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Le bio selon les faits : mirage ou miracle ? 

28 juillet 2025 à 22:39

Toujours au top dans l’actualité, l’agriculture biologique remporte pourtant un succès… décroissant. Alors, nécessaire purification par le marché pour une filière très subventionnée qui réclame toujours plus de débouchés imposés ? Ou injustice faite à un mode de production vertueux, censé nous nourrir sainement et préserver la planète ?

Longtemps promue comme une solution miracle – pour les sols, l’eau, la biodiversité, la santé et même le climat – l’agriculture biologique bénéficie d’un soutien politique rarement démenti. En 2025 encore, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, y voit un « pilier essentiel de notre souveraineté alimentaire » et lui réaffirme son soutien « indéfectible ». Un engagement sonnant et trébuchant : plus de 350 millions d’euros d’aides par an, et un objectif de 21 % de surface agricole utile en bio d’ici à 2030 – deux fois plus qu’aujourd’hui.

Pourtant, la dynamique s’essouffle. Les surfaces stagnent, la consommation recule, les conversions s’arrêtent voire s’inversent. Et les soutiens du bio en viennent à hystériser le débat, parfois jusqu’à l’indignité. Le jour du vote de la loi de simplification agricole, Marine Tondelier publiait : « Tous les députés qui voteront pour la loi Duplomb voteront pour l’empoisonnement de vos enfants et la destruction de la biodiversité ». Y a-t-il urgence qui justifie l’outrance ?

Alors : que promettait vraiment le bio ? Qu’a-t-il tenu ? Et est-il vraiment la meilleure – voire la seule – voie pour conjuguer santé, climat, biodiversité et souveraineté alimentaire ?

C’est ce débat que Les Électrons Libres ouvrent ici, en cinq chapitres. Sans parti pris, mais avec nuance, en restant attachés aux faits permettant d’explorer en profondeur les dessous de notre assiette.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement une partie de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? » – mais une partie seulement.

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Épisode suivant : I. La bio du bio

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I. La bio du bio

28 juillet 2025 à 22:39

Au XIXᵉ siècle, Thomas Malthus écrivait que « le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire la subsistance de l’homme ». Cette vision profondément pessimiste – devenue un nom commun, le malthusianisme – de la croissance démographique l’amenait à penser que la planète ne pourrait nourrir durablement plus d’un milliard d’humains — un seuil franchi dès 1804, soit, ironiquement, à peine quelques années après la parution de son Essai sur le principe de population (1798).

Depuis 1927, date à laquelle l’humanité a atteint deux milliards d’habitants, la population mondiale a quadruplé. Pourtant, le nombre de fermes dans le monde est resté relativement stable — autour de 600 millions — tandis que la main-d’œuvre agricole a chuté drastiquement dans les pays industrialisés. Dans le même temps, la surface agricole mondiale s’est accrue jusqu’à représenter environ 37 % des terres émergées, avant de se stabiliser.

Agriculture vivrière : le grand bond en arrière

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Cet exploit a été rendu possible par des transformations radicales de l’agriculture : semences hybrides à haut rendement, engrais de synthèse, produits phytosanitaires, mécanisation, irrigation massive… Ce bouleversement, amorcé dans les années 1950-60, a pris le nom de « révolution verte ».

Les résultats se sont avérés spectaculaires : en Inde, les rendements du riz ont été multipliés par cinq entre 1960 et 2000. L’apport énergétique moyen par habitant a fortement augmenté, la malnutrition infantile a reculé et les grandes famines ont quasiment disparu, en dehors des contextes de guerre et des moments où l’idéologie a pris le pas sur la science. On pense à l’URSS et aux délires pseudo-scientifiques de Lyssenko qui ont ravagé l’agriculture soviétique. Mais aussi à la Chine maoïste où les politiques agricoles de collectivisation forcée ont provoqué la mort de dizaines de millions de personnes, et, bien entendu, au Cambodge, quand les Khmers rouges ont tenté de supprimer la propriété privée et l’agriculture moderne, éradiquant plus de 25% de la population locale, un sinistre record dans l’Histoire.

Trofim Lyssenko, jardinier et idéologue redouté

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L’agriculture moderne est l’un des plus grands succès de l’humanité. Elle a permis d’éviter des famines massives et, sous l’impulsion de pionniers comme Norman Borlaug, sauvé plus d’un milliard de vies. Mais ces avancées décisives ont aussi eu leur revers. L’intensification agricole a entraîné pollutions, perte de biodiversité, émissions accrues de gaz à effet de serre et appauvrissement des sols. La spécialisation des cultures, la disparition des haies et le recours massif aux intrants ont fragilisé la résilience des agrosystèmes..

Norman Borlaug, l’homme qui en sauva un milliard

J’approfondis

La France illustre bien ces évolutions. À partir des années 1960, son agriculture s’est modernisée à marche forcée : mécanisation, structuration des filières, limitation des importations et prix d’achats garantis via la PAC. Résultat : la production a doublé depuis 1960 — et même plus que triplé pour les céréales — sans extension des surfaces cultivées.

Mais cette modernisation s’est accompagnée d’un exode rural massif. Le nombre d’exploitations est passé de 1,26 million en 1979 à moins de 400 000 en 2020. Il pourrait chuter à 275 000 d’ici 2035. Dans le même temps, la taille moyenne des exploitations a augmenté de 25 % entre 2010 et 2020. Beaucoup d’exploitants ont quitté la profession, d’autres sont devenus dépendants des aides publiques.Mais les chiffres les plus éloquents sont ceux-là.  En 1960, l’agriculture au sens large (incluant la sylviculture et la pêche) représentait 21% de l’emploi total en France. En 2023, selon les dernières données disponibles de l’INSEE, elle ne pèse plus que 2,51%… 

Et les crises se sont accumulées : chlordécone, dioxines, hormones, vache folle… Des scandales sanitaires et environnementaux ont profondément ébranlé la confiance des citoyens dans le modèle productiviste.

C’est dans ce contexte, et souvent en réaction à ces dérives, qu’un premier mouvement en faveur d’une agriculture plus « naturelle » a émergé dès le début du XXᵉ siècle.

L’agriculture biologique contemporaine émerge ensuite dans les années 1940, en Europe et en Inde, comme réaction à la montée en puissance de l’agriculture industrielle et à sa dépendance croissante aux intrants chimiques. Les premiers pionniers insistent alors sur une idée a priori simple : la fertilité d’un sol ne peut être durablement maintenue qu’en respectant ses cycles biologiques, par l’usage de composts, de rotations longues et d’engrais organiques, et non par le recours exclusif aux fertilisants de synthèse.

Deux figures marquent les débuts de ce courant. En Angleterre, Albert Howard, envoyé en Inde comme agronome impérial, observe les méthodes agricoles locales et défend une approche holistique du sol, de la plante et de l’animal. Il développe l’idée de sol vivant et met l’accent sur le recyclage de la matière organique. En Allemagne, Rudolf Steiner, gourou sulfureux sans la moindre compétence agricole, pose en 1924 les bases de la biodynamie : un mélange de techniques agronomiques, de pratiques lunaires — au sens propre comme au figuré — et de rituels ésotériques, comme l’enfouissement d’une corne de vache remplie de bouse à l’équinoxe.

Biodynamie : quand l’agriculture sent le soufre

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Dans les années 1960-70, à la faveur d’une prise de conscience écologique (pollutions, marées noires) et d’inquiétudes sanitaires, le bio gagne en visibilité. En France, l’AFAB (Association française pour l’agriculture biologique) est créée dès 1962. D’autres réseaux militants ou coopératifs suivent. L’État ne reconnaîtra officiellement le label « AB » qu’en 1985, puis adoptera la réglementation européenne dans les années 1990-2000. Le règlement UE 2018/848 fixe aujourd’hui les règles précises de l’agriculture biologique.

Les grands principes du bio

Les exigences légales du règlement (UE) 2018/848 sont :

  • Interdiction formelle des OGM, engrais minéraux, pesticides de synthèse ; les antibiotiques ne sont utilisés qu’en dernier recours pour santé animale 
  • Rotation pluriannuelle des cultures, intégrant légumineuses ou engrais verts pour préserver la fertilité des sols 
  • Gestion des sols avec priorité donnée à la matière organique (compost, fumier), réduction du labour, lutte contre l’érosion et maintien de la vie microbienne du sol
  • Protection des plantes basée sur des variétés résistantes, la lutte biologique, et un recours limité à des substances autorisées uniquement si les méthodes alternatives sont insuffisantes
  • Élevage biologique exigeant : densité maîtrisée, plein air, alimentation biologique dès la naissance, races adaptées et bien-être animal renforcé.

Contrairement à une idée reçue, le bio n’est pas nécessairement local, ni sans mécanisation, ni sans intrants, ni même sans chauffage de serre : un produit bio peut venir de très loin, voyager en camion frigorifique, et avoir une empreinte carbone importante.

Le mot d’ordre affiché est simple : « nourrir sans nuire ». Mais derrière cette formule, le bio porte une dimension idéologique assumée : rejet du productivisme et de la mondialisation, culte du « naturel », et préemption du « manger sainement ».

Longtemps porté par des pionniers sincères, ce modèle s’est institutionnalisé. Aujourd’hui, environ 10 % des terres agricoles françaises sont cultivées en bio. Le marché s’est structuré, la grande distribution s’est emparée du label, et la consommation a explosé jusqu’en 2021.

Mais cette croissance s’accompagne de tensions. Et plus le modèle s’étend, plus ses prétentions hégémoniques se heurtent à ses propres limites économiques et agronomiques.

Les défis du XXIème siècle : les travaux d’Hercule de l’agriculture

Surtout, une question de fond s’impose : l’agriculture biologique est-elle vraiment le contre-modèle vertueux qui nous est présenté ? Ou masque-t-elle, sous couvert d’évidence morale, un débat plus vaste sur les compromis à faire ?

Car les défis auxquels l’agriculture est confrontée sont considérables. Même si la croissance démographique ralentit, la première question – et la plus cruciale – reste celle de notre capacité à produire assez pour nourrir une population mondiale toujours en augmentation. Mais aussi d’y parvenir en assurant une qualité sanitaire élevée et des produits diversifiés à un coût acceptable pour le consommateur. Ce qui introduit logiquement le problème de la rémunération équitable des producteurs et de l’amélioration de leurs conditions de travail, dans un contexte de pénurie récurrente de main-d’œuvre dans les filières agricoles. Le tout devant se réaliser dans le souci constant de la réduction de l’empreinte environnementale globale (eau, sols, climat, biodiversité) et de la minimisation de la surface agricole. Des questions qui, pour la plupart, s’apparentent à des dilemmes.

Face à eux, le bio est-il alors la solution  ? Tient-il ses promesses ? Ou son omniprésence médiatique et politique occulte-t-elle d’autres solutions, plus efficaces, voire plus réalistes ?

Ce sont ces questions que nous aborderons dans les chapitres suivants de cette série et du livre qui en découle.

Tout l’été, nous publions ici gratuitement une partie de notre livre, « Trop bio pour être vrai ? » – mais une partie seulement.

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Suite la semaine prochaine avec le chapitre II : Santé, l’effet placeb(i)o

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Grand jeu d’été des Électrons libres : sur les traces de la légende du canard d’or

28 juillet 2025 à 09:59

L’autre jour, alors que j’étais tranquillement dans mon bain en train de jouer avec ma collection de canards en plastique, Antoine, notre lider maximo à tous, a soudain débarqué dans la salle de bains.

— Dis donc Fred, ça commence à bien faire, on attend encore ton chapitre pour le bouquin sur le bio. Tu sais qu’il sort dans deux semaines ?
— Mais on a seulement décidé de l’écrire hier, c’est impossible…
— Impossible n’est pas Électrons, affirma-t-il. On disrupte, oui ou non ?
— Oui, mais…
— Pas de mais qui tienne. Tiens, pour te motiver, je t’ai emprunté cette petite chose sur ton bureau.
— Mon canard d’or ?
— Oui, ton canard d’or. Celui que tu prétends avoir rapporté d’une expédition au temple perdu, ou je ne sais quoi.
— Mais…
— Tu le retrouveras quand les articles sortiront, un point c’est tout. Toi qui aimes tant distribuer des abonnements VIP, tu n’as qu’à te faire aider de nos lecteurs.

Nager dans les rhododendrons

Chers amis lecteurs, voilà ce que j’ai compris du défi que m’a lancé Antoine : il a enterré le canard d’or, mon canard d’or, dans un lieu secret, connu de lui seul. Et il ne me le rendra que si je suis capable de découvrir le lieu dont il s’agit.

D’après ce que j’ai compris, il y a une énigme à résoudre. Et il a l’intention de cacher les mots composant cette énigme dans les titres et sous-titres des articles de notre dossier sur le bio, qui paraîtra à partir de demain. Je pense qu’on pourra les repérer… mais ce ne sera pas si facile.

Alors voilà ce que je vous propose :
Vous m’aidez à retrouver mon canard d’or, et j’offre un abonnement VIP au premier qui trouve l’endroit.
J’offre aussi des abonnements Quark à ceux qui feront avancer le décodage de l’énigme.

On échangera sur mon compte X @sjowall69 pour poser vos questions et partager les découvertes.

Bien sûr qu’on va la résoudre, cette énigme. « Impossible n’est pas Électrons », n’est-ce pas ?

PS : j’ai quand même un peu fouillé son bureau… et dans un tiroir, j’ai trouvé ça.
Je ne sais pas trop si ça peut aider.
Je publie cet article un peu comme une bouteille à la mer. J’espère qu’il ne va pas trop le caviarder…

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Pseudo-alternatives à l’acétamipride : le naufrage d’une partie de la presse française

27 juillet 2025 à 06:06

Ces derniers jours, la rengaine tourne en boucle : la réautorisation de l’acétamipride serait un non-sens, car — tenez-vous bien — les rendements en betteraves ne se sont pas effondrés depuis l’interdiction des néonicotinoïdes (NNI). En plus, l’ANSES aurait dévoilé plein d’alternatives à ces poisons ! Hélas, c’est faux.

« Loi Duplomb : les alternatives à l’acétamipride existent” (Reporterre), « aucune alternative à l’acétamipride ? (…) C’est en grande partie faux. » (L’Alsace), « Insectes prédateurs… des alternatives aux néonicotinoïdes existent » (Ouest France)… Cette semaine, une volée d’articles aux titres accrocheurs laisse croire à l’existence de solutions miraculeuses. La palme revenant probablement au journal Le Monde, qui laisse sous-entendre que les conclusions de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail sont sans appel : « Loi Duplomb : des « solutions alternatives efficaces et opérationnelles » à l’acétamipride existent depuis des années, selon l’Anses ».

Une manière de prétendre que les agriculteurs exagèrent. Non contents de nous empoisonner, ils ne font aucun effort pour adopter ces solutions de remplacement ! Mais est-ce si facile de se débarrasser de ces NNI ?

Alternatives ? Vraiment ?

En 2018, l’ANSES a produit un rapport explorant les alternatives aux néonicotinoïdes. Concernant la betterave, la désillusion est réelle :

« Pour lutter contre les ravageurs des parties aériennes, dont les pucerons, sur betterave industrielle et fourragère, aucune alternative non chimique suffisamment efficace et opérationnelle n’a été identifiée. »

Plusieurs pistes sont envisagées : le paillage (le fait de couvrir le sol avec de la paille), dont l’efficacité reste modérée et la mise en œuvre très contraignante ; les rotations culturales, qui ont un impact limité ; ou encore l’association avec des plantes « compagnes », intercalées avec les plants cultivés, et capables de limiter la propagation des ravageurs… Mais au prix d’une concurrence avec la betterave. D’autres options non homologuées sont également évoquées, comme les lâchers de prédateurs des pucerons, les champignons entomopathogènes (capables d’émettre des toxines létales pour les insectes), ou les substances répulsives.

Du côté de la chimie, deux molécules de remplacement sont mises en avant : le flonicamide et le spirotétramate. Le premier est jugé efficace en conditions normales, mais insuffisant face à des infestations massives comme en 2020 ; le second, d’une efficacité plus modérée, nécessite des méthodes complémentaires — et son fabricant n’a pas demandé le renouvellement de son autorisation en 2024.

La conclusion du rapport est d’ailleurs sans appel :
« Cette synthèse conclut qu’il n’y a pas d’alternative réelle à l’enrobage [non réintroduit par la loi Duplomb, NDLR] des semences de betterave avec des néonicotinoïdes, alors que les ravageurs semblent déjà montrer des résistances aux principaux insecticides de substitution par traitement foliaire. »

La mise à jour dudit rapport, en 2021, confirme les limites des ces solutions de remplacement, notamment lorsqu’elles sont utilisées isolément. Les auteurs proposent une approche dite « intégrée » : une combinaison de leviers agronomiques associée à un usage ciblé du flonicamide et du spirotétramate, déjà évoqués en 2018. Mais sa mise en œuvre est complexe, et ces deux molécules sont déjà confrontées à l’émergence de résistances préoccupantes chez les pucerons. Le spirotétramate n’étant d’ailleurs, on l’a vu, plus autorisé en Europe. Vous avez dit « alternatives » ?

Et les rendements dans tout ça ?

Les opposants à la loi Duplomb brandissent un histogramme : depuis la fin des dérogations en 2023, les rendements ne se sont pas effondrés. Preuve que les NNI ne servaient à rien ? Pas si vite.

D’abord, les rendements varient fortement selon les années, en fonction de la météo ou de la pression des pucerons. Par exemple, en 2020, après l’interdiction des NNI (2018), mais avant la fameuse « dérogation betterave » (qui les réautorisa de façon exceptionnelle en 2021 et en 2022), les rendements se sont effondrés à cause notamment d’une véritable invasion de pucerons — coïncidence ? Pas sûr.

Certes, les autres années sans NNI (2019, 2023, 2024) n’ont pas été aussi désastreuses que 2020, mais sur l’ensemble des quatre années sans traitement de semences, les rendements restent nettement en retrait : en moyenne, on perd environ 13 % par rapport aux années avec NNI.

Pour minorer les effets climatiques, on peut comparer avec l’Allemagne, où l’acétamipride est resté autorisé. Résultat : alors que les rendements d’outre-Rhin sont généralement inférieurs aux nôtres (climat oblige), en 2020 et 2024, ils ont dépassé ceux de la France — deux années sans NNI chez nous, mais avec NNI chez eux.

Sources : Zuckerverbaende (Allemagne) et Cultures Sucre (France)

Le cas de la noisette est encore plus radical : depuis l’interdiction des NNI en 2018, les rendements s’écroulent, victimes du balanin, un insecte ravageur contre lequel les alternatives peinent à convaincre.

Que faire alors ?

Les NNI ne sont pas sans défauts. Mais dans certains cas, ils restent les seules solutions réellement efficaces. À terme, la sélection génétique pourrait changer la donne, avec des betteraves résistantes aux virus. Mais la diversité des virus en jeu rend la tâche ardue. Peut-être que les nouvelles techniques d’édition génomique (NGT) offriront une voie de sortie ?

En attendant, prétendre que les NNI ne servent à rien relève plus du slogan militant que de l’analyse technique. Retrouver cette idée exposée sans nuance dans de grands quotidiens français est d’autant plus troublant. Ce parti-pris fait tache, alors qu’ils se posent en garants de la rationalité face à la désinformation parfois colportée par les réseaux sociaux. On imagine aisément qu’au sein des rédactions, le cœur de certains journalistes saigne de voir la réputation de leur institution écornée par de tels raccourcis.

Il y a bien, à ce jour, une alternative à l’acétamipride… l’importation.

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Cette norme qui pourrait rendre nos logements invivables

25 juillet 2025 à 03:11

Pensée en contradiction avec la réalité du changement climatique et du développement du télétravail, la RE2020 illustre les travers normatifs français. En voulant réduire l’impact énergétique et climatique des bâtiments, elle pourrait rendre nos logements… invivables.

La Réglementation environnementale 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, s’applique à toutes les constructions neuves, en remplacement d’une autre norme, la RT2012. Son ambition est triple : diminuer la consommation d’énergie primaire (soit celle consommée par nos équipements), prendre en compte les émissions de carbone sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments et garantir un niveau acceptable de confort intérieur en période estivale, dans le contexte du réchauffement climatique. Présentée comme l’un des cadres réglementaires les plus exigeants au monde, cette RE2020 concerne un pan colossal de l’économie. En 2023, la construction neuve représentait près de la moitié du chiffre d’affaires du bâtiment, soit environ 100 milliards d’euros sur les 215 que pèse le secteur.

Contrairement à une loi débattue et votée au Parlement, la RE2020 n’est pas un texte législatif, mais un règlement technique, élaboré sous forme de décret et d’arrêtés. C’est une nuance essentielle, d’abord parce que le pouvoir réglementaire dépend du gouvernement, contrairement au pouvoir législatif, ensuite parce qu’elle repose sur une immense mécanique administrative peu lisible pour le grand public comme pour les élus. À elle seule, la documentation du moteur de calcul thermique – qui sert de base à l’évaluation de conformité – dépasse les 1800 pages. Ce sont ces modèles, d’une extrême précision, qui déterminent si un bâtiment respecte ou non la réglementation. Or, dans un tel système, le moindre paramètre peut faire basculer un projet du bon ou du mauvais côté de la norme.

Une norme déjà obsolète…

Parmi les nouveautés introduites, l’indicateur de confort d’été est l’un des plus discutés. Il mesure, pour chaque logement, le nombre d’heures durant lesquelles la température intérieure dépasse les 26 °C, pondérées en fonction de l’intensité de ce dépassement. Les seuils de tolérance varient selon les zones géographiques, l’orientation des logements et leur configuration (traversante ou non). Le choix du terme « confort d’été » est toutefois trompeur. Il laisse entendre qu’il s’agit d’un simple agrément, alors qu’il est en réalité question d’un enjeu vital face à des canicules qui deviennent plus longues, plus fréquentes et plus sévères. Derrière cette appellation presque légère se cache tout simplement la question centrale de l’habitabilité des logements.

Loi contre les « bouilloires thermiques » : demain, attaquer son propriétaire alors qu’on a la clim ?

J’approfondis

Pour modéliser ce confort d’été, la RE2020 utilise des jeux de données météorologiques couvrant la période 2000-2018, auxquels est ajoutée une seule séquence de canicule basée sur le terrible épisode d’août 2003. Cette approche statistique est déjà en décalage avec la réalité actuelle, et encore plus avec celle qui s’annonce dans le futur. Autre biais majeur : le scénario de vie sur lequel repose la simulation. Par convention, un logement est supposé être inoccupé de 10 h à 18 h, au moins pendant quatre jours chaque semaine, comme le mercredi après-midi, et fermé durant une semaine en décembre. Seules les heures dites « d’occupation » sont prises en compte dans le calcul. En d’autres termes, si la température dépasse les seuils en journée, mais que le logement est censé être vide, cela n’a aucun impact sur l’indicateur. Cette hypothèse, acceptable il y a dix ans, est aujourd’hui largement obsolète. Avec l’essor considérable du télétravail introduit par la pandémie de Covid – qui concerne près d’un salarié sur cinq –, sans compter les retraités, les étudiants ou les jeunes enfants, un grand nombre de logements sont désormais occupés en permanence, donc aussi aux moments où la chaleur devient la plus difficile à supporter.

…qui diabolise la clim

Un autre point de friction se situe dans la manière dont la RE2020 traite la climatisation. Spoiler : très mal. En théorie, cette réglementation ne l’interdit pas. En pratique, elle la dissuade fortement. Le cœur du problème réside dans le mode de calcul du besoin bioclimatique, ou Bbio, un indice théorique qui agrège les déperditions thermiques, les apports solaires et les besoins d’éclairage. Depuis l’entrée en vigueur de la RE2020, le seuil de ce Bbio a été abaissé d’environ 30 %. Pour rester dans les clous, les constructeurs sont donc incités à renforcer l’isolation, optimiser l’orientation, limiter les surfaces vitrées exposées… Jusque-là, tout va bien. Mais il sont surtout contraints de ne pas déclarer de système de refroidissement, si jamais ils en ont implanté un. Car déclarer une climatisation devient très pénalisant. Le logiciel de calcul considère alors que le logement devra maintenir une température de 26 °C en continu, jour et nuit, en supprimant toute forme de rafraîchissement naturel, comme la ventilation nocturne ou l’ouverture des fenêtres.

Pour compenser cette consommation mécanique, il faut alourdir considérablement les performances de l’enveloppe thermique, ce qui entraîne une hausse significative des coûts. Résultat : nombre de promoteurs ou constructeurs font le choix de ne pas déclarer de système de froid dans les documents, même si celui-ci est prévu ou facilement activable. Dans les logements collectifs, notamment sociaux, cela peut se traduire par une désactivation complète du mode froid. Dans certains cas, on n’installe même pas le module de réversibilité sur les pompes à chaleur, alors même qu’il pourrait s’avérer salvateur en période de forte chaleur.

Ce paradoxe réglementaire amène à une situation absurde où l’on interdit de fait aux habitants d’utiliser la fonction de rafraîchissement de leur équipement sur l’autel de la conformité énergétique. Or, si les pompes à chaleur, en particulier les modèles air-eau, ne sont pas très efficaces pour produire du froid, elles le font à un coût carbone relativement modeste. De plus, les nouveaux fluides frigorigènes utilisés sont bien moins nocifs pour le climat que les anciens. Le propane (R290), par exemple, a un potentiel de réchauffement global de 3, contre plus de 2000 pour certains fluides encore en usage il y a peu.

Jeter de l’énergie décarbonée plutôt que rafraîchir

Autre verrou : le coefficient de conversion de l’électricité dans le calcul de l’énergie primaire. Aujourd’hui, l’électricité utilisée pour produire du froid est pénalisée par un coefficient de 2,3, pour 1 kWh réellement consommé. Ce taux est censé refléter la consommation d’énergie nécessaire à sa production. Pertinent pour comparer les sources d’énergie pour le chauffage, il n’a pas beaucoup de sens dans le contexte du rafraîchissement, avec une électricité décarbonée. En 2024, l’intensité carbone moyenne de l’électricité française était de 21,3 g de CO₂ par kilowattheure, contre 64 g retenus officiellement dans les calculs pour le froid par notre règlement. En été, cette intensité est encore plus faible, descendant à 15 g/kWh sur les mois de juillet et août. Le réseau connaît même des périodes d’excédent de production, avec des heures où les prix deviennent négatifs, ce qui signifie que de l’électricité est perdue faute de demande. On a ainsi jeté, au sens énergétique du terme, environ 1,7 térawattheure de production renouvelable en 2024, soit presque trois fois plus qu’en 2023.

Enfin, reste la question des effets de la climatisation sur les îlots de chaleur urbains. Il est vrai que les unités extérieures peuvent réchauffer l’air ambiant, notamment dans les centres-villes denses comme Paris, où la température nocturne à deux mètres du sol peut augmenter de deux degrés. Mais cet effet est bien moindre dans les zones pavillonnaires ou peu denses, qui concentrent aujourd’hui la majorité des constructions neuves. Et il peut être atténué par des choix d’implantation, en installant les unités sur les toits plutôt qu’en façade, afin de favoriser la dissipation de chaleur en hauteur.

Ce que révèle l’ensemble de ces paradoxes, c’est un décalage croissant entre la logique réglementaire et la réalité climatique. Alors que les canicules se multiplient et s’intensifient, la RE2020, en voulant bien faire, risque de produire des logements théoriquement performants mais pratiquement invivables en été. Car, on l’a vu, refroidir passivement un logement est tout simplement impossible. Un aveuglement absurde, et même dangereux : depuis le début du XXIe siècle, les canicules ont fait 32 000 morts en France.

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Pétition Duplomb : quand l’émotion prend le pas sur la raison

23 juillet 2025 à 04:05

Plus d’un million et demi de signatures pour la dénoncer en quelques jours. Tout juste votée, la loi Duplomb devient le symbole des divisions qui traversent notre pays, autant qu’elle traduit notre malaise démocratique. « Loi poison », « Mange, t’es mort », « Le cancer vote à droite »… Les slogans caricaturaux la dénonçant fleurissent, repris par certains journalistes et politiques. Mais que peut bien contenir cette loi pour justifier ces outrances ? Notre agriculture met-elle vraiment les Français en danger ? A moins qu’un péril plus grand ne les guette, celui du populisme.

Laurent Duplomb, sénateur LR de la Haute-Loire, ne s’attendait sans doute pas à passer à la postérité de la contestation en présentant sa proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». C’est pourtant le cas avec son texte, envisagé en réaction aux vives manifestations des agriculteurs du printemps 2024, réclamant une simplification de certaines normes régissant leur profession et un alignement des très sévères réglementations françaises sur celles dictées par l’Europe, pourtant assez rigoureuses.

Que change la loi Duplomb ?

Elle s’articule autour de quatre axes et huit (longs) articles.
En premier lieu et par ordre croissant d’importance ou de capacité à enflammer les débats.

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), sera amenée à traiter en priorité les demandes de mise sur le marché de produits phytosanitaires répondant à un besoin urgent. Une demande partiellement retoquée par le Parlement et réintroduite par décret, ce qui peut être contesté, et le sera. Notamment par Corinne Lepage au nom de l’association Agir pour l’environnement. Une question purement juridique, mais légitime, n’ayant cependant rien à voir, contrairement à ce qui est prétendu, avec une mise sous tutelle de l’Agence, puisque celle-ci reste parfaitement indépendante quant aux avis qu’elle émet.

La loi prévoit ensuite la simplification de l’installation, de la modernisation et de l’agrandissement des bâtiments destinés à l’élevage. S’ils seront toujours soumis aux mêmes normes environnementales, le seuil déclenchant la réalisation d’une étude d’impact va être aligné sur les standards européens. Une mesure qui n’a rien d’un changement de paradigme.

Les deux sujets suivants, les retenues d’eau (les fameuses « mégabassines ») et la réintroduction partielle d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), l’acétamipride, sont en revanche les mèches qui ont déclenché l’incendie politique et sociétal actuel.

Le premier d’entre eux a failli connaître un destin funeste. Issu de l’article 5 de la loi et de son titre III, « Faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource », il a été labouré dans les grandes largeurs en Commission Développement durable par les écologistes et sa présidente, Renaissance, Sandrine Le Feur, afin d’arriver à un résultat contredisant la volonté du législateur. Le but ? Suivre la doxa des Verts visant à interdire les retenues d’eau, ou les réserver aux seuls agriculteurs bio, dont Sandrine Le Feur est… une des représentantes. Le subterfuge n’a heureusement pas été validé. Pour le reste et pour mieux comprendre les enjeux de ces retenues et particulièrement de leur utilité dépendant des sols sur lesquelles elles sont installées, nous vous renvoyons aux trois articles que nous avons déjà consacrés à la question :
Stockage de l’eau : solution ou illusion ?
Quand les députés inventent… l’agriculture sèche
La gestion de l’eau, c’est pas sourcier !

Reste la pièce maîtresse, l’acétamipride.

Il s’agit d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes (NNI), partiellement ré-autorisé par la loi. Il faut insister sur le mot « partiellement ». L’usage de notre accusé ne pourra être accepté qu’en cas de problème majeur, par voie de dérogation, de façon limitée dans le temps, et à la seule condition de l’absence de solution alternative. Rien à voir donc avec une ouverture massive des vannes en faveur de tous les pesticides, ni de celui-ci, comme ce que les contempteurs opportunistes de la loi, et beaucoup de citoyens manipulés mais sincères, prétendent. Et là est toute la question. Encore fallait-il lire la loi.

Autorisé jusqu’en 2033 dans l’Union Européenne (et presque partout ailleurs dans le monde), il a été interdit en France en 2018, comme tous les NNI. Ce ne fut pas sans conséquences. La production de cerises, liée à un autre NNI, s’est effondrée de 25%, sonnant le glas d’un tiers des exploitations. La filière noisettes a perdu l’an dernier, en raison d’un été pluvieux favorisant les ravageurs, 30% d’une récolte… déjà moitié moins importante qu’à l’accoutumée. La filière sucrière française, jusque-là leader européen, a vécu une catastrophe. Avec pour conséquence de regarder impuissante la concurrence allemande prendre sa place avec… ses champs pulvérisés à l’acétamipride. Ainsi, depuis 2019, 6 des 20 sucreries hexagonales ont fermé. Mais c’est toute la filière, qui représente environ 25 000 emplois directs, et 45 000 indirects ou induits, qui est menacée. Sandrine Rousseau a beau dire scandaleusement « La rentabilité [des agriculteurs], je n’en ai rien à péter », c’est de leur survie qu’il s’agit, non de leurs profits. Est-ce aussi négligeable pour les écologistes ? Une réalité sociale qui ne pourra que nourrir la colère paysanne, sans garantir le sucre consommé en France d’être exempt de pesticides dans sa production étrangère. Pour la simple et bonne raison… que c’est aujourd’hui impossible.

Un tueur d’abeilles cancérogène ?

Selon la plupart des agences sanitaires, dont l’EFSA (l’agence sanitaire européenne), la toxicité de l’acétamipride pour les abeilles est nettement plus faible que celle des autres NNI. Sa persistance dans l’environnement est notamment beaucoup plus courte, avec une demi-vie (durée nécessaire à la disparition de 50 % du produit) inférieure à 8 jours, au lieu de plusieurs mois. Sans compter que les abeilles ne butinent pas la betterave, puisqu’elle ne produit… pas de fleurs.

Et pour notre santé ? Malgré certaines déclarations, le lien entre cancer du pancréas et acétamipride n’a été démontré par aucune étude. Les réelles craintes ne portent pas sur son aspect cancérogène mais sur son rôle de potentiel perturbateur endocrinien et sur le développement des enfants. Dit comme cela, c’est effectivement inquiétant. Mais ces risques ne peuvent subvenir qu’en cas d’exposition aiguë – la dose fait le poison. Pour plus de sûreté, dans l’attente d’études complémentaires, l’ANSES a recommandé l’an dernier d’abaisser la dose journalière admissible de résidus (DJA). Et l’exposition chronique des populations est très inférieure à ces seuils. Rappelons par ailleurs l’hypocrisie qui préside à cette soudaine indignation nationale à l’égard de l’acétamipride, alors que personne ne semble s’en offusquer pour ce qui est de sa très large utilisation domestique à des doses non négligeables, dans les insecticides contre les blattes, les fourmis, mais également dans les sprays anti-puces. Quant aux colliers voulant préserver chiens et chats des mêmes parasites, ils sont bourrés d’un autre NNI, l’imidoclapride, bien plus dangereux que l’acétamipride.

Et sinon, nourrir les Français ?

A chercher une solution parfaite, on en oublie les bases de notre sécurité alimentaire. Une agriculture « sans pesticides » ? Aujourd’hui, elle n’existe tout simplement pas, en tous cas pas à des prix raisonnables. En évitant de perdre des récoltes, les pesticides ont mis fin aux famines et sauvé des centaines de millions de vies. Le bio en utilise d’ailleurs aussi, comme le spinosad, redoutable contre les pollinisateurs, mais étonnamment absent des débats. Car non, les agriculteurs sérieux, bio ou non, ne comptent pas sur les couples de mésanges pour régler le problème des insectes, contrairement aux prétentions du député écologiste Benoît Biteau.

Derrière cette hystérie, deux modèles s’affrontent. Le premier, productiviste, qualifié d’intensif, s’améliore en termes sanitaires. Depuis le début du XXIe siècle, les pesticides CMR1, les plus suspectés d’être cancérogènes, ont en France été définitivement interdits les uns après les autres. Par ailleurs, avec l’IA et la génétique, ce modèle est probablement à l’aube de bouleversements plus grands encore, que nous présentons dans notre livre « Trop bio pour être vrai », qui sort le 29 juillet. Le second, que ses partisans aiment appeler « paysan », envisage un retour fantasmé aux traditions, au travail manuel, à l’usage d’intrants naturels, parfois peu efficaces et qui ne sont pas exonérés de risques. Ses promoteurs ferment les yeux sur ses faibles rendements –  20 à 30 % inférieurs – qui rendent impossible sa généralisation sans un recours à une augmentation massive des surfaces, et à la déforestation qui l’accompagne. Mais surtout à une explosion des prix à l’achat dans les commerces. Qu’importe, puisque cette confrontation n’a plus rien de scientifique, elle n’est que politique et irrationnelle.

Dérapage médiatique et politique

Car, au final, de quoi s’agit-il avec l’acétamipride. D’un NNI moins toxique que les autres, dont la réintroduction minimale est indispensable pour la survie de plusieurs filières agricoles, et qui se trouve très encadré… On est très loin d’une atroce « loi pesticides ». Mais les arguments rationnels ont peu de poids face aux slogans anxiogènes qui inondent les médias et aux luttes manichéennes sur les réseaux sociaux ou sur les bancs de l’Assemblée nationale. L’heure est à la politique de l’émotion, toujours victorieuse de la raison, portée par l’infotainment et une communication omniprésente qui détourne le regard de ses promesses de vérité. Ses tenants prétendent alors prendre à témoin le peuple de leur sincérité, l’encourageant à tomber dans le piège du populisme qui leur est tendu. Alors, qu’importe sa qualité ou ses compétences, chacun se jette sans pudeur au cœur de l’agora numérique pour avilir les débats, sans crainte du ridicule, opposant la croyance à la science, les on dit aux faits, la puissance de la voix à la discrétion de l’évidence. Du pain bénit pour ceux, instruits des leçons de Gramsci et de la guerre culturelle, pour lesquels l’instrumentalisation des peurs ne semble avoir aucune limite. Surtout quand elle leur offre tant de profits. N’oublions pas qu’une motion de censure menace le gouvernement à la rentrée et que les prochaines municipales se profilent. La loi Duplomb n’est qu’une variable d’ajustement de ces luttes où chacun se place, sans considération pour le réel… ni pour la décence. Comme en témoigne la manière dont Fleur Breteau, pasionaria du combat contre la loi et ambassadrice de ses porteurs, se met en scène pour témoigner des prétendues horreurs que le texte contient. Styliste, fondatrice d’une chaîne de sex-shop et militante de Greenpeace, elle n’a jamais travaillé dans l’agriculture. Hélas atteinte d’un cancer du sein, comme bien trop de femmes, cette quinquagénaire sert de caution immorale à un combat dont le rapport avec sa maladie reste mystérieux. On rappellera à ce titre que, notamment, contrairement aux cancers de la peau liés à l’exposition au soleil, ceux qui touchent le sein sont 18% moins fréquents chez les agricultrices que dans le reste de la population. Comme l’extrême droite se repaît des faits divers violents pour faire croître son électorat, une partie de la  gauche et d’un centre déboussolé exploite la crainte de la maladie dans le même but.

Et c’est bien leur rencontre que ces deux camps espèrent, in fine, quand « la poudre de perlimpinpin » de ce débat sera retombée, et qu’ils auront éliminé les fauteurs de trouble de la raison et de la science. Escortés, à cette fin, par tous leurs idiots utiles, dont un certain nombre de médecins, qui n’ont, ni lu la loi, ni regardé les études la justifiant, mais veulent à tout prix, comme nombre de citoyens égarés – on les comprend – rester dans ce qu’ils imaginent être « le camp du bien ». Drôle, quand on pense qu’ils livrent ainsi la France à des aliments produits dans de bien plus suspectes conditions que les nôtres, en plus d’attiser des colères dont seuls les populistes profiteront à leurs dépends.

Et après ?

La pétition lancée contre la loi Duplomb continue d’engranger les signatures. Elle a au moins l’avantage de témoigner de l’intérêt croissant (mais pas encore informé) des Français pour les questions écologiques. Elle est le fruit d’une jeune fille de 23 ans, Éléonore Pattery, une étudiante bordelaise en master QSE et RSE (Qualité, Sécurité, Environnement / Responsabilité Sociétale des Entreprises). Elle aussi, dont nous ne doutons pas de la sincérité de l’engagement, connaît, sans doute malgré elle, le même quart d’heure de célébrité poisseux qui atteint le Sénateur Laurent Duplomb. Son texte, (que vous pouvez retrouver ici), hélas exempt de toute donnée scientifique, va continuer à attiser le feu d’un débat délétère qui tendra à s’étioler durant un mois d’août propre aux vacances, avant de voir ses braises raviver le feu de la contestation à la rentrée. Une rentrée à hauts risques. Car, derrière les signatures et l’agitation militante, c’est bien l’extrême droite qui gagne (encore) des points en se mettant en soutien d’un monde agricole lassé du mépris qui lui est témoigné, alors qu’il tente de nourrir le pays. Et ce, avant une motion de censure automnale de tous les dangers. Car, comme l’a rappelé Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, la pétition ne pourra en rien contrarier la loi votée. Elle provoquera un nouveau débat à l’Assemblée, si sa conférence des présidents le souhaite – ce qui sera sans doute le cas. Mais sans projet de loi d’abrogation, ou nouvelle proposition, le texte restera en l’état. A moins que, comme après les manifestations du CPE d’un Dominique de Villepin qui vient de s’inviter dans le débat avec ses mots creux habituels, le chef de l’État use de la même ruse que Jacques Chirac à l’époque. Promulguer la loi, mais demander au gouvernement de ne pas en signer les décrets d’application. Dans ce cas, plus furieux que jamais, les agriculteurs réinvestiront les rues, tandis que leurs filières continueront à s’amenuiser au profit de nations concurrentes et moins contrariées. Si, en revanche, la loi était appliquée, la gauche urbaine et calculatrice, embrigadant dans son sillage une jeunesse pleine de bonne intention et vide de connaissances sur les questions agricoles et scientifiques, viendra battre le pavé du déni en attendant les prochains scrutins qu’elle espère et figureront pourtant son dernier tombeau. 

Imaginez-vous que nous en sommes là. Avec pour bouc émissaire, une loi limitant au possible les licences qu’elle octroie à l’usage d’un pesticide parmi les moins nocifs – ils le sont tous plus ou moins, c’est leur principe – mais prévenant la mort de plusieurs filières agricoles et l’envoi au chômage de dizaines de milliers de Français, sans résoudre aucun problème. Viendra-t-il le jour où ceux, doués de raison, mais mollement imperméables à la violence des débats, (soit, souvent la majorité), auront le courage de prendre parti avant de tout perdre ? La question n’a pas fini de se poser…

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Trop bio pour être vrai ? Le livre !

17 juillet 2025 à 13:01

Il peine à se faire une place dans nos assiettes, mais doit pourtant, pour le législateur, représenter 21 % de notre agriculture dans 4 ans. Derrière ce volontarisme, la promesse d’une alimentation plus saine et plus respectueuse de l’environnement. Mais manger bio est-il vraiment bon pour la santé et pour la planète ?

Un livre compact, direct et ludique, coloré et richement illustré ! Nos spécialistes Stéphane Varaire, Jérôme Barrière, Anne Denis & Frédéric Halbran, soutenus par Antoine Copra et Benjamin Sire, font le point sur l’état de la science, sans a priori et sans faux-semblants.

À grignoter sans modération !

Disponible dès aujourd’hui, sur Amazon pour les versions broché et Kindle et directement sur notre site au format epub.

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Peut-on réellement se passer de la clim ?

17 juillet 2025 à 03:07

Peut-on construire, sans clim, des bâtiments frais en toute circonstance ? C’est ce que semblent croire architectes, constructeurs et pouvoirs publics, qui, des gares aux hôpitaux, multiplient les projets climophobes. Mais est-ce au moins physiquement possible ?

15 000 morts en 2003. Près de 17 000 depuis, selon Santé publique France et l’INSEE. La chaleur, comme le froid, tuent. Dans une France encore mal préparée au réchauffement climatique et à la multiplication des canicules, la climatisation apparaît de plus en plus comme un outil essentiel pour préserver la santé et le confort des populations.

D’autant que notre architecture s’est historiquement — et logiquement — concentrée sur la conservation de la chaleur, pour faire face aux longs hivers qui ont rythmé notre histoire. Créer du froid est, de toute façon, bien plus complexe : les cycles frigorifiques ne datent que de 1834 (brevet de Perkins), et les premiers climatiseurs n’ont vu le jour qu’au début du XXe siècle en Occident.

Aujourd’hui, s’ils fleurissent un peu partout dans le monde, ils restent encore peu répandus chez nous. Et sont souvent méprisés, au motif que des solutions plus « vertueuses », souvent inspirées par un passé marqué du sceau du bon sens, suffiraient. Mais est-ce vraiment le cas ?

Des maisons passives pas si passives que ça

Les maisons dites « passives » sont souvent les premières pistes évoquées. Plus haut standard thermique des bâtiments, leur principe repose sur deux piliers : une isolation importante, pour limiter au maximum les pertes de chaleur comme de fraîcheur, et une captation optimale des apports solaires gratuits, notamment grâce à de larges vitrages orientés plein sud. Ces gains substantiels (plusieurs kW) s’additionnent à la chaleur dégagée par les occupants et les appareils ménagers, permettant ainsi de réduire drastiquement le besoin de chauffage, voire de s’en passer complètement (d’où le terme passif).

Mais ces maisons ont des jokers, honteusement cachés dans leur manche : sèche-serviettes, petits radiateurs soufflants, poêle à bois. Autant de chauffages d’appoint, tout sauf passifs, qui prennent le relais lors des grands froids. Mais, si ces maisons ont besoin de chauffage d’appoint lors des épisodes frigorifiants, pourquoi n’en serait-il pas de même pour contrer la chaleur à l’occasion des canicules ? Comment, à fortiori, des logements standards – près de 99 % du parc immobilier – pourraient-ils se passer de systèmes de refroidissement ponctuels dans de telles circonstances? Car il est, en vérité, bien plus simple de se protéger du froid que de résister à une canicule.

Éviter la chaleur ? Une affaire complexe.

On l’a vu, les conceptions passives reposent sur l’isolation et l’exploitation du soleil hivernal. Or si une bonne isolation contribue indéniablement à conserver la fraîcheur en été, un problème fondamental demeure : le soleil ne peut en aucun cas apporter de la fraîcheur. Et si les protections solaires — casquettes, volets, stores — permettent de limiter la casse, elles ne produisent aucune fraîcheur. Pire : même occultées, nos fenêtres restent des points faibles sur le plan thermique. Enfin, les apports de chaleur internes, si précieux en hiver, deviennent des ennemis qui font grimper le thermomètre …

Hors rénovation, une seule solution, la surventilation !

En dehors de lourds travaux de rénovation, la seule stratégie passive de refroidissement reste la surventilation nocturne. Elle consiste à ouvrir toutes les fenêtres quand l’air est plus frais. Or, cette méthode présente aussi des limites. Lors d’une véritable canicule, les températures nocturnes ne chutent pas suffisamment pour permettre un refroidissement efficace. C’est d’ailleurs l’une des définitions mêmes du phénomène : des nuits chaudes, souvent accompagnées de vents faibles liés à l’anticyclone qui les provoque.

Elle bute également sur des détails pratiques : qui a envie de se réveiller au milieu de la nuit pour tout ouvrir… et laisser entrer des visiteurs indésirables — chauves-souris, moustiques, rats, cambrioleurs — ou des nuisances aussi pénibles, comme le bruit, la lumière ou la pollution ? D’autant que dans de nombreux logements non traversants, la ventilation naturelle est assez peu efficace.

D’autres alternatives ? Oui, mais… coûteuses ou non exportables.

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L’électricité, c’est mal…

Malgré toutes ces limites, les solutions passives sont promues par le législateur au détriment de la climatisation. Celle-ci est en effet perçue comme problématique en raison de sa consommation d’électricité. « L’énergie est notre avenir, économisons-la ! » : la sobriété énergétique est depuis longtemps un objectif central des politiques publiques, au point d’imposer un slogan à tous les fournisseurs d’énergie, décarbonée ou non.

Ainsi, les calculs réglementaires affublent toute consommation d’électricité d’un coefficient 2,3 (1 kWh d’électricité consommé est comptabilisé comme 2,3 kWh) et reposent sur des fichiers météo obsolètes qui sous-estiment les futures canicules, en plus d’idéaliser le comportement des usagers, chez qui les volets ne sont pas toujours fermés, et la surventilation nocturne pas systématique…

Conséquence : même les bâtiments neufs, censés répondre aux exigences du futur, sont mal préparés à des pics de chaleur qui deviennent pourtant la norme.

Quand le réel rattrape la théorie

Les exemples de bâtiments modernes, conçus ou rénovés selon les normes passives, qui deviennent des étuves en été, sont malheureusement légion : les locaux du journal Libération atteignent les 34°C, la mezzanine de la gare de Nantes est fermée à plus de 40°C… Et on peut craindre le pire pour le futur CHU de la métropole ligérienne, où la clim est réservée à une poignée de salles critiques.

Vaut-il mieux investir 100 000 euros dans l’isolation complète d’une maison, sans réelle garantie de confort en cas de canicule, ou installer une climatisation ciblée — par exemple dans les chambres — pour moins de 10 000 euros, afin d’assurer un sommeil réparateur et un refuge efficace contre les chaleurs extrêmes ? 

Car la chaleur tue. Depuis la terrible canicule de 2003, on sait qu’elle peut provoquer des hécatombes. 32 000 vies qui auraient pu être épargnées avec des bâtiments adaptés, même si ce décompte macabre concerne aussi certains travailleurs exposés à d’indécentes chaleurs sur des chantiers. 

La clim n’est pas un luxe

Se protéger d’une chaleur potentiellement mortelle est bien plus difficile que de faire face aux rigueurs de l’hiver. Et les solutions passives, souvent coûteuses et complexes à mettre en œuvre, ne suffisent pas.

Dans la France d’hier, où les canicules restaient rares et brèves, il pouvait sembler acceptable de se passer de systèmes de refroidissement. Mais le réchauffement climatique change complètement la donne. Il impose un nouveau paradigme : celui où la climatisation devient une nécessité.

Aussi imparfaite soit-elle, elle reste aujourd’hui la solution la plus efficace. Loin d’être l’horreur écologique dénoncée par certains, elle constitue un outil de santé publique face à l’augmentation des températures extrêmes.

Dans un pays où la production d’électricité est en grande partie décarbonée, surtout en été grâce au solaire et au nucléaire, considérer la climatisation comme un tabou est une posture qui ne résiste plus à la réalité. C’est un progrès technique devenu indispensable.

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Techno-féminisme : redonnons aux filles l’ambition scientifique !

15 juillet 2025 à 04:34

Les filles réussissent mieux que les garçons à l’école. Pourtant, elles sont moins nombreuses dans les filières scientifiques les plus rémunératrices. Une spécificité des pays censés être égalitaires comme la France, alors qu’elles s’y précipitent dans les nations où leurs droits sont restreints.

Ce phénomène, connu sous le nom de gender equality paradox, a été mis en lumière par plusieurs études internationales. Il désigne une réalité contre-intuitive : plus les femmes ont de droits, moins elles sont nombreuses à choisir des filières STEM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques). À l’inverse, dans des pays où les filles affrontent de lourds obstacles culturels, sociaux ou religieux pour accéder à l’éducation, comme en Inde ou dans certains États du Moyen-Orient, elles sont plus nombreuses à viser les filières techniques.

Quand l’orientation devient un levier d’émancipation

Dans les contextes où les femmes ont peu de marges de manœuvre, la réussite professionnelle n’est pas une option parmi d’autres, mais une nécessité vitale. Une carrière dans un secteur stratégique devient un moyen d’échapper à un destin assigné : mariage précoce, dépendance économique, violences, impossibilité de divorcer. Le choix d’une filière n’est pas guidé par la passion, mais par une stratégie de survie. La liberté prend ici la forme d’une réponse pragmatique à des contraintes très concrètes.

Faut-il alors, dans les pays égalitaires comme le nôtre, rendre la vie des femmes plus difficile pour les inciter à mieux s’orienter ? Bien sûr que non. Imposer une quelconque norme aux jeunes filles n’a aucune chance d’être productif. Mais ce paradoxe mérite qu’on s’y arrête. Car quand la liberté de choix perpétue de subtiles inégalités, ces dernières échappent à l’analyse… et aux politiques censées les corriger.

Le paradoxe de l’égalité de genre

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La rémunération, le levier de décision

Depuis des années, les féministes alertent sur les inégalités salariales. En France, elles restent structurelles. En moyenne, une femme gagne encore 22 % de moins qu’un homme. Et cet écart monte à 42 % dans les couples hétérosexuels après l’arrivée des enfants. La répartition des rôles dans le couple repose fréquemment sur une inégalité initiale. Quand l’un des deux gagne plus, il paraît logique de privilégier sa carrière — surtout quand il faut gérer les contraintes liées à la parentalité.  Souvent, ce sont alors les femmes qui réduisent ou adaptent leur activité. Résultat : en cas de séparation, ce sont elles qui se retrouvent en insécurité économique, avec une carrière en suspens, ralentie… ou interrompue.

L’urgence d’un choix éclairé

Il ne s’agit évidemment pas de dire aux jeunes filles qu’elles doivent choisir leur voie uniquement en fonction du salaire. Les métiers du soin, de l’éducation ou du social, dans lesquels elles sont largement représentées, sont parmi les plus utiles à notre société. Mais pour faire un choix éclairé, encore faut-il disposer de toutes les informations. Cela suppose d’intégrer, sans tabou, les réalités économiques : niveaux de salaire, possibilités d’évolution, accès aux postes à responsabilité, potentiel entrepreneurial.

Dans l’ingénierie informatique, le salaire moyen atteint 3 800 euros nets par mois. Dans le travail social, il se situe entre 1 800 et 2 100 euros. Et si les femmes sont majoritaires dans les filières de biologie (56 %), elles ne dirigent que 18 % des entreprises du secteur des biotechnologies. En droit, elles sont plus nombreuses que les hommes à l’université, mais absentes des segments les plus lucratifs. Elles sont majoritaires dans les affaires familiales, bien moins rémunérées, tandis que les hommes privilégient le droit des affaires.

 L’enjeu n’est donc pas seulement d’intégrer un domaine, mais aussi de choisir les bons espaces de spécialisation à l’intérieur de chaque filière. 

Le poids de la culture : entre dévouement et effacement

Dans notre société judéo-chrétienne, la figure féminine a longtemps été associée à des rôles de dévouement, de sacrifice, de soin, à l’image de la Vierge Marie ou des saintes compatissantes. Cette culture valorise la femme nourricière, éducatrice, soignante, celle qui s’efface au profit des autres. Une vision étonnamment reprise par certains courants féministes contemporains, en opposition à une supposée ambition masculine prédatrice. Les petites filles seraient-elles des êtres trop fragiles pour leur inculquer un certain esprit de compétition ? Leur valeur ne peut-elle s’exprimer que dans le soutien à d’autres, plutôt que dans l’affirmation de leur puissance individuelle et de leur ambition ?

Infirmières, enseignantes, assistantes sociales… si ces métiers sont mal rémunérés, ce n’est pas parce qu’ils sont féminisés, mais parce que le marché du travail obéit à des logiques économiques complexes, notamment de rentabilité, de rareté des compétences ou de poids des responsabilités. Un homme aide-soignant ne sera pas mieux payé qu’une femme. Un professeur d’université subit les mêmes effets de déclassement de l’enseignement supérieur que ses consœurs. 

Favoriser un meilleur accès des femmes aux secteurs porteurs en termes de revenus, d’innovation, d’entrepreneuriat, de pouvoir économique, est plus réaliste que d’appeler de ses vœux la revalorisation des métiers féminisés. 

Une ambition à libérer, un discours à repenser

Il n’est pas question de dicter une voie aux jeunes filles, mais de réhabiliter l’ambition féminine. Affirmer haut et fort que viser un bon salaire, un poste à responsabilité ou une carrière dans un secteur stratégique n’est pas une trahison de soi, mais un acte de liberté. La science, l’innovation, l’entrepreneuriat sont, eux aussi, des formes d’engagement au service des autres : ils permettent de répondre aux besoins de la société, d’améliorer la santé, le confort, l’environnement.

Revaloriser ces chemins, c’est offrir aux filles la possibilité de penser leur avenir dans toutes ses dimensions. Souhaitent-elles avoir des enfants ? Combien ? Veulent-elles voyager, vivre en ville, ou s’assurer une sécurité économique sans dépendre d’un partenaire ?

Dans les pays où les femmes peuvent théoriquement tout faire, on oublie parfois que la liberté ne vaut que si l’on cueille ses fruits. Les conquêtes féministes passent par la conquête du monde. Notamment scientifique.

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Womanizer : l’ère du techno plaisir !

13 juillet 2025 à 05:17

Vibros, consolateurs, godemichés et autres sex-toys : si les objets servant à l’épanouissement sexuel n’ont pas attendu le XXIe siècle pour entrer dans les gens, ce n’est que très récemment qu’ils sont entrés dans les mœurs.

À l’heure d’Internet, de l’intelligence artificielle, des smartphones qui font à peu près tout, sauf le café, et des voitures qui se conduisent toutes seules, il eût été fort surprenant que les techniques pour prendre son pied restent coincées au stade préhistorique (d’ailleurs le plus ancien godemiché connu a 28 000 ans. Il était en pierre et servait aussi à casser du silex — probablement pas simultanément en revanche).

Mais la révolution clitoridienne du XXIe siècle, c’est le Womanizer. Finies les vibrations style machine à laver (un appareil qui, lui, n’a pas fait que libérer la femme), désormais les nouvelles technologies permettent de jouir avec de l’air : « un appareil qui aspire le clitoris, crée des mouvements d’ondes électriques et génère autant de vibrations qui conduisent à l’orgasme».

La femme de son inventeur, Mickaël Lenke, un ingénieur allemand, a dû tester tous les prototypes (on salue son sens du sacrifice) avant de valider la machine qui allait apparemment lutter contre une injustice sociale dont on ne parle pas assez : le « fossé masturbatoire entre les genres ». Selon l’entreprise Womanizer, il concerne 62% des femmes. Une infamie probablement imputable au patriarcat, ou aux néonicotinoïdes, à moins que ce ne soit une question de charge mentale ou de barbecue, on s’y perd. Bref…

Le Womanizer n’est pas juste un sex-toy ; c’est un objet technologique de précision capable, contrairement à tout un tas d’hommes, de garantir un orgasme d’une efficacité chirurgicale en un temps record, et ce autant de fois que nécessaire et sans se plaindre. C’est un moyen d’automatiser le plaisir mais aussi de le libérer des contraintes affectives et sexuelles. Il s’inscrit dans le sillage des objets offerts par la révolution technologique qui nous permettent de nous détacher des autres, au même titre que le smartphone et les écouteurs (à la différence qu’on n’a pas encore signalé d’utilisatrice qui en ferait profiter tout le monde avec le son à fond dans les transports en commun. Pour l’instant.)

Les mots et la chose

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Prendre le contrôle de son plaisir grâce aux progrès technologiques, c’est aussi un argument pour certaines féministes qui y voient une manière de se détacher un peu plus des hommes grâce à la machine. C’est aussi un moyen de s’éloigner du stigmate englué à la pratique depuis la nuit des temps.

Prendre son pied, c’était pas mieux avant

Si les Romains ne voyaient pas malice à s’amuser avec divers objets pour s’envoyer en l’air, seul ou à plusieurs (jetez un œil au « cabinet secret » du musée archéologique de Naples pour admirer certains objets retrouvés dans les ruines pompéiennes dont la destination laisse peu de place au doute), et que les Grecs utilisaient des olisbos, des phallus de cuir rembourrés de crin qui, selon Aristophane, occupaient les femmes en l’absence de leurs maris (ils nous ont laissé suffisamment d’œuvres graphiques pour savoir qu’elles n’étaient pas les seules à s’en servir), au Moyen-Âge, en Occident, le plaisir solitaire devient brusquement un péché mortel sanctionné par des peines longues et dures.

À l’époque des Lumières et de l’avènement de la science, la masturbation devient carrément dangereuse pour la santé, « cause d’une infinité de maladies très graves, le plus souvent mortelles » peut-on lire dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Comme quoi, on a beau jeu de mettre la mortalité sur le dos des famines, guerres, maladies et autres fléaux : l’explication était peut-être beaucoup plus simple.

Pas touche !

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Le XIXe siècle – misère – est à la fois celui d’une violente répression masturbatoire (à l’aide de diverses ceintures, mécanismes à pointes voire mutilation génitale) et de la mécanisation des jouets sexuels. Alors qu’il cherchait simplement à soulager les douleurs musculaires, un certain Dr Granville invente sans faire exprès (le hasard fait bien les choses) le tout premier vibromasseur. Jusqu’aux années 1920, ce type d’appareil électrique sera utilisé par les médecins pour « soigner » les femmes hystériques (maladie à la très large définition qui va des crampes aux mains au cancer en passant par la vulgarité du langage, les nausées et les sautes d’humeur).

Le tout premier sex-shop ouvre en Allemagne (décidément) en 1962. Et depuis l’arrivée salvatrice d’Internet, il n’est désormais plus nécessaire de rentrer discrètement dans une boutique interlope à la vitrine opaque pour se procurer un sex-toy : les magasins de plaisir ont désormais vibro sur rue et font de la publicité jusque dans le métro. La pratique masturbatoire s’est démocratisée et s’astiquer le totem n’est désormais plus tabou.

La chasteté par les corn-flakes

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Le sexe, une valeur en chute libre ?

Selon une enquête de Grand View Research, le marché mondial des sex-toys tournait autour de 35,2 milliards de dollars en 2023 et devrait atteindre rien moins que 62,7 milliards d’ici 2030. Cet essor correspond non seulement à un déclin de la natalité, mais aussi à un désintérêt des jeunes générations pour le jeu de la bête à deux dos. Selon une étude Ifop pour LELO (réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus), chez les moins de 35 ans, 52% des hommes ont déjà évité un rapport sexuel pour se masturber avec un sex-toy (et 22% des femmes). Chez ces jeunes, 50% des hommes ont déjà évité un rapport sexuel pour regarder une série ou un film (41% des femmes), pour aller sur les réseaux sociaux (48% pour les hommes contre 19% pour les femmes), et les jeux vidéo ont déjà été une bonne raison pour 53% des hommes de refuser une partie de jambes en l’air (contre 43% des femmes).

Une autre enquête conduite par l’Inserm en 2023 révèle que davantage de femmes admettent se masturber (elles étaient 42,2% en 1992, 72,9% en 2023). L’activité sexuelle et la fréquence des rapports ont diminué pour les deux sexes et dans tous les groupes d’âge :

Comment expliquer cette chasteté nouvelle ? Le développement du virtuel, particulièrement depuis la pandémie de Covid qui a également fait naître chez de nombreux jeunes la peur du corps de l’autre, potentiellement contaminant (sans compter le risque de se prendre un râteau) ? La vague #metoo est une explication : si elle a à la fois libéré la parole des femmes et entrouvert les oreilles des hommes, elle décourage aussi les prises d’initiatives chez certains qui craignent d’être perçus comme des agresseurs par des jeunes femmes convaincues par des voix médiatiques ou politiques que tous les mâles sont toxiques. N’oublions pas qu’un homme sur deux ou trois est un agresseur sexuel, comme l’affirme sans preuve et sans vergogne Caroline de Haas, qui propose de lucratives formations aux entreprises pour débusquer les prédateurs qu’elles emploient.

La génération Instagram a cela de paradoxal que s’y côtoient des adolescentes hypersexualisées et une nouvelle forme de pruderie et de jugement moral vis-à-vis du cul et des parades nuptiales humaines (autrefois appelées « drague »). Avec le sommeil et l’alimentation, le sexe est une activité animale par excellence et les tentatives de « déconstruction » en vogue au sein d’une certaine jeunesse tournant délibérément le dos aux attitudes des générations précédentes conduisent à des comportements d’abstinence ou de virtualité dont le potentiel d’épanouissement reste à prouver.

Si la révolution technologique a permis de libérer l’orgasme, reste encore à libérer la tête.

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Votre frigo consomme plus d’électricité que 3 milliards de personnes

12 juillet 2025 à 05:17

En 2013, Todd Moss fait ses courses dans un magasin d’électroménager. Sur l’étiquette énergétique de son nouveau réfrigérateur, un chiffre le frappe : 459 kWh par an. Le déclic est immédiat : son frigo familial va consommer plus d’électricité que la plupart des Africains. Pour Todd Moss l’urgence est là : aucun pays n’est jamais sorti de la pauvreté sans avoir accès à une énergie abondante. Plutôt que de faire des leçons de morale aux pays en développement, assurons-nous qu’ils aient accès à suffisamment d’électricité stable et bon marché.

Les chiffres donnent le vertige. 3,3 milliards de personnes vivent encore aujourd’hui dans des régions où la consommation électrique par habitant est inférieure à celle d’un réfrigérateur américain standard. 4 personnes sur 10 sur cette planète appartiennent à ce que l’on pourrait appeler le « monde débranché ». Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, la consommation moyenne n’est que de 172 kWh par personne et par an. Si l’on exclut l’Afrique du Sud, la consommation d’énergie par habitant en Afrique subsaharienne n’est que de 180 kWh par an – la même que celle d’un frigo de nouvelle génération. À titre de comparaison, un Français consomme en moyenne 7 000 kWh par an, un Américain plus de 12 000.

La pauvreté énergétique en Afrique se traduit par des drames humains quotidiens. 3,8 millions de personnes meurent prématurément chaque année à cause de la pollution de l’air intérieur, selon l’Organisation mondiale de la santé. La cause ? Les 2,6 milliards d’individus qui cuisinent encore au bois, au charbon ou aux excréments d’animaux dans des espaces confinés.

L’énergie abondante, clé du développement humain

Hans Rosling, le regretté statisticien suédois, estimait que 5 milliards de personnes portent aujourd’hui des vêtements lavés à la main. Cela signifie que 2,5 milliards de femmes et de filles passent une partie de leur temps à frotter du linge dans des bassines plutôt qu’à étudier ou travailler.

L’impact de l’électrification sur l’éducation féminine est spectaculaire. Au Bangladesh, une étude a montré que le taux d’alphabétisation des femmes était 31% plus élevé dans les villages électrifiés que dans ceux qui ne l’étaient pas. Chaque heure passée au lavoir est une heure perdue en classe.

Au Nigeria, le réseau électrique national ne fonctionne que 7 heures par jour. Les entreprises subissent en moyenne 32 coupures par mois, chacune durant près de 12 heures. Au Ghana les black-outs sont si fréquents que les Ghanéens ont inventé un argot spécial pour désigner les délestages sauvages. Les entreprises sont contraintes de renvoyer leurs employés chez eux, de licencier leur personnel le plus coûteux et de suspendre leur production.

L’instabilité chronique s’enracine aussi dans les manipulations politiques qui transforment l’électricité en outil de pouvoir. Avant certaines échéances électorales, un phénomène troublant se répète : les coupures diminuent miraculeusement et les dirigeants revendiquent leurs “succès” énergétiques. Cette stabilisation artificielle, financée à coups d’investissements de dernière minute et de renflouements d’urgence, s’évapore sitôt les urnes fermées. Au Gabon des coupures massives ont même été dénoncées comme des sabotages politiques visant à discréditer l’opposition.

Résultat ? Dans les rues de Lagos ou d’Abuja, une symphonie assourdissante de générateurs diesel empoisonne l’air jour et nuit. 71% des entreprises nigérianes possèdent un générateur, tout comme près de la moitié des ménages. Les restaurants et hôtels ne peuvent plus garantir la réfrigération de leurs denrées et doivent régulièrement jeter leur stock. Les épiceries ferment boutique dès que l’électricité s’interrompt.

L’engrenage fatal des prix artificiellement bas de l’électricité en Afrique

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Comme le résume Todd Moss : « Il n’existe pas de pays riche avec une faible consommation d’énergie. » L’électricité alimente les cuisines, les hôpitaux, les systèmes d’assainissement, les pompes à eau, les usines, les écoles, les machines des entreprises, la climatisation. Elle est un carburant indispensable du développement humain.

Le colonialisme vert, nouvelle forme d’oppression

Pourtant, au moment où l’Afrique tente de combattre sa pauvreté énergétique, une nouvelle forme de paternalisme émerge : ce que certains appellent le « colonialisme vert ». Cette doctrine consiste pour les pays riches à imposer leurs priorités climatiques aux nations pauvres, reproduisant des schémas coloniaux sous couvert d’écologie. En 2017, la Banque mondiale a annoncé qu’elle cesserait de financer les projets pétroliers et gaziers. 20 pays riches, dont la Norvège, se sont engagés à arrêter tout financement de projets fossiles à l’étranger d’ici 2025.

L’ironie est cruelle. La Norvège, qui tire 41% de ses exportations du pétrole et du gaz, explique aux Africains qu’ils doivent se contenter de panneaux solaires et de « micro-réseaux intelligents ». Comme l’écrit l’économiste Vijaya Ramachandran dans Foreign Policy en 2021, le message implicite est : « Nous resterons riches, nous vous empêcherons de vous développer, et nous vous enverrons un peu de charité tant que vous maintiendrez vos émissions à un niveau bas. »

Cette approche n’est pas seulement hypocrite, elle est mortelle. Quand les institutions internationales découragent l’usage du gaz de pétrole liquéfié (GPL) pour la cuisine sous prétexte qu’il s’agit d’un combustible fossile, elles condamnent de facto des millions de femmes et d’enfants africains à continuer de s’intoxiquer avec la fumée de leurs foyers traditionnels.

Pour les experts en santé publique comme Nigel Bruce de l’Université de Liverpool, la réalité est pourtant limpide : le GPL reste pour les 10 à 20 prochaines années le seul combustible propre qui coche toutes les cases pour l’Afrique. Il est populaire, répond aux besoins des ménages, facile à stocker et transporter, et surtout disponible dès maintenant dans les quantités nécessaires.

Critiquer l’usage du gaz naturel en Afrique au nom du climat relève de l’aveuglement. Si l’Afrique subsaharienne triplait sa production électrique en utilisant uniquement du gaz, cela ne représenterait que 0,6% des émissions mondiales supplémentaires. Et l’énergie domestique au GPL émet 60% de gaz à effet de serre en moins que la cuisson traditionnelle au bois.

L’abondance énergétique pour tous

Todd Moss est catégorique : son graphique du réfrigérateur n’est pas « un graphique d’austérité » mais  « un graphique d’opportunité manquée ». Le problème n’est pas que les Occidentaux consomment trop d’énergie, mais que des milliards d’êtres humains n’en consomment pas assez.

L’objectif ne devrait pas être de réduire la consommation suédoise ou américaine, mais d’amener chaque personne à au moins 1 000 kWh par personne par an à court terme, puis 5 000 à 10 000 kWh à moyen et long terme. Si le Nigeria, le Libéria, le Sénégal ou Haïti atteignaient le niveau de consommation électrique de la Suède, ce ne serait pas un cauchemar climatique mais un succès humanitaire retentissant. Un monde d’égalité énergétique n’est pas un monde de pauvreté forcée, mais un monde d’abondance universelle.

Pour les nations développées, l’enjeu majeur réside dans un double défi énergétique : décarboner leur production électrique tout en l’accroissant substantiellement pour accompagner l’électrification du chauffage et des transports. L’écart demeure saisissant entre les 6 000 kWh largement décarbonés que consomme annuellement un Français et cette même consommation chez un Allemand, où charbon et gaz fossiles conservent une emprise prépondérante sur le mix électrique.

La nécessaire transition énergétique à l’échelle mondiale ne doit toutefois pas faire l’impasse sur le besoin fondamental d’énergie stable et abondante pour tous. Les aides à destination de l’Afrique doivent inclure toutes les technologies disponibles : renouvelables, fossiles et nucléaires. L’objectif est d’offrir à chaque être humain ce que nous tenons pour acquis dans les pays riches : une électricité toujours disponible et à bon marché. N’oublions jamais que l’accès à l’énergie n’est pas qu’une question technique ou climatique, mais avant tout une question de dignité humaine.

Cet article est inspiré de « Why The Fridge Continues to Resonate » de Todd Moss, publié le 23 février 2023 sur Substack.

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Brésil : violence, stop ou encore ?

11 juillet 2025 à 04:44

Dans l’imaginaire collectif, le Brésil, ce sont les plages de Copacabana, le football, le Festival de Rio, mais aussi les favelas et leur violence endémique, immortalisées par le film La cité de Dieu. Tout cela existe bel et bien. Pourtant, certaines parties du pays, dont plusieurs des quartiers les plus dangereux des grandes villes, connaissent un net recul de la criminalité, malgré de nombreuses zones d’ombres dans les chiffres de l’embellie.

Cela fait des décennies que le Brésil se débat avec un nombre d’homicides effrayants, souvent supérieurs à ceux de pays en guerre. Or, en une décennie, il a opéré une lente mais réelle bascule, voyant la violence nettement reculer, même si elle reste très élevée.

Selon les derniers chiffres de l’Atlas da Violência publiés en mai 2025, le Brésil a enregistré en 2023 45 747 homicides, contre 57 396 en 2013, soit une baisse de 20,3 %. Encore plus frappant : depuis le sommet sanglant de 2017, où 65 602 personnes avaient été assassinées, la chute atteint 30,2 %. Le taux national passe à 21,2 homicides pour 100 000 habitants, son plus bas niveau en onze ans. Un chiffre à néanmoins relativiser, si on le compare à celui de la France, autour de 1,2 pour 100 000 habitants.

La géographie de la baisse

Pour comprendre cette transformation, il faut regarder au-delà de la moyenne nationale. Le site du Forum brésilien de la sécurité publique publie des cartes interactives révélant la disparité régionale. D’un côté, l’État de São Paulo affiche un taux d’homicides de 6,4 pour 100 000, comparable à celui de certains pays européens. De l’autre, Bahia, Amapá ou Amazonas atteignent encore plus de 40 voire 50 pour 100 000 habitants, des niveaux qui demeurent critiques.

Carte avec les villes brésiliennes. Plus la couleur est foncée, plus le taux d’homicides dans la ville est élevé. Crédit photo : FBSP. (Source interlira report)

Un visuel mis à jour par l’Igarapé Institute en avril 2025 montre une concentration des violences dans les États du Nord et du Nordeste, précisément là où les politiques publiques sont les plus fragmentées. À l’inverse, les États du Sud, notamment Santa Catarina, Paraná ou Rio Grande do Sul, suivent des trajectoires plus stables, largement grâce à des systèmes éducatifs et policiers mieux financés.

Moins de jeunes, moins de crimes ?

Plusieurs dynamiques expliquent cette décrue. D’abord, la transition démographique. Une donnée qui n’est pas exactement positive. Le Brésil est une nation vieillissante. Alors que dans les années 1960, on enregistrait un taux de plus de 6 enfants par femme, celui-ci s’est littéralement effondré, pour atteindre 1,62 aujourd’hui, signifiant la perspective d’une baisse de la population. Or, logiquement, ce sont les jeunes hommes qui sont statistiquement les plus impliqués dans les violences urbaines. Ce qui justifie une part de la décroissance des faits constatés. Cette évolution, déjà observée dans des pays comme le Mexique, a un impact direct et mécanique sur les taux d’homicides.

Mais ce recul de la criminalité s’explique aussi par un phénomène plus étonnant : la trêve entre factions criminelles. Depuis 2019, les deux grandes organisations du pays, le PCC (Primeiro Comando da Capital), implanté à São Paulo, et le Comando Vermelho, actif à Rio, auraient mis en place un pacte tacite de non-agression. Moins de guerres territoriales, donc moins de morts. Une paix froide, mafieuse, mais efficace pour faire baisser les chiffres et participer à restaurer une certaine paix.

Enfin et surtout, les politiques de sécurité évoluent. Dans l’État de São Paulo, la généralisation des caméras-piétons sur les policiers, les bases de données croisées et les interventions plus ciblées semblent avoir légèrement limité les bavures, tout en augmentant la capacité des forces de l’ordre à réagir avec efficacité.

À Fortaleza, la capitale du Ceará, au nord-est du pays, une étude de l’université fédérale locale montre que les « blitz » policiers (opérations rapides, massives, concentrées dans un temps et un espace réduits) ont fait baisser les violences de 35 % sans effet rebond dans les quartiers voisins. Quant à Rio, où des UPP (Unités de Police de Pacification) ont été introduites en 2008, la violence a sensiblement diminué dans certaines favelas. C’est ce que confirme une analyse de l’Université de Stanford portant sur les données géolocalisées des homicides et des morts imputées à la police entre 2005 et 2014. Grâce à elles, le nombre de confrontations mortelles entre forces de l’ordre et trafiquants a baissé, ainsi que le nombre de morts civils consécutifs à ces violences. Plus précisément, le rapport note qu’entre 2008 et 2012, les UPP ont permis une réduction notable des homicides dans les zones ciblées, souvent beaucoup plus accentuées que dans le reste de Rio. Elles ont également participé à diffuser une plus grande perception de sécurité parmi les habitants et à intégrer progressivement une part des favelas dans le tissu urbain. Hélas, les soubresauts de la politique brésilienne ont participé à les voir s’étioler au fur et à mesure.

UPP : la promesse d’une paix par le haut

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Mais encore trop de violences policières

Certes les homicides reculent, y compris, comme nous l’avons vu, ceux imputables à la police, particulièrement là où les UPP ont été déployées. Mais leur nombre reste encore effrayant. Ainsi, en 2023, plus de 6 000 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre, selon Amnesty International. Sans surprise, la majorité des victimes sont jeunes, noires et pauvres. Le massacre de Jacarezinho et ses 28 morts dont plusieurs civils sans arme, en mai 2021, reste dans toutes les mémoires.

À ce titre, dans un rapport publié en février 2025, Human Rights Watch dénonce une « stratégie d’exécution extrajudiciaire de facto » encore de mise dans certaines favelas de Rio et de Salvador, rarement suivie d’enquêtes et encore moins de poursuites. Le tout sans compter les actions morbides de nombreuses milices. Moins visibles que les gangs, mais tout aussi violentes, elles contrôlent désormais jusqu’à 60 % des quartiers périphériques de Rio, imposant leur loi, leurs taxes, leurs couvre-feux, se substituant dangereusement à l’État.

L’Amazonie : nouvel épicentre de la violence

Si la situation s’améliore progressivement dans certaines villes, hélas, la violence à tendance à se déplacer vers de nouvelles zones, à commencer par celles suivant les rives de l’Amazonie. Un rapport de l’Associated Press, publié en mai 2025, révèle que plus d’un tiers des municipalités de la région (260 sur 772) sont aujourd’hui sous influence de factions criminelles, principalement liées au PCC, au CV, ou à des groupes transfrontaliers opérant aussi au Pérou et en Colombie.

Dans ces zones isolées, la lutte pour le contrôle de l’orpaillage illégal, des pistes clandestines liées au trafic de drogue et des routes fluviales provoquent une montée spectaculaire de la violence, souvent ignorée par les médias du Sud. À Porto Velho, entre le 9 et le 13 janvier 2025, 13 personnes ont été tuées dans des affrontements entre police et groupes armés, rappelle le journal Globo. Le gouverneur de Rondônia a reconnu que son État « n’avait plus les moyens humains de contrôler l’intérieur amazonien ».

L’orpaillage : une criminalité ignorée

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En attendant un vrai contrat social

Au final, la décrue des homicides est indiscutable, mais relative, les raisons y présidant n’étant pas toujours liée à des phénomènes encourageants. Si elle mérite d’être saluée, elle ne saurait masquer les nouvelles formes de violence et leurs déplacements territoriaux, ni l’absence persistante de l’État et de ses prodigalités sociales, souvent remplacées par celles des gangs, dans de vastes territoires. À l’heure actuelle, elle dépend davantage du bon vouloir des cartels et de la performance policière que d’un contrat social restauré. C’est pourtant cette seule condition qui permettra à cette dynamique de prendre un virage structurel…

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A69 : l’autoroute à contresens

10 juillet 2025 à 04:43

Depuis plus de deux ans, le feuilleton du chantier de l’autoroute A69 cristallise les tensions. Ce week-end encore, une “turboteuf” s’est tenue au château de Scopont, lieu de convergence des luttes entre écologistes radicaux, drapeaux palestiniens et châtelain en détresse. L’occasion de faire le point sur les arguments des uns et des autres autour de cette autoroute mal aimée.

Un serpent de mer…

L’autoroute A69, c’est ce tronçon à 2 × 2 voies de 53 km en construction destiné à relier l’A68 (près de Toulouse) à la rocade de Castres. L’idée d’une liaison rapide remonte à la fin des années 1990. Le bassin Castres–Mazamet, qui compte environ 100 000 habitants et 50 000 emplois, est le seul de cette taille à ne bénéficier ni d’une autoroute, ni d’une ligne TGV. La RN126, route nationale étroite et sinueuse, y est régulièrement saturée et accidentogène.

Plusieurs options sont envisagées avant que l’option autoroutière ne soit retenue en 2014. Financé à 77 % par le concessionnaire privé ATOSCA, le projet obtient un avis favorable lors de l’enquête publique (plus de 15 000 pages), puis une Déclaration d’Utilité Publique en 2018. Les travaux, démarrés en 2023, sont suspendus en février 2025 à la suite d’un recours administratif, puis relancés au printemps, au grand dam des opposants.

… devenu symbole à abattre

Car, très vite, l’A69 est devenue la cible privilégiée des écologistes et de leurs relais politiques. En 2023, à peine les travaux lancés, plusieurs associations ont déposé un recours contre les autorisations environnementales, dans l’espoir d’obtenir la suspension du chantier, voire son abandon pur et simple.

Se sont alors enchaînées occupations du chantier, manifestations “festives”, tribunes collectives et actions judiciaires. Avec, en tête de gondole de la contestation, des figures militantes de Paris et Toulouse dénonçant un projet “anachronique”, “écocide” ou “climaticide”.

Usant de leur statut comme argument d’autorité, un aréopage de scientifiques “en rébellion” présente notre autoroute comme  “le symbole de ce qu’il ne faut plus faire” : — une dénonciation plus incantatoire que factuelle, appelant à “changer nos imaginaires fondés sur la vitesse, l’accélération, l’accumulation”, sans jamais chiffrer les enjeux concrets. Même logique chez Cyril Dion : « Si on n’arrête pas un projet comme l’A69, on va arrêter quoi pour faire face au péril climatique ? ». L’enjeu n’est donc plus l’impact réel du projet, mais la portée symbolique de son abandon. Le résultat importe moins que l’ivresse de l’action.

A69 : la fabrique de l’opinion

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Écolos des villes et locaux des champs

De quoi alimenter un vrai feuilleton. La preuve : en février 2025, un coup de théâtre remet tout en cause. Le tribunal administratif de Toulouse annule l’autorisation environnementale. Sensible aux arguments des requérants, il estime qu’il n’existe « pas de nécessité impérieuse » à réaliser le projet, et que les bénéfices invoqués — gain de temps, désenclavement, sécurité — ne justifient pas qu’on déroge aux objectifs de conservation de la biodiversité.

Les écologistes des centres-villes crient victoire, exigeant l’arrêt définitif du projet, et font la fête à Toulouse. Depuis Paris, Laurence Tubiana, figure centrale de la diplomatie climatique française, enfonce le clou : “le bassin de Castres n’est pas enclavé”, “l’autoroute n’a pas d’intérêt pour les entreprises”, et “l’intérêt réel du Tarn, c’est de faire face aux sécheresses et aux inondations qu’il subit”.

De quoi nourrir un ressentiment local bien réel : celui alimenté par des gens extérieurs à un territoire, qu’ils ne connaissent pas, expliquant à ses habitants ce qui est bon pour eux. Mépris de classe et paternalisme s’invitent dans la danse.

Et quelle alternative leur propose-t-on ? Un projet baptisé « Une autre voie », qui pousse le décalage jusqu’à la caricature : 87 km de véloroute, une “centrale des fertilités”, un “hameau des low-techs”, et à Castres… ”La cité du vélo”. Le tout financé par 100 millions d’euros d’argent public, sans étude d’impact sérieuse ni faisabilité démontrée.

Docufiction : cinq ans après l’abandon de l’A69, une vélodéroute 

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L’A69 en questions

Mais au-delà du bruit d’une minorité militante — 8 Français sur 10 soutiennent les grands projets d’aménagement — des questions légitimes continuent de se poser.

Un projet écocide ?

C’est un fait : comme toute infrastructure, l’A69 a un impact écologique. Elle entraîne l’artificialisation de  300 hectares — 1/9000e de la surface agricole utile française. Le projet prévoit cependant 1 000 hectares de compensations, dont 35 sites écologiques, 200 ouvrages de franchissement pour la faune, et des zones humides reconstituées. Des mesures spécifiques  — replantation de haies, déplacements, corridors écologiques — ont été prises pour la préservation des espèces protégées avec un objectif de zéro perte nette. A elles seules, ces mesures environnementales représentent 23 % du coût global.

Un projet anachronique ?

Une des questions qui se posent, concerne la justification d’un projet conçu à la fin du XXe siècle et pensé avant que l’heure de l’urgence écologique sonne de manière aussi assourdissante qu’aujourd’hui. Les opposants dénoncent une infrastructure héritée du temps du “tout-voiture”. Mais ses défenseurs répondent qu’une autoroute bien pensée peut accompagner la transition grâce aux véhicules électriques ou autonomes, au covoiturage, ou à la logistique bas-carbone…

Ils soutiennent que de bonnes routes rendent la mobilité plus fluide, plus sûre, mieux connectée — et donc potentiellement plus sobre. Avec, en toile de fond, un constat souvent oublié : le réseau autoroutier principal français reste, à densité égale de population, l’un des moins développés d’Europe.

Aménager la nationale ?

Comme pour la ligne grande vitesse (LGV) ou le Lyon–Turin, l’alternative mise en avant consiste à moderniser l’existant. Mais les études commandées par les opposants montrent que l’aménagement de la RN126 nécessiterait l’abattage de 1 600 arbres (contre 200 pour l’A69), l’expropriation de 90 habitations (contre 36), pour un niveau d’artificialisation équivalent. Et un financement 100 % public, contre seulement 23 % pour l’autoroute. Une aberration. Car adapter une infrastructure ancienne aux normes actuelles (gabarit, sécurité, bruit, continuité écologique) s’avère souvent plus complexe, plus coûteux et plus destructeur de l’environnement qu’un tracé neuf bien conçu.

Un coût élevé pour un gain minime ?

L’argument revient souvent. Un tel projet supposera un péage élevé pour un gain de temps jugé marginal. Mais cette lecture passe à côté de l’essentiel. L’objectif n’est pas de faire de Castres ou Mazamet des cités-dortoirs de Toulouse, mais de créer les conditions d’un développement économique autonome. En attirant des entreprises. En créant de l’emploi localement. Comme à Albi, où l’arrivée de l’A68 a enclenché une dynamique territoriale.

Désenclaver ou renoncer

Le bassin Castres–Mazamet n’a pas d’autoroute. Pas de TGV. L’aéroport de Castres, mis en avant par le TA de Toulouse, n’est qu’un gros aérodrome régional. Mazamet s’étiole. Castres survit sous perfusion des laboratoires Pierre Fabre.

L’A69 ne réglera pas tout. Mais sans elle, Castres et Mazamet restent structurellement enclavées. Il ne s’agit pas seulement de minutes gagnées, mais d’accessibilité, de connectivité, d’emploi et d’image. Elle n’est sans doute pas une condition suffisante au développement, mais elle en est aujourd’hui une condition nécessaire.

Y renoncer, c’est accepter l’immobilisme. C’est faire primer le symbole sur le réel. C’est laisser une partie du territoire décroître au nom d’une écologie de posture. La question est donc simple : veut-on désenclaver ce territoire… ou le laisser sur le bas-côté ?

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Le temps des robots !

8 juillet 2025 à 04:14

Parler de robotique en 2025, ce n’est plus envisager un possible avenir digne d’un film de science-fiction, mais faire le constat que ce monde est déjà le nôtre. La preuve avec l’IA embarquée de Google et l’automatisation logistique d’Amazon. Une robotique couplée à l’intelligence artificielle (IA) qui ouvre des perspectives fascinantes… et pose des questions.

Alors que la révolution de l’intelligence artificielle n’est toujours pas appréhendée à sa juste valeur, ou plutôt, à son juste pouvoir, par les gouvernements et nombre de citoyens, un autre changement radical est en train de tisser sa toile dans son sillage grâce aux progrès fulgurants de la robotique. Une technologie qui franchit des pas de géants ces derniers mois, boostée par les investissements faramineux des mastodontes de la tech. Pour le meilleur ou pour le pire, à nous de voir ? Une chose est sûre : le monde que nous connaissons est en train d’être balayé en un clin d’œil.

Google et Gemini Robotics : l’IA qui donne des ailes aux robots

Google DeepMind a frappé un grand coup en 2025 avec le lancement de Gemini Robotics, suivi de Gemini Robotics-ER et Gemini Robotics On-Device. Ces modèles d’IA, basés sur Gemini 2.0, ne se contentent pas de faire parler les robots : ils leur donnent une véritable compréhension du monde. Imaginez un bras robotique qui, sur une simple consigne en langage naturel, range un crayon, plie un papier ou saisit délicatement l’anse d’une tasse de café. Avec Gemini Robotics-ER, le raisonnement spatial atteint un niveau bluffant : le robot peut analyser son environnement en 3D, planifier ses mouvements et même refuser une action si elle lui semble risquée. C’est un pas décisif vers des robots capables de s’adapter à l’imprévu, un peu comme des humains apprenant sur le tas.

Mais le vrai tour de force, c’est Gemini Robotics On-Device, dévoilé le mois dernier, qui vient de l’accomplir. Ce modèle fonctionne sans connexion Internet, directement embarqué sur le robot. Résultat ? Des machines qui réagissent en temps réel, avec une latence réduite et une confidentialité renforcée. Que ce soit sur un bras Aloha, un bi-bras Franka FR3 ou l’humanoïde Apollo d’Apptronik, pour citer les ténors du marché, ce système peut apprendre une nouvelle tâche – dézipper un sac, plier des vêtements – après seulement 50 à 100 démonstrations.

Google va plus loin en proposant un SDK (Software Development Kit – ensemble d’outils, de bibliothèques et d’informations conçus pour faciliter l’environnement permettant d’interagir avec un robot) pour que les développeurs personnalisent ces robots. Pour l’instant, l’accès est réservé à une poignée de testeurs, mais l’idée d’une robotique accessible et flexible fait rêver. Et avec le cadre Asimov, inspiré des lois de la robotique d’Isaac Asimov (voir encarts abonnés), Google pose des garde-fous sémantiques et physiques pour limiter les risques. C’est un signal fort : la sécurité n’est pas une option.

Les trois lois de la robotique : Asimov avait tout anticipé

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Amazon : des entrepôts aux trottoirs, la robotique en action

Pendant ce temps, Amazon accélère la cadence. Avec un investissement de 700 millions d’euros en Europe, le géant du e-commerce fait de la robotique une priorité pour révolutionner la logistique. À Vercelli, en Italie, son laboratoire d’innovation teste des bras robotiques et des systèmes autonomes qui optimisent la gestion des entrepôts. Mais Amazon voit plus grand : des robots humanoïdes pour la livraison. En s’associant à des entreprises comme Unitree ou Figure AI, et en soutenant Digit d’Agility Robotics, Amazon imagine des robots qui sortent des camionnettes Rivian électriques pour déposer vos colis à votre porte. C’est une vision futuriste, mais pragmatique, qui pourrait transformer l’expérience client tout en réduisant les coûts. En attendant, dans ses entrepôts, Amazon dispose déjà de presque autant de robots que d’employés humains, avec plus d’un million de machines déployées.

Un écosystème en ébullition

Au-delà des mastodontes, la robotique explose partout. NVIDIA planche sur GR00T, une IA universelle pour robots humanoïdes, tandis que des start-ups comme Skild AI ou Pollen Robotics misent sur des modèles open source pour démocratiser l’accès à la technologie. En Corée du Sud, RLWRLD développe des modèles de fondation pour robots, et des humanoïdes comme Optimus de Tesla ou Phoenix de Sanctuary AI commencent à s’intégrer dans l’industrie, la santé et même les services. Le marché des robots humanoïdes pèse 3,9 milliards de dollars en 2025, avec une croissance annuelle de 52,1 %. On a même vu un robot courir un semi-marathon à Pékin ! C’est dire si la robotique s’invite partout, avec une agilité qui impressionne.

Les promesses d’un monde robotisé

Ces avancées sont une mine d’opportunités. D’abord, l’efficacité : les robots d’Amazon fluidifient la logistique, réduisant les délais et les erreurs. Les modèles comme Gemini Robotics On-Device, capables de s’adapter rapidement, ouvrent la voie à une automatisation accessible même aux petites entreprises. Ensuite, l’impact sociétal : les robots humanoïdes pourraient assister les personnes âgées ou handicapées, améliorant leur autonomie. Dans la recherche, les SDK et modèles open source accélèrent l’innovation, que ce soit pour l’exploration spatiale ou la médecine. Enfin, l’autonomie des robots embarqués garantit leur fonctionnement dans des zones reculées ou sinistrées, avec une confidentialité renforcée grâce à l’absence de dépendance au cloud.

Mais attention aux zones d’ombre

Attention tout de même. L’automatisation galopante, portée par Amazon ou d’autres, menace des emplois, surtout dans la logistique et l’industrie. Certes, l’émulation économique induite par la robotique et son développement promet l’émergence d’un vivier de nouveaux métiers, mais la transition risque d’être brutale pour les travailleurs peu qualifiés. Si les systèmes éducatifs, sociaux et juridiques ne consacrent pas une part majeure dans le temps à préparer ce changement de paradigme, les inégalités, mais surtout les fractures sociales et intellectuelles, risquent de se creuser plus que jamais, en plus de voir l’homme être amené à s’interroger sur sa propre utilité.

Sur les plans éthique et juridique, les robots autonomes soulèvent aussi des questions épineuses : qui est responsable en cas d’accident ? Les modèles d’IA, comme Gemini, pourraient reproduire des biais ou mal interpréter une situation, avec des conséquences imprévisibles. L’usage militaire, illustré par des entreprises comme ARX Robotics, fait craindre une escalade dans les conflits. Enfin, l’accès limité à ces technologies – Google restreint son SDK, Amazon domine le marché – pourrait creuser les inégalités entre grandes entreprises et petites structures, ou entre pays riches et en développement.

Un futur à construire avec prudence

En 2025, la robotique dopée à l’IA en est déjà à un tournant. Google, Amazon et les autres nous propulsent dans un monde où les machines comprennent, agissent et s’adaptent comme jamais. C’est exaltant, mais ça demande de la vigilance. Les cadres réglementaires, encore balbutiants, doivent suivre pour gérer les risques éthiques, sociaux et sécuritaires. À nous de faire en sorte que cette révolution profite à tous. Si ce n’est pas le cas, la responsabilité n’en incombera pas aux robots, mais à la paradoxale incapacité humaine à anticiper les conséquences du monde qu’il construit…

Sources : (Google DeepMind announcements, Amazon robotics investments, NVIDIA GR00T, market reports on humanoid robots).

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Ports, contrôle aérien… comment l’automatisation peut enfin libérer la France de ses blocages chroniques

7 juillet 2025 à 04:07

Et si la France arrêtait de détenir le record d’Europe des grèves du contrôle aérien ? Et si nos ports cessaient de voir 40% des conteneurs destinés à nos entreprises leur passer sous le nez pour accoster à Anvers ou Rotterdam ? L’interminable feuilleton des blocages qui paralysent notre économie n’est pas une fatalité. La solution : l’automatisation.

Elle a déjà fait ses preuves. Une automatisation massive et intelligente. Loin d’être un projet de destruction d’emplois, c’est une formidable machine à créer de la richesse pour tous, en transformant des métiers pénibles en postes qualifiés, et en libérant des gains de productivité qui irrigueront toute l’économie.

Le coût astronomique des paralysies chroniques

La France détient un record peu enviable : 114 à 128 jours de grève pour 1000 salariés par an, soit 4 à 6 fois plus que l’Allemagne. Cette instabilité chronique transforme nos infrastructures stratégiques en points de vulnérabilité dont les blocages pèsent lourdement sur toute l’économie.

Prenez les ports français. D’après l’Union des Entreprises Transport et Logistique de France, les grèves de début 2025 ont provoqué une augmentation de 23% des coûts de transport et une perte de chiffre d’affaires de 21% pour les entreprises touchées. Plus dramatique encore : 40% des conteneurs destinés au marché français transitent déjà par des ports étrangers concurrents comme Anvers, Rotterdam ou Hambourg. Cette hémorragie traduit une perte de confiance durable. Les géants du transport maritime, qui exigent une fiabilité absolue, redessinent leurs routes pour contourner la France. Nos ports perdent progressivement leur statut de portes d’entrée majeures pour devenir de simples escales secondaires.

Dans le ciel, c’est pire encore. La France détient le record peu enviable de « championne d’Europe » des grèves du contrôle aérien, dont le coût pour le secteur aérien européen est estimé à 800 millions d’euros sur la période 2018-2022, dont 624 millions directement imputables à la France, sans compter l’effet domino sur le tourisme et l’économie européenne. Début juillet, moins de 300 contrôleurs en grève ont réussi à paralyser pas moins de 500 000 passagers en 2 jours. Le fait que la France soit le pays le plus survolé d’Europe transforme chaque grève en France en crise internationale.

Ces vulnérabilités ne sont pas une fatalité. Elles sont le symptôme d’infrastructures névralgiques qui refusent de se moderniser.

L’automatisation des ports

Tandis que les ports français s’enlisent, Rotterdam a choisi une autre voie. Premier port d’Europe avec 13,8 millions d’EVP traités en 2024, il a révolutionné ses opérations dès 1993 en ouvrant le premier terminal à conteneurs automatisé au monde. Aujourd’hui, ses terminaux les plus modernes fonctionnent avec seulement 10 à 15 personnes par jour là où un port traditionnel en nécessite des centaines.

Le spectacle est saisissant : d’immenses grues sans pilote soulèvent les conteneurs avec une précision millimétrique, des véhicules autoguidés électriques circulent en silence sur les quais, et tout est orchestré depuis des salles de contrôle confortables et climatisées. Résultat ? Une productivité décuplée par rapport aux ports traditionnels, et un fonctionnement 24h/24 et 7j/7.

Le port de Rotterdam a annoncé son ambition de pouvoir accueillir des navires autonomes à l’horizon 2030. Cette stratégie s’inscrit dans un vaste programme de transformation numérique et d’innovation, avec la création d’un « jumeau numérique » du port, l’installation de milliers de capteurs et le développement d’infrastructures intelligentes pour permettre la navigation autonome et la gestion automatisée du trafic maritime.

Singapour ne demeure pas en reste avec son projet de méga-port à Tuas. La cité-État construit le plus grand terminal à conteneurs entièrement automatisé du monde, d’une capacité colossale de 65 millions d’EVP d’ici les années 2040. Cette performance repose sur une automatisation de pointe, avec une flotte de plus de 200 véhicules autonomes électriques. Le tout est orchestré par une intelligence artificielle qui optimise les flux et la consommation d’énergie, et supervisé via un jumeau numérique – un double virtuel du port qui sera testé à grande échelle dès la seconde moitié de 2025 pour simuler et perfectionner les opérations en temps réel.

Le ciel et le train se réinventent

L’automatisation du contrôle aérien progresse également dans le reste du monde, quoique avec prudence. L’aéroport de London City est devenu en 2021 le premier aéroport international majeur contrôlé entièrement à distance. La Suède pilote 11 aéroports depuis un centre unique, avec 90% d’économies par rapport aux tours traditionnelles.

Sous l’impulsion de programmes majeurs comme SESAR en Europe et NextGen aux États-Unis, le contrôle aérien adopte l’intelligence artificielle qui agit comme un « copilote virtuel » pour les contrôleurs qui peuvent gérer davantage de trafic avec plus de sérénité. Ces systèmes analysent en temps réel des millions de données pour anticiper les conflits de trajectoire, proposer les routes les plus efficaces et automatiser les tâches de routine. À terme, on espère qu’un nombre réduit de contrôleurs, assistés par des IA de plus en plus fiables, suffise à gérer un volume de vols croissant.

Dans le ferroviaire, l’automatisation française existe sous terre. Les lignes 1 et 14 du métro parisien, entièrement automatiques, ont brillamment résisté aux grèves de décembre 2019. Pendant que les autres lignes étaient paralysées, elles assuraient un service normal. 

Fort de ce succès, le Grand Paris Express sera 100% automatique. Et la SNCF teste ses premiers prototypes de trains autonomes, avec l’objectif de faire circuler des convois sans conducteur d’ici quelques années. Le fret ferroviaire européen se modernise également avec l’attelage automatique digital (DAC), qui promet de réduire la formation d’un train de 4 heures à 30 minutes, transformant le fret ferroviaire européen en un réseau intelligent, plus efficace et compétitif.

L’emploi transformé, pas détruit

La principale crainte face à l’automatisation concerne la destruction d’emplois. Pourtant, dans les ports automatisés, les dockers ne disparaissent pas : ils deviennent techniciens en salle de contrôle. Fini le port de charges lourdes sous les intempéries, place à la supervision d’écrans dans des bureaux chauffés et climatisés.

L’automatisation crée aussi de nouveaux métiers : analystes de données logistiques, experts en maintenance prédictive, spécialistes en cybersécurité industrielle. Ces emplois, bien que moins nombreux que ceux qu’ils remplacent, sont mieux rémunérés, moins pénibles et plus qualifiés.

Comment gérer la transition vers des infrastructures automatisées ?

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Au-delà des seuls impacts sur les secteurs progressivement automatisés, il convient de mesurer l’effet d’entraînement. L’amélioration de la productivité des ports, pour ne prendre que cet exemple, génère des effets bénéfiques considérables qui irriguent l’ensemble de l’économie, menant à la création d’innombrables nouveaux emplois. Les études quantifient cet impact spectaculaire : chaque augmentation de 10% du débit d’un port peut générer jusqu’à 0,2% de croissance du PIB régional, et la création de 400 à 600 emplois par million de tonnes de marchandises traitées. En Chine, il a été démontré qu’une hausse de 1% du trafic portuaire pouvait augmenter la croissance du PIB par habitant de 7,6%. Outre qu’elle permet d’éviter les blocages, l’automatisation d’infrastructures critiques enrichit l’ensemble de la société.

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Le capitalisme va-t-il éradiquer le travail des enfants ?

4 juillet 2025 à 22:03

Cela ne va pas assez vite, mais le monde avance vers la fin du travail des enfants. Le capitalisme et la mondialisation, souvent coupables dans l’imaginaire collectif, œuvrent pourtant à sa disparition. Car derrière l’image glaçante des jeunes forçats des mines, se cache une réalité plus vaste et plus ancienne : celle de millions d’enfants courbés dans les champs.

Il y a plusieurs façons de regarder notre monde, au point que des vérités antagonistes coexistent. L’une nous rappelle que le monde peut être terrible. La preuve ? Aujourd’hui encore, 138 millions d’enfants sont astreints au travail. L’autre témoigne de l’amélioration de ce même monde : ils sont 100 millions de moins qu’au début de siècle. Mais ce progrès n’est ni suffisant, ni conforme aux promesses lancées : il y a dix ans, la communauté internationale s’était promis d’éradiquer l’exploitation des enfants en 2025.

Côté pile, le travail des enfants recule à nouveau, après avoir augmenté pour la première fois depuis deux décennies entre 2016 et 2020, selon les chiffres de l’OIT (Organisation internationale du travail) et de l’UNICEF. Un revers historique, lié à l’instabilité politique de certaines régions, notamment en Afrique sub-saharienne. La fermeture des écoles pendant la pandémie a aggravé la situation. Des millions d’enfants ont été renvoyés dans des familles brutalement plongées dans la précarité. Mais cet état de fait n’a pas perduré et le monde a fait preuve d’une résilience qui a surpris tous les observateurs. Côté face, pour que le travail des enfants appartienne définitivement au passé à la fin de la décennie, il faudrait que les progrès aillent onze fois plus vite. 

Réjouie ou affligée, notre vision du monde vaut moins que la compréhension de son fonctionnement et des mécanismes qui permettent de l’améliorer. Et sur ce sujet, il y a comme un malentendu, qui prend sa source dans l’Europe industrielle du XIXe siècle et se jette dans les mines de Cobalt de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui.

Petites mains pour grandes machines

Il y a deux cents ans, lorsqu’au Royaume-Uni les premières usines sortent de terre, les enfants sont partout. Disponibles, bon marché et dociles, ils sont une aubaine pour l’industrie naissante. Leurs salaires, aussi maigres soient-ils, constituent une ressource que la misère familiale ne peut se permettre de refuser. On les emploie dans les filatures et les mines, parfois dès 5 ou 6 ans. Leur petite taille est utile pour ramper sous les métiers à tisser ou dans les boyaux des galeries. Ce n’est pas pour eux un passage de l’oisiveté au travail : ils aidaient déjà leurs parents dans les fermes ou dans les ateliers familiaux.

Il faudra attendre 1833 pour voir les premières restrictions apparaître. Le parti libéral Whig fait adopter le Factory Act, qui interdit le travail des enfants de moins de neuf ans dans les manufactures textiles. Pour les plus âgés, la journée est limitée à huit heures, et deux heures de scolarité deviennent obligatoires.

Anthony Ashley-Cooper, premier abolitionniste

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En 1870, l’Education Act marque un tournant : l’école primaire devient gratuite et obligatoire jusqu’à dix ans (puis jusqu’à quatorze ans en 1918). Peu à peu, les enfants sont écartés du monde du travail. Le phénomène ne disparaîtra pourtant véritablement que dans les années 1930 à 1950. La transformation économique et l’enrichissement qui l’accompagne rendent leur travail tout simplement inutile. La France suivra un chemin similaire, avec quelques années de retard.

Mieux grandir grâce à la croissance

Mais cette prospérité ne s’est-elle pas construite, à son tour, sur l’exploitation des enfants du tiers-monde ? Comme en Europe un siècle plus tôt, ils ont commencé à être employés dans les mines africaines ou les manufactures du Bengale. Pourtant, là aussi, la croissance a fini par changer les choses — et plus vite qu’au XIXe siècle. En 2008, une personne sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté ; elles ne sont plus qu’une sur 26 aujourd’hui. Le travail des enfants a suivi la même voie : un sur 32 est encore exploité, contre près d’un sur 8 à l’époque. 

En Asie, 27 millions d’enfants sont encore obligés de travailler. Au Bangladesh ou au Pakistan, par exemple, dans l’industrie textile et dans la myriade de petits métiers informels qui gravitent autour d’elle. En Inde, dans la récupération de matériaux issus des déchets électroniques. Mais c’est en Afrique subsaharienne où la situation reste la plus préoccupante. Le continent a réduit sa pauvreté ces vingt dernières années, mais sa population a crû plus vite encore. Résultat, de nombreux enfants doivent travailler très tôt : les deux tiers ont moins de 12 ans. Mais, à rebours des images d’Épinal, ces enfants ne sont pas majoritairement employés par l’industrie occidentale ni sur des chantiers asiatiques. En réalité, 70 % d’entre eux travaillent dans l’agriculture, 22 % dans les services. Deux fois sur trois, ils œuvrent directement pour leur famille : dans les champs, à la fabrication d’objets du quotidien, ou pour la construction de leur propre maison. Ces tâches ne sont pas forcément moins éprouvantes ni moins dangereuses. Certains manipulent des objets dangereux ou des produits toxiques, ploient sous des charges lourdes, ou s’épuisent à des corvées harassantes.

Au pays du désespoir, l’enfer est la seule chance 

Deux facteurs majeurs expliquent la persistance du travail des enfants : le faible développement économique et la vacance des États. Plus d’un enfant sur cinq est employé dans des zones de conflit. Traite, enrôlement forcé, exploitation sexuelle… Les pires formes d’exploitation y sont légion, et souvent absentes des statistiques. 

Le Vénézuela, ce pays en paix où les écoles ferment

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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le travail des enfants dans les mines se concentre en République démocratique du Congo. Économie dévastée sous Mobutu, puis théâtre de la guerre la plus meurtrière depuis 1945, la RDC est aujourd’hui l’un des États les plus fragiles du monde. C’est notamment là que des enfants extraient le cobalt, indispensable à nos batteries. Si les grandes entreprises comme Glencore, Umicore ou BHP assurent 80 % de la production, le reste provient d’exploitations artisanales, souvent informelles. Près de 200 000 “creuseurs” y risquent leur vie, sans équipement, avec des outils rudimentaires. Beaucoup souffrent de maladies pulmonaires ou de graves problèmes de peau. Pour soigner leur image, certains grands groupes renoncent à se fournir auprès de ces filières. Mais pour de nombreuses ONG, cela ne ferait qu’aggraver la situation locale. Le travail des enfants est certes interdit en RDC — mais une loi sans moyens d’application reste lettre morte. Et dans ces régions, l’exploitation minière est souvent la seule option de survie.

Là-bas comme ailleurs, ce ne sont ni le capitalisme ni la mondialisation qui ont mis les enfants au travail. La misère l’a fait bien avant eux. Mais en apportant croissance et développement, ils peuvent, dans les États qui respectent les droits fondamentaux, les sortir des usines et des champs. Pour enfin avoir la chance d’aller à l’école et apprendre un métier plus décent. À notre échelle, il est urgent de revoir notre regard sur le monde. Et notamment de ne plus voir les sociétés traditionnelles comme des havres de paix où des enfants s’accomplissent en toute liberté. Car bien souvent, ce sont au contraire les premiers lieux d’exploitation et de coercition silencieuse.

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MAGA : L’Amérique fantasmée de Trump a (presque) vraiment existé.

4 juillet 2025 à 04:12

« Make America Great Again ». Comme souvent en politique, les fausses promesses s’appuient sur un soupçon de réalité. Si l’Amérique rêvée des trumpistes existe surtout au cinéma, elle s’appuie sur des faits historiques qui ont donné aux États-Unis leur forme et leur mentalité actuelles. 

Rendre sa grandeur à l’Amérique. MAGA, le slogan de Trump depuis 2016 (pour la petite histoire, il a déposé ce slogan dès 2012, soit quatre ans avant sa candidature) est devenu un outil de marketing de masse. Comme le “take back control” de Boris Johnson en Angleterre, soufflé par son conseiller Dominic Cummings. Aussi creux qu’il puisse paraître, ce n’est pourtant pas seulement une pub pour des casquettes. En 2016 beaucoup d’Américains y ont cru, et beaucoup y croient encore.

L’Amérique n’a, naturellement, jamais été grande (pas plus que la France, la Grande-Bretagne ou la Papouasie). Elle a sans nul doute eu des moments de grandeur, toujours saupoudrés de bémols suffisamment honteux pour qu’on mette un peu d’eau dans son coca. La déclaration d’Indépendance américaine est certes un texte plein de bonnes intentions, mais elle n’en excluait pas moins des hommes « créés égaux » jouissant du droit à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » : les Noirs réduits en esclavage et les Indiens  en cours d’extermination.

L’Amérique de Trump renvoie toutefois à un jalon de sa si courte et pourtant si foisonnante histoire qui s’inscrit dans le fameux American Dream. Sa « grandeur » supposée évoque un retour vers un siècle et, surtout, une mentalité inscrits dans l’imaginaire américain comme ceux de l’aventure, de l’indépendance et de la liberté. C’est l’Amérique du XIXe siècle, de la conquête de l’Ouest, de l’industrialisation, d’une société traditionnelle très blanche et très pieuse convaincue d’avoir été choisie par Dieu pour imposer ses valeurs à un monde plus ou moins barbare.

Cette période marque le début d’une immigration massive dans un pays neuf et plein de promesses. Des millions d’immigrants pâlichons majoritairement protestants (sans oublier les Mormons, beaucoup de catholiques, notamment irlandais fuyant la famine, et quelques autres minorités), principalement venus d’Europe du Nord-Ouest, arrivent en quête d’une nouvelle vie. 

Certains vont peupler les grandes villes portuaires, d’autres emprunter le tout nouveau chemin de fer et partir coloniser l’intérieur des terres, repoussant sans cesse la fameuse Frontière en recréant, à partir de rien, des communautés villageoises autour de l’église, de l’école et du saloon.

La foi des pionniers est teintée d’un individualisme courageux valorisant le travail, la volonté et l’autosuffisance et sert de cadre moral dans des régions vierges marquées par la précarité et la violence. Pour ces communautés très religieuses, la spoliation de la terre des Indiens n’entre pas dans la catégorie des péchés dignes de susciter des scrupules : cette colonisation est en effet d’inspiration divine, théorie verbalisée dans le principe de « destinée manifeste » mêlant droit divin et expansion géographique et que l’on retrouve, aujourd’hui, dans les prétentions de Trump. À l’époque, il s’agissait de repousser les frontières de l’Amérique vers le sud et vers l’ouest sous prétexte de mission civilisatrice. On peut voir dans la volonté de Donald Trump d’étendre la férule étatsunienne au Canada, au Panama, dont il a menacé de prendre le canal, et au Groenland, qu’il souhaite contrôler, un prolongement de cette destinée d’inspiration divine revendiquée par les Wasps du XIXe siècle.

Car côté religiosité, Trump n’est pas en reste. Si lors de son premier mandat, ses tendances messianiques pointaient déjà leur nez, depuis la tentative d’assassinat à laquelle il a réchappé en juillet 2024 il ne fait plus aucun doute que Dieu est avec lui.

In God they trust

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Ce retour aux valeurs religieuses, proclamé par le mouvement MAGA est particulièrement incarné par le vice-président Vance dont le couple modèle (Usha Vance a interrompu sa carrière d’avocate pour se consacrer à celle de son époux) s’affiche en parangon des valeurs familiales (tout en restant moderne : il est catholique et elle hindoue).

Cette mentalité trouve un prolongement dans le « Projet 2025 », largement influencé par Russel Vought, stratège central du programme trumpien et directeur du bureau de la gestion et du budget. Ce projet lancé par le think tank très conservateur Heritage Foundation, promeut une recentralisation autour d’un exécutif fort, la réduction du rôle des agences fédérales et de leurs dépenses et un retour aux prérogatives des États qui s’inscrit dans l’esprit du républicanisme anti-fédéraliste du XIXe siècle. La création du DOGE, ce département chargé de l’efficacité gouvernementale, créé pour optimiser le fonctionnement du gouvernement fédéral, et le démantèlement partiel des ministères de l’Éducation et de la Santé illustrent cette volonté de réduire la portée de l’État fédéral dans la vie des citoyens au profit des États fédérés.

Le désir de réindustrialisation et la guerre commerciale à laquelle Trump se livre à grands coups de menaces tarifaires en montagnes russes peuvent eux aussi se voir en miroir avec celle du XIXe siècle. À partir de la guerre de Sécession (1860-1865), l’industrialisation rapide du nord du pays conduit à une importante augmentation des exportations de produits transformés. Dans la dernière décennie du siècle, à quelques hoquets près, l’excédent commercial devient structurel.

Trump aspire à revenir à une Amérique en col bleu, industrielle, agricole et exportatrice, image d’Épinal qui ne prend pas en compte des réalités modernes telles que la concurrence de la Chine avec laquelle les échanges commerciaux étaient très secondaires au XIXe siècle.

Les mots pour le dire

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Ces projections idéalisées du mouvement MAGA renvoient à une Amérique qui a vraiment existé – en faisant abstraction de toutes ses facettes économiquement et humainement désastreuses. C’est l’Amérique des westerns, du cow-boy au grand cœur et de l’immigrant (blanc) entouré de sa famille pieuse et laborieuse, isolée des affaires du monde. C’est celle de la communauté rassemblée autour de l’église, qui n’a besoin de rien et de personne et surtout pas d’un « big government » pour s’épanouir et s’enrichir. Comme tous les stéréotypes, elle s’appuie sur une réalité multifacette que le fil du temps a lissée et transformée en légende, en faisant passer à la trappe non seulement ceux qui ont été écrasés au passage, mais aussi les difficultés que ces premiers Américains ont réellement affrontées. Une nation fantasmée où les rôles étaient clairs et où, en partant de rien, on pouvait arriver au sommet à force de travail, de volonté et grâce à Dieu et au tout-puissant dollar. Bien sûr, les millions de morts — colons, esclaves et Indiens, et les innombrables miséreux restés au bord de la route n’ont pas leur place dans cette légende : le pays du  Make America Great Again, c’est, naturellement, celle des vainqueurs. Ou de ceux qui s’imaginent l’être…

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Vive le techno-féminisme !

3 juillet 2025 à 03:55

Dans l’air du temps, monte une petite musique insistante : la science, la technique, la rationalité seraient des trucs d’hommes. Sous-entendu : les femmes auraient mieux à faire que de s’encombrer de froide logique. Quand Sandrine Rousseau affirme préférer « des femmes qui jettent des sorts » à « des hommes qui construisent des EPR », ce n’est même plus une provocation : c’est un symptôme. Celui d’un néo-féminisme qui recycle les vieux clichés en opposant les femmes à la raison.

Cette opposition entre femmes et rationalité n’est pas seulement fausse : elle est dangereuse. Elle réactive une vieille rengaine, longtemps utilisée pour tenir les femmes à l’écart de la vie publique, politique ou scientifique — en les renvoyant à une supposée émotivité incompatible avec l’exercice de la raison. Le mythe d’une pensée féminine « autre », plus intuitive, moins cartésienne, a servi d’argument pour les exclure des universités, des laboratoires, des assemblées. Il a justifié, dans le Code civil napoléonien, leur statut de mineures à vie. Aujourd’hui, au nom d’un féminisme mal inspiré, on rejoue cette partition. Mais il y a plus : en renvoyant les femmes hors du champ de la rationalité, on passe sous silence ce que leur émancipation doit précisément aux sciences et aux techniques. Notamment sur un point décisif — et biologiquement indiscutable : la charge reproductive. Sur ce terrain, la rationalité n’est pas un accessoire. Elle est une condition de la liberté. 

Maîtriser sa fécondité : une condition de l’émancipation féminine

La liberté des femmes passe d’abord par la maîtrise de leur fertilité. Contraception et IVG ne relèvent pas de savoirs ancestraux prétendument perdus, mais de découvertes scientifiques, de protocoles médicaux rigoureux, et de technologies industrialisées qui permettent un accès sûr et massif. L’idée selon laquelle les femmes auraient, de tout temps, su maîtriser leur fécondité repose sur un récit fantasmé, déconnecté des réalités historiques et médicales.

Sans DIU, pilules ou IVG fiables, pas de choix libre sur la maternité : ni sur le fait d’avoir un enfant, ni sur le moment ou la fréquence. Et donc, pas de liberté sexuelle réelle.

Science, industrie et liberté : une histoire matérielle de la contraception et de l’IVG

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Chaque année en France, environ 500 000 dispositifs intra-utérins (DIU) sont posés, et quelque 250 000 interruptions volontaires de grossesse sont pratiquées. Ce n’est pas un sujet marginal : c’est un socle d’autonomie, une condition pour pouvoir choisir ses études, sa carrière, sa vie.

On connaît les avancées juridiques — Neuwirth en 1967, Veil en 1975 — mais on oublie souvent que les outils techniques eux-mêmes, ceux qui rendent ces droits effectifs, sont récents. 

Réduction de la mortalité infantile : un double bienfait

Autre avancée fondamentale : la chute de la mortalité infantile. En un siècle, on est passé de 15 % à 0,4 % de décès. D’un événement courant à une exception. La grossesse et les premiers mois de vie représentent un investissement bien plus lourd pour les femmes. Chaque naissance constitue un handicap sur le plan professionnel. Dès lors, conjuguée à la maîtrise de la fécondité, la baisse de la mortalité périnatale a permis d’alléger la charge reproductive pour celles qui choisissent d’avoir des enfants. 

Du savon à la chirurgie fœtale : deux siècles de lutte contre la mortalité périnatale et infantile

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C’est le principe même de la transition démographique : la fécondité diminue quand la mortalité infantile recule, à condition qu’un accès réel à la contraception accompagne le mouvement — car le risque de perte d’un enfant cesse alors de préoccuper les parents.

Ce que les femmes ont à perdre, à perdre la raison

Les femmes doivent beaucoup aux sciences et aux techniques pour leur émancipation. Et réciproquement, les sciences ont besoin des femmes : pour les questions qu’elles posent, les angles qu’elles ouvrent, qu’elles soient ou non dans la recherche ou l’ingénierie. La formation scientifique des femmes est un enjeu social à part entière.

Or, les courants qui opposent féminisme et rationalité scientifique envoient un message clair : il ne serait plus nécessaire de comprendre la science — ni ses méthodes, ni ses résultats. C’est une régression grave. Car toute décision politique éclairée repose sur une compréhension rationnelle des enjeux. Détourner les femmes de ce champ, c’est risquer de valider — sous un vernis progressiste — l’idée qu’elles en seraient naturellement incapables. Et renouer, sans le dire, avec les vieux présupposés patriarcaux sur leur inaptitude à la raison. Et à la participation aux décisions collectives.

L’émancipation des femmes est une conquête récente — et fragile. Le recul du droit à l’IVG aux États-Unis ou en Pologne le rappelle brutalement. L’idée qu’on pourrait se passer d’une approche rationnelle peut sembler confortable, parce qu’elle exige moins. Mais elle est périlleuse.

Car les femmes ont plus que jamais intérêt à investir le champ scientifique : pour poser les bonnes questions, pour faire progresser la société, et pour démentir, par leur présence même, les vieilles thèses sur leur prétendue inaptitude à la pensée. Quel que soit le masque sous lequel ces idées s’avancent.

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Une décennie pour filmer le cosmos : la révolution Vera Rubin

2 juillet 2025 à 04:18

Imaginez découvrir plus d’astéroïdes en quelques jours que l’humanité en 2 siècles. C’est exactement ce qui s’est passé entre la mi-avril et le début mai 2025, quand le télescope Vera Rubin a capturé ses premières images. Ces clichés révolutionnaires ouvrent la voie à des découvertes qui pourraient bouleverser notre compréhension du cosmos.

Perché à 2 673 mètres sur le Cerro Pachón au Chili, l’observatoire Vera Rubin est le fruit de plus de 20 ans de développement international. Rebaptisé en 2020 en hommage à la pionnière de la matière noire, ce télescope révolutionnaire dispose de la plus grande caméra jamais construite : 3,2 milliards de pixels capables de photographier 45 pleines lunes d’un seul coup.

Vue par drone de l’observatoire Vera C. Rubin.
Credit: RubinObs/NOIRLab/SLAC/NSF/DOE/AURA/T. Matsopoulos

Les images inaugurales récemment publiées sont spectaculaires. Les nébuleuses Trifide et de la Lagune révèlent des structures gazeuses d’un détail inouï, fruit de 678 prises de vue en 7 heures. L’amas de galaxies de la Vierge dévoile 10 millions d’objets célestes avec une précision jamais atteinte depuis le sol. En quelques heures seulement, Vera Rubin a identifié des milliers de nouveaux astéroïdes.

Composée de plus de 678 prises de vue réalisées par l’observatoire Vera C. Rubin (NSF–DOE) en un peu plus de sept heures d’observation, cette vidéo explore en détail la région contenant la nébuleuse Trifide (en haut) et la nébuleuse de la Lagune, situées à plusieurs milliers d’années-lumière de la Terre.
Crédit : Observatoire Vera C. Rubin (NSF–DOE)

Dès fin 2025, Vera Rubin entamera sa véritable mission : filmer l’Univers entier pendant 10 ans. La mission Legacy Survey of Space and Time va cartographier l’intégralité du ciel austral toutes les 3 nuits pendant cette période. Objectif : créer un véritable « film » de l’évolution cosmique, détecter millions d’astéroïdes, milliards de galaxies et milliers de supernovae. Ce projet promet de révolutionner notre compréhension de la matière noire et de l’énergie noire.

Vera Rubin, chevalière blanche de la matière noire

J’approfondis

Le futur Extremely Large Telescope (ELT), avec ses 39 mètres de diamètre (première lumière en 2028), adoptera la stratégie inverse : résolution extrême sur de petites zones plutôt que cartographie massive. Tandis que Vera Rubin découvre, l’ELT scrutera. L’un balaye le ciel, l’autre plongera dans les détails avec 15 fois la résolution de Hubble.

Les limites de télescopes terrestres

Pourtant, ces télescopes se heurtent aux limites de leur localisation sur Terre. L’atmosphère bloque ou perturbe des pans entiers du spectre visible et invisible, les effets gravitationnels déforment les structures géantes, et les constellations du type Starlink « brûlent » jusqu’à 40 % des images avec leurs traînées lumineuses. 

L’espace s’impose alors comme l’ultime frontière. James Webb l’a prouvé depuis 2022 : positionné à 1,5 million de kilomètres de la Terre, ce télescope spatial de 6,5 mètres de diamètre découvre des galaxies vieilles de 13,57 milliards d’années et analyse les atmosphères d’exoplanètes sans aucune perturbation atmosphérique.

L’écran de calibration de Rubin s’illumine, éclairé par une LED. Les anneaux visibles ? Ce sont des traces d’usinage laissées par le réflecteur façonné avec précision, qui permet de répartir la lumière uniformément sur l’écran.
Crédit : RubinObs/NSF/DOE/NOIRLab/SLAC/AURA/W. O’Mullane

Avec Starship bientôt capable de lancer 150 tonnes dans l’espace à coût dérisoire, l’heure des plus grandes ambitions a sonné. L’entrepreneur Casey Handmer propose de créer le « Monster Scope » : un télescope spatial auto-assemblé de 1km de diamètre. Ce colosse de 10 milliards de dollars – le prix de James Webb mais 22 000 fois plus sensible – examinerait les continents et rivières d’exoplanètes comme on observe la Lune.

Sommes-nous seuls dans l’univers ? Y a-t-il d’autres planètes habitables ? Des télescopes géants spatiaux pourraient nous permettre de répondre enfin à ces questions millénaires.

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Taxe Zucman : prendre aux riches n’est pas donner aux pauvres

1 juillet 2025 à 04:21

Taxer les milliardaires, c’est toujours populaire. Surtout en période de tensions budgétaires. L’idée de les faire payer davantage semble à la fois logique, morale, voire réparatrice. Pourquoi, après tout, un boulanger devrait payer plus d’impôts sur ses revenus (en proportion) qu’un milliardaire ? C’est ce sentiment d’injustice fiscale que la « taxe Zucman » prétend corriger. Au risque d’appauvrir tout le monde ?

Son principe : imposer un minimum de 2 % du patrimoine pour les très grandes fortunes – à partir de 100 millions d’euros. La logique est redoutablement séduisante : si vous avez 1 milliard d’euros de patrimoine, et que vous ne payez qu’un petit million d’impôt sur le revenu et un autre d’IFI, il vous reste trop, beaucoup trop. La taxe Zucman propose de prélever 2 % de ce magot chaque année. En l’occurrence ici : 18 millions de plus à verser à l’État.

Une mesure qui ne concernerait principalement que quelques centaines de foyers, mais qui, selon ses promoteurs, rapporterait beaucoup. De quoi financer une partie des retraites ou sauver quelques services publics en souffrance. Une sorte de contribution républicaine. Ciblée, juste, symbolique. Presque indolore.

Saper les piliers de la prospérité ?

Si l’idée est politiquement irrésistible, économiquement, elle se révèle beaucoup plus fragile. D’une part parce qu’elle repose sur des hypothèses discutables (Cf. encadré), surtout parce que ses effets sur l’investissement, l’innovation et la croissance pourraient se retourner contre l’intérêt général.

Les riches payent-ils trop peu d’impôts ?

J’approfondis

Commençons par l’investissement, car c’est peut-être le point le plus préoccupant de cette taxe. L’économie a besoin de capitaux patients. De personnes qui mettent leur argent dans des projets risqués, innovants, incertains. Ce sont souvent eux — business angels, fondateurs, investisseurs familiaux — qui financent les start-ups, les biotech, les cleantech, etc.

Or la taxe Zucman frappe exactement ce type de capital. Celui qui ne distribue rien, qui mise à long terme, qui accepte de perdre dix fois pour gagner une fois. En imposant ces fortunes sur la simple détention d’actifs, on les contraint à désinvestir ou à externaliser leurs fonds. Un « business angel » qui voit son rendement amputé de 2 % par an peut tout simplement investir ailleurs. Une start-up française à la recherche de financement se retrouvera face à des investisseurs plus frileux, ou à des exigences de rendement plus élevées. C’est le financement de l’innovation qui trinque.

Et cette fragilisation n’est pas théorique. Une fiscalité trop lourde sur le capital a des conséquences concrètes : moins de créations d’entreprises, moins de levées de fonds, moins d’emplois qualifiés créés. Et donc, à terme, moins de croissance.

Le patrimoine est souvent illiquide. Pour payer la taxe, certains contribuables devraient vendre des parts, chaque année. Cela pèse sur les marchés, fait baisser la valeur des actifs, et réduit mécaniquement l’assiette de l’impôt. Un cercle pas très vertueux. On peut accepter une forme de redistribution. Mais encore faut-il qu’il y ait quelque chose à redistribuer.

La morale ne remplit pas les caisses

L’autre grand écueil de la taxe Zucman, c’est l’évasion par le haut. Si la mesure n’est appliquée qu’au niveau national, elle risque tout simplement d’encourager les plus riches à changer de pays, délocaliser leur patrimoine, ou restructurer leurs holdings à l’étranger. Les grands patrimoines sont mobiles, les fiscalistes inventifs, et la concurrence fiscale reste bien réelle. Pour éviter ces effets de fuite, la taxe devrait au moins être européenne.

Mais cette perspective, si elle est théoriquement séduisante, reste hautement improbable à court terme. La récente tentative de mettre en place un impôt mondial sur les multinationales, par exemple, a déjà montré les limites de la coopération internationale. Alors espérer une taxe coordonnée sur les ultra-riches ? Il faudrait un degré d’accord politique inédit.

Du danger des idéaux

Enfin, il faut garder en tête quelques proportions, car, de fait, la taxe Zucman, même dans les scénarios les plus optimistes, ce n’est pas non plus le grand soir. Ses partisans parlent de 20 milliards d’euros par an. En admettant même que cela n’ait aucun effet sur la croissance, on est très loin des 140 milliards d’euros de déficit prévu pour 2025.

La taxe Zucman envoie un signal. Elle incarne un idéal. Mais puisqu’elle s’appuie sur des hypothèses contestables, elle risque surtout d’avoir des effets délétères. La vérité est plus brutale : la soutenabilité budgétaire passe aussi par des choix plus profonds, moins idéalistes, parfois plus impopulaires. C’est une affaire collective, pas seulement morale, car on ne fait pas de la bonne politique avec du ressentiment.

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