Pleins feux sur feu les ZFE
Vraie solution pour limiter la pollution ou aberration visant à éloigner les pauvres des centres-villes ? Les ZFE, tout juste supprimées par l’Assemblée, ont enflammé le débat entre deux France qui ne cessent de s’éloigner. Les Électrons vous expliquent tout (ou presque).
En France, dès qu’il est question d’automobile, les débats provoquent des crispations. Surtout dans cette période d’extrême polarisation politique. On l’observe avec éloquence concernant la mise en place des ZFE (zones à faibles émissions), ces secteurs urbains réservés aux véhicules censés être les moins polluants. Un système initié par la Suède il y a déjà 30 ans et repris par la plupart des pays européens selon des normes propres à chacun.
En France, la première ZFE fut instaurée en 2015 dans la région parisienne. Peu coercitive, elle ne concernait que les poids lourds, autocars et autobus immatriculés avant le 1er octobre 2001, du lundi au vendredi, de 8h à 20h, hors jours fériés. C’est ensuite en août 2021 que fut votée la loi imposant leur mise en place dans les 43 agglomérations françaises de plus de 150 000 habitants, avant fin 2024. Une mesure assouplie dès juillet 2023 par le gouvernement. Insuffisamment pour les opposants à ces zones, qui ont obtenu – peut-être provisoirement – leur suppression, le 28 mai dernier, grâce à un vote à l’Assemblée statuant sur deux amendements déposés dans le cadre de la loi « de simplification de la vie économique ».
Au commencement était Crit’Air

Les ZFE régentent la circulation des véhicules dans les zones définies en fonction de la vignette Crit’Air dont ils bénéficient. Celles-ci sont au nombre de 6. La pastille ultime, non numérotée, concerne les voitures 100 % électriques et celles roulant à l’hydrogène. Elle offre un passe-droit total à leurs heureux propriétaires. Du moins en France (voir prolongement sur la Belgique). Viennent ensuite 5 autres catégories, se fondant sur la date de production des véhicules concernés et leurs motorisations : essence, diesel ou hybride.
Or depuis le 1er janvier 2025, les véhicules possédant les vignettes Crit’Air 4 et 5, sont bannies de toutes les ZFE, les Crit’Air 3, l’étant également à Paris. Sur l’ensemble du territoire, cela viserait environ un tiers des véhicules particuliers en circulation, selon les données officielles pour 2023. Loin d’être une paille. Ce qui peut expliquer l’ampleur de la grogne, quelle que soit la validité des arguments ayant présidé à l’installation des ZFE. Le coût de leur suppression est, quant à lui, estimé à 3 milliards d’euros, en raison des engagements pris par la France dans le cadre du Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) auprès de l’Union européenne, qui nécessiteront des remboursements. Aïe la dette !
Listons maintenant, car c’est l’essentiel, les arguments des deux camps qui s’opposent : d’un côté les sociaux-démocrates, écologistes et socialistes, de l’autre, la droite l’extrême droite et la gauche radicale insoumise. Mais surtout beaucoup de citoyens inquiets. Les uns pour leur présent. Les autres pour leur avenir.
La raison principale ayant conduit à la création des ZFE, tient dans une volonté de réduire les émissions polluantes et améliorer la qualité de l’air, assez dégradée dans les zones urbaines les plus denses. Qui pourrait être contre cette vertueuse entreprise ? Personne en vérité. Il s’agit de créer un bénéfice pour la santé publique et d’encourager la transition vers des moyens de mobilité plus soutenables pour l’environnement.
De l’autre côté de l’argumentaire, on pointe un impact social et économique inégal. Ce serait aux plus pauvres de supporter l’essentiel de cette mesure. A savoir ceux qui n’auraient pas les moyens de changer de véhicules pour embrasser l’électrification ou la modernité thermique. Les autres, nous alertent sur l’inefficacité supposée de ces règles. Les derniers pointent un manque d’accompagnement de cette mutation.
A ce stade, nous avons rappelé les enjeux des ZFE. Nous allons maintenant tranquillement analyser les données qui ont présidé à leur mise en place. Et là…
Le péché originel : 48 000 morts de la pollution chaque année ?
Tout part d’un chiffre répété en boucle : la pollution atmosphérique tuerait 48 000 personnes chaque année. Un chiffre martelé par Barbara Pompili, ministre de la transition écologique jusqu’en mai 2022, en ouverture des débats parlementaires sur la loi « Climat et Résilience », dont la création des ZFE constitue l’un des piliers. C’est ce chiffre qui a été repris en chœur, sur les plateaux, par les autorités concernées et les écologistes — jusqu’à très récemment — chaque fois que la mesure a été contestée.
Les Électrons Libres ont déjà montré que ce chiffre, issu d’un rapport de Santé publique France de 2016, réévalué depuis à 40 000 morts en 2021, était manifestement surgonflé. D’autant plus qu’il s’agit d’une fourchette très large — de 11 à 48 000 décès selon les scénarios — dont seule l’estimation la plus haute a été reprise. Un choix qui ne doit rien au hasard.

(11 ou 48 000 morts ? A vous de choisir ! Preuve du sérieux des études. Mais surtout de la difficulté à envisager la « mort prématurée »)
D’autant — et cela est longtemps passé à la trappe — qu’il ne s’agit pas de décès directement liés à la pollution. Personne ne connaît quelqu’un mort de pollution. En réalité, il est question de décès prématurés, un concept fondé sur des modèles statistiques, qui désigne une espérance de vie raccourcie en moyenne du fait d’une exposition prolongée à un polluant. En clair, des années de vie perdues, calculées par extrapolation : huit mois en moyenne, selon les dernières données de Santé publique France. Un indicateur utile pour les épidémiologistes, mais trompeur pour la qualité du débat public.
Plus grave encore, cette estimation est liée à une exposition chronique aux particules fines PM2,5. Or ces fameuses PM2,5, sur lesquelles reposent principalement les justifications sanitaires des ZFE, ne sont que faiblement liées à la circulation automobile. Elles proviennent en premier lieu du chauffage au bois, de l’industrie, de l’agriculture et du trafic non routier. Quant à la part liée à la route, elle ne regarde pas uniquement les pots d’échappement : freins, pneus, abrasion des surfaces y contribuent largement. Un lourd SUV électrique flambant neuf produira donc potentiellement plus de particules qu’une petite diesel bien entretenue. Ce que ne voit pas la vignette Crit’Air.
Pire, à Paris, Airparif a montré que l’air est souvent plus pollué en particules fines dans le métro qu’à l’extérieur. Or le métro reste la principale alternative opposée à la voiture dans les ZFE.
De nombreuses voix se sont élevées — y compris celle de l’actuel ministre des Transports, Philippe Tabarot, dans un rapport qu’il a co-signé alors qu’il n’était encore que sénateur. En s’arc-boutant sur ce narratif, les défenseurs des ZFE desservent leur propre cause, fragilisent la crédibilité des politiques environnementales et alimentent la défiance, voire le complotisme.
Le test grandeur nature : et si on fermait vraiment tout ?
En mars 2020, la France a vécu, malgré elle, une expérience inédite : le premier confinement lié au Covid. Circulation automobile en berne, activité économique au ralenti, avions cloués au sol … L’occasion, inespérée, de tester grandeur nature les effets d’une réduction brutale des émissions.
Le résultat ? Éloquent — mais pas si simple à analyser.
D’après les évaluations croisées de Santé Publique France et d’Airparif, les niveaux de dioxyde d’azote (NO₂), principal polluant émis par les moteurs thermiques (notamment diesel), ont chuté de 30 à 50 % dans les grandes agglomérations. Bilan sanitaire estimé : 1 200 décès évités grâce à cette réduction du NO₂. Par ailleurs, la baisse des PM2,5 aurait permis de prévenir 2 300 morts supplémentaires. À première vue, la leçon semble limpide : moins de circulation signifie moins de pollution, donc moins de morts.
Mais observées à la loupe, les choses se compliquent. Car si les NOx (soit les émissions de NO₂) , imputables directement au trafic routier, ont effectivement reculé de manière spectaculaire, les particules fines (PM2,5), elles, n’ont baissé que très modérément, puisque provenant majoritairement d’activités pas ou peu ralenties par la pandémie. À Paris par exemple, les concentrations de PM2,5 sont restées comparables à celles d’une journée d’hiver sans vent.
Pire : ces baisses n’ont pas suffi à ramener les niveaux sous les recommandations de l’OMS (fixées en 2021 à 5 µg/m³ pour les PM2,5 et 10 µg/m³ pour le NO₂). Autrement dit : même en arrêtant (presque) tout, l’objectif sanitaire reste hors d’atteinte. Le « test Covid » valide donc une idée simple : les ZFE ciblant uniquement les véhicules thermiques permettent un gain partiel — sur le NO₂ — mais restent largement inefficaces sur les PM2,5, pourtant au cœur de la rhétorique des « 48 000 morts ».
Ces limites sont confirmées par les études d’impact obligatoires, comme celle réalisée à Valence Romans Agglomération. Celle-ci chiffre précisément les effets d’une ZFE selon trois scénarios, du plus timide au plus ambitieux (interdiction des Crit’Air 2 diesel en 2027). Résultat ? Même le plus musclé ne permettrait qu’une réduction de 29 % des émissions de NOx et 17 % de celles des PM2,5 sur le périmètre ZFE d’ici 2027. Sur l’agglomération élargie, la baisse chute à 11 % pour les NOx et 8 % pour les PM2,5.
Et ce par rapport à un scénario tendanciel… qui voit déjà les émissions baisser fortement grâce au simple renouvellement du parc roulant. Entre 2019 et 2027, sans aucune ZFE, les émissions de NOx chuteraient déjà de 46 % et celles de PM2,5 de 36 %.

Bref, le confinement l’a montré, les études le confirment : les ZFE agissent sur un seul pan du problème. Réduire le trafic routier permet de faire baisser le NO₂ — c’est utile. Mais cela ne règle ni le problème global de la pollution, ni la question complexe de ses multiples sources. Et les gains sanitaires promis sont bien plus modestes que ne le suggèrent les slogans anxiogènes.
Une réponse (trop) simple à un problème (très) complexe
Face à l’objectif louable d’améliorer la qualité de l’air, les ZFE promettaient une solution simple : le tri sélectif entre les bons et les mauvais véhicules à l’aide d’une vignette colorée. À la clé : la promesse de rues respirables, de bébés en meilleure santé et de seniors à l’espérance de vie prolongée. Mais comme souvent, derrière la simplicité apparente se cache une usine à gaz à la française.
D’abord, il y a le biais de conception. La vignette Crit’Air classe les véhicules selon leur motorisation et leur année, pas selon leurs émissions réelles. Un petit diesel récent (Euro 6d) est ainsi classé Crit’Air 2, alors qu’un SUV essence hybride de 2 tonnes sera Crit’Air 1. Or, comme nous l’avons déjà vu, pour les PM2,5, le poids et le freinage comptent autant que la motorisation.
Et il y a tous les cas de dérogations possibles. Parmi les exemptions, ici ou là : les véhicules de collection, les forces de l’ordre, les engins de chantier, les ambulances, les services publics, les livraisons, les artisans, les métiers d’art, les déménagements, les handicapés, les véhicules étrangers, les concessions auto… et même certains résidents situés dans la zone. Danger, Zone à Forte Émission de CERFA.
Mais la vraie ligne de fracture est sociale. Le Sénat a sonné l’alerte dans le rapport Tabarot (juin 2023) : « les ZFE, si mal accompagnées, risquent de devenir un nouveau déclencheur de révolte sociale ». Pourquoi ? Parce qu’elles frappent plus durement les ménages modestes vivant en périphérie, souvent dépendants de leur véhicule pour aller travailler. Dans le 3ᵉ arrondissement de Marseille — le quartier le plus pauvre de France — plus d’un véhicule sur deux est classé Crit’Air 3 ou au-delà. Autrement dit, il aurait dû être remplacé à brève échéance si le calendrier initial avait été maintenu.
Malheureusement, une nouvelle fois s’agissant d’écologie, une action mal pensée et offrant un gain marginal est devenue un totem. Une manière pour les pouvoirs publics d’afficher une action visible sur l’écologie, sans toucher à de secteurs plus complexes (chauffage, agriculture, industrie). Et ce, alors même que le renouvellement naturel du parc automobile en réduit encore la portée.

Les ZFE partaient d’une bonne intention : améliorer la qualité de l’air. Elles ont accouché d’un monstre technocratique, socialement explosif et scientifiquement fragile. Le problème est réel, mais mérite de la cohérence, de l’équité et une stratégie claire et compréhensible : taxe carbone fléchée vers les plus modestes pour aider au renouvellement du parc automobile, soutien aux transports alternatifs, déploiement massif de pompes à chaleur, régulation du fret urbain.
L’enjeu mérite mieux. Et nous aussi… Reste qu’en supprimant les ZFE, la France se met en marge de nos voisins européens qui les maintiennent, ce qui peut être problématique. Encourageons alors ces derniers à en reconsidérer les motifs, en se fondant sur des données sérieuses et des solutions réellement efficaces et ambitieuses qui s’exemptent des simples enjeux électoraux.
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