturée, où la défiance envers l’État et les institutions est à son comble, l’histoire donne des raisons de s’inquiéter. D’autant que ressurgit le vieux mythe d’une Russie libératrice de l’Europe face au nazisme. Un récit forgé par le PCF, entretenu chaque 9 mai par Vladimir Poutine, et crédibilisé par Jean-Luc Mélenchon, qui commémore l’armistice à Moscou. Une réécriture de l’histoire qui oublie bien vite les 11 Milliards de dollars d’aide militaire US.

Le leader insoumis, qui promet de « tout conflictualiser », adhère sans scrupule à la fable du Kremlin sur la « provocation de l’OTAN », sinistre écho à l’« impérialisme » supposé de la pauvre Finlande de 1939. Ou à celle des frontières définies sans l’accord des peuples, alors que 92 % des électeurs ukrainiens ont, à la chute de l’empire soviétique, voté en faveur de l’indépendance. « En campagne contre la diabolisation de Vladimir Poutine », il désapprouve la livraison d’armes et rêve d’un cessez-le-feu qui ne serait autre qu’une reddition de Kiev. Il n’est pas le seul, rejoint en cela par certains pseudo-patriotes ou cadres du RN. Certaines postures de paix sont, depuis toujours, un masque bien commode pour dissimuler l’allégeance à l’ennemi. Et la réécriture de l’histoire, une façon bien pratique de justifier l’innommable. Au vu des trahisons passées, on comprend que certains n’aient pas d’autres choix.

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Le royaume du bonheur, sauvé par le Bitcoin ?

8 août 2025 à 04:41

Ralentir. Se méfier du progrès, sanctuariser l’environnement, pour inventer un nouveau modèle, celui de la post-croissance… un petit état l’a fait. Un autre monde est possible ?

« Le Produit national brut ne nous intéresse pas. Ce qui compte, c’est le Bonheur national brut. » Cette phrase célèbre, Jigme Singye Wangchuck, jeune héritier de tout juste 17 ans, la prononce spontanément lors de son accession au trône du Bhoutan, en 1972. Le concept ne sera sacralisé que 33 ans plus tard, avec la création de la Commission du Bonheur national brut. Mais cet état d’esprit anime depuis lors ce petit pays de 765 000 habitants.

Le dernier pays au monde à accepter la télévision

Le bonheur, au Bhoutan, passe par un grand respect des traditions. Au point de nourrir une méfiance sans égale à l’égard du changement, notamment quand il vient d’Occident. La télévision, accusée de nuire au bien-être collectif, n’est autorisée qu’en 1999. Internet, un an plus tard, pour quelques connexions commerciales. Les premiers téléphones mobiles n’arrivent qu’en 2003, sept ans après les premiers forfaits européens.

Le bouddhisme tibétain, religion de cet État himalayen enclavé entre l’Inde et la Chine, nourrit par ailleurs un immense respect pour la nature qui l’entoure. Toute forme de vie a une valeur spirituelle : tuer un être vivant est censé nuire au karma collectif. Il est interdit de chasser et d’abattre des animaux à des fins commerciales. Les Bhoutanais mangent pourtant de la viande, mais celle-ci est importée d’Inde. On privilégie les grands animaux, car en prélevant une seule âme, on nourrit plus de monde avec une vache qu’avec un poulet.

Cette volonté de limiter son impact environnemental se traduit concrètement en 2007, avec la promulgation du Land Act. Les terres agricoles sont limitées à 10 hectares par famille. Les forêts, les parcs nationaux, les terres de monastères et les corridors écologiques sont déclarés intransférables et inaliénables. Plus de la moitié de la surface du pays est aujourd’hui protégée. Et ce n’est pas encore un aboutissement : en 2008, la nouvelle Constitution bhoutanaise déclare que le pays « doit maintenir au minimum 60 % de couverture forestière pour l’éternité ». Le Bhoutan a une empreinte carbone négative : ses centrales hydroélectriques, construites par le voisin indien, lui fournissent une énergie décarbonée abondante, et les quelques émissions du pays sont largement compensées par les millions d’arbres qui couvrent son territoire.

Une unanimité planétaire

À l’heure où la conscience environnementale pousse le capitalisme dans ses retranchements, le Bonheur national brut (BNB) du royaume interpelle. Pour Joseph Stiglitz, « Le Bhoutan a compris quelque chose que les pays riches ont oublié : la croissance n’est pas tout ». Kate Raworth, à l’origine de la théorie du donut, voit dans le BNB une boussole sociale compatible avec les limites planétaires, qui ne dépend pas d’une croissance infinie. Nicolas Sarkozy, alors président français, va jusqu’à lancer la fameuse commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, pour trouver une alternative au PIB. Elle s’inspire bien entendu du Bhoutan. En 2011, sous l’impulsion de l’économiste américain Jeffrey Sachs, l’ONU intègre même le BNB aux discussions internationales.

Entre-temps, le pays matérialise son concept : la Commission du Bonheur national brut identifie neuf domaines qui définissent la qualité de vie, du bien-être psychologique à la vitalité communautaire, en passant par la santé, l’éducation et le temps disponible. Trois enquêtes, en 2010, 2015 et 2022, sont menées auprès de la population. Des milliers de personnes sont interrogées pendant près de trois heures. À chaque fois, le pays semble baigné dans une félicité un peu plus grande que précédemment.

La grande démission

Pourtant, rien ne va plus au Royaume du Bonheur. Les familles désertent peu à peu les campagnes. Le développement y est âprement contrarié : les projets d’industries sont rejetés les uns après les autres. Même la construction de routes est découragée. Impossible, dans ces conditions, d’envisager un autre avenir que celui d’une vie harassante et misérable de cultivateur, sans aucune aide mécanique. Avec 10 hectares par famille, regrouper les exploitations n’est pas une option, et à ce rythme, les 60 % de nature sauvage seront bientôt atteints.

La vie n’est pas plus rose dans la capitale, où il manque plus de 20 000 logements pour faire face à cet exode rural. Les normes, drastiques, freinent la construction. Pierres, boiseries sculptées… Les bâtiments doivent respecter tous les standards de l’architecture traditionnelle, tant pour les matériaux que pour les ornements, être « éco-responsables », et la densité urbaine est limitée par la loi. Devant la pénurie, les loyers explosent, forçant les ménages à y consacrer souvent plus de 40 % de leurs revenus.

En 2023, 12 000 étudiants fuient le pays. Les jeunes sont bien formés, mais n’ont aucun débouché pour exercer leurs talents. « Il est préférable de travailler comme femme de ménage à l’étranger », témoigne Yangchen, une jeune expatriée, au quotidien The Bhutanese. Dans son pays natal, le salaire moyen pour un jeune diplômé ne dépasse pas les 150 €.

En quelques années, près d’un dixième de la population s’expatrie. Une hémorragie d’autant plus préoccupante que les jeunes, désabusés, renoncent à faire des enfants. Le taux de natalité est aussi faible qu’en Allemagne ! Aujourd’hui, il y a presque deux fois plus de trentenaires que de moins de dix ans au Bhoutan.

Même les fonctionnaires, trop mal payés, quittent le navire. En 2023, plus de 5 000 sur 30 000 ont démissionné.

Le salut par les riches et par le bitcoin

Quelques années plus tôt, Ujjwal Deep Dahal a eu une idée novatrice. PDG de la Druk Holding and Investments (DHI), le bras d’investissement du gouvernement royal, il décide d’attirer les mineurs de bitcoin pour utiliser les excédents de production d’électricité de ses barrages hydroélectriques. En quelques années, le Bhoutan devient le troisième plus grand détenteur de la cryptomonnaie. L’an dernier, ses réserves atteignent 1,3 milliard de dollars, près de 40 % de son PIB. Au point que le pays se découvre de nouvelles ambitions, et veuille ajouter 15 GW aux 3,5 existants. Rien n’est trop beau pour le bitcoin, ni l’électricité que l’on refuse à l’industrie, ni la nature dont l’engloutissement ne fait d’un seul coup plus débat. Car c’est une manne inespérée, dans laquelle le gouvernement puise pour augmenter de 50 % les salaires de ses fonctionnaires, du jour au lendemain, et endiguer leur départ.

Autre projet, une ville entière dédiée à l’écotourisme, la Gelephu Mindfulness City, actuellement en construction. Nature, développement durable, spiritualité… Une initiative à l’intention des riches Occidentaux, qui pourront faire une pause bien-être dans leur vie ultra-connectée. Le positionnement haut de gamme est assumé : en imposant à chaque visiteur une taxe de 100 $ par jour, on interdit le tourisme de masse.

Espaces naturels intacts, villes hors du temps… Les décennies de conservatisme ont créé un « pays-musée », concrétisation idéale pour les visiteurs d’un Orient fantasmé, mais financé par tout ce qu’il refuse à sa propre jeunesse.

Jeunesse à qui on espère que le Bhoutan donnera un jour la chance de forger son propre monde. L’immobilisme ne semblant pas conduire à un bonheur intemporel, mais à un inexorable déclin.

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Aucun impact sur la santé : une étude d’envergure confirme l’innocuité des OGM

1 août 2025 à 04:36

C’est l’un des débats les plus inflammables de ces dernières décennies : les OGM sont-ils sûrs ? Ont-ils des effets néfastes à long terme sur la santé ? Il y a treize ans, l’étude Séralini l’affirmait, avant d’être rétractée. Aujourd’hui, une recherche de long terme menée sur deux générations de primates démontre le contraire. Reste à savoir si elle bénéficiera de la même couverture médiatique.

« OGM : l’humanité est en train de se suicider » (Jean-Luc Mélenchon), « La dérégulation des OGM menace la santé des consommateurs » (Marie Toussaint, EELV), « Nous n’avons pas envie de manger des produits OGM » (Marine Le Pen)… Pour de nombreux responsables politiques, et pour une grande partie de l’opinion, la cause semble entendue : consommer des OGM n’est pas sûr.

Pourtant, en trente ans, aucune étude n’a pu démontrer leur nocivité. Mais les plus inquiets réclamaient des preuves plus solides. C’est à cette attente qu’une équipe chinoise tente de répondre, avec une expérimentation d’une ampleur inédite. Pendant plus de sept ans, les chercheurs ont nourri des macaques cynomolgus avec deux variétés de maïs génétiquement modifié : l’une résistante aux insectes, l’autre tolérante aux herbicides. Cet animal, très proche de l’humain, est régulièrement utilisé dans les tests biomédicaux les plus exigeants. La durée de l’expérience, exceptionnelle, dépasse largement celle de toutes les études menées jusque-là.

Le résultat ? Aucun trouble métabolique. Aucun signe d’inflammation. Aucun dérèglement du système immunitaire. Les primates exposés au maïs OGM n’ont présenté aucune différence biologique significative avec le groupe témoin.

L’étude a été financée par plusieurs institutions publiques chinoises, dont l’Académie des sciences médicales et la province du Yunnan. Elle a été publiée dans la revue scientifique Journal of Agricultural and Food Chemistry, publiée par l’American Chemical Society (ACS), une des plus prestigieuses sociétés savantes dans le domaine de la chimie. Contrairement à d’autres travaux controversés, cette recherche ne semble ni orientée par l’industrie, ni portée par une cause militante.

Certes, elle ne porte que sur deux types de maïs transgénique. Mais elle vient ébranler l’idée que les OGM seraient nécessairement nocifs à long terme. Malheureusement, il est probable qu’elle passe inaperçue. Contrairement à l’étude Séralini, qui, a sa sortie, a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Le Nouvel Obs titrait en une, « Oui, les OGM sont des poisons ! », pendant que le documentaire « Tous cobayes ? », exposait des images spectaculaires de rats présentant des tumeurs.

Alors que Bruxelles débat de l’autorisation des NGT, ces nouveaux OGM sans transgénèse, il est regrettable que cette information ne soit plus largement diffusée. Une fois encore, les peurs pourraient être agitées sans que l’on prenne le temps d’écouter ce que dit réellement la science. Pire, elles trouveront, grâce à aux anciens titres alarmistes restés dans l’imaginaire collectif, un terreau fertile sur lequel prospérer.

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