Des solvants pétroliers dans nos huiles de cuisine ?
Sorti hier, le livre du journaliste Guillaume Coudray, De l’essence dans nos assiettes, dénonce une « contamination générale ». Qu’en est-il vraiment ?
C’est l’histoire d’une salade tranquille. Un peu de vinaigre, une pointe de moutarde, une giclée d’huile de tournesol. Et puis, soudain, la politique et les médias s’invitent dans votre assiette. En plus du journaliste, un député surgit et vous annonce que votre vinaigrette contient… des hydrocarbures. Panique ! Vous imaginez déjà un jerrican de sans-plomb 95 planqué dans votre cuisine. La faute à un mot : l’hexane.
Comment fabrique-t-on une huile ?
Reprenons au début. Extraire l’huile d’une graine, ce n’est pas comme presser une orange. On peut bien sûr l’écraser mécaniquement, mais ça laisse pas mal de gras coincé dedans. Entre 20 et 40 % selon les procédés et les types de produits. Ce qui n’est pas négligeable. Alors, depuis des décennies, l’industrie utilise un solvant, l’hexane, pour « laver » les graines et en récupérer quasiment toute l’huile. Car celle-ci est contenue dans des cellules végétales rigides, ce qui rend son extraction mécanique (par pression) moins efficace que pour des fruits à pulpe aqueuse. Notre hexane est d’ailleurs également présent dans d’autres aliments oléagineux, comme la margarine. Bref.
Une fois le travail effectué, on chauffe, on distille, on évapore.
Résultat : le solvant s’en va, l’huile reste. Dans le jargon, on appelle ça un auxiliaire technologique, à savoir un produit utilisé pendant la fabrication, mais qui n’est pas censé se retrouver dans l’aliment fini. Et si jamais il en reste une trace, c’est en quantité infinitésimale — de l’ordre du milligramme par kilo d’huile, autrement dit l’équivalent d’un grain de sable dans un seau entier.
Et le législateur veille. En Europe, une huile ne doit pas contenir plus d’1 mg d’hexane par kilo. Autrement dit, un litre d’huile — soit près d’un kilo — contient moins d’un milligramme de résidu possible. Pas plus. Mais cela ne suffit pas pour le député MoDem Richard Ramos, habitué de ce genre de combats, tout comme Guillaume Coudray, aperçu dans l’émission Cash Investigation et les colonnes de… Reporterre, médias alarmistes et sensationnalistes. Au printemps dernier, il a déposé une proposition de loi pour faire interdire le suspect, également dans le viseur d’une commission parlementaire. La raison, comme le rappelait Le Point en avril dernier, est que « ces seuils, établis en 1996, sont considérés comme insuffisants par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui alertait, dans une note publiée en septembre 2024, sur la nécessité de réévaluer le produit et ses autorisations. En cause, l’usage par les industriels d’un ‘’hexane technique’’, qui, par opposition à l’hexane pur utilisé en laboratoire, pourrait contenir d’autres produits dangereux. »
Le chiffre qui calme
Entrons dans le vif du sujet : la toxicologie. Les scientifiques s’appuient sur une mesure clé, le NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), soit la dose à laquelle aucun effet nocif n’est observé. Pour l’hexane, ce seuil est aujourd’hui estimé à environ 23 mg par kilo de poids corporel par jour, avant son éventuelle réévaluation.
Faisons le calcul ensemble :
- Pour une personne de 70 kg, ça fait 1 610 mg par jour.
- Dans une huile conforme à la loi, il y a ≤ 1 mg par litre.
- Conclusion : pour atteindre le seuil toxique, il faudrait boire plus de 1 600 litres d’huile par jour.
Ce qui nécessiterait une très sérieuse réévaluation du NOAEL pour que la toxicité de votre salade soit établie. Rappelons qu’ingérer plus de 8 litres d’eau pure par jour peut vous conduire rapidement à une sérieuse insuffisance rénale, sans que personne n’envisage l’interdiction de cette source essentielle de vie.
Néanmoins, arrêtons-nous un instant. Cette comparaison, bien que frappante, simplifie la réalité. La toxicologie ne se résume pas à un seuil unique. Par exemple, les effets de l’hexane à long terme, même à très faible dose, sont encore étudiés, notamment pour des expositions répétées via l’alimentation. L’EFSA n’a pas classé l’hexane comme un danger immédiat dans les huiles alimentaires, mais elle recommande une surveillance continue et des données supplémentaires pour mieux évaluer les risques. C’est une démarche scientifique classique : on ne conclut pas sans preuves solides, mais on reste vigilant.
La peur plutôt que les faits
Pourtant, agiter le spectre d’une présence morbide « d’hydrocarbures » dans votre cuisine est davantage le reflet de l’époque que d’un danger certain. Cette idée peut sembler séduisante pour alerter le public, mais elle risque de semer la confusion.
Imaginez un instant : faudrait-il indiquer que les moules ont été nettoyées avec un détergent ? Ou préciser que l’eau du robinet contient des traces de chlore utilisé pour la purifier ?
La présence d’un auxiliaire technologique comme l’hexane ne signifie pas forcément que le produit final est dangereux. Mais il y a un gros bémol : les travailleurs des usines de production d’huile, eux, peuvent être exposés à des vapeurs d’hexane en quantités bien plus significatives. Or, cette exposition prolongée par inhalation peut entraîner des effets neurologiques, comme des maux de tête ou, dans des cas extrêmes, des troubles nerveux. C’est pourquoi les normes de sécurité au travail sont cruciales, et les syndicats comme les ONG soulignent régulièrement l’importance de protéger ces ouvriers. Ce débat-là, moins médiatisé, mérite pourtant autant d’attention que celui sur les étiquettes des bouteilles d’huile.
Le vrai débat
L’hexane n’est pas une fatalité. Il existe des alternatives, comme l’éthanol, le CO₂ supercritique ou des solvants biosourcés comme le 2-méthyloxolane, fabriqué à partir de résidus agricoles. Ces options sont prometteuses, mais elles ne sont pas une baguette magique. Elles impliquent des coûts plus élevés, une consommation énergétique parfois importante et des adaptations complexes des chaînes de production. Par exemple, le CO₂ supercritique nécessite des équipements sous haute pression, ce qui représente un investissement lourd pour les industriels. De plus, ces alternatives doivent être évaluées sur leur cycle de vie. Sont-elles vraiment plus écologiques si elles consomment plus d’énergie ou génèrent d’autres déchets ?
Le défi est donc double : encourager l’innovation vers des procédés plus durables tout en maintenant des prix accessibles pour les consommateurs. Car n’oublions pas un détail : l’huile alimentaire, qu’elle soit de tournesol, de colza ou de soja (l’huile d’olive n’est pas concernée), reste un produit de première nécessité. Une hausse des coûts pourrait peser sur les ménages modestes et fragiliser la souveraineté alimentaire, surtout dans un contexte où les filières agricoles sont déjà sous pression. Ajoutons à cela que l’hexane, malgré son image peu flatteuse, permet de maximiser l’extraction d’huile, réduisant ainsi le gaspillage de ressources. Toute transition devra donc être mûrement réfléchie.
En conclusion
Donc non, votre vinaigrette n’est pas un cocktail toxique explosif ! Mais cela ne signifie pas qu’il faut s’endormir sur ses lauriers. La science évolue, les attentes sociétales aussi. Les consommateurs veulent des produits perçus comme plus « naturels » — même si cela n’a pas toujours de sens — et des industries plus transparentes. Malheureusement, les médias contribuent de plus en plus à brouiller les pistes en amplifiant les craintes, comme nous l’analysons à longueur de temps dans ces colonnes. Alertes sans fondement, chiffres plus symboliques que réels (tels les 211 milliards aux entreprises que nous avons traités hier), idées véhiculées sans analyse de leurs conséquences (comme la taxe Zucman)… les exemples sont légion de dramatisations lucratives mais dangereuses. Un titre accrocheur sur les « hydrocarbures dans votre huile » fait plus cliquer qu’une explication nuancée sur les seuils toxicologiques. Cette fabrique de la peur, souvent alimentée par des raccourcis ou des mots anxiogènes, détourne l’attention des vrais enjeux. Plutôt que de céder à la panique ou de diaboliser une molécule, le vrai défi est de soutenir la recherche et l’innovation pour des procédés plus durables, tout en protégeant les travailleurs exposés.
Alors, la prochaine fois que vous arrosez votre salade d’un filet d’huile de tournesol, pensez-y : ce n’est pas un jerrican d’essence que vous versez dessus, mais le fruit d’un équilibre complexe entre science, industrie et réglementation à un instant T. En espérant que le prochain soit source de progrès.
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