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Emploi : la nouvelle jeunesse des séniors !

8 octobre 2025 à 19:41

Des boomers de plus en plus geeks, qui dament le pion aux jeunes sur le marché du travail ? Nous n’en sommes pas encore là. Mais un réel progrès en faveur de l’emploi des seniors dans le tertiaire se confirme, notamment grâce à l’entrée dans cette catégorie des premières générations ayant frayé avec les ordinateurs.

Faire du neuf avec du vieux

Imaginez une génération qui a grandi en découvrant, incrédule, les prémices de l’informatique personnelle. Des quinquas qui, enfants, bavaient devant les publicités pour la première console de jeux offrant la possibilité de se démener, manette en main, face au préhistorique « Pong » ; puis, adolescents, ont vu les cafés commencer à se débarrasser de leurs flippers au profit de jeux d’arcade comme Space Invaders, Asteroids, puis Pac-Man et Tetris. La même qui a appris le CD-ROM, puis les délices de ces ordinateurs dépourvus d’O.S., dont il fallait programmer chaque pixel d’action en Basic, puis en Pascal, tel le Sinclair ZX 81. Et ce avant l’arrivée du fameux Atari 520 ST et du premier Mac, avec leur processeur Motorola cadencé à 7,8 MHz et leur RAM figée à… 128 Ko, pour le second.

Deux révolutions qui ont forgé l’avenir de ces ancêtres du travail face aux écrans, alimenté par la navigation sur les logiciels des années 1980 et 1990, et qui, aujourd’hui, apporte une touche d’expérience unique dans un monde boosté par l’intelligence artificielle. En France comme en Europe, les seniors (55-64 ans) redessinent le paysage du travail, particulièrement dans le secteur tertiaire. Leur maîtrise pionnière des outils numériques et leur savoir-être affûté par des décennies d’expérience en font des acteurs précieux pour les entreprises. Bien plus qu’un simple atout, ils incarnent un pont entre tradition et innovation, contribuant à une économie plus équilibrée face au vieillissement démographique.

En France : une vitalité record et un élan numérique

Même si notre pays reste à la traîne par rapport à nos voisins, l’emploi des seniors atteint des sommets historiques : 60,4 % des 55-64 ans étaient actifs en 2024. Un bond de 2 points en un an et de plus de 12,4 points en dix ans ! Le secteur tertiaire, qui regroupe 70 % de ces travailleurs, est leur terrain de prédilection.

Pourquoi un tel engouement ? Cette génération, née entre 1965 et 1975, s’adapte avec aisance aux technologies modernes, y compris l’IA. Comme le souligne France Travail, « L’expertise de ces salariés, dépositaires des savoirs de l’entreprise, se caractérise par une certaine vision stratégique et une capacité de prise de recul forgées au fil des années. »

Mais ce n’est pas tout. Les réformes des retraites et les incitations fiscales encouragent cette dynamique, tout comme le désir des seniors de transmettre leur expertise. Dans les métiers du conseil, de la formation ou des services numériques, 80 % d’entre eux se disent motivés à partager leur savoir. Et ça fonctionne dans les deux sens : les jeunes forment leurs aînés aux dernières innovations technologiques, tandis que les seconds leur offrent fiabilité et sens de la collaboration. Résultat : 63 % des actifs estiment que ce mélange générationnel booste l’innovation tout en renforçant la cohésion des équipes. Un véritable cercle vertueux.

Europe : aussi des promesses

À l’échelle européenne, les seniors ne sont pas en reste. Avec un taux d’emploi dépassant les 75 % (pour les 55-64 ans), des pays comme la Suède et l’Allemagne sont en tête de peloton. Sans doute l’une des raisons ayant conduit la ministre de l’Économie d’outre-Rhin, Katherina Reiche, à envisager de repousser l’âge de départ à la retraite de ses concitoyens à 70 ans, même si ce sont essentiellement des préoccupations budgétaires qui dictent cette volonté.

Là encore, l’exposition précoce à l’informatique joue un rôle clé. Depuis 2010, le nombre de seniors actifs en Europe est passé de 23,8 millions à près de 40 millions en 2023. Dans des pays comme les Pays-Bas, des programmes de mentorat inversé permettent même aux concernés n’ayant pas immédiatement pris le virage du numérique de partager leur expérience tout en se formant aux outils modernes, compensant ainsi les limites de l’IA par leur intuition et leur recul. Car prompter est essentiellement un art du questionnement, dont l’âge est souvent la clé de la maîtrise.

Une idée confirmée par une large étude publiée par le FMI en avril dernier, qui stipule : « Cela suggère que, pour un niveau d’éducation donné, les travailleurs plus âgés peuvent bénéficier davantage de l’adoption de l’IA que les cohortes plus jeunes, car les premiers sont relativement plus concentrés dans les occupations à forte exposition et forte complémentarité. »

C’était… moins bien avant

Contrairement aux salariés nés entre 1940 et 1950, dont le taux d’emploi jusqu’aux années 2010 stagnait entre 40 % et 45 % en raison d’une exposition limitée à l’informatique et de politiques de préretraites massives, la cohorte actuelle gagne de 15 à 20 points.

Cette génération antérieure, souvent perçue comme réfractaire au numérique, subissait une exclusion structurelle, avec peu d’accès aux outils bureautiques émergents. Une analyse confirmée par David Autor et David Dorn, en 2009, dans l’American Economic Review, montrant que les études pointaient cette révolution comme un obstacle soudain à l’adaptation technologique des plus de 55 ans : un âge se présentant, en France, comme une barrière quasi infranchissable dans la quête d’un nouvel emploi après la perte du précédent.

Aujourd’hui, l’entrée précoce sur le marché durant le boom du PC permet une adaptation plus fluide, transformant les seniors en atouts pour l’IA, où leur vision humaine complète l’automatisation. Surtout, comme le précise aussi l’étude du FMI déjà citée : « Plusieurs caractéristiques des emplois à forte exposition à l’IA correspondent aux préférences des travailleurs plus âgés. Au cours des trois dernières décennies, il y a eu une augmentation générale des emplois adaptés à ces personnes, caractérisés par une activité physique moins exigeante, des niveaux de danger au travail plus faibles et un rythme d’activité modéré […] Ces caractéristiques sont attrayantes pour les travailleurs visés et s’alignent avec les gains positifs de leurs capacités cognitives dans le cadre d’un vieillissement en meilleure santé […], d’autant plus que ces emplois exposés à l’IA offrent généralement des revenus plus élevés. »

Ce shift générationnel réduit les discriminations et valorise l’expérience, avec 90 % des seniors engagés dans le transfert de compétences.

Mais tout n’est pas encore rose. Assez logiquement, seul le secteur tertiaire est touché par cette grâce en faveur des grands aînés. Selon la DARES, dans l’agriculture et le secondaire (industrie, construction), la situation de l’emploi des seniors reste très dégradée en France, avec une stagnation ou une baisse relative des effectifs depuis les années 2010. Une tendance observée dans la plupart des pays de l’OCDE. Les travailleurs âgés y sont sous-représentés en raison de la pénibilité physique accrue et des exigences en mobilité, limitant les embauches à moins de 10 % des postes. Cette disparité persiste en 2024-2025 et s’accompagne, dans tous les secteurs, de la subsistance de freins culturels à l’emploi, malgré l’embellie décrite dans cet article. France Travail note d’ailleurs : « Encore trop peu d’entreprises déploient une culture senior friendly. »

Et demain ?

D’ici 2030, l’emploi des seniors dans le tertiaire pourrait atteindre 75 % en France et 80 % en Europe, porté par l’IA et des formations adaptées. Dans des secteurs comme la cybersécurité ou le conseil digital, leur expérience historique devient un atout pour anticiper les disruptions. Les initiatives gouvernementales, comme la valorisation des salariés expérimentés lancée en 2025, promettent de réduire le chômage senior à moins de 5 %, tout en boostant le PIB de 2 à 3 % grâce à une productivité intergénérationnelle.

À voir, tout de même…
Il n’en demeure pas moins que cette génération, pionnière du numérique, ouvre la voie à une économie où l’expérience et l’innovation se nourrissent mutuellement. En créant des espaces de collaboration, comme des comités mixtes, les entreprises peuvent tirer le meilleur de chaque époque.

Les seniors ne sont pas seulement dans le coup. Ils sont au cœur de la transformation, prêts à façonner un avenir où chacun peut trouver sa place sur le marché de l’emploi.*

(Ce qui arrange votre rédacteur en chef, né en 1968, et ayant l’éternelle nostalgie de ses parties de Pong…)

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La tentation du chaos

7 octobre 2025 à 05:02

Tous irresponsables ? Alors que les tensions internationales s’intensifient, que les finances publiques vacillent et que l’économie s’enlise, les politiques rivalisent d’inconséquence et de postures populistes. Au point que les Français s’habituent au chaos — le plus sûr moyen de ne pas voir venir la chute.

Même si le cirque semble reprendre de manière désespérée jusqu’à mercredi, après le retrait de Bruno Le Maire du casting, l’immédiate chute du gouvernement Lecornu s’imposait comme une évidence. Bien que cette rapidité laisse songeur et témoigne de l’aspect rédhibitoire de la simple idée que l’attelage ait pu exister. Surtout après les deux tentatives improductives de dribbler l’absence de possible, figurées par les passages de Michel Barnier et François Bayrou par la case Matignon. Le fruit d’une majorité parlementaire de plus en plus introuvable, minée par les incohérences internes du bloc central, qui peinent à masquer les divergences idéologiques et stratégiques entre macronistes purs et alliés de droite. Les oppositions, de leur côté, ont systématiquement refusé tout compromis, érigeant des lignes rouges sur des réformes clés comme les retraites, les allocations chômage, la taxe Zucman, ou le gel des prix de l’énergie. Des exigences délibérément impossibles à satisfaire, produites pour forcer un retour aux urnes, soit par une dissolution anticipée, soit par la démission d’Emmanuel Macron lui-même. Cette stratégie de blocage, calculée pour exploiter le vide institutionnel, n’a laissé aucune marge de manœuvre, transformant l’exercice de nomination en un échec prévisible et inévitable. Nous verrons mercredi ce qu’il en sera définitivement, mais, vraisemblablement, la messe est dite et de toute façon, sans Lecornu..

Gabriel Attal l’a bien résumé en qualifiant la séquence « de spectacle affligeant », un jugement partagé par une large part des Français qui assistent, impuissants, à une déliquescence politique accélérée. Un sentiment immédiatement confirmé par un sondage Elabe pour BFM TV, 86% de nos concitoyens estimant avoir assisté à « un spectacle navrant donné par la classe politique qui n’est pas à la hauteur de la situation ». Au-delà du fiasco immédiat, cette crise aggrave la dégradation de l’image de la France sur la scène internationale, où nos partenaires, de Bruxelles à Washington, observent avec inquiétude – ou ironie gourmande – un pays autrefois pilier de l’Europe, désormais enlisé dans l’instabilité. Si cela était encore possible, elle accentue encore la défiance des citoyens envers la politique, perçue comme un théâtre d’egos et de postures, éloignant un peu plus les électeurs des urnes et favorisant l’abstention ou les votes protestataires. Plus grave encore, elle accélère l’ascension des forces populistes, en progression partout sur le continent. Comme nous l’avons encore constaté en Tchéquie ces derniers jours – mais aussi en Géorgie -, après les législatives ayant vu le parti ANO d’Andrej Babiš, populiste et eurosceptique, remporter la victoire avec 35 % des voix et 80 sièges sur 200, reléguant les coalitions pro-européennes au second plan et promettant une réduction de l’aide à l’Ukraine tout en défiant les institutions de l’UE.

France : le corps nu

En France, une dissolution ou la démission du président ne feraient que perpétuer ce cycle, alors que nulle autre solution n’existe pourtant. Le pays est piégé, soit promis au Rassemblement national, par la voie des urnes, soit au chaos souhaité par l’extrême gauche, par celle de la rue. À moins que ne se réalise la fameuse « union des droites », un euphémisme validant la dernière étape de l’effacement des digues déjà branlantes entre la droite républicaine et son versant extrême. Une situation exacerbée par les jeux d’apprentis sorciers inconséquents d’un Emmanuel Macron aperçu seul sur les quais de Paris à la suite de la défection de Sébastien Lecornu.

Cette instabilité interne profite directement aux puissances étrangères qui misent sur la fragilisation de la France et de l’Europe. Les États-Unis, sous une administration de plus en plus isolationniste, nous regardent avec un mépris conquérant, voyant dans notre chaos une opportunité de rééquilibrer les alliances atlantiques à leur avantage exclusif, en imposant des termes plus favorables dans les négociations commerciales ou sécuritaires. Mais c’est surtout la Russie qui tire les marrons du feu. Notre inconséquence politique lui mâche le travail de sa guerre hybride à notre encontre. Depuis janvier 2025, Moscou orchestre une offensive informationnelle massive contre la France, avec des campagnes de désinformation sophistiquées, comme l’a révélé un rapport de Viginum couvrant les six premiers mois de l’année. Ces opérations inondent les réseaux sociaux de faux contenus pour semer la division, discréditer notre soutien à l’Ukraine, et amplifier les narratifs internes de crise pour éroder la cohésion nationale. En fragilisant nous-mêmes Paris, nous offrons à Moscou un levier inespéré en faveur de ses ambitions.

Au cœur de ce grotesque indigne, où seul Sébastien Lecornu a fait preuve de dignité en remettant sa démission sans effusions théâtrales, les conséquences sociales et économiques pèsent comme une menace existentielle. Cette crise de régime s’ancre profondément dans l’incapacité persistante à adopter un budget pour 2025, forçant l’État à opérer sous une loi spéciale prorogeant les crédits de 2024, un palliatif qui paralyse toute action ambitieuse. Les retombées sont immédiates et multiformes : gel des investissements publics dans les infrastructures vitales, comme les réseaux de transport ou les équipements numériques, qui retarde la modernisation du pays ; report des aides sociales aux ménages vulnérables ; blocage des réformes en matière de formation professionnelle, laissant des milliers de travailleurs sans outils pour s’adapter aux mutations du marché du travail ; et une précarité accrue pour les services publics essentiels qui mine la cohésion sociale et alimente un sentiment d’abandon chez les citoyens les plus fragiles.

Les marchés financiers, impitoyables sentinelles de la stabilité, réagissent avec une défiance accrue, entraînant une hausse dramatique des taux d’intérêt sur la dette souveraine. L’OAT à 30 ans culmine à 4,523 % en septembre 2025, son plus haut depuis juin 2009, tandis que les taux à 8 ans ne cessent de grimper voisinant les 4 % en septembre, reflétant une prime de risque qui alourdit la charge annuelle de plusieurs milliards d’euros. Avec une dette publique dépassant les 115,6 % du PIB en septembre – soit 3 416 milliards d’euros –, ce seuil critique expose le pays à des dynamiques spéculatives potentiellement incontrôlables, où chaque point de hausse des taux ajoute des milliards à la facture. Cette vulnérabilité est amplifiée par les dégradations de la note souveraine. Fitch l’a abaissée à A+ le 12 septembre, soulignant notre fragilité budgétaire comme politique, et Moody’s pourrait lui emboîter le pas le 24 octobre, augmentant encore les coûts d’emprunt. Et cela tombe au pire moment, avec de prochaines échéances majeures de remboursement estimées à environ 50 milliards d’euros en obligations arrivant à maturité, à refinancer dans un climat de tension accrue qui pourrait précipiter une spirale vicieuse.

Le secteur privé subit aussi de plein fouet ces turbulences. Les faillites d’entreprises s’enchaînent en cascade, avec plus de 67 000 défaillances sur un an au deuxième trimestre 2025, en hausse de 3,5 % par rapport à 2024 et un pic de 10,6 % pour les PME dans les secteurs du commerce et des services, où la contraction de la demande et les coûts accrus d’emprunt étouffent les marges. L’investissement privé se contracte violemment, alors qu’il est indispensable pour financer la transition vers l’intelligence artificielle et défendre l’innovation, domaines où la France et l’Europe, certes de plus en plus réactifs, accusent encore un retard flagrant face aux géants américains et chinois – avec seulement 109 milliards d’euros mobilisés en février pour tenter de combler le fossé. Cette contraction menace directement l’emploi, avec des centaines de milliers de postes en péril dans les secteurs high-tech, de l’industrie et des services, freinant les embauches et aggravant le chômage au moment où la formation et la reconversion deviennent cruciales.

À l’instant où le monde impose une transformation structurelle profonde – numérisation accélérée des économies, recomposition des chaînes de valeur mondiales face aux tensions géopolitiques, adaptation au changement climatique, renforcement des souverainetés stratégiques en énergie, technologies et défense –, la France choisit le blocage et l’immobilisme politique. C’est une irresponsabilité absolue, qui non seulement hypothèque son avenir immédiat en l’exposant à des chocs financiers et sociaux, mais vole aussi aux générations futures leur droit à une nation compétitive, résiliente et prospère. En persistant dans cette voie, nous risquons, non pas une simple crise passagère, mais un déclin durable. Sans un sursaut collectif pour dépasser les clivages et prioriser l’intérêt national, le désastre ne sera plus une menace, mais une réalité. Et dans ce contexte, le pire danger serait de s’habituer au chaos, de banaliser le désordre pour en faire un contexte de vie ouvrant la porte à tous les déshonneurs, à toutes les solutions inhumaines considérées comme seules issues et regardées avec une froide indifférence… L’histoire a déjà été témoin de ces moments. Avant de pousser l’humanité à s’en excuser tardivement. Toujours trop tardivement…

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Le mythe de l’huile aux hydrocarbures

19 septembre 2025 à 04:09

Des solvants pétroliers dans nos huiles de cuisine ?
Sorti hier, le livre du journaliste Guillaume Coudray, De l’essence dans nos assiettes, dénonce une « contamination générale ». Qu’en est-il vraiment ?

C’est l’histoire d’une salade tranquille. Un peu de vinaigre, une pointe de moutarde, une giclée d’huile de tournesol. Et puis, soudain, la politique et les médias s’invitent dans votre assiette. En plus du journaliste, un député surgit et vous annonce que votre vinaigrette contient… des hydrocarbures. Panique ! Vous imaginez déjà un jerrican de sans-plomb 95 planqué dans votre cuisine. La faute à un mot : l’hexane.

Comment fabrique-t-on une huile ?

Reprenons au début. Extraire l’huile d’une graine, ce n’est pas comme presser une orange. On peut bien sûr l’écraser mécaniquement, mais ça laisse pas mal de gras coincé dedans. Entre 20 et 40 % selon les procédés et les types de produits. Ce qui n’est pas négligeable. Alors, depuis des décennies, l’industrie utilise un solvant, l’hexane, pour « laver » les graines et en récupérer quasiment toute l’huile. Car celle-ci est contenue dans des cellules végétales rigides, ce qui rend son extraction mécanique (par pression) moins efficace que pour des fruits à pulpe aqueuse. Notre hexane est d’ailleurs également présent dans d’autres aliments oléagineux, comme la margarine. Bref.

Une fois le travail effectué, on chauffe, on distille, on évapore.
Résultat : le solvant s’en va, l’huile reste. Dans le jargon, on appelle ça un auxiliaire technologique, à savoir un produit utilisé pendant la fabrication, mais qui n’est pas censé se retrouver dans l’aliment fini. Et si jamais il en reste une trace, c’est en quantité infinitésimale — de l’ordre du milligramme par kilo d’huile, autrement dit l’équivalent d’un grain de sable dans un seau entier.

Et le législateur veille. En Europe, une huile ne doit pas contenir plus d’1 mg d’hexane par kilo. Autrement dit, un litre d’huile — soit près d’un kilo — contient moins d’un milligramme de résidu possible. Pas plus. Mais cela ne suffit pas pour le député MoDem Richard Ramos, habitué de ce genre de combats, tout comme Guillaume Coudray, aperçu dans l’émission Cash Investigation et les colonnes de… Reporterre, médias alarmistes et sensationnalistes. Au printemps dernier, il a déposé une proposition de loi pour faire interdire le suspect, également dans le viseur d’une commission parlementaire. La raison, comme le rappelait Le Point en avril dernier, est que « ces seuils, établis en 1996, sont considérés comme insuffisants par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui alertait, dans une note publiée en septembre 2024, sur la nécessité de réévaluer le produit et ses autorisations. En cause, l’usage par les industriels d’un ‘’hexane technique’’, qui, par opposition à l’hexane pur utilisé en laboratoire, pourrait contenir d’autres produits dangereux. »

Le chiffre qui calme

Entrons dans le vif du sujet : la toxicologie. Les scientifiques s’appuient sur une mesure clé, le NOAEL (No Observed Adverse Effect Level), soit la dose à laquelle aucun effet nocif n’est observé. Pour l’hexane, ce seuil est aujourd’hui estimé à environ 23 mg par kilo de poids corporel par jour, avant son éventuelle réévaluation.

Faisons le calcul ensemble :

  • Pour une personne de 70 kg, ça fait 1 610 mg par jour.
  • Dans une huile conforme à la loi, il y a ≤ 1 mg par litre.
  • Conclusion : pour atteindre le seuil toxique, il faudrait boire plus de 1 600 litres d’huile par jour.

Ce qui nécessiterait une très sérieuse réévaluation du NOAEL pour que la toxicité de votre salade soit établie. Rappelons qu’ingérer plus de 8 litres d’eau pure par jour peut vous conduire rapidement à une sérieuse insuffisance rénale, sans que personne n’envisage l’interdiction de cette source essentielle de vie.

Néanmoins, arrêtons-nous un instant. Cette comparaison, bien que frappante, simplifie la réalité. La toxicologie ne se résume pas à un seuil unique. Par exemple, les effets de l’hexane à long terme, même à très faible dose, sont encore étudiés, notamment pour des expositions répétées via l’alimentation. L’EFSA n’a pas classé l’hexane comme un danger immédiat dans les huiles alimentaires, mais elle recommande une surveillance continue et des données supplémentaires pour mieux évaluer les risques. C’est une démarche scientifique classique : on ne conclut pas sans preuves solides, mais on reste vigilant.

La peur plutôt que les faits

Pourtant, agiter le spectre d’une présence morbide « d’hydrocarbures » dans votre cuisine est davantage le reflet de l’époque que d’un danger certain. Cette idée peut sembler séduisante pour alerter le public, mais elle risque de semer la confusion.

Imaginez un instant : faudrait-il indiquer que les moules ont été nettoyées avec un détergent ? Ou préciser que l’eau du robinet contient des traces de chlore utilisé pour la purifier ?

La présence d’un auxiliaire technologique comme l’hexane ne signifie pas forcément que le produit final est dangereux. Mais il y a un gros bémol : les travailleurs des usines de production d’huile, eux, peuvent être exposés à des vapeurs d’hexane en quantités bien plus significatives. Or, cette exposition prolongée par inhalation peut entraîner des effets neurologiques, comme des maux de tête ou, dans des cas extrêmes, des troubles nerveux. C’est pourquoi les normes de sécurité au travail sont cruciales, et les syndicats comme les ONG soulignent régulièrement l’importance de protéger ces ouvriers. Ce débat-là, moins médiatisé, mérite pourtant autant d’attention que celui sur les étiquettes des bouteilles d’huile.

Le vrai débat

L’hexane n’est pas une fatalité. Il existe des alternatives, comme l’éthanol, le CO₂ supercritique ou des solvants biosourcés comme le 2-méthyloxolane, fabriqué à partir de résidus agricoles. Ces options sont prometteuses, mais elles ne sont pas une baguette magique. Elles impliquent des coûts plus élevés, une consommation énergétique parfois importante et des adaptations complexes des chaînes de production. Par exemple, le CO₂ supercritique nécessite des équipements sous haute pression, ce qui représente un investissement lourd pour les industriels. De plus, ces alternatives doivent être évaluées sur leur cycle de vie. Sont-elles vraiment plus écologiques si elles consomment plus d’énergie ou génèrent d’autres déchets ?

Le défi est donc double : encourager l’innovation vers des procédés plus durables tout en maintenant des prix accessibles pour les consommateurs. Car n’oublions pas un détail : l’huile alimentaire, qu’elle soit de tournesol, de colza ou de soja (l’huile d’olive n’est pas concernée), reste un produit de première nécessité. Une hausse des coûts pourrait peser sur les ménages modestes et fragiliser la souveraineté alimentaire, surtout dans un contexte où les filières agricoles sont déjà sous pression. Ajoutons à cela que l’hexane, malgré son image peu flatteuse, permet de maximiser l’extraction d’huile, réduisant ainsi le gaspillage de ressources. Toute transition devra donc être mûrement réfléchie.

En conclusion

Donc non, votre vinaigrette n’est pas un cocktail toxique explosif ! Mais cela ne signifie pas qu’il faut s’endormir sur ses lauriers. La science évolue, les attentes sociétales aussi. Les consommateurs veulent des produits perçus comme plus « naturels » — même si cela n’a pas toujours de sens — et des industries plus transparentes. Malheureusement, les médias contribuent de plus en plus à brouiller les pistes en amplifiant les craintes, comme nous l’analysons à longueur de temps dans ces colonnes. Alertes sans fondement, chiffres plus symboliques que réels (tels les 211 milliards aux entreprises que nous avons traités hier), idées véhiculées sans analyse de leurs conséquences (comme la taxe Zucman)… les exemples sont légion de dramatisations lucratives mais dangereuses. Un titre accrocheur sur les « hydrocarbures dans votre huile » fait plus cliquer qu’une explication nuancée sur les seuils toxicologiques. Cette fabrique de la peur, souvent alimentée par des raccourcis ou des mots anxiogènes, détourne l’attention des vrais enjeux. Plutôt que de céder à la panique ou de diaboliser une molécule, le vrai défi est de soutenir la recherche et l’innovation pour des procédés plus durables, tout en protégeant les travailleurs exposés.

Alors, la prochaine fois que vous arrosez votre salade d’un filet d’huile de tournesol, pensez-y : ce n’est pas un jerrican d’essence que vous versez dessus, mais le fruit d’un équilibre complexe entre science, industrie et réglementation à un instant T. En espérant que le prochain soit source de progrès.

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Jupiter : un superordinateur pour le climat !

16 septembre 2025 à 04:38

L’Europe lance son premier supercalculateur, l’un des quatre plus puissants au monde, conçu pour créer des « jumeaux numériques » de la Terre.

Jupiter n’est pas qu’une planète. C’est aussi le premier ordinateur géant européen, inauguré vendredi 5 septembre sur le campus du centre de recherche de Jülich, en Allemagne, près de Cologne (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Tout simplement l’un des quatre plus puissants supercalculateurs au monde (sans surprise, les trois autres sont américains). Une « machine » d’une taille démentielle, occupant 3 600 m². Conçu par le groupe français Atos et financé à hauteur de 500 millions d’euros par l’Allemagne et l’Europe, il peut effectuer un quintillion de calculs à la seconde — soit un milliard de milliards — grâce à ses 24 000 puces fournies par Nvidia, dont le quasi-monopole lui permet d’être dans tous les bons coups. Destiné notamment à repositionner notre continent dans l’entraînement des modèles de langage IA (LLM), comme Gemini ou ChatGPT, il offre surtout d’immenses promesses dans la recherche sur le climat.

Son objectif phare est la création de répliques virtuelles de la Terre. Une véritable révolution entrant dans le cadre du Earth Virtualization Engines, un projet d’envergure mondiale initié lors d’un sommet à Berlin, en juillet 2023, réunissant certains des plus grands experts mondiaux en climatologie, technologie et IA.

Ces modélisations doivent permettre de visualiser et d’analyser des phénomènes complexes, comme les impacts des événements météorologiques extrêmes sur l’atmosphère, les sols, les océans et les glaces terrestres, soit les systèmes globaux. L’Institut Max-Planck pour la météorologie est l’un des premiers utilisateurs de Jupiter. En collaboration avec le Centre allemand de calcul climatique et le campus de Jülich, il mène une fascinante expérience de simulation du climat terrestre sur une année entière, en considérant tous ses paramètres. Cela permettra notamment d’étudier la manière dont les tempêtes influencent les systèmes de vents globaux et le cycle du carbone, aidant à évaluer les impacts régionaux du changement climatique.

Ce genre de simulations était jusqu’à présent inimaginable en raison des limites des calculateurs existants. Un immense bond en avant pour la recherche.

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Bloquer ? Non, croître !

11 septembre 2025 à 04:29

« Il faut plus de moyens. » « Il faut plus de dépenses. » « Taxons les riches ! » Nouveau mouvement, anciens slogans. Pour les militants du 10 septembre, la seule réponse à nos difficultés semble consister à creuser toujours plus la dette. Et si on essayait la croissance ?

La France connaît une crise économique, politique et sociale inédite. Plombée par des divisions béantes, le bûcher des égoïsmes, une vision du monde obsolète où les vieilles lunes dominent par la grâce des extrêmes et la déconnexion frileuse et sans imagination du bloc central, elle file droit vers l’abîme de la relégation. Privée de majorité comme de budget, incapable de compromis, elle regarde avec lassitude la valse des Premiers ministres et méprise une dette publique qui culmine à 3 345 milliards d’euros, représentant environ 116 % du PIB selon les dernières projections du Fonds monétaire international et de l’OCDE. Le déficit budgétaire persiste autour de 5,4 % à 5,8 % du PIB, tandis que les paiements d’intérêts sur cette dette s’élèvent à près de 66 milliards d’euros annuels. Un montant qui dépasse déjà le budget alloué à l’éducation et pourrait atteindre 100 milliards d’ici 2029 en continuant sur cette lancée. Et les nouveaux emprunts pourraient passer la barre des 4 % – ce qui induit +5 milliards d’intérêts annuels par point de taux –, tandis que nous remboursons difficilement ceux qui tournent autour de 1,3 %. Autant de sommes qui ne participent pas à l’investissement en faveur de l’école, de la justice, de la santé, de la sécurité ou de la défense. Pire, nous attendons fébrilement la dégradation de la note du pays par les différentes agences de notation, dont les verdicts vont tomber entre le 12 septembre et la fin octobre. Une autre perspective d’augmentation des taux d’intérêt et donc de la dette future. Quant à la croissance du PIB, elle est anémique, prévue à seulement 0,6 % à 0,8 % pour l’année, bien en deçà de la moyenne de la zone euro, pourtant peu reluisante avec ses 1,5 %. Même si le chômage a baissé ces dernières années, non sans quelques douteux artifices de présentation de ses chiffres et de sa structure, il reste élevé, à 7,5 %. Et s’agissant des retraites, depuis 20 ans, leur financement tire les dépenses publiques vers le haut, totalisant 14 % du PIB et près de la moitié des versements en faveur des aides sociales. Le tout par refus de faire tomber le tabou de la capitalisation, toujours profitable sur le temps long malgré de potentielles brèves baisses de rendement conjoncturelles. Comme le montre la capitalisation partielle suédoise, qui a permis de stabiliser un système précédemment fragilisé. Enfin, l’inflation, bien que désormais modérée, revenue autour de 1 %, a vu son augmentation massive durant les deux dernières années éroder le pouvoir d’achat des ménages.

Austères perspectives ?

Face à un tableau aussi noir, la logique voudrait que l’on applique une véritable politique d’austérité, ainsi qu’il en a toujours été quand des pays ont fait face à une violente crise de la dette. Coupes budgétaires massives, hausses d’impôts et réductions drastiques dans les dépenses sociales sont les recettes habituelles en la matière. Cette approche, qui vise à ramener le déficit sous les 3 % du PIB, pourrait, dans un premier temps, aggraver la situation, comme l’ont démontré les cas passés de la Grèce entre 2010 et 2015, où cette politique a provoqué une chute de 25 % du PIB et une explosion du chômage à 27 %. Nous n’y sommes pas encore. Mais, hélas, quand le point de non-retour est atteint, c’est indispensable. Et contrairement à ce qui est clamé à longueur de manifestations, nous sommes encore très loin d’une politique d’austérité, même si tant de choses seraient à dire concernant la gestion de l’État et les nombreuses économies pouvant être envisagées sans augmenter les inégalités.

Oser la croissance !

Mais il existe un contrepied radical à ces sombres perspectives : s’appuyer sur les atouts de la France pour enfin oser la croissance économique. Ce n’est pas une option facultative, mais l’unique stratégie viable pour désendetter le pays sans sacrifier les citoyens. Historiquement, les phases de forte expansion ont permis de réduire le ratio dette/PIB de manière organique, sans austérité punitive. Aux États-Unis, après la crise financière de 2008, le plan de relance d’Obama, doté de 800 milliards de dollars, a stimulé une croissance moyenne de 2,5 % par an, ramenant la dette de 100 % à 74 % du PIB en 2019 selon les données de la Banque mondiale. En France même, les Trente Glorieuses ont vu une croissance annuelle de 5 %, divisant par deux le poids de la dette accumulée après la Seconde Guerre mondiale, tout en finançant un État-providence robuste. Sans une accélération similaire, la dette française pourrait atteindre 120 % du PIB d’ici 2026, alourdissant les intérêts de 10 à 15 milliards supplémentaires par an. À l’inverse, cibler une croissance de 3 % par an – un objectif réaliste avec des réformes en faveur des entreprises – générerait 150 milliards d’euros de PIB additionnel sur trois ans, augmentant les recettes fiscales de 60 à 70 milliards (à un taux moyen de 45 % du PIB, chaque point de croissance rapportant environ 30 milliards en impôts et cotisations).

Desserrer l’emprise

Pour rendre cette perspective réaliste, il faut d’abord réduire une part du périmètre de l’État, pas celle qui aide les – réels – plus fragiles, mais celle qui n’a rien à voir avec les missions d’une nation ou qui relève de la pure sphère privée, comme les participations de l’État dans Renault – le résultat d’une rétorsion post-Seconde Guerre mondiale. Mais aussi baisser les impôts de manière ciblée, en ramenant le taux de l’impôt sur les sociétés de 25 % à 15 % pour les PME innovantes et les nouveaux secteurs stratégiques. Des domaines dans lesquels nous possédons des champions ne demandant qu’à assumer leurs responsabilités. C’est notamment le cas dans l’intelligence artificielle, l’énergie solaire, les biotechnologies, la santé numérique, l’aéronautique, la fintech, la cybersécurité, la banque ou encore l’agritech. Cela pourrait générer des milliards d’euros annuels pour les investissements privés, avec un coût budgétaire initial de 15 milliards, rapidement compensé par 25 milliards de recettes supplémentaires issues de l’activité accrue. L’exemple de l’Irlande est édifiant. Son taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 % a attiré plus de 1 000 milliards d’euros d’investissements étrangers depuis 2000, propulsant sa croissance à 5 % en moyenne – malgré des fluctuations allant de -5 % à +18 % – et créant des centaines de milliers d’emplois qualifiés.

Cultiver nos potentiels

Parallèlement, des investissements massifs en infrastructures et innovations s’imposent : allouer 100 milliards d’euros sur cinq ans, financés par des emprunts à bas taux (autour de 2,5 % actuellement pour les obligations françaises à 10 ans), à la transition numérique et verte. Pas par une planification étatique rigide – de la promotion de l’hydrogène à la destruction de la filière nucléaire, l’État n’a pas démontré sa lucidité – mais par une approche bottom-up, qui fixe un cap, soutient les projets, mais laisse aux acteurs économiques la liberté de choisir leurs solutions. Cela inclut 50 milliards pour l’intelligence artificielle et les start-up, amplifiant les leviers de la BPI, et pourrait créer 500 000 emplois high-tech selon les estimations de divers cabinets. Le retour sur investissement est prouvé : chaque euro investi en R&D génère 2,5 euros de PIB additionnel, d’après l’OCDE, transformant ces dépenses en moteurs de prospérité à long terme.

L’impôt pour tous

À cela s’ajoute une nécessaire réforme fiscale, incluant l’impôt pour tous, comme au Danemark – le pays le plus proche de nous en termes de prélèvements – même de manière symbolique, afin de concerner tous les citoyens et de ramener chacun dans le cadre républicain. Avec également une redéfinition des tranches, de manière à ce que les classes moyennes supérieures, les plus affectées et les moins aidées, retrouvent une dynamique d’action.

Plus léger, plus agile

Une dérégulation intelligente compléterait ces mesures, en simplifiant le Code du travail pour réduire de 30 % les normes administratives superflues, facilitant les embauches et les adaptations des entreprises. Mais en l’appliquant avec doigté pour ne pas créer d’appels d’air au seul profit de bas salaires et en empruntant des recettes à la flexisécurité nordique. Enfin, des ajustements de TVA, comme en Irlande encore une fois, notamment sur les biens essentiels, pourraient stimuler la demande intérieure.

Contrairement à l’austérité, dont le multiplicateur fiscal négatif contracte l’économie, une relance expansionniste offre un multiplicateur positif, permettant de ramener le déficit sous 3 % du PIB d’ici 2030 et de stabiliser la dette. Tous, citoyens, entrepreneurs, élus, devons rejeter la petite musique soit étroite, soit décroissante, soit de repli, qui agite la classe politique comme la rue ! Une France dynamique, innovante et leader mondial dans l’innovation, dont la croissance serait la clé de l’équité et de la souveraineté, reste possible.

Nous y croyons !

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Stanford vs Neuralink : la guerre des implants

8 septembre 2025 à 11:22

Les interfaces cerveau-machine (ICM) font parler d’elles, avec deux projets phares : l’implant de l’Université Stanford, qui traduit les pensées en paroles, et celui de Neuralink, porté par Elon Musk, qui vise à connecter le cerveau aux machines. Si les deux partagent des ambitions médicales, leurs approches, technologies et implications divergent. Comparatif…

Origines et objectifs

Stanford : lancé dans le cadre du projet BrainGate 2, l’implant de Stanford, dévoilé en 2025, se concentre sur la restauration de la parole pour les personnes paralysées, comme celles atteintes de la maladie de Charcot ou victimes d’AVC. Il cible le cortex moteur pour capter les intentions de parole et les traduire via une IA entraînée sur des milliers d’heures de données cérébrales.

Neuralink : fondée en 2016 par Elon Musk, Neuralink ambitionne plus large : initialement, restaurer la motricité et la communication pour les paralytiques. Mais à terme, elle vise à fusionner l’humain avec l’IA, voire à permettre de contrôler des interfaces externes par la pensée ou de restaurer la vision. Son premier essai humain a eu lieu en janvier 2024, avec quatre ans de retard néanmoins.

Fonctionnement

Stanford : l’implant utilise une centaine de microélectrodes insérées dans le cortex moteur pour capter les signaux neuronaux liés à la parole. Une IA décrypte ces signaux en mots, atteignant 74 % de précision sur un vocabulaire de 125 000 mots. Un mot de passe mental sécurise l’activation, avec 98 % de fiabilité.

Neuralink : baptisé Telepathy, c’est un dispositif de la taille d’une pièce de monnaie, implanté dans le crâne avec 64 fils ultrafins (1 024 électrodes) insérés dans le cortex par un robot chirurgical. Il capte les signaux neuronaux pour contrôler des appareils (curseur, clavier) via Bluetooth. Les premiers résultats montrent une détection prometteuse des « pointes neuronales ». Neuralink travaille aussi sur une nouvelle génération d’implants avec jusqu’à 16 000 électrodes, ce qui pourrait accroître sa précision pour de futures applications.

Résultats probants

Stanford : en août 2025, une patiente tétraplégique a retrouvé une voix synthétique imitant la sienne, avec un débit de 62 mots par minute, proche d’une conversation naturelle. D’autres tests ont permis de décoder des pensées spontanées.

Neuralink : en 2024, Noland Arbaugh, tétraplégique, a contrôlé un curseur et joué aux échecs par la pensée, décrivant l’expérience comme « intuitive ». Un second patient, implanté en août 2024, utilise l’implant pour jouer à des jeux vidéo et concevoir en 3D. Cependant, des problèmes de rétraction des fils ont affecté le premier patient.

Limites et défis

Stanford : l’implant nécessite une chirurgie invasive, avec risques d’infection ou de rejet. La précision de l’IA reste imparfaite, et le système demande un entraînement long. Sa portée est limitée à la parole pour l’instant.

Neuralink : la rétraction des fils, observée chez le premier patient, a réduit le nombre d’électrodes fonctionnelles de 85 %, impactant la performance. Les tests sur animaux (singes, cochons) ont soulevé des inquiétudes éthiques, avec des rapports de complications graves (paralysie, infections). La transparence limitée de Neuralink est critiquée, les annonces venant souvent de Musk, sans données scientifiques publiques.

Dangers éthiques

Stanford : les risques incluent le piratage des données neuronales et l’accès non autorisé aux pensées. Les chercheurs insistent sur la nécessité de « neurorights » – droits à l’inviolabilité mentale – pour protéger l’intimité mentale.

Neuralink : les ambitions d’Elon Musk (fusion avec l’IA, contrôle total par la pensée) font craindre une surveillance accrue ou une inégalité d’accès. Les controverses sur les tests animaux et le manque de transparence renforcent les doutes sur la sécurité et l’éthique.

Verdict

Stanford excelle dans la précision pour restaurer la parole, avec une approche académique rigoureuse, mais reste focalisé sur un usage médical. Neuralink, plus ambitieux, vise une révolution technologique, voire transhumaniste, mais sa fiabilité technique et éthique est questionnée. Les deux projets repoussent les limites du possible, mais soulèvent des questions brûlantes sur la vie privée et l’avenir de l’humanité.

Voir : L’implant qui fait parler la pensée !

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L’implant qui fait parler la pensée !

8 septembre 2025 à 04:23

Imaginez : vous pensez à une phrase, et hop, elle s’affiche à l’écran ou sort avec votre propre voix synthétisée ! Ce n’est plus de la science-fiction, mais une réalité émergente grâce à un implant cérébral développé par des chercheurs de l’Université de Stanford.

Annoncé en août 2025 via une étude publiée dans la revue Cell, ce projet d’interface cerveau-machine (ICM) vise à redonner la parole aux personnes paralysées, comme celles atteintes de la maladie de Charcot (hélas, encore sans rémission) ou victimes d’AVC.

Le son du cerveau !

L’implant, un réseau de microélectrodes fines comme des cheveux, s’insère dans le cortex moteur, la zone du cerveau qui gère la parole. Ces sondes captent les signaux neuronaux émis quand on « pense » une phrase sans la prononcer – cette fameuse petite voix intérieure. Couplé à une IA entraînée sur des milliers de patterns cérébraux, le système traduit ces impulsions en mots ou en phrases en temps réel. Précision actuelle : environ 74 % pour un vocabulaire allant jusqu’à 125 000 mots. Le tout est sécurisé par un mot de passe mental, pensé pour activer le décodage, avec une fiabilité de 98 %.

Les tests sont impressionnants. Chez une patiente tétraplégique, privée de parole à la suite d’un AVC, l’implant a converti ses pensées en sa voix d’avant, avec un délai réduit à 80 millisecondes. D’autres essais, dans le cadre du projet BrainGate 2, ont décodé des pensées spontanées, comme imaginer écrire des phrases, montrant que le système peut fonctionner avec un entraînement préalable.

En mars 2025, une version similaire a permis une communication quasi instantanée pour une femme paralysée. Mais ne rêvons pas trop : il faudra encore plusieurs années de tests pour affiner les algorithmes et le hardware de l’implant avant de pouvoir le diffuser.

Attention aux « red flags »

Malgré ces avancées, le vocabulaire utilisable est souvent limité (1 024 mots dans certains modèles), l’IA commet des erreurs, et son entraînement demande des heures. Surtout, l’implantation est invasive, fondée sur une lourde chirurgie cérébrale, entraînant des risques d’infection ou de rejet. Par ailleurs, d’évidentes questions éthiques se posent. Et si vos pensées privées pouvaient être lues sans votre permission ? Le mot de passe représente certes une sécurité. Mais imaginez que votre cerveau soit quand même hacké ! Cela amènerait désormais à envisager la question des « neurorights » : des droits à l’inviolabilité mentale.

À lire : Stanford vs Neuralink : la guerre des implants

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VIH ! Go Yeztugo !

4 septembre 2025 à 00:34

Le lenacapavir, un traitement préventif révolutionnaire contre le VIH débarque en Europe sous le nom de Yeztugo. Développé par le laboratoire américain Gilead, il agit avec une efficacité impressionnante… malgré un prix encore prohibitif.

Approuvé le 26 août 2025 par la Commission européenne, après un avis favorable du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA), ce traitement injectable change la donne dans la prévention du VIH. Il est le fruit du développement du Sunlenca, également fondé sur le lenacapavir. Un traitement contre le sida commercialisé depuis août 2022 en Europe. C’est un inhibiteur de capside, qui bloque la réplication du VIH en s’attaquant à sa coque protectrice. Les essais cliniques, lancés en 2022, ont démontré son efficacité en prévention.

Le lenacapavir est administré par injection sous-cutanée tous les six mois, une révolution par rapport aux pilules quotidiennes de la PrEP (prophylaxie pré-exposition) classique, comme le Truvada. Les essais ont montré une efficacité impressionnante : 100 % de protection chez 5 300 jeunes femmes en Afrique du Sud et en Ouganda, et 96 % chez des hommes.

Lors du premier essai clinique, aucune infection n’a été enregistrée parmi les participantes sous lenacapavir, contre 2 % dans le groupe sous PrEP orale. En Europe, où entre 20 et 30 000 nouveaux cas de séropositivité sont diagnostiqués chaque année, ce traitement serait capable de les réduire drastiquement, notamment chez les populations vulnérables et à risques. En France, où près de 6 000 cas annuels persistent, le lenacapavir pourrait combler les lacunes de la prévention actuelle.

Malgré son potentiel, le lenacapavir n’est pas parfait. L’administration nécessite une infrastructure médicale pour les injections, un défi dans les zones rurales. De plus, des effets secondaires comme des nausées ou des nodules au site d’injection ont été rapportés.

Mais le principal obstacle à sa diffusion réside dans son coût. Aux États-Unis, les injections coûtent 28 000 à 42 000 dollars par an, rendant le traitement inabordable pour beaucoup. Une étude de l’université de Liverpool estime qu’une version générique pourrait coûter 40 dollars par an avec une production massive. Et Gilead est critiqué pour restreindre ces types de licences, limitant l’accès dans les pays à faibles revenus. L’ONG Médecins Sans Frontières et l’ONUSIDA exigent des licences ouvertes via le Medicines Patent Pool pour démocratiser l’accès. En Europe, où les systèmes de santé publics pourraient absorber les coûts, l’inégalité d’accès reste une préoccupation, notamment pour les populations marginalisées. Mais malgré son coût et les freins à la production de génériques, le lenacapavir s’annonce comme une réelle révolution dans la prévention du VIH. Enfin…

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Ces croyances qui envoient la France dans le mur de la dette

3 septembre 2025 à 04:37

« La France est trop importante, elle ne peut pas faire défaut », « la dette ne se rembourse pas », « il suffit de supprimer les 211 milliards d’aides aux entreprises »… Autant de clichés qui pourrissent le débat et empêchent de regarder la réalité des finances publiques françaises. Débunk.

La première chose qui vous est demandée lorsque vous rejoignez les Alcooliques Anonymes, c’est d’admettre votre problème avec l’alcool. Sans cet aveu, rien n’est possible. À maints égards, il en va de même concernant la réalité de la crise de la dette française : tant que le pays ne reconnaîtra pas qu’elle constitue un sérieux problème, nul salut n’est envisageable pour ses finances. Et l’illusion dangereuse dans laquelle nous vivons se perpétuera…

Car, de cette reconnaissance, nous sommes encore très éloignés. Notamment parce qu’il persiste au sujet de la dette un certain nombre de fausses croyances, abondamment entretenues par le personnel politique et certaines sphères militantes. Soit par manque de culture économique, soit par pur cynisme, parfois pour les deux raisons. Hélas, ces fantasmes délétères rendent impossible l’établissement d’un diagnostic lucide de la situation économique du pays. Si nous persistons à croire qu’il n’y a pas de problème, il est impossible d’y remédier.

Raison pour laquelle nous allons nous atteler à examiner un certain nombre de ces croyances et tenter de débusquer les mensonges qu’elles recèlent.

1 – « Il est impossible que les marchés financiers refusent de prêter à la France tant elle est importante dans la zone euro. »

Ou, dans le même ordre d’idée :

« La France ne peut pas faire défaut, comme ce fut le cas de la Grèce en 2012. »

Ici, la croyance – quelque peu prétentieuse – est dans la singularité d’une France capable de s’affranchir des lois de l’économie. Parce que nous sommes « un grand pays », « l’un des deux principaux moteurs de l’Europe », nous serions à l’abri de la faillite. C’est oublier que d’autres grandes nations, comme le Canada ou la Nouvelle-Zélande, ont connu de violentes crises de la dette auparavant. Mais aussi, plus près de nous, l’Italie, troisième économie de la zone euro, avec des marqueurs assez proches des nôtres au moment du désastre, en 2011*.

Si le défaut de paiement fut loin d’être atteint dans ces trois pays, et d’autres ayant connu des situations analogues, la potion qui leur a été infligée pour résoudre la crise fut extrêmement violente. Nous l’avons déjà montré à partir de plusieurs infographies – que nous reproduisons ici – rappelant les conséquences des mesures prises pour les fonctionnaires, les retraités, les salaires, l’emploi et les entreprises, dont nombre furent confrontées à la faillite.

*Italie 2011 : Dette publique : 116,5 % du PIB (France 113 %) – Déficit budgétaire 2011 : -3,7 % (France -5,7 % en 2024) – Croissance 2011 : +0,6 % (France prévision 2025 : +0,7 %) – Taux de chômage 2011 : 8,4 % (France 7,5 % et 8,5 % prévu en 2026) – Taux d’inflation 2,9 % (France entre 0,9 et 1,5 % selon les sources pour 2025).

Certes, la France est une économie clé de la zone euro. Mais les marchés financiers évaluent le risque sur la base de ratios comme la dette publique (113 % du PIB en 2024 selon l’INSEE) et le déficit budgétaire (5,8 % du PIB). Une dégradation de la solvabilité ou une perte de confiance, comme lors de la crise des dettes souveraines de 2010-2012, pourrait entraîner des hausses de taux d’intérêt (ce qui est déjà le cas) ou un rationnement du crédit, y compris pour la France.

Même si un « scénario à la grecque » est encore lointain, aucun État n’est immunisé contre un défaut souverain. Si la France bénéficie encore d’un large accès aux marchés et conserve le soutien de la Banque centrale européenne (BCE), la montée des taux (passés de 1,6 % pour les remboursements actuels à 3,4 %, voire 3,6 %), couplée à la crise des liquidités que nous connaissons, est franchement de mauvais augure. Et ce, de manière encore plus évidente au regard de l’incapacité du Parlement à s’accorder sur l’adoption d’un budget, dans un contexte d’instabilité politique et de fortes tensions sociales.

2 – « La dette n’aura aucun impact sur moi ! »

Encore raté ! Une crise de la dette a un impact sur tous les citoyens. Nous l’avons vu plus haut, en prenant les exemples du Canada, de la Nouvelle-Zélande et de l’Italie. Nous pourrions aussi évoquer la crise espagnole de 2012, même si celle-ci est autant liée à l’explosion de la bulle immobilière locale qu’à un dérapage des finances publiques. Elle a entraîné une explosion du chômage qui a touché 1 actif sur 4 et un jeune sur 2. Un prélèvement obligatoire de 2 % sur tous les salaires a été imposé pour financer les retraites. Quant aux fonctionnaires, ils ont perdu 8 % de leur pouvoir d’achat. Enfin, les 35 heures des fonctionnaires ont été jetées aux orties, voyant le temps de travail augmenter de deux heures et demie.

Concernant l’Italie, à partir de 2011, un dixième des emplois de la fonction publique a été sabré, tandis que le pouvoir d’achat des fonctionnaires a baissé de 10 % et celui des retraités de 5 %, tandis que l’âge de départ a été repoussé de 4 ans pour atteindre celui de 66.

Les fonctionnaires et les retraités ne sont pas les seuls touchés. Durant les crises financières suédoise de 1992 et canadienne de 1995, les entreprises ont été soumises à rude épreuve, les faillites s’étant accumulées de manière effrayante. Chemin que la France semble désormais emprunter depuis 2024, avec 66 422 dépôts de bilan, selon la BPCE, soit une hausse de 64,5 % par rapport à 2022 et de 18 % par rapport à 2023.

Certes, la dette publique française n’est pas la cause unique de ces faillites. Mais, couplée à l’incertitude politico-économique, elle aggrave les possibilités de financement par la limitation des aides publiques et la hausse des taux d’intérêt, faisant particulièrement souffrir les sociétés ayant contracté des prêts garantis par l’État (PGE), non encore remboursés lors de la pandémie de Covid. Chacun – particulier, entreprise, fonctionnaire – est donc bien impacté par une crise de la dette.

“La notation des agences n’a pas d’impact”, vraiment ?

J’approfondis

3 – « Cela fait 30 ans qu’on nous dit la même chose et regardez, nous sommes toujours en vie ! »

Ici, la croyance est le produit de ce qu’en psychologie on appelle le biais de normalité. Il consiste à nier ou minimiser des avertissements relatifs à un danger, donc à sous-estimer la probabilité d’une catastrophe. En suivant la logique d’un tel raisonnement, toute personne vivante peut se croire immortelle. On retrouve là le fameux « jusque-là tout va bien », popularisé par le film La Haine, faisant le récit des considérations d’un homme chutant d’un précipice sans avoir encore touché le sol.

Certes, la France est toujours « en vie », mais sa dette va progressivement lui coûter très cher, après une période pré-Covid où les taux étaient particulièrement avantageux. Par ailleurs, n’oublions pas que l’histoire progresse par paliers et que les facteurs de crise mettent longtemps à produire leurs effets. Mais lorsque le drame se présente, c’est de manière soudaine et brutale. Cela n’est pas sans rappeler la fameuse citation d’Hemingway : « Comment avez-vous fait faillite ? De deux façons. Progressivement, puis soudainement. » Or, si la France continue patiemment à courir à sa perte, sans changer de trajectoire, elle risque d’y parvenir brutalement.

Particulièrement dans un moment où la charge de la dette atteint un seuil très inquiétant (près de 70 milliards d’euros annuels prévus pour 2026) et ne cesse d’augmenter, tout comme les taux d’intérêt. Ceux de l’obligation française à 30 ans viennent d’ailleurs de franchir les 4,5 %, ce qui est très inquiétant et n’était pas arrivé depuis 2011, date de la crise de la zone euro.

4 – « Pas d’inquiétude, la dette ne se rembourse jamais ! »

Cette croyance, encore reprise dans une tribune publiée dans Le Monde il y a quelques jours, sous la plume d’économistes d’Attac et de la Fondation Copernic, est dangereuse, tant elle est couramment diffusée. Car si la dette totale semble effectivement se perpétuer sans être remboursée, ce n’est qu’une impression. Les États comme la France ne remboursent généralement pas le principal de leur dette de manière massive. Mais ils le font concernant les anciens emprunts arrivés à échéance et en contractent de nouveaux de manière continue.

Cette pratique est standard en économie publique, permettant de maintenir la liquidité sans choc budgétaire immédiat. Problème : plus les taux d’intérêt montent, plus ces échéances et les intérêts à rembourser obligatoirement augmentent. Tant que les taux restaient sous les 2 %, cela semblait soutenable. Mais avec la dynamique actuelle de remontée des taux, conjuguée à un montant de dette global sidérant, cela change la donne en profondeur et grève considérablement les finances publiques et les marges budgétaires.

En résumé : on rembourse les anciens emprunts à taux faible, mais on contracte les nouveaux à des taux plus élevés. Pire, cette situation peut conduire à l’introduction d’une spirale auto-réalisatrice si les marchés financiers perdent confiance, comme l’a illustré la crise italienne de 2011. À l’époque, l’Italie, avec une dette publique autour de 120 % du PIB et une croissance atone, a vu ses taux d’emprunt à 10 ans bondir à plus de 7 %, en raison d’une contagion depuis la Grèce, d’un déficit budgétaire persistant et d’une forte instabilité politique.

Pour la France, un tel épisode pourrait survenir si le ratio dette / PIB dépasse durablement 115 % (projeté à 116 % fin 2025), entraînant une hausse des spreads obligataires (différentiel avec l’Allemagne), qui obligerait l’État à pratiquer des ajustements brutaux. C’est ce que rappellent les avertissements de la Cour des comptes, soulignant notre vulnérabilité accrue aux chocs externes.

Seulement 3 % de déficit ? N’est-ce pas insignifiant ?

J’approfondis

5 – « La dette ne pèse pas sur les enfants, mais finance un patrimoine bénéfique. »

Cette autre croyance, figurant dans la tribune du Monde précitée, est séduisante, car la dette peut financer des actifs productifs. Mais, en réalité, elle sert surtout à couvrir des dépenses courantes. Elle ignore aussi les coûts d’opportunité : des intérêts élevés absorbent des fonds qui pourraient aller à l’éducation ou à la transition écologique.

Avec une durée moyenne de la dette de 8 à 9 ans, les remboursements futurs (via les impôts ou de nouvelles coupes budgétaires) affecteront bien les générations futures. Surtout, les prêts que nous contractons ne financent pas des investissements, mais des dépenses de fonctionnement. En 2023, le manque à gagner de notre système de retraite, évalué à 70 milliards, a ainsi représenté quasiment la moitié du déficit public.

6 – « Avec 211 milliards de cadeaux aux entreprises ces dernières années, on sait où trouver les économies budgétaires ! »

Problème : le chiffre de 211 milliards – soit trois fois le budget de l’Éducation nationale – régulièrement avancé est faux. Il inclut de nombreux financements qui ne vont pas aux entreprises privées ou dépendent de politiques vertueuses. Par exemple, les aides à l’audiovisuel public, aux affaires maritimes, à l’agriculture, aux territoires ultramarins ou aux emplois aidés. Mais aussi des subventions environnementales, et bien d’autres.

Ce chiffre provient d’un rapport du Sénat qui recense plus de 2 200 dispositifs en faveur des entreprises pour l’année 2023. Son montant diverge d’ailleurs d’autres évaluations officielles, comme celle du Haut-Commissariat au Plan, qui trouve 111,9 milliards en adoptant un périmètre plus précis.

Comme l’a expliqué Benjamin Dard dans Franc-Tireur, sans ces aides, « notre économie ne résisterait pas dans la compétition internationale. Depuis les années 1990, l’État tente d’amortir le coût du travail. Pas par idéologie néolibérale, mais parce que, pour financer un modèle social à part, les entreprises françaises ploient sous les charges. C’est même le pays où le coût du travail est le plus élevé, selon l’OCDE. […] Supprimez ce dopage et bon courage pour rester compétitif face à la Chine ou à l’Allemagne. »

Et pourtant, ces aides ne suffisent pas à « remédier aux déséquilibres mondiaux entre puissances », comme l’écrit un rapport de Rexecode (Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises). D’autant que d’autres grandes nations utilisent les mêmes méthodes avec des montants variables : environ 202 milliards pour l’Allemagne, 181 milliards pour les États-Unis, 335 milliards pour la Chine, qui n’ont pourtant pas les mêmes contraintes liées aux cotisations sociales.

Il n’est donc pas question de cadeaux, mais de dispositifs indispensables pour limiter l’impact de notre modèle social par rapport à celui des autres grandes puissances. La suppression de ces aides viendrait immédiatement renchérir le coût de fonctionnement des entreprises bénéficiaires, ce qui aurait un impact négatif sur leurs résultats et réduirait leur contribution aux finances publiques.

Ainsi, en supprimant ces aides, l’État et les finances publiques seraient sans doute finalement perdants.

Conclusion

Tant que la question de la dette sera publiquement abordée sur le fondement de ces fausses croyances – et d’autres, voir encarts abonnés –, la France continuera à se rapprocher d’une crise majeure dont les remèdes pèseront lourdement sur le portefeuille de chacun de ses citoyens. Et cela, ni les institutions, ni les entreprises, ni les citoyens ne peuvent se le permettre.

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Peur sur la dette

28 août 2025 à 10:22

En France, le mois de septembre s’annonce comme celui de tous les dangers. L’incapacité du Parlement à voter le budget 2026, la menace d’une chute du gouvernement Bayrou, la perspective de troubles avec le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre et la montée des tensions sur les marchés financiers risquent de mettre le feu aux poudres à la rentrée. Des événements qui placent la dette française au cœur des débats. Mais de quoi parle-t-on quand on évoque cette « dette » ? Pourquoi fait-elle peur ? Est-il possible d’éviter une crise ?

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Incendies : l’imprévoyance à l’épreuve du feu

13 août 2025 à 20:24

Si gouverner, c’est prévoir, il est tristement envisageable que la France ne soit pas au mieux en termes de commandement. C’est en tout cas l’idée qui se dégage de la politique de lutte contre les incendies menée par notre pays depuis plusieurs années, dans un contexte de réchauffement climatique, pourtant propice à la propagation de méga-feux, comme celui qui vient de ravager le massif des Corbières

On connaît la chanson, déjà rapportée par nombre de nos confrères. Le combat contre les flammes dépend en grande partie de la flotte d’avions bombardiers d’eau, dont les fameux Canadair CL-415 et autres Dash 8 Q400. Or, non seulement nous en manquons cruellement, mais une partie de notre parc, très ancien (plus de 30 ans), n’est pas en état de servir, faute d’un nombre suffisant de pièces de rechange.

À ce jour, sur les 12 CL-415 (capables de stocker 6 000 litres d’eau en à peine plus de 10 secondes), seuls 9 sont utilisables. Quant aux Dash 8 Q400 (capacité 10 000 litres, mais remplissage lent depuis les aéroports), deux doivent rester à terre. Pire, l’incendie dans l’Aude, qui a décimé plus de 17 000 hectares, a mobilisé la quasi-totalité des moyens aériens dont le pays dispose. Or, d’autres foyers se sont déclenchés dans la même période. Si l’un d’eux, dans l’Ardèche — donc proche du massif des Corbières — a pu bénéficier des CL-415 utilisés pour éteindre le feu voisin, il n’en est pas de même d’autres sinistres plus éloignés.

Par bonheur, contrairement à ce que vivent actuellement nos voisins espagnols et portugais, aux prises avec plusieurs méga-feux, aucun des autres allumés en France n’est de l’ampleur de celui de l’Aude. Cela pourrait pourtant arriver et déstabiliser profondément notre capacité de lutte.

Les raisons, multiples, de notre impréparation sont pourtant connues, certaines ne dépendant pas uniquement des gouvernements successifs ayant eu à gérer la lutte contre le feu. La première est une question industrielle. D’abord développé par Bombardier, le CL-415 est revendu en 2016 à Viking Air, puis intégré à De Havilland Canada, toutes deux appartenant au groupe Longview. Faute de commandes, Bombardier avait cessé la production dès 2015 et le repreneur a d’abord recentré l’activité sur le MRO (maintenance, réparation, révision) plus rentable à court terme. On ne compte aujourd’hui qu’environ 95 appareils dans le monde. Une paille. Pour répondre à ce parc limité et en fin de vie, De Havilland Canada a lancé le développement d’un successeur modernisé : le DHC-515.

Redécollage difficile pour le nouveau Canadair

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Mais relancer la production d’un avion spécialisé des années après l’arrêt de celle de son prédécesseur est un défi logistique, industriel, financier et réglementaire colossal. Le cas du DHC-515 en est l’illustration. Initialement attendu au milieu des années 2020, il ne devrait entrer en service qu’en 2030, voire 2032. Le Covid en est en partie la cause, mais pas seulement. Pour des raisons financières, d’autant que De Havilland n’est pas tendre en affaires, le lancement de la production de cet appareil, envisagé entre 50 et 60 millions d’euros pièce à la vente, a été différé, ayant été conditionné à l’obtention de 25 commandes préalables.

Celles-ci ont été atteintes grâce au plan européen rescEU de 22 unités et à une commande de l’Indonésie. Mais ces marchés n’ont été conclus qu’en 2023, retardant considérablement les dates potentielles de livraisons. Et 22 avions, à l’échelle d’un continent européen si souvent la proie des flammes dans un contexte d’aggravation du changement climatique, reste assez négligeable. Quant à la France, elle n’est concernée que par deux appareils…

Cette parcimonie dans les commandes françaises, constatée au moment où le monde a été effaré par les gigantesques feux qui ont ravagé l’ouest du Canada et plusieurs comtés de Los Angeles, tranche cruellement avec la volonté affichée par Emmanuel Macron en 2022. En juillet et août de cette année-là, la Gironde avait été frappée par des incendies majeurs dans le massif des Landes de Gascogne. Les plus importants depuis 1949, détruisant environ 32 000 hectares de forêt. Déclenchés par des causes humaines, ces feux ont été exacerbés par une sécheresse record, des températures dépassant 40 °C et des vents forts. 

Mauvais calcul

La politique surfant de plus en plus souvent sur l’émotion et une succession d’annonces rarement suivies d’effets, le président de la République s’était immédiatement saisi du sujet, assurant que le pays allait commander 14 nouveaux Canadairs. Les débats budgétaires serrés, conduisant à des recherches frénétiques d’économies, ont vite vu la promesse tomber dans l’oubli, avant que Gabriel Attal n’envisage deux nouvelles commandes de DHC-515, en plus du plan rescEU. Là encore, une annonce à l’improbable concrétisation.

Pourtant, un tel calcul s’avère absurde économiquement, écologiquement et humainement. Si les avions coûtent cher, le montant de leur achat ne représente rien comparé à celui des flammes et de leurs conséquences. On estime ainsi, feu de l’Aude compris, le coût total des incendies français depuis 2022 à près de 8 milliards d’euros, avec une contribution très majoritaire des assureurs, mais également importante des collectivités locales, 80 % des forêts françaises n’étant pas assurées.

Certes, l’État peut prétendre n’avoir pas à assumer directement ces dépenses, sa part directe étant estimée à environ 150 millions d’euros par an — soit l’équivalent de 3 Canadairs tout de même — entre la lutte contre les incendies et le fonds DSEC (Dotation de solidarité au titre des événements climatiques ou géologiques), mais elles pèsent directement sur la collectivité.

Dès lors, l’investissement dans de nouveaux bombardiers d’eau coule de source, en dépit des restrictions budgétaires. D’autant plus que le secteur privé français est à la pointe des solutions alternatives aux Canadairs. Entre la transformation potentielle d’Airbus A400M — surtout pour le largage de produits retenant le feu — et les innovations proposées par les startups Hynareo et son biréacteur amphibie Frégate-F100, ou Positive Aviation, prévoyant la conversion d’avions régionaux ATR-72 en bombardiers d’eau amphibies, notre pays fourmille d’idées. Elles sont certes onéreuses et demanderont du temps avant leur réalisation, mais le jeu en vaut la chandelle.

Les start up françaises montent au feu

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L’IA joue les pompiers

Lorsque les Canadairs interviennent, cela signifie que le feu a déjà pris de l’ampleur. Or, la meilleure façon de lutter contre les incendies consiste à les prévenir ou à les circonscrire au plus près de leur déclenchement. Un domaine dans lequel des innovations importantes sont apparues ces dernières années, même si nombre de défis restent à relever.

Les systèmes d’intelligence artificielle, comme FireAId ou Pano AI, jouent un rôle croissant en analysant des données issues de satellites, de stations météo et de capteurs pour prédire les zones à risque avec une précision atteignant 80 à 90 %. Ces outils permettent de détecter les départs de feu en temps réel, comme testé en Turquie, en Californie ou dans certains pays européens. Parallèlement, les drones équipés de capteurs thermiques et de caméras haute résolution sont de plus en plus utilisés pour surveiller les forêts, cartographier les feux et repérer les points chauds. Les réseaux de capteurs IoT, installés au sol, mesurent en continu des paramètres comme la température, l’humidité ou la qualité de l’air, envoyant des alertes instantanées en cas de danger, avec des déploiements notables en Australie et en Californie.

Les satellites, comme ceux du projet FireSat de Google prévu pour 2026, promettent aussi une détection ultra-précise des feux, avec des mises à jour toutes les 20 minutes. Enfin, des stratégies proactives, telles que les brûlages contrôlés guidés par l’IA, la réduction ciblée de la végétation ou l’utilisation de matériaux ignifuges pour les infrastructures, sont en cours d’adoption, notamment en Europe et aux États-Unis. Ces technologies réduisent les temps de réponse de 20 à 30 minutes dans les cas les plus avancés, mais elles se heurtent à des obstacles comme les défis d’interopérabilité entre systèmes. Les efforts se concentrent désormais sur l’intégration de ces solutions dans des cadres comme rescEU pour une réponse coordonnée à l’échelle européenne.

Moins de feux… mais plus violents

Hélas, en dépit du plan, somme toute assez modeste, de l’Union, une grande part des actions utiles dépendent de la volonté politique individuelle des États. Or, la prospective et la prévoyance ne sont pas leurs principaux atouts, dans une période où le populisme privilégie les réponses manichéennes, simplistes et court-termistes.

Mais nul besoin de céder à l’alarmisme. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le nombre d’incendies est en baisse constante, ainsi que l’importance des surfaces brûlées. C’est particulièrement vrai en France.

Dans les années 1970, environ 496 feux de plus de 30 hectares étaient enregistrés annuellement, avec 45 000 hectares brûlés en moyenne. En 2024, ce chiffre est tombé à 236 foyers, et la surface brûlée autour de 15 000 hectares. Le chiffre remontera en 2025, à cause de l’incendie de l’Aude, mais la tendance baissière est indiscutable. Elle s’explique par une meilleure prévention (débroussaillage, sensibilisation), des interventions plus rapides et une détection avancée via satellites et drones. Cependant, le changement climatique augmente l’intensité des feux, avec des conditions plus sèches et chaudes favorisant des incendies plus violents.

Ce phénomène est aussi observable à l’échelle mondiale, bien que moins nettement qu’en France. Dans les années 1970, les estimations suggèrent environ 4,5 à 5 millions de km² brûlés annuellement, principalement dans les savanes africaines. En 2025, selon le Global Fire Emissions Database, la surface brûlée globale est d’environ 3,5 à 4 millions de km² par an, avec 102 millions d’hectares (1 million de km²) enregistrés à mi-2025, dont la moitié en Afrique.

Cette inflexion, observée surtout depuis les années 2000, est attribuable à l’intensification de l’agriculture, qui réduit les prairies et savanes inflammables, à une meilleure gestion des feux, mais aussi à l’urbanisation limitant la végétation combustible. Cependant, le changement climatique accroît l’intensité et la fréquence des méga-feux dans des régions comme l’Amérique du Nord, l’Amazonie et l’Australie, ainsi que dans les forêts boréales et tempérées, où la surface brûlée augmente localement. Les conditions climatiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur) et l’accumulation de biomasse contribuent à cette intensification, malgré une baisse globale qui pourrait n’être désormais plus que de courte durée. Raison de plus pour revoir, particulièrement en France, les politiques budgétaires en faveur des moyens de lutte : des dépenses indispensables à court terme, pour éviter de bien plus onéreuses destructions à moyen terme, également infiniment conséquentes écologiquement et humainement.

Qu’on y pense…

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Duplomb : la raison plombée

9 août 2025 à 04:48

La décision du Conseil constitutionnel concernant la loi Duplomb était attendue avec fébrilité, autant par les défenseurs du texte que par ses contempteurs. Elle est tombée le jeudi 7 août et ne semble contenter personne, tout en posant des questions dont la portée dépasse son contenu. Validée dans ses grandes lignes, son article le plus polémique a néanmoins été censuré, non dans son principe — la possibilité de réintroduction partielle d’un néonicotinoïde (NNI), l’acétamipride —, mais dans les modalités jugées trop lâches d’encadrement des licences pouvant être accordées à cette fin.

Selon le camp d’où vient l’analyse, le verdict des Sages de la rue de Montpensier donne lieu à des interprétations aussi variées que parfois fantaisistes. Pour certains de ses adversaires, comme les Insoumis, il s’agirait d’une « victoire » obtenue « grâce à une mobilisation populaire extraordinaire », ainsi que l’a posté sur X Manuel Bompard, coordinateur de LFI. Une conception assez étrange du travail des constitutionnalistes, censés se fonder sur la seule vérification de la conformité juridique des textes qui leur sont soumis. Mais pas forcément inexacte, hélas. Nous y reviendrons. Mais, pour la plupart à gauche, la confirmation de l’essentiel du texte reste une source de colère ; Marine Tondelier allant jusqu’à qualifier la loi — pourtant votée par le Parlement après une vague d’obstruction de l’opposition, à laquelle elle a pris part — d’« illégitime ». Même alarmisme du côté de certaines associations, comme la Fondation Terre de Liens, qui voient d’un mauvais œil la possibilité offerte aux agriculteurs « de renouer avec la compétitivité en agrandissant leurs exploitations » (sic) — une version polie du « J’en ai rien à péter de la rentabilité [des agriculteurs] » de Sandrine Rousseau. Preuve que, pour ce camp, le combat ne fait que commencer, en dépit de la volonté d’Emmanuel Macron de promulguer rapidement la loi expurgée des articles censurés.

À droite, et parmi les plus fervents défenseurs du texte, l’analyse de cette censure très relative ne s’embarrasse pas davantage de rigueur. Entre un Laurent Wauquiez qui dénonce « l’ingérence du Conseil constitutionnel sur la loi Duplomb ! », tout en ayant voté pour la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement justifiant la décision des Sages, et une Marine Le Pen accusant la juridiction suprême de se comporter « comme un législateur alors qu’[elle] n’en détient pas la légitimité démocratique », l’approximation est à la fête. Le mot « illégitime » utilisé par Marine Tondelier pour qualifier la loi est également repris à droite, cette fois pour désigner la censure. Et pourtant, il y aurait tant à dire de cette décision.

La charte de la précaution

Elle s’appuie sur la Charte de l’environnement (et son principe de précaution), annoncée par Jacques Chirac en 2001, puis intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Ce qui se tient en droit. Même si, dans la loi, l’usage de l’acétamipride avait été très largement limité, les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant, les dispositions déférées méconnaissaient le cadre défini par […] la Charte… ». Il est notamment question de la largesse d’interprétation laissée aux préfets pour octroyer les autorisations permettant d’utiliser le NNI en question, ainsi que de la temporalité de cet usage. Même si les syndicats agricoles, comme la FNSEA — qui prend acte de la décision avec une certaine retenue —, ou l’Association nationale pommes poires (ANPP), critiquent sévèrement la censure, ils y voient aussi quelques motifs d’espoir pour l’avenir. Ce qui est également – de manière relative – notre cas, ainsi que celui du spécialiste des questions agricoles et environnementales Gil Rivière-Wekstein. Car, finalement, le Conseil constitutionnel ne remet pas tant en cause l’usage dérogatoire de l’acétamipride que la rédaction approximative d’une loi conçue dans l’urgence pour répondre à la colère légitime des agriculteurs, en particulier ceux dont les filières ont été largement impactées par l’interdiction des NNI : betteraves (sucre), noisettes, poires, etc. On notera qu’il aurait été plus judicieux d’éviter, auparavant, de recourir à une loi — difficile à modifier une fois adoptée — pour interdire l’acétamipride, alors que la voie réglementaire l’autorisait. Le Conseil « fournit au législateur le mode d’emploi pour les prochaines demandes de dérogation. Les cartes sont donc désormais entre les mains du gouvernement et de ceux qui souhaitent défendre notre agriculture », comme le note Gil Rivière-Wekstein. Une nuance bien comprise par Laurent Duplomb, l’artisan du texte, mais aussi par nombre de ses détracteurs. Rien n’empêche en effet les parlementaires — comme le souhaitent le sénateur Duplomb, la FNSEA et les autres acteurs des filières concernées — de reprendre le travail législatif en s’appuyant sur les recommandations de l’institution de la rue de Montpensier afin de permettre la réintroduction très encadrée du NNI.

Quand le droit plie face aux influenceurs

Hélas, en théorie seulement. Car la violence du débat militant qui accompagne cette possibilité — entre pétition populaire mal informée, raids d’intimidation sur les réseaux, menaces plus ou moins directes contre les élus et messages médiatiques ignorants de la science — la rend risquée pour ceux qui voudraient la défendre. Et cela, le Conseil constitutionnel ne pouvait l’ignorer.

On peut alors revenir à la déclaration déjà citée de Manuel Bompard se félicitant du rôle joué par la « mobilisation populaire ». Car cette mobilisation a clairement participé à la décision de censurer l’article sur l’acétamipride, indexant en partie le droit sur l’influence de ceux qui le contestent, et faisant fléchir le pouvoir législatif face à celui des followers. Une définition chimiquement pure du populisme. D’autant que le Conseil s’est appuyé sur un grand nombre de contributions extérieures (19) au fort poids médiatique pour fonder son avis, allant de la Ligue des droits de l’homme aux militants de Générations futures, en passant par des associations d’apiculteurs et de médecins, mais sans consultation scientifique. Or il convient de rappeler qu’aucune étude ne valide le caractère cancérogène de l’acétamipride, contrairement à ce qu’affirment nombre des intervenants consultés — même si, comme tout néonicotinoïde, le produit est toxique, mais relativement sûr lorsqu’il est utilisé conformément aux recommandations d’usage. Le Conseil parle pourtant d’un « consensus scientifique » censé montrer les capacités tumorales du produit pour appuyer son jugement, alors, qu’encore une fois, cette assertion est une pure fable, ce qui interroge, pour ne pas dire plus. Mais la cerise sur le gâteau, témoignant de l’absurdité de la censure du CC, est livrée par… lui-même. Celui qui a validé la loi du 14 décembre 2020, qui autorisait, à titre dérogatoire, l’usage de semences de betteraves sucrières traitées avec certains néonicotinoïdes alors interdits à peu près partout dans cette Europe où l’acétamipride est en revanche autorisée. Ce qui témoigne de l’aspect populiste et politique de la décision. 

Au final, en plus de son incohérence, celle-ci ouvre un boulevard aux produits agricoles de nos voisins européens, tous traités avec le NNI honni, et parfois avec d’autres plus contestés (imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, thiaclopride, ayant obtenus des dérogations pour des usages précis), ne préservant pas la santé des consommateurs et soumettant nos agriculteurs à une concurrence déloyale pouvant menacer leur survie. Qu’importe pour des écologistes peu soucieux du réel. Les agriculteurs ne doivent pas être dupes : interdire les produits étrangers qui les utiliseraient, comme le demande Marine Tondelier, est tout simplement impossible, sauf à sortir de l’UE, puisque cela contreviendrait à la libre circulation des biens, qui en est l‘un de ses fondements.

Même si la raison l’emportera peut-être lors de prochains travaux législatifs — sans doute largement retardés par la vigueur de l’obstruction des adversaires de la loi et de leurs relais d’influence, nombreux et bien organisés —, les agriculteurs concernés vont continuer de voir leurs rendements diminuer… et nos voisins en profiter.

Est-ce bien raisonnable ?

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